31/01/2020

« Jésus envoie ses apôtres non au temple, mais chez les gens. » (Chandeleur)


Le 2 février, c’est la chandeleur. Au début de notre célébration, nous avons tenu une lumière. Jésus est la « lumière pour éclairer les nations », ainsi que le chante Syméon. Parole du Père, il est la lumière de nos pas, la lampe de nos routes (Ps 118, 105).
Si les chandelles donnent le nom populaire de la fête, elles n’en explicitent qu’un sens. Nous fêtons aussi la rencontre du vieillard Syméon avec Jésus ; et encore, la présentation de Jésus au temple comme l’on dit depuis la réforme de Paul VI.
Il est une chose curieuse dans ce dernier nom. Comment le Seigneur entrerait-il dans le temple ? Le temple n’est-il pas sa demeure ? Faut-il que Dieu n’habite pas le temple pour qu’en Jésus il y pénètre ? La fausse ingénuité de mes questions pose la question de la présence de Dieu dans le monde, question au cœur de la foi, question au cœur de la laïcité.
Depuis que nos institutions sont laïques, depuis l’absence de Dieu dans l’espace public, que deviennent nos temples, les églises ? Il se pourrait que Nietzche ait été perspicace, comme si souvent. Elles sont les tombeaux de Dieu où l’on chante, et l’esthétisme tient lieu de rituel, un requiem aeternam Deo. Si personne ou presque ne souhaite la démolition des édifices religieux, si de nombreux non-croyants s’engagent pour la sauvegarde du patrimoine religieux, combien cherchent Dieu dans les églises ?
Les chrétiens savent bien que Dieu n’est pas dans les églises. Ou, plutôt, comme le disait un détenu dernièrement, tout lieu est un lieu du Seigneur, la prison même est un lieu sacré, parce que Dieu y habite.
Dieu habite où les hommes et les femmes vivent. Si les églises sont un lieu de Dieu, elles ne le sont pas davantage que tout autre endroit de la terre. Si « sa maison est un lieu pour la paix », c’est pour que toutes nos maisons, nos familles, notre terre soient en paix. C’en est fini de la religion qui distingue sacré et profane. C’est pour cela que les disciples de Jésus sont invités à ce que leur vie tout entière soit en forme d’évangile. Non pas seulement une heure le dimanche, ou pour quelques événements, baptême, communion, mariage, et on a tout fait !
Faire habiter Dieu dans un temple, c’est l’y cantonner. Et si les dieux ne nous sont pas propices, mieux vaut qu’ils soient assignés à résidence. Mais avec Jésus, comme dit Paul, « le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! » (1 Co 3, 17) Nous sommes le temple de Dieu comme communauté chargée de manifester sa présence, son habitation dans le monde. « Jésus envoie ses apôtres non au temple, mais chez les gens. » (Rouet) Cette manifestation n’a rien à voir avec des shows médiatiques ou des revendications identitaires. Elle est l’humble compagnonnage avec l’humanité, à l’image de ce que Jésus a vécu.
Ne revenons pas à l’esclavage du polythéisme ou des religions. Le Christ nous veut libres, le Christ nous a libérés. La contrepartie, c’est qu’être chrétien, ce n’est pas une affaire de trucs à faire, de choses à croire, de rites à pratiquer. Etre chrétien, c’est vivre comme Jésus, homme pour les autres parce qu’homme pour Dieu. Etre disciple, cela nous réquisitionne tout entier, ça prend toute la vie. On n’est jamais quitte avec Dieu. Non qu’il faudrait en faire toujours plus. Mais, comme en amour, en amitié, on trouve sa joie de vivre en dette.
La foi n’est pas une théorie explicative, pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, ou une garantie de justice. Non, la foi n’est pas un système du monde. Elle pose plus de questions qu’elle n’en résout, elle est appel et non réponse. Indiquer que Dieu fait de l’humanité son temple, que Dieu habite l’humanité ne se fait pas par des discours. L’Eglise et notre communauté sont dialogue et conversation. Il n’y a pas de théorie catholique mais des vies qui essayent de laisser transparaître « le vivant qui se lève » et pénètre en son temple.
Les chandelles que nous portions ne rappellent pas seulement un épisode légendaire de la vie de Jésus. Elles sont la parabole de notre vie de disciple missionnaire. La fragilité d’une flamme qu’un moindre souffle peut éteindre ; la chaleur débile d’un peu de fraternité ; la faible clarté d’une lumière sur les routes des hommes et des femmes de notre temps, pour les tourner les uns vers les autres, pour suggérer qu’ils sont habités par Dieu, tournés vers Dieu.

29/01/2020

Claude Langlois, On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l'Eglise de la Révolution à nos jours, Seuil, Paris 2020


Le livre de Claude Langlois qui vient de paraître sera précieux, au moins à trois titres.
   1. Le livre en deux-cents pages fait état de nombre de travaux sur la sexualité dans le discours et la pratique des catholiques, prêtres comme laïcs. Même si la pédocrilinalité du clergé durant les deux derniers siècles et demi est son thème, la synthèse qu’il propose est plus large et précieuse.
   2. Il apporte la démonstration de ce qu’il n’est pas possible d’affirmer que la pédocriminalité des clercs est liée à une soi-disant libération sexuelle des années 68, ainsi que l’écrivait encore récemment l’évêque émérite de Rome. L’histoire retracée sur deux siècles et demi des prêtres en difficulté, selon l’euphémisme qui met dans le même sac, alcoolisme, problèmes de foi, insoumission aux évêques, entorses au célibat, homosexualité, pédocriminalité, etc., montre l’ancienneté du problème. 
      Ainsi, entre 1900 et 1960, on peut estimer à une centaine le nombre de prêtres condamnés en France pour pédocriminalité. Compte-tenu de l’omerta, de la non-dénonciation de ces prêtres, cette centaine n’est que la partie émergée de l’iceberg.
  3. Les administrations diocésaines (évêques, vicaires généraux, etc.) sont au courant des déviances. Elles prennent même des moyens pour tâcher d’y remédier. La pertinence des dits moyens est une autre affaire. Jusqu’à récemment et sur toute la période étudiée, elles traitent par la discrétion jusqu’à la dissimulation les prêtres en difficulté. (Ce qui a changé, c’est la perception de la pédocriminalité de 1790 à 2020. Mais des procès (de clercs ou non) ont lieu au XIXe siècle. Jamais, durant cette période, il n’a été considéré comme non-fautif par la quasi-totalité de la population que des adultes aient des pratiques sexuelles avec des enfants, quoi qu’il en soit de la non-dénonciation, de la sanction souvent légère, du développement du droit et de la considération des victimes.)

Trop rapidement est posée la question du rapport entre célibat et pouvoir dans l’Eglise. N’est pas évoquée la manière pour les prêtres de respecter le célibat, compte-tenu de l’obligation qui en est faite. Il aurait été nécessaire d’ouvrir ces dossiers, même si ce n’est pas vraiment l’objet du travail, à l’instar des deux derniers chapitres (perception de l’homosexualité par l’Eglise et prise en compte de la victime dans le discours ecclésial) qui apportent des éclairages indépendants et complémentaires avec la question principale de l’ouvrage.

(Sans doute quelques petites erreurs. Anatrella est dit docteur. Je ne crois pas que ce soit le cas, pas plus en médecine qu’en théologie. Peut-on juger la décision du Cardinal Decourtray en 1991 quant à Preynat dans la logique de la non-dénonciation par P. Barbarin ? N'est-ce pas valider l'argument de ce dernier qui cherche à alléger sa faute en la faisant porter par ses prédécesseurs ?)