31/03/2023

La passion de Jésus-Christ selon l’aujourd’hui (Rameaux et passion du Seigneur)

L’évangile de Matthieu ne parle que cinq fois des pécheurs sur plus de 18 000 mots. On n’y trouve la racine « péché » que quatorze fois. On ne peut pas dire que ce soit un thème central ! Sur les cinq occurrences de pécheur, trois sont placées dans le contexte de la table. « Il mange avec les pécheurs ».

Dans le récit de la passion (Mt 26-27), la commensalité de Jésus n’est pas arrêtée par l’imminence de la mort. A sa table, des pécheurs, même si le mot n’est pas employé ; seulement des disciples, même si nous renâclons à l’admettre. « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. » « Je ne connais pas cet homme ! »

« Les souffrances de l’Eglise viennent de l’intérieur même de l’Eglise, du péché qui existe dans l’Eglise. Cela, on l’a toujours su, mais nous le voyons aujourd’hui de façon réellement terrifiante : la plus grande persécution contre l’Eglise ne vient pas d’ennemis du dehors, mais elle naît du péché dans l’Eglise, et l’Eglise a donc un profond besoin de ré-apprendre la pénitence, d’accepter la purification, d’apprendre d’une part le pardon mais aussi la nécessité de la justice. Le pardon ne remplace pas la justice ». (Benoît XVI, 11 mai 2010)

Célébrer la passion du Seigneur et prendre part à sa table, c’est reconnaître notre péché, non formellement, rituellement, mais en vue de la conversion. « Nous laissons-nous changer par Jésus, ou bien est-il seulement une idée, une idéologie ? » interrogeait François lors de l’audience de ce mercredi.

Il y a urgence à s’abstenir d’adorer, de louer, de célébrer. C’est l’enseignement de toutes les Ecritures. Assez du culte, assez des traditions religieuses ! Des fils et filles d’homme se meurent, sont méprisés, ignorés, assassinés. La passion du fils de l’homme n’est pas achevée. Le corps du Christ se déchire. C’est sacrilège de communier alors que nous sommes solidaires de la violence dans l’Eglise. Même chose pour l’écrasement des frères par un ordre mondial inique, des lois anti-immigrations qui contreviennent aux droits de l’homme, des manières d’administrer le droit d’asile qui avilissent les personnes. Le traitement réservé aux mineurs isolés en France n’est que le sommet le plus révoltant de l’iceberg, qui pourtant mobilise notre pays infiniment moins que l’avenir économique !

Passion et résurrection ne sont le cœur de la foi qu’à être le renversement dès maintenant de la mort et du mal dans notre société et dans l’Eglise. « Sang versé pour la rémission des péchés. » L’eucharistie n’est pas religieuse ; elle est politique.

C’est un païen, pas un disciple, qui prononce la profession de foi : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu ! » Faudrait-il ne pas être disciples pour être disciples ? La discipline du Christ n’est pas un état, une tradition, une identité, mais une tâche.




29/03/2023

Une parole qui libère.

« Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » C’est l’évangile du jour (mercredi 5ème semaine de carême). La veille, je trouve dans ma boite aux lettres un courrier d’un détenu. Il écrit :

« Depuis que je suis incarcéré, je me suis rapproché de l’Evangile et depuis, je me sens libre (alors que je suis incarcéré), libre de presque toute ma haine et ma colère, libre de jugement, libre d’être pardonné et de pardonner en retour. J’ai pardonné à presque tout le monde, même s’ils ne m’ont pas demandé pardon. Et depuis, cela fait un bien fou. »

Il n’y avait pas d’homélie à préparer, je l’avais reçue par la poste. Je lisais juste avant : « Je suis d'accord avec toi, l’Evangile, c’est un chemin de vie, l’expérience d’une libération. »

L’Evangile dit la vérité de l'existence (« Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait » Jn 4). Il reçoit réciproquement sa vérité de l’expérience de personnes comme ce détenu.

Une fois de plus se vérifie le propos de Vincent de Paul, premier aumônier officiellement nommé pour les détenus :

« Ne vous occupez pas des prisonniers si vous ne consentez pas à être leurs sujets et leurs élèves. Ceux que nous appelons des misérables, ce sont eux qui nous doivent évangéliser et convertir. Après Dieu, c’est à eux que je dois le plus. »

24/03/2023

La résurrection est une personne (5ème dimanche de carême)

« Je suis la résurrection et la vie. » (Jn 11) Avons-nous bien entendu ? La résurrection est une personne ! Qu’est-ce que cela peut signifier ? Sans doute bien autre chose que ce que nous comprenons habituellement par résurrection, un retour à la vie après la mort pour reprendre une existence « où nous nous retrouverons », dégagés de toutes entraves.

La foi en la résurrection concerne-t-elle l’après-mort ? Si oui, en tout cas, elle ne s’y réduit pas. L’entretien avec Nicodème au début de l’évangile de Jean ne concerne nullement l’après-mort. C’est ici et maintenant qu’il « faut naître d’en-haut ». La vie nouvelle est moins une autre vie qu’une nouvelle manière de vivre parce que, pour beaucoup, la vie est mort.

Il est possible, et peut-être même nécessaire, de ne rien savoir à propos de l’au-delà, comme l’on dit. Nous savons, un peu, ce qu’il en est de l’en-deçà de la mort et c’est là qu’il faut être « vivant jusqu’à la mort », vivant jusqu’au bout. Les malades de dégénérescence cérébrales ne peuvent plus former cette pensée, mais ceux qui les accompagnent peuvent, comme pour le reste de l’existence, prendre en charge les conséquences de la dépendance pour que chacun demeure vivant, même grignoté, bouffé, dévoré par la maladie.

Paul Ricœur écrivait : « Je dis : Dieu, tu feras ce que tu voudras de moi. Peut-être rien. J’accepte de n’être plus. Alors, une autre espérance que le désir de continuer d’exister se lève. » Cette « autre espérance », le philosophe reste pudique à son propos, commente une journaliste. Je ne sais ce qui lui permet d’ajouter que Ricœur laisse ce poignant testament en clair-obscur, où perce une fine et puissante lumière.

C’est le génie de l’évangile de lester ce monde d’un poids d’éternité au point que, n’y aurait-il rien d’autre que cette vie, l’espérance serait d’avoir traversé l’existence « en faisant le bien », comme le Maître. Si peu, certes, mais tout de même. Espérance plus diaphane et blême encore qu’une vie après la mort, elle convertit à la sollicitude envers autrui. Arrimer la sainteté, la spiritualité à la glèbe. Dieu n’est pas l’au-delà, mais le présent, don pour la vie du monde. Passer en faisant le bien...

Nous mesurons la grandeur de « cette autre espérance », effectivement fine et puissante. Apporter sa pierre à la construction d’une humanité que tant de haines et de maladies s’acharnent à saper. Etre pierre dans la construction qui a Jésus comme fondation pour que l’humanité trouve un refuge et une auberge pour la fête dans la maison commune.

La volonté, peut-être déjà anciennement chrétienne d’un Baden-Powell de laisser ce monde un peu meilleur que nous l’avons trouvé, c’est bien beau. Mais lorsque les années s’amoncellent, lorsque tant de ceux que nous avons aimés ne sont plus, lorsque l’on est lucide sur sa propre existence, la tristesse et le désespoir ont bien des raisons de nous saisir. « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » disent tour à tour Marthe et Marie.

Mais justement la résurrection en personne ouvre les tombes. Non comme une présence qui obstrue la béance de l’absence, qui comble, il est là comme celui qui manque, ainsi que nos défunts, plus encore que de leur vivant, précisément par leur absence. Une absence qui hante. Mortel et mort, il affirme être lui-même la résurrection et la vie.

Jésus est la résurrection parce que la résurrection est la présence de Dieu dans la mort. C’est un acte de création qui relève parce que Dieu s’y tient. Dieu est la réalité de la résurrection.

L’affirmation johannique de Jésus est de celle que recoupe l’expérience de disciples, lorsque passer en faisant le bien n’est pas de leur fait, mais de ce qu’ils essaient de laisser paraître de leur maître. Ce n’est peut-être guère héroïque de faire le bien « à cause de Jésus », mais enfin, c’est toujours ça de pris. Cela évite le contentement de soi si acerbement critiqué par Platon et la prétention pharisienne d’être quelqu’un de bien.

Les disciples ne savent guère quand ils font le bien, affairés qu’ils sont à suivre le maître, au service des autres. La question, ils ne se la posent pas. Ils ont autre chose à faire. L’enfer d’ailleurs est pavé de bonnes intentions ! La sollicitude envers autrui permet l’estime de soi parce que le plus court chemin de soi à soi passe par autrui. Qui criera au manque de verticalité sera passé à côté de l’heureuse annonce. Si le visage du Seigneur pouvait luire en ce monde… Ce serait renaissance, naître d’en-haut par qu’il est la résurrection et la vie.


Eglise Saint-Georges, Marseille