31/12/2011

Pour quelques vœux ou prières (31 décembre)


On attribue à Rabbi Levy Itshak de Berdichev (1740-1809) l’histoire suivante :

C’était un jour de Kippour. Un jeune garçon gardait les oies qu’on lui avait confiées. Tandis qu’il s’adonnait à sa tâche, il récitait à haute voix les lettres de l’alphabet. Et il ajoutait : « Ô mon Dieu, tu sais que je ne sais pas lires parce que ne suis pas allé à l’école. Je ne sais pas prier. Tout ce que je peux faire, c’est lancer verts toi les lettres qui forment les mots de la prière, et je suis convaincu que toi, ô mon Dieu, tu sauras les mettre dans le bon ordre et former les mots qui expriment les souhaits qui emplissent mon cœur ; je suis convaincu aussi que toi, ô mon Dieu, tu sais mieux que moi ce que je désire. Puisses-tu m’accorder, ô mon Dieu, ce qui sera bon pour moi, pour ma famille, pour ma communauté, et pour tout Israël ». Et il ajoutait : « Tout ce que je sais faire, c’est garder des oies. Si toi, ô mon Dieu, tu avais des oies à garder, je serais honoré de pouvoir te témoigner mon amour en les gardant… et je serais tellement heureux de le faire que je le ferais sans demander à être payé. » (Rapporté par le Rabbin Daniel Gottlieb sur un site internet à son nom.)

24/12/2011

Avec Noël, il n'y a plus de séparation entre l'humain et le divin


J’ai lu ces derniers jours les conférences que le jeune théologien Ratzinger avait données, année après année, sur chacune des quatre sessions conciliaires. Ces textes viennent d’être traduits en français et offrent une bonne manière de se préparer à célébrer les cinquante ans de l’ouverture du second concile du Vatican, le 12 octobre 1962.
Le Père Ratzinger discerne deux phases dans le concile. « On pourrait appeler la première phase, écrit-il, celle de l’incarnation. On redécouvre dans l’incarnation un aspect central du christianisme, et on en fait le point de départ de toute la construction théologique. » Alors que nous célébrons la venu dans la chair du fils de Dieu, son incarnation, nous ne pouvons pas ne pas être attentifs à ces lignes.
« Le Dieu des chrétiens, le Dieu fait homme, n’est pas un Dieu de l’autre monde, écrit encore le théologien, mais précisément un Dieu de ce monde-ci. Le Royaume des cieux annoncé par le Christ est en vérité une action de Dieu qui concerne ce monde, et non un lieu au-delà de lui. »
Cela nous paraît aujourd’hui une évidence, mais les siècles d’opposition entre le monde moderne et l’Eglise avaient pu le faire oublier. Le concile dépasse le conflit en méditant sur l’incarnation, entrée de Dieu dans le monde, habitation de Dieu dans le monde.
« Cette prise de conscience, poursuit Joseph Ratzinger, a conduit à un christianisme humain, vital, ouvert au monde, en un mot, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler un christianisme incarné : un christianisme qui ne se perd pas dans les mortifications, la fuite du monde et l’attente de l’au-delà, mais qui s’ouvre avec sympathie au monde et s’insère dans la vie d’aujourd’hui, se réjouit de tout ce qui est beau, noble et grand, et y découvre la trace des valeurs chrétiennes qui, elles-mêmes, doivent de nouveau prendre chair et se réaliser comme une responsabilité à l’égard de notre époque. »
A cet optimisme aurait succédé d’après notre auteur une deuxième phase qu’il dit critique et qu’il appelle « eschatologique ». L’incarnation n’aurait pas tout dit de la foi. La croix est jugement du monde. Ce monde n’est pas le paradis et l’évangile de la croix est signe de contradiction et dénonce le monde dans son injustice. Le futur Pape se fait le partisan de cette critique. Il interprète les violentes secousses que connaît l’Eglise comme une conséquence de l’optimisme conciliaire et de cette théologie de l’incarnation.
Il fait alors remarquer ce que nous ne pouvons que confesser ce soir. La croix est source de l’incarnation. Noël est conséquence du mystère pascal, de la mort et de la résurrection. La naissance de Jésus vient en quelque sorte après sa mort, aussi curieux que cela puisse paraître. Sans Pâques, Noel est impossible. « Le thème de l’incarnation est même déjà une théologie de la croix, car l’incarnation signifie déjà que Dieu se livre lui-même. »
Mais l’articulation comme inversion du temps entre Noel et Pâques se transforme subrepticement en une opposition entre théologie de la croix et théologie de l’incarnation. Le jeune théologien semble ne pas voir ou ne pas vouloir voir le problème. Derrière la faute logique se cache ce que le concile avait précisément en vue, quand bien même il n’a pas su réponde au défi, l’annonce de l’évangile dans un monde sans Dieu.
Il ne s’agit pas de choisir entre deux théologies, de la crèche ou de la croix, mais de repositionner la foi dans le monde moderne, un monde qui ne se définit plus religieusement. Ce n’est plus l’Eglise qui s’oppose au monde moderne ‑ elle n’en a plus les moyens et risque plutôt de finir dans un sectarisme identitaire. Même pour nombre de chrétiens, ce monde n’a pas besoin de Dieu pour se comprendre. Nous avons changé de monde. On peut regretter le monde religieux, mais il n’est plus. Si nous ne savons faire entendre l’évangile dans le monde d’aujourd’hui, il ne résonnera nulle part car il n’y a pas d’autre monde.
Or avec l’incarnation, avec le Dieu fait homme, la distinction entre l’humain et le divin n’a plus de sens. La confusion n’en a pas davantage. Fêter Noel, c’est mettre en crise, critiquer, la séparation bien pratique du monde de Dieu et du monde de l’homme. Avec l’incarnation, ne se reconnaît plus ce qui est humain et divin, et l’inhumain de la loi du plus fort est scandale. Le jugement dernier de Mt 25 illustre cela : Chaque fois que vous l’avez fait ou pas à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ou pas fait.
Il ne s’agit pas de se réfugier par une naïveté coupable dans les valeurs mondaines. La Croix constitue toujours le jugement du monde. Mais en aucun cas, elle ne légitime un repli identitaire. Il ne s’agit pas d’évacuer le jugement. J’attends le jugement, le non définitif de Dieu au mal et je ne l’ai jamais autant attendu depuis que je connais les abus de pouvoir de la hiérarchie ecclésiastique, absolutisme inadmissible. Les lourdes décisions que ces hommes prennent sans écouter personne leur vaudront, je ne peux que l’espérer, un jugement. Je ne l’ai jamais autant attendu que depuis que j’ai vu la pauvreté et l’injustice à Madagascar, que depuis que j’ai compris ce qu’est l’horreur du crime.
Mais si Dieu se fait homme, c’est pour justifier ce monde, non lui donner raison, mais le rendre juste. Si Dieu se fait homme, non pour condamner, mais en aimant jusqu’à l’extrême, comme à la croix, c’est en ne retenant rien du rang qui l’égalait à Dieu.
Ne nous importe pas, avec Noel, de savoir ce qui est chrétien, même si dans la venue du Fils en la chair, le jugement est plus proche que jamais. Ne nous importe avec Noel que la vie de l’humanité. « Je suis venu, dit Jésus, pour que les hommes aient la vie et qu’il l’aient en abondance. » Nous importe la dénonciation de l’injustice pour que les hommes vivent.
Fêter Noel, c’est oser croire que la vie aura le dernier mot. C’est donc exactement fêter la mort et la résurrection du Seigneur.

21/12/2011

Benoît XVI et les victimes de prêtres pédophiles

Pourquoi Benoît XVI ne parvient-il pas à stopper les demandes de reconnaissance des victimes d’acte de pédophilie commis par des prêtres ? Les raisons sont multiples et sans doute pas toujours honnêtes. Il y a là en effet une bonne manière de mettre l’Eglise à terre, dans les média ou financièrement, en réclamant toujours plus. Les victimes se débrouillent comme elles peuvent avec la haine de l’Eglise qu’elles éprouvent parfois, trahies qu’elles ont été par des membres de cette Eglise. Mais les victimes sont aussi instrumentalisées y compris par ceux qui prétendent les défendre, en réalité exclusivement engagés à détruire l’Eglise.
Les victimes peuvent aussi trouver finalement confortable un statut de victime, jamais assez reconnu, qui donnerait droit à tout. Comme si la rémission passait par cette forme de rachat, de marcher : puisque j’ai tant souffert, désormais plus rien ne peut m’être refusé.
Quand on aura écarté, si c’est possible, toutes ces raisons fallacieuses ou pathologiques, restera que les victimes n’auront pas leur compte par l’actuelle attitude du Pape, malgré tout ce qu’il a déjà fait. Pourquoi ?
Premièrement, aux yeux des victimes mêmes, le drame vécu demeure incompréhensible, et ce d’autant plus qu’il est souvent compris comme drame que bien des années après les faits. Pourquoi trente ans, cinquante ans après les faits, la douleur apparaît au point de devenir insupportable et demeure dès lors présente ? Pourquoi le mal demeure-t-il efficace ? On se remet d’une douleur, voire d’une amputation. On a mal sur le moment et de moins en moins au fils du temps. Il semble que l’on ne se remette pas d’un viol, surtout si l’on a été victime enfant. C’est la double peine, pour ne pas dire la peine perpétuelle, sans cesse renouvelée. Non seulement il y eut viol mais il y a encore l’efficience inextinguible du viol. L’histoire de la victime est l’histoire de l’efficience du mal. Sa vie rejoue sous forme d’échec à la relation ce qui a été une fois pour toute cassé. Il n’est pas montré que l’analyse permette d’en sortir ; au mieux permet-elle d’apprendre que ce n’est pas vrai, l’histoire de la victime n’est pas l’histoire de l’efficience du mal. Mais si déjà un mal de dents empêche de penser à quoi que ce soit, on imagine que le travail analytique n’est pas petit à apprendre à voir autre chose que ce mal incurable.
Deuxièmement, les victimes veulent non pas seulement savoir que le Pape a rencontré des victimes, mais voir le Pape tomber sous le coup des blessures. Il ne s’agit pas de voyeurisme ou de plaisir à voir souffrir. Il s’agit de fidélité à l’évangile. Le Christ tombe en portant la croix. C’est trop lourd tout ce mal. Les mots ne suffisent pas. Rien ne suffit, c’est pourquoi la seule limite dans la requête consiste à ce qu’il n’y ait pas possibilité de demander plus parce qu’il n’y a pas possibilité de faire plus. Reconnaître malgré tout ce que l’on a fait que l’on ne peut rien faire. Manifester que l’on est allé au bout, à l’extrême de ce qu’il était possible de faire. Tomber sous le poids du fardeau. Manifester l’impuissance.
Qui s’étonnerait de voir le Pape traversant les allées sinistres d’un camp de concentration, ployant sous le poids de l’horreur ? Qui trouverait à redire à ce que le Pape visite des femmes violées ou des rescapés défigurés au Rwanda ou ailleurs ? En ce qui concerne la pédophilie, craignant une publicité malsaine, l’entretien avec les victimes se fait hors micros et caméras. Mais notre Eglise a été entraînée par certains de ces ministres dans une humiliation que le Pape ne sait pas encore porter.
L’Eglise a autre chose à faire que de s’auto flageller. Ce serait encore un comportement narcissique. Mais le Pape, évidemment innocent des ces crimes, lui-même mis à terre par l’horreur (ce qui ne l’empêche pas pourtant de s’adresser encore au bourreau, du moins tant que celui-ci lui en laisse la possibilité), c’est l’évangile vécu jusqu’à l’extrême, Jésus inconditionnellement du côté des victimes jusqu’à ne plus pouvoir rien faire et à en mourir. Sa vie est dénonciation du mal, jugement. Sa vie nouvelle est issue pour lui et pour tous ceux que leurs frères ont massacrés, plus encore, entrée dans la justice et la paix.

17/12/2011

Quelle parole nous bouleversera ? (4ème dimanche de l'Avent)

A cette parole elle fut toute bouleversée.

Une parole de Dieu nous a-t-elle déjà bouleversés ? Quelle parole de Dieu serait susceptible de nous bouleverser ? De la réponse à ces questions pourrait dépendre notre foi, ou du moins la réponse à ces question pourrait constituer un thermomètre de notre foi.

Les textes de ce jour rapportent une même parole qui a bouleversé un homme, David, et une femme, Marie. Quelle est cette parole ? Dieu vient habiter chez les hommes.

Est-ce une bonne nouvelle que Dieu habite chez nous ? Sommes-nous bouleversés à l’entendre ? Si non, peut-être ferions-nous mieux de partir tout de suite. Qu’avons-nous à faire ici si nous n’avons rien à faire de l’habitation de Dieu chez nous ?

Si nous ne sommes pas bouleversés, il se pourrait que nous soyons des blasés. En d’autres termes, nous ne serions plus vierges. Plus qu’une histoire anatomique, la virginité, y compris après la naissance d’un enfant, ne dit-elle pas la capacité à se laisser sans cesse étonner, bouleverser ? A part les obsédés sexuels, personne ne pense que la virginité de Marie est une histoire d’hymen ! Et comment cela pourrait-il l’être si cette virginité est confessée avant, pendant et après la grossesse ?

La virginité dit la capacité à entendre l’inouï, forcément bouleversant. La virginité de la parturiente dit la présence de Dieu dans l’humanité. Elle ne renseigne pas sur une femme et sa vie intime. C’est indécent ! Elle dit la nouveauté, bonne, d’une parole inouïe : Dieu habite chez les hommes.

Alors David entre dans sa chapelle, si je peux dire, et vient rendre grâce, faire eucharistie. Alors il comprend qui il est, tout aussi bouleversant, le bien-aimé de Dieu. Lorsque la parole entre dans nos vies et les féconde, terres vierges, qui s’ingénient à l’étonnement, à l’écoute, ces vies se font action de grâce, eucharistie, réponse : Voici la servante du Seigneur.

Que Dieu se présente et l’homme est serviteur. Faut-il s’en réjouir ? Que gagnons-nous à être asservis ? Servir le Seigneur signifie servir le frère. Et celui qui s’estimerait diminuer à servir les autres montrerait précisément qu’il est blasé, qu’en dehors de lui, il n’y a rien ni personne qui l’intéresse, qu’il est un vieux tas de chair usée, jusqu’à la corde, plus capable de rien.

Dieu avec nous, cela signifie nous avec les autres. Dieu avec nous signifie nous au service des autres. Et qui d’entre nous pourrait ne pas être bouleversé en voyant ce qu’il y a à faire pour le service des autres, dans le secours ou plus quotidiennement dans la présence aimante et bienfaisante ?

Dieu avec nous. Dieu à tes côtés. Dieu à nos côtés. Comment ne serions-nous pas bouleversés ? Pensez-y !

Et pourtant, dira-t-on, l’on voudrait bien être étonné, bouleversé. Mais si c’est pour constater la vanité, la vacuité de cette parole, on sera déçu, pire, on se sentira trompé, floué. Pourquoi se laisser bouleverser si cela n’a pas de sens un Dieu avec nous ? Et où le voyez-vous ce Dieu avec vous ?

Nulle part. Si l’on vous dit, il est ici, n’y allez pas ! Il est là, n’y courrez pas ! (Lc 17,23) La présence de Dieu chez les hommes, on peut très bien ne pas la voir. L’homme est depuis toujours habité par Dieu, qu’il le sache ou non. L’homme, c’est l’habitat de Dieu, depuis toujours. C’est tellement commun, qu’il n’y a rien d’étonnant ou de bouleversant. C’est tellement cela l’homme, la demeure de Dieu, que l’on peut ne pas parler de Dieu pour parler de l’homme.

Depuis les origines du monde, l’Esprit féconde la terre comme le sein d’une vierge, préparant le jour où enfin il naîtrait, homme au milieu des hommes. Si la naissance du Fils ne change rien, c’est parce que sa présence n’est pas nouvelle ; vient seulement, à ceux qui ne la connaissaient pas, cette bonne nouvelle de ce que depuis toujours, Dieu habite chez les hommes. Et pareille nouvelle nous bouleverse, comme une déclaration d’amour, comme une espérance insoupçonnée, victoire de la vie.

Il s’agit seulement d’être bouleversé par la grandeur qui habite l’homme au point d’être sa propre grandeur. Dieu est la grandeur de l’homme.

Comment ne serions-nous pas bouleversés, comment cela ne changerait-il pas tout pour nous, à entendre cette parole : Dieu habite chez les hommes ? On comprend qu’à cette parole la nouvelle Eve, Mère des vivants, humanité restaurée, fut toute bouleversée.

Textes du 4ème dimanche de l’Avent B : 2 Sa 7 ; Rm 16, 25-27 ; Lc 1 26-38

10/12/2011

Noël : Naissance ou Mort et résurrection de Jésus ? (3ème dim. Avent)

L’évangile présente le témoignage du Baptiste. Jésus a alors une trentaine d’années. Nous sommes bien loin de Noel, bien plus proches de la passion. C’est d’ailleurs ce qui rend si délicate la compréhension du prologue de l’évangile de Jean. « Et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » doit-il s’entendre de ce que l’on appelle l’incarnation ? Et cette incarnation est-elle la nativité du Seigneur ?

Ces questions sont d’autant plus légitimes que lorsque les écrits du nouveau testament utilisent le psaume deuxième : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », c’est majoritairement pour parler de la résurrection de Jésus, certes naissance, mais à une vie nouvelle. N’oublions pas en outre que l’on ne s’est mis à célébrer noël qu’au 4ème siècle. Ce qui est premier, central, et même unique dans la célébration de la foi, c’est la mort et la résurrection du Seigneur.

Et voilà ce dont parle le Baptiste : quelqu’un qui, contrairement à lui, ne baptisera pas dans l’eau. On ne dit pas de quel baptême il s’agit. Dans l’évangile de Jean, le baptême renvoie toujours au Baptiste, même si Jésus aussi baptise. Toutes les mentions se situent au début de l’évangile. Le baptême ne désigne pas la mort et la résurrection de Jésus. Il désigne un moment de la vie de Jésus, sa phase baptiste. Le vocabulaire baptiste est introduit pour être mieux abandonné, pour mieux inviter à passer à autre chose.

En effet, il semble que Jésus ait d’abord été un disciple de Jean, avec une compréhension originale du judaïsme, une compréhension éloignée de Jérusalem, du temple et des sacrifices, une compréhension qui, à la suite des prophètes, comprend le véritable sacrifice comme conversion du cœur. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé.

L’évangéliste fait passer le relais à Jésus par le Baptiste lui-même. C’est lui qui, assez explicitement, orientent ses disciples vers Jésus, indique le chemin, validant ce que l’on pourrait appeler une dissidence de Jésus.

La conversion prêchée par le Baptiste dans un bain qui lave et restaure ne va pas assez loin. La démarche de conversion des hommes et une chose, le don de la vie en est une autre. C’est pour ce don de la vie que Jésus est venu, pour que le monde vive. « Dieu a envoyé son fils dans le monde, non pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde ait la vie. » « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. »

Toutes ces remarques, loin de noël, loin de la stratégie de cousinage inventée par Luc, loin de la naïveté à laquelle nous réduisons l’incarnation pour être plus sûr de ne pas y croire, loin de ce que nous apprenons dans les catéchismes, ces remarques qui nous éloignent du Baptiste, quel but poursuivent-elles ? Le découpage de notre texte ne favorise guère d’autre possibilité que de se rabattre sur le verset final : « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas. »

Cette phrase peut-elle ne concerner que ceux qui interrogent le Baptiste ou demeure-t-elle d’actualité ? Qui connaît celui qui se tient au milieu de nous ? Sans doute, l’évangéliste dirait-il que le trajet de son texte mène à la connaissance de celui qui se tient au milieu de nous. Mais alors, si la connaissance est celle de disciples, elle n’est pas une question d’identité, ou du moins pas de celle de celui qui est au milieu, éventuellement de ceux au milieu desquels il se tient, nous. Elle est plutôt, la question, pour nous disciples, celle que l’on pourrait traduire ainsi : De qui tenez-vous ? Par qui tenez-vous ? Comment vivez-vous ? Celui qui est se tient au milieu n’est connaissable que pour autant qu’il est reconnu comme celui qui fait vivre, celui qui nous fait nous tenir.

Alors effectivement, il est question de naissance, ou de vie et de mort, c’est la même chose. Déserter la conversion en tant qu’elle pourrait nous occuper, nous distraire comme dirait Pascal. Déserter les occupations même très bonnes pour choisir de reconnaître, choisir d’accueillir celui qui se tient au milieu de nous et ainsi tenter de le connaître, c’est-à-dire de vivre.

Même si nous frôlons le discours gnostique, nous en sommes loin. Connaître Jésus Christ et celui qui l’a envoyé, c’est cela la vie, ainsi que le dit la prière de Jésus à la fin de l’évangile de Jean. Une connaissance qui donne la vie, mais une connaissance qui n’est pas un savoir. Une connaissance qui n’est pas une réponse de catéchisme. « Il ne suffit pas de me dire : Seigneur, Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux » dit Matthieu. Il ne sert à rien de ce point de vue de diffuser Youcat ou autre pour une nouvelle évangélisation. Connaître celui qui se tient au milieu de nous c’est l’accueillir.

Le Baptiste indique le chemin, reste à se mettre en route et à demeurer en chemin.


Textes du 3ème dimanche de l'Avent B : Is 61, 1-2, 10-11; 1 Th 5, 16-24; Jn 1, 6-8, 19-28

06/12/2011

La parole de Dieu (50 ans Vatican II n°4)

1. Parole de Dieu, Ecritures, tradition

Qu’est-ce que la parole de Dieu ? Le livre des Ecritures en porte la trace ainsi que l’Eglise en prière le confesse à chaque acclamation de l’évangile. Au ministre qui lève le livre, l’assemblée répond en exprimant sa foi : Louange à toi Seigneur Jésus. Elle ne répond pas quelque chose du genre : oui, louons cette parole mais elle se tourne vers Jésus et s’adresse à lui, le Verbe de Dieu, sa parole. Le petit dialogue liturgique montre bien que le texte n’est pas la parole de Dieu mais ce qui « communique » cette parole (§ 21). Et, si la règle de la prière est règle de la foi, alors la conception chrétienne des Ecritures n’est en rien fondamentaliste. Les Ecritures ne sont pas dictées par Dieu, elles ne sont pas des oracles et les écrivains sacrés sont de vrais auteurs, avec toute la liberté et la créativité que cela suppose[1].

Beaucoup demandent, et déjà Saint Augustin il y a quinze siècles, comment la violence de ces textes et leur particularisme (enracinement dans une culture grandement étrangère) s’accordent avec une parole prétendue divine. Leur interprétation est nécessaire (§ 12). A la suite des tout premiers chrétiens, le premier testament est notamment compris comme une prophétie de ce qui arrive en Jésus (Cf. Lc 24,7, 2 Co 3, § 16). Les méthodes contemporaines et profanes (histoire, théories du récit, etc.) offrent d’indispensables outils de lecture (§ 12 )[2].

Les Ecritures sont lues en Eglise. C’est ce que l’on appelle la transmission ou tradition de cette parole (§ 8), le savoir faire et la vie de la communauté à chaque époque et partout qui permet de passer de la lettre morte à la parole qui fait vivre aujourd’hui. C’est dans la tradition que les Ecritures sont reçues et transmises pour être le pain de vie (§ 21) ; c’est en elle aussi qu’elles ont été produites. De façon seconde, ce que l’Eglise par son écoute et sa mise en pratique des Ecritures au long des siècles a fixé de leur sens dans des rites et des dogmes s’appelle aussi tradition, qui n’est plus alors le fait de transmettre mais ce qui est transmis. La tradition pourtant n’est jamais une source de la vérité à côté des Ecritures, mais leur milieu et leur vie. Il n’y a qu’une seule source, les Ecritures, sola scriptura. Malgré les nombreuses mentions de l’Esprit Saint ou de l’inspiration, Dei Verbum n’explicite pas le lien entre Esprit et parole de Dieu, ce qui fixe certes de trop Parole et tradition dans une lettre.

Qui dit interprétation dit pluralité des sens voire conflit des interprétations. Les évêques sont les garants d’une interprétation fidèle. « Pourtant, ce magistère n’est pas au-dessus de la parole de Dieu, mais il la sert, n’enseignant que ce qui lui fut transmis, puisque par mandat de Dieu, avec l’assistance de l’Esprit saint, il écoute cette parole avec amour, la garde saintement et l’expose avec fidélité. » (§ 10)[3] Contrairement au § 10-3, d’une nouveauté non traditionnelle, le magistère ne constitue pas une troisième instance à côté des Ecritures et de la tradition.[4]

Le schéma préparatoire de Dei Verbum s’entêtait dans la polémique anti-protestante, valorisant la tradition pour en faire la seconde source de la révélation. On a pu considérer qu’avec le rejet de ce schéma en fin de première session (20 11 1962) s’achevait l’âge de la Contre-Réforme. Le texte totalement retravaillé est voté à la fin du concile, le 18 11 1965.

2. La révélation, vérités éternelles, monde moderne

Contrairement à une opinion reçue, encore perceptible dans le texte, la révélation n’est pas un contenu de vérités, abstraites et immuables, qui s’imposerait d’autorité, révélé qu’il est par Dieu, ni des connaissances surnaturelles[5] que la raison ne saurait atteindre par elle-même. La révélation c’est Dieu lui-même qui se donne à connaître dans l’histoire, comme dans une conversation amicale, pour que les hommes aient la vie[6]. Dieu ne s’adresse pas à l’homme pour l’informer sur ce qu’il est, mais pour l’associer par amour à sa vie divine.

Ainsi est retracée l’histoire du salut (§ 3-4). La tentative d’abandon du vocabulaire technique de la théologie et l’adoption du style biblique, liturgique et patristique modifie la manière de croire et de faire de la théologie et a donc une portée dogmatique. C’est que les Ecritures sont comme l’âme de la théologie (§ 24). Les traités théologiques ne peuvent pas être séparés les uns des autres comme si l’Eglise ou la révélation n’avaient pas de rapport avec le Christ, comme si pastorale et dogmatique ou théologie et spiritualité s’opposaient, etc. Une « concentration christologique » rapporte toute affirmation de foi à Jésus. « Dites au monde que la divine révélation c’est le Christ ! » (Cf. § 2). Jésus est l’évangile de Dieu[7] par ses paroles et aussi par toute sa vie (§ 17). A partir du XVIIe siècle l’histoire (et la science) conteste la vérité des Ecritures et de la foi, l’Eglise se crispe dans un anhistoricisme selon lequel si vérité il y a, elle ne peut qu’être toujours la même, éternelle, tout comme Dieu qui est la vérité. Le concile sort enfin de ce conflit entre histoire et dogme, entre foi et modernité.

Reste que le style biblique risque d’apparaître mythologique si l’on ne permet pas à une culture technico-scientifique (même très vulgairement) d’accéder à une intelligence symbolique. Qu’est-ce que cela veut dire, un Dieu qui parle, un Dieu qui intervient dans l’histoire des hommes ? Dei Verbum ne marque pas la différence de genres littéraires entre son propre exposé et le texte biblique, enfermant du coup ce dernier dans un premier degré ou une naïveté qui ne sont plus acceptables. Or dire que Dieu parle, c’est surtout dire qu’il ne parle pas… comme nous parlons ; car dans toute analogie, en théologie, il y a toujours plus de dissemblance que de ressemblance. Dieu demeure inconnu même quand il se révèle. Dieu, que les religions et l’athéisme connaissent si bien, demeure l’inconnu que quête le croyant. La révélation doit comporter une critique de la révélation pour demeurer chrétienne.

Dei Verbum amorce pour l’Eglise, officiellement du moins, une lecture de l’évangile dans une culture sécularisée, c’est-à-dire non religieuse, où Dieu n’est pas évident. La nouveauté dogmatique de Vatican II réside dans cette amorce. On ne peut plus parler anhistoriquement de la vérité chrétienne ni l’annoncer sans tenir compte de ceux à qui l’on s’adresse. La pastoralité est la clé de la dogmatique. Ceci est un acquis proprement dogmatique. Certains parlent d’une « sécularisation interne » du catholicisme ; l’évangile exprime bien sûr la foi mais dans une culture non-religieuse. D’autres parlent de « la sortie du catholicisme » par l’Eglise catholique, le catholicisme étant cette forme très centralisée que prend l’Eglise après la Réforme et qui n’existe pleinement qu’à partir du XIXe voire avec le code de 1917. Cela effraie de nombreux chrétiens et suscitent des réflexes identitaires. C’est peut-être au contraire la chance de l’Eglise et de l’accueil de la parole de Dieu.

3. Pour aller plus loin

En quoi ces lignes aident à mieux comprendre les Ecritures ?

Que penser de la diversité de sens des Ecritures ? Comment articuler les différents sens, notamment sens historiques et sens théologiques ?

Que signifie que Dieu parle ? Que penser de la distinction Ecritures / Parole de Dieu ?

Comment penser ensemble vérité et histoire ?

Pour quoi penser ensemble vérité, révélation et salut ?



[1] « En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. » (§ 11). Ce texte ne parvient pas à concilier la théorie traditionnelle selon laquelle Dieu est l’auteur des Ecritures (c’est lui qui par amour se dévoile et fait alliance) et la théorie, historienne, qui reconnaît l’autonomie des auteurs.

[2] Pie XII l’avait reconnu pour la première fois en 1943 dans son encyclique Divino afflante Sprititu.

[3] Lorsqu’on ordonne un évêque, on tient le livre des Ecritures ouvert sur ses épaules.

[4] « On s’est mis d'accord, avec quelques corrections, sur un texte que je ne trouve pas bon. [...] En particulier le n° 5 du projet me paraît mauvais : la tradition y est présentée comme confiée au MAGISTERE, non à l'Eglise. [...] Cela ne collera sans doute pas non plus avec le schéma De Ecclesia » (Y. Congar)

[5] Le mot surnaturel est volontairement écarté ; son absence marque un changement de théologie.

[6] « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (Cf. Ep 1,19) grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint au Père et sont rendus participants de la nature divine (Cf. Ep 2,18 ; 2 P 1,4). Ainsi, par cette révélation, le Dieu invisible (Cf. Col 1,15 ; 1 Tm 1,17) s’adresse aux hommes dans son amour ainsi qu’à des amis (cf. Ex 33,11 ; Jn 15,14-15), s’entretient avec eux (Bar 3,38) pour les inviter à la communion avec lui et les y recevoir » (§°2)

[7] Expression de Paul VI dans son exhortation apostolique de 1975 Evangilii nuntiani § 7.