22/01/2021

Dieu aurait-il parlé ? (3ème dimanche du temps / dimanche de la parole)

Nous sommes invités à célébrer un dimanche de la Parole. C’est une invention du Pape, et c’est la deuxième année que cela se fait. Cela pose de nombreuses questions. Est-ce qu’un Pape peut ainsi décider et toutes les communautés doivent-elles se mettre au garde-à-vous ? N’est-ce pas tous les dimanches, le dimanche de la Parole ? Ce dimanche, entre le 18 et le 25 janvier, c’est aussi le dimanche de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. N’y avait-il pas d’autres dates ? On pourrait trouver bien des justifications, et fort bonnes.

Les textes pour le dimanche de la Parole n’ont pas été modifiés. Nous seront-ils d’une aide particulière pour accueillir la Parole de Dieu ? L’évangile que nous venons d’entendre (Mc 1, 14-20) ne donne quasiment pas la parole à Jésus, lui, la Parole. Ça commence bien !

La parole de Dieu n’est pas un message ou un texte. Nous ne l’entendons pas comme nous entendons ceux qui nous parlent. Et Marc semble bien au courant qui, par quatre ou cinq fois, selon les manuscrits, nous invite à avoir des oreilles pour entendre.

C’est curieux. Nous aurions des oreilles et nous n’entendrions pas ? Oui, nous le savons bien, il ne suffit pas d’avoir des oreilles, pour entendre ; encore faut-il être attentif. Encore faut-il que ce que nous avons entendu change notre comportement.

Nous avons tout fait pour être disposés à bien entendre, un livre des Ecritures géant, un buisson de lumière, comme le buisson ardent, du sein duquel ont été proclamés les textes. Reprenons le texte de l’évangile. Nous sommes au tout début. C’est la première fois que Jésus prend la parole. Qui pourrait redire sa première phrase ? Qui a bien écouté ?

« Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Deux petites phrases. Il y aurait de quoi faire plusieurs homélies, ou séances de caté. Je ne retiens pas tout pour que nous soyons rentrés avant le couvre-feu !

« Convertissez-vous. » Ce n’est pas terrible comme traduction. C’est trop religieux. Changez d’avis, retournez votre pensée, repensez-y, ce ne serait pas plus mal. Il y a du neuf à penser, il faut penser autrement.

Que se passerait-il si l’on se mettait à penser autrement, voire à regretter d’avoir pensé comme avant ? La suite du texte le dit, non par des paroles de Jésus, mais par ses actes. Jésus marche près du lac et là, qui voit-il ? Que des frères !

Vous marchez dans la rue, au marché, et là, débrouillez-vous, renouvelez votre manière de penser, vous ne voyez que des frères. Ce n’est pas évident, parce que tous ces gens ne vous paraîtront peut-être pas sympathiques, pas très fraternels. Peut-être même qu’entre eux, il y en a qui se disputent. Pourtant, vous ne voyez que des frères.

Voir le monde comme si tous étaient frères. Cela changerait les choses non ? Cela n’a rien d’extraordinaire ; ne sommes-nous pas tous les filles et les fils de l’humanité ? Ne sommes-nous pas tous frères et sœurs en humanité ? C’est juste une question de renouvellement de notre manière de penser. « Convertissez-vous, croyez à la bonne nouvelle », tous sont frères. « Vous êtes tous frères (et sœurs). Fratelli tutti. » (Mt 23, 8)

Jésus n’a pas dit grand-chose, nous n’en sommes qu’au vingtième verset, au tout début de l’évangile. Et s’ouvre un monde nouveau, si nous avons les bonnes oreilles pour entendre, si nous nous servons de nos oreilles non pour entendre la haine mais pour voir comme Jésus.

Voir comme Jésus, avoir des oreilles pour entendre, c’est cela l’écoute de la Parole. Entre frères et sœurs, entre copains, entre voisins, nous sommes frères et sœurs. Nous le savons, mais nous n’en avons en général rien à faire. Regrettez de penser comme vous pensiez et renouvelez votre manière de penser.

Et là, une parole qui ne s’entend pas comme les autres, une parole qui se voit et dont nous savons exactement ce qu’elle dit ; à qui ne voit que des frères et sœurs est confié de pêcher des hommes. Un drôle d’expression qu’on expliquera une autre fois. C’est la parole qui nous est adressée : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. »

15/01/2021

Voici l'agneau de Dieu (2ème dimanche du temps)

L’évangile de Jean, après le prologue, s’ouvre sur le témoignage du Baptiste. D’abord, il est soumis à la question, véritable interrogatoire qui laisse deviner celui de la passion de Jésus et son martyre, à lui Jean. Réponse en forme de négation ; il n'est rien de connu, une voix seulement. Ensuite, le lendemain, alors que Jésus entre en scène, le témoignage devient message, profession de foi : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ».

L’expression doit être importante puisqu’elle est de nouveau employée, quelques versets plus loin, toujours un lendemain : « voici l’agneau de Dieu ». (Jn 1, 29 et 36). Nous ne savons encore rien de Jésus, l’évangile commence tout juste. Quelle drôle d’expression ! Vous imaginez la surprise des interlocuteurs de Jean. C’est la nôtre.

L’expression de Jean se retrouve comme telle à la messe, avec une prière assez curieuse, introduite au 7ème siècle dans la liturgie eucharistique à Rome. On voit la soudure ; elle s’adresse à Jésus, alors que la prière sur le pain et le vin qu’elle achève s’adresse au Père. La prière vient de Syrie, apportée par les chrétiens chassés par l’expansion de l’Islam. Pour eux, la fraction du pain n’est plus geste de partage, mais symbolise la mort de Christ. A Rome, cette interprétation ne sera guère admise avant le second millénaire et l'agnus est un chant de l'assemblée pendant que le prêtre communion. La formule de l’évangile est encore reprise dans l'invitation à confesser la foi, juste avant la communion.

Le mot agneau que Jean emploie ne se retrouve plus dans l’Evangile et seulement deux autres fois dans le Nouveau Testament. Il n’est pas davantage utilisé dans le Premier Testament grec. Un passage-clef cependant, le chant du serviteur d’Isaïe : Comme un agneau conduit à l’abattoir. Nous avons confirmation que dès le début de l’évangile, la passion se dessine.

En Isaïe, le serviteur est rémission pour tous. « Ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé. […] Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s'accablant lui-même de leurs fautes. » La dimension sacrificielle n’est pas décisive. Le texte, en tout cas, n’est pas cultuel. Mais ce n’est pas pour rien si, dans la chronologie de Jean, Jésus meurt le jour du repas de la Pâques ‑ il est l’agneau de la pâque ‑, alors que dans les autres textes, il meurt après avoir partagé le repas pascal.

Le sacrifice, ce n’est pas ce que nous entendons en un sens second, le fait de se sacrifier pour ses enfants, le fait de tout sacrifier à une passion. Le sacrifice est un dispositif cultuel qui permet à l’humanité de ménager la divinité, de se la concilier. Le mot latin entend que le sacrifice est ce qui fait du sacré. Et le sacerdoce préside à la fabrication du sacré.

Mais comment imaginer que Dieu aurait besoin de la mort de Jésus pour nous sauver ? Comment Dieu pourrait-il réclamer un sacrifice humain ? Notre petite prière de l’agneau de Dieu est lourde de questions plus que délicates.

Peut-on, doit-on parler de la mort de Jésus comme d’un sacrifice ? J’ai bien plutôt l’impression que l'expression du texte johannique est une subversion des sacrifices. Dieu ne veut pas de nos sacrifices. Nous l’avons entendu dans le psaume : « tu ne voulais ni offrande ni sacrifice ». Et nous pourrions multiplier les citations du Premier Testament.

La première lecture ne raconte pas la vocation de Samuel, mais le remplacement du sacerdoce du prêtre Eli et de ses fils corrompus, pouvoir prétendu sur la divinité, le remplacement du culte par la prophétie, la parole. Avec Samuel, c’est la fin des sacrifices pour l’écoute de la parole. Il ne faudrait pas que nos eucharisties fassent penser que le sacrifice est plus important que la parole !

L’évangéliste refuse que la mort de Jésus fasse du Père un dieu sanguinaire qui réclame le sacrifice humain du fils. S’il a envoyé Jésus dans le monde, c’est par amour pour ce monde qu’il a tant aimé. Jésus est son envoyé comme le bien aimé. Par deux fois dans Jean, il est dit que « le père aime le fils ».

Ce n’est pas l’homme qui offre à Dieu (une victime en sacrifice) pour se concilier Dieu. C’est Dieu qui donne (le fils au monde) qui crée et se concilie le monde, c’est Dieu qui se donne au monde par amour de ce monde. Peut-on, doit-on parler de sacrifice, si c’est Dieu qui s’offre, si c’est Dieu qui passe derrière ? « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Et qui n’aime-t-il pas ? L’homme n’offre rien et Dieu donne tout. Dieu se donne et l’homme est invité à le recevoir.

L’agneau n’est plus la figure du sacrifice sanglant, mais celle de la douce faiblesse. Pour que Dieu s’offre sans écraser celui à qui il s’offre, il ne peut que se faire sans défense et muet comme l’agneau de l’abattoir, comme Jésus au prétoire.

08/01/2021

Plongés dans la mort (Baptème du Seigneur)

L’archevêque de Munich, dans une interview, il y a trois ans, se demandait comment des évêques, en France et en Allemagne, avaient engagé Dieu à assurer la victoire de leur camp lors de la guerre de 14-18. Ces baptisés étaient-ils chrétiens ?

Pendant des siècles, on était convaincu, mortalité infantile aidant, qu’il fallait être baptisé au plus tôt. Ainsi échappait-on à la faute originelle et à l’enfer. L’enjeu était de taille ! Le baptême était-il une condition de vie ou une condition nécessaire, et non suffisante, pour la vie après la mort ?

Il est anachronique de juger de la foi des pères à partir de nos évidences culturelles et théologiques qui, sans doute, paraîtront bien sottes et naïves ou erronées et coupables, à nos enfants. Mais on peut s’interroger sur le mythe d’une Europe chrétienne puis déchristianisée. Pour être déchristianisé, il faut l’avoir été. En outre, un continent, un pays, peut-il être chrétien ? Qui peut vivre de l’évangile, si ce n’est des hommes et des femmes ? Des institutions peuvent-elles être chrétiennes autrement qu’à transformer l’évangile en idéologie pourvoyeuse d’identité ou de grand-récit ?

La sécularisation toujours plus radicale a sans aucun doute des limites, y compris… sectaires, mais elle est aussi un bien, non seulement comme distinction du politique et du religieux, plus justement, du pouvoir et du religieux, mais plus encore pour l’évangile.

Nous nous lamentons sur le recul de l’Eglise dans la société. Mais nous interrogeons-nous sur la place de l’évangile dans nos vies ? L’évangile change-t-il nos vies ? Nous sommes baptisés, certes, peut-être même pratiquants (de l’eucharistie dominicale), mais sommes-nous chrétiens, pratiquants de l’évangile ?

Certains avancent que le recul de l’évangile dans les sociétés précipite leur décadence, leur déchéance morale. Les siècles passés furent-ils plus vertueux, moins corrompus ? L’état de droit est une tâche jamais définitivement acquise, dont les Grecs ou les Romains, non chrétiens, pourraient être parmi les inventeurs. Nos démocraties paraissent si fragiles ; aux Etats-Unis, un président en fin de mandat, baptisé, met en péril l’une des plus grandes démocraties dans le monde.

Nous disons et vivons que, spécialement dans les épreuves, la foi nous aide. Mais n’est-ce pas de l’auto-persuasion, illusion ? Les baptisés traversent-ils mieux l’adversité que les autres ? Et nous pourrions n’être que de ceux qui ont besoin d’une ritualité de type mythologique, là où d’autres privilégient d’autres ritualités, y compris anti-ritualistes.

L’imprégnation de nos vies par l’évangile, la conformation de nos vies à celle de Jésus, n’est pas une affaire de rite baptismal. Le baptême, comme plongeon dans la vie du Christ n’est pas un rite, mais une vie, ou plutôt une mort. « Ou bien, ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? » (Rm 6, 3)

Etre baptisés, est-ce une immersion dans la mort du Christ Jésus ? Nous laissons-nous conformer en disciples par l’évangile ? Assurément, parmi les baptisés, tous n’ont pas été, ne sont pas chrétiens. Qu’est-ce qu’être plongé dans la mort avec le Christ, plongé dans sa mort ?

J’ai bien conscience de mes marottes, de ce que, dimanche après dimanche, je me répète, ne parviens pas à me renouveler. Je vous prie de m’en excuser. Etre plongés dans sa mort, c’est comme lui, laisser Dieu passer devant. Et comment, si ce n’est en laissant les autres passer devant. « Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple. » (Lc 14, 27). Il ne s’agit pas de mortification, de dolorisme. Les autres d’abord est le seul remède au coupable et originel « moi d’abord ».

L’autre n’est pas meilleur que moi, telle n’est pas la question. (Lévinas parle d’être otage de l’autre.) Pour que le monde soit vivable, que l’on soit baptisé ou non, la leçon évangélique s’impose, l’autre devant. Alors nous sommes chrétiens, baptisés ou non. Je ne nous conforterai pas en parlant des conséquences, de la joie et de la vie reçues à donner plus qu’à recevoir, parce qu’il faut que je m’arrête. J’ai déjà dit l’enjeu, que le monde soit vivable, et bien. N’est-ce pas ce que tous souhaitent à échanger des vœux de « bonne année » ?

01/01/2021

Epiphanie de la bonté

Alors que le repli de l’Eglise semble toujours plus fort et inéluctable, particulièrement lorsque la dynamique démographique est faible voire négative, fêter l’épiphanie a quelque chose de mal accordé. Où sont-elles les nations qui marchent à sa lumière, les rois et les filles portées sur la hanche ? Où est-elle la révélation du mystère que les âges anciens avaient ignoré ? Où est-elle la libération de tous les exils ? Nos Eglises paraissent tellement étrangères à tout cela. La nuit étend son empire non seulement sur le monde, mais sur ces Eglises. La lumière de l’Orient et de son prince de la paix ne guide pas grand monde vers le salut.

Que sera le destin de l’évangile ? C’est non seulement la modestie voire l’inanité de la mission qui nous saute à la figure ; notre propre foi est bousculée et vacille.

Certains choisissent une stratégie sectaire, ou du moins se laissent portés par un repli entriste. Leur Eglise est d’autant plus catholique qu’elle est de moins en moins universelle. Cruelle contradiction dans les termes. D’autres, à l’inverse, sont emportés dans et par l’effacement de l’évangile. Pendant ce temps, les superstitions prospèrent et l’avenir de l’illusion qu’elles portent.

Faudra-t-il montrer l’actualité et l’efficacité de l’évangile pour affronter les défis auxquels les sociétés sont confrontées ? Oui, si l’on veut ainsi contenir l’irrationnel et rendre compte de la nécessité pour la mission de l’action politique ou sociale, engagement dans cité, polis ou societas ? Certains y compris parmi nous reprochent à l’Eglise ce type d’engagement. Que l’Eglise s’occupe de religion et pas de politique. Mais non, le pape lui-même, décidément insupportable, réclame un revenu universel !

Je ne vais pas entonner le refrain de la gratuité qui peine à convaincre jusque dans notre assemblée. Dire que l’évangile ne sert à rien continue de choquer une façon mondaine de penser, où ne vaut que ce qui est efficace. Que la grâce ne soit jamais une valeur ! Ce qui nous intéresse, à la bourse, dans notre portefeuille comme en morale, ce sont les valeurs. Mais la grâce est comme la manne, renouvelée chaque matin.

Comment alors vivre de l’évangile comme manifestation à tous de la lumière ? N’aurions-nous pas encore entendu l’évangile ? Peut-être n’avons-nous jamais été chrétiens, convertis. Laissons le procès des époques révolues et concentrons-nous sur ce que nous appelons être chrétiens, être disciples.

J’aime le vieux mot de discipline du Christ. Non pas celle de la morale, ni celle que l’on se donne. La discipline du Christ, c’est le fait de vivre en disciples, une bonté pour tous. Ainsi a vécu Jésus. C’est son évangile, l’heureuse annonce : Dieu est bonté. Voilà ce qui est manifestée, épiphanie. Jésus est bonté. Les médiévaux, à regarder l’enfant Jésus représenté dans ses langes, voyaient un pain, blanc et strié comme une miche à partager. L’eucharistie n’est pas un truc sacré et ésotérique, mais la bonté de Dieu pour qu’on puisse la manger, la goûter, s’en régaler, s’en repaître.

Ce n’est pas notre affaire de savoir ce qu’il en sera de l’évangile demain. Certes les plans pastoraux sont nécessaires mais personne n’est garanti du résultat. Changer les structures empêchera peut-être de mourir moribond, ce qui ne serait pas si mal, mais demeure bien trop peu. Il convient de changer ce que veut dire être disciples, se ranger sous la discipline de l’enfant de la crèche, l’homme qui fait passer les autres devant jusqu’à en mourir.

Ensemble, non chacun de notre côté, la bonté de Dieu l’exige de nous, non pour faire nombre, mais parce que sans les autres nous ne sommes rien. Etre ensemble bonté pour tous, au nom de la lumière des nations. Ce vœu-là nous pouvons nous le souhaiter autrement qu’à nous réfugier dans la superstition, à nous bercer d’illusion, parce que, pour une bonne part, il est entre nos mains.

Voulez-vous que ce soit ce à quoi nous nous engagions, résolution de début d’année ? Avoir le souci les uns avec les autres d’être chacun et pour tous une des étables où se manifeste la bonté de Dieu pour tous. Non pas une résidence de luxe, qui nécessiterait des moyens que nous n’avons plus. Seulement une crèche, une étable, pour faire office de salle commune, qui demeure ouverte à l’accueil, où le Christ se manifeste comme la bonté de Dieu pour tous.