La commémoration de tous les fidèles défunts tourne nos
regards vers le ciel, comme l’on dit, vers la vie avec Dieu de tous ceux qui
l’ont cherché et désormais le contemplent dans la gloire où sa miséricorde les introduit.
Lors de la dernière rencontre des confirmands, plusieurs disaient ne pas croire au Paradis. Avant de juger de leur orthodoxie, il conviendrait de savoir ce que représente ce Paradis. S’il s’agit d’un lieu idyllique, avec des anges, des fleurs et même, comme dans l’Islam populaire, d’un lieu où les jeunes filles vierges sont à la disposition de l’appétit des martyrs de la foi, je comprends que l’on n’y croie pas. Je n’y crois pas.
Lors de la dernière rencontre des confirmands, plusieurs disaient ne pas croire au Paradis. Avant de juger de leur orthodoxie, il conviendrait de savoir ce que représente ce Paradis. S’il s’agit d’un lieu idyllique, avec des anges, des fleurs et même, comme dans l’Islam populaire, d’un lieu où les jeunes filles vierges sont à la disposition de l’appétit des martyrs de la foi, je comprends que l’on n’y croie pas. Je n’y crois pas.
Il faut reconnaître que la vie après la mort est insensée si
l’on ne commence pas par parler de la vie avec Dieu ici et maintenant. Si la vie
après la mort est une réassurance, une consolation, la lecture de Freud ou de
Nietzsche suffit à en montrer la part de ressentiment, de revanche illusoire
qui devrait nous en détourner.
La foi chrétienne n’est peut-être jamais totalement sortie
de l’animisme. Faut-il d’ailleurs en sortir ? Après tout, que ceux que
nous avons aimés continuent à nous hanter, à habiter notre cœur et notre
intelligence, au point de demeurer vivants, au point de nous faire poser tel ou
tel geste, n’a rien d’impensable. Nous existons par ceux qui nous ont donné
naissance, nous ont tant appris à nous aimer, et qui continuent à vivre, d’une
certaine façon, par et en nous. Si autrui nous constitue, assurément, nous
existons par eux tous et en nous ils sont encore vivants. Cet animisme,
archaïque au sens freudien, s’exprime dans le christianisme de civilisations
premières, même évangélisées depuis plusieurs siècles, comme au Mexique ou à
Madagascar. Il refait surface chez nous lorsque la foi chrétienne s’estompe. La
fête de ce jour ne lui est pas étrangère.
Si la foi est que pratique sociale et chemin de vie ‑ une morale donc ‑ ou doctrine, on comprend qu’il faille se projeter dans l’avenir, l’après mort, pour donner cohérence à l’insensée de la violence, des injustices et de la mort. Mais si la foi est vie éternelle, ici et maintenant, cela change tout. Les fidèles défunts sont ceux dont on se souvient justement comme des vivants qui avaient mis leur foi en Christ, qui avaient trouvé la vie éternelle à chercher celui à l’amour duquel ils voulaient répondre.
Si la foi est que pratique sociale et chemin de vie ‑ une morale donc ‑ ou doctrine, on comprend qu’il faille se projeter dans l’avenir, l’après mort, pour donner cohérence à l’insensée de la violence, des injustices et de la mort. Mais si la foi est vie éternelle, ici et maintenant, cela change tout. Les fidèles défunts sont ceux dont on se souvient justement comme des vivants qui avaient mis leur foi en Christ, qui avaient trouvé la vie éternelle à chercher celui à l’amour duquel ils voulaient répondre.
Laissons-là, donc, la vie après la mort dont nous ne savons
rien, à propos de laquelle on peut tout promettre. Dès lors qu’il est possible
de vivre aujourd’hui avec Dieu, dès lors que la foi c’est cela, la vie aujourd’hui
avec Dieu, la vie éternelle, alors peu nous chaut ce qu’il en sera après la
mort. La vie spirituelle n’est pas une activité que nous pratiquerions quand
nous prions. Elle est vie dans l’Esprit, dans l’Esprit de sainteté. Elle est
vie, forcément entière, avec Dieu. « Dans cette existence de chaque jour
que nous recevons de ta grâce, la vie éternelle est déjà commencée. »
(Préface des dimanches IV) « Vous êtes déjà ressuscités avec le Christ. »
(Col 2,12)
La foi n’est ni morale, ni doctrine, ni religion et dévotion ;
elle est vie avec Dieu, vie éternelle, ici et maintenant. Belle affirmation,
mais qu’est-ce que cela signifie ? Là, je dois reconnaître que je n’en
sais pas plus long sur ce sujet que sur la vie après la mort ; le reproche
d’illusion que j’adressais à ceux qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas
risque de me revenir sur le coin de la figure. Il y a tant de nos amis, de nos
proches qui ne vivent pas cette vie comme éternelle, vie avec Dieu. Qu’avons-nous
à dire ?
Oui, nous le savons, la vie avec Dieu ne peut se décrire ni
s’observer. L’objectiver c’est ce que fait l’idolâtre, manifestant par là qu’il
ne parlait pas de la vie avec Dieu mais de son illusion. De l’amour qui vous
prend et vous transporte, on ne sait guère mieux parler, au point qu’il faut
recourir à la métaphore ; un amour qui prend, qui transporte, rien de cela
n’est description, seulement attestation, parole de témoin, par définition
faible.
La vie de tous les fidèles défunts, du peuple immense de
ceux qui cherchent Dieu comme nous le chantions hier, indique que nous ne
sommes pas seuls à vivre la vie comme éternelle, ici et maintenant. Les traces
du passage de Dieu en tant de vies, voilà ce que nous avons qui attise le désir
de celui qui nous manque. « Aussi vous exultez
de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore,
par toutes sortes d’épreuves. » (1 P 1,6)
La vie après la mort ne fait sens que si l’éternité
est déjà notre lot. Si en cette vie, l’éternité est déjà à l’œuvre, si en cette vie, il est déjà donné de
vivre par Dieu, rien, pas même la mort n’y pourrait quoi que ce soit. « J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie […] rien ne pourra nous
séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »
(Rm 8,38-39)
Plus fort que la mort et la bêtise
des réponses toutes faites de ses amis, Job témoigne : mon rédempteur est vivant. Donne
Seigneur à ton Eglise l’humilité de reconnaître son ignorance, de reconnaître
qu’elle n’a pas toutes les réponses. Donne-lui de se tenir, relevée, témoin de
ce que tu es le vivant qui fais vivre.
Vous êtes déjà ressuscités avec le Christ ose écrire Paul
dans un monde encore et toujours victime de la violence et de la mort. Donne
Seigneur au monde d’arrêter les forces de mort pour que l’on puisse
encore croire que tu es la vie.
En voyant expirer Jésus, le centurion confesse : pour de vrai, cet
homme était le fils de Dieu. Donne Seigneur à
ceux qui passent la mort de reprendre souffle dans l’expiration de ton fils par
laquelle du rend la vie à toute chair.
Des profondeurs, je crie
vers toi Seigneur. Que cette prière de tous nos défunts monte vers
toi Seigneur. Tu les rappelles de la mort et c’est la vie en abondance.