30/06/2023

Perdre sa vie (13ème dimanche du temps)

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Perdre sa vie. (Mt 10, 37-42)

Comment voulez-vous qu’il y ait beaucoup de disciples ? Comment s’étonner du petit nombre de disciples ? Vous me direz, le nombre de chrétiens est en augmentation, plus de deux milliards, une personne sur 6 dans le monde est catholique.

Mais ce qui se passe dans les sociétés du Nord se passera aussi au Sud. J’ai vu à Madagascar les jeunes se détacher de ce que l’on appelle la pratique religieuse. Les séminaristes qui les accompagnaient incriminaient l’indigence de la prédication et l’incohérence de la vie du clergé. L’Eglise d’Allemagne a perdu cette année un demi-million de baptisés !

Les raisons sont nombreuses, hausse du pouvoir d’achat, renversement du joug qui pèse sur la liberté de penser, généralisation de la pensée de type scientifique. Ces mêmes raisons favorisent une nouvelle crédulité, on est prêt à croire n’importe quoi, tout ce qui apporte du rêve. Le religieux a sans doute de beaux jours devant lui.

Mais justement, si le christianisme et particulièrement le catholicisme va diminuer encore, c’est parce qu’il n’est pas une religion, qu’il ne peut plus jouer la carte de la religion comme il l’a fait durant des siècles tant il devient patent que l’évangile s’oppose à la religion.

Ce que nous vivons de tensions dans l’Eglise vient aussi de là. Certains veulent du sacrifice, geste de l’homme qui offre à Dieu, un Dieu qui réclame la droiture ou les cadeaux pour protéger et favoriser. Dans l’évangile, c’est Dieu qui donne, c’est Dieu qui fait grâce. Jésus donne sa vie pour ses amis. Il paye le prix de la fidélité à ce qu’il considère comme sa mission : dire un Dieu de grâce. Et cela ne peut se faire que par un style de vie, quitte à finir exécuté.

Perdre sa vie.

On reproche aux soixante-huitards d’avoir bazardé le sacré. Merci à eux ! Le sacré est le contraire de l’évangile parce que, avec Jésus, il n’y a plus de distinction entre le ciel et la terre, le divin et l’humain. Le lieu de Dieu est l’humanité ; la vie de l’homme est la divinité. Si l’on veut parler de sacré, il faudra dire que toute vie humaine est une histoire sacrée, et non les quelques minutes de culte ou de superstition, les doigts croisés ou les cierges, l’eau bénite ou une neuvaine.

Les tensions que vit l’Eglise sont celle-ci. Passera-t-on ou non, veut-on ou non, d’un évangile sans religion, d’un évangile qui ne sert à rien parce qu’il est gratuit. Seule la gratuité changera le monde. Tout le reste est semence de guerre parce qu’on est dans la logique du plus, de la possession. La gratuité ne se gagne pas, ne se vole pas, elle se reçoit quand on a décidé que vivre, c’était perdre sa vie.

L’engagement chrétien et le souci des autres lui-même n’est pas de l’ordre de l’efficace. Provocation. Bien sûr, soulager la misère, c’est mieux si ça marche, mais nous savons bien que si souvent, c’est l’échec, et c’est pour cela que Jésus s’y engage, gratuitement. Il s’y engage parce que, quand c’est perdu. Prophète de la gratuité.

Perdre sa vie. Faire des trucs gratuitement, croire gratuitement. Combien de fois je me suis fait engueuler par des parents parce que je disais au caté ou à l’aumônerie que croire, ça ne sert à rien. On ne croit pas pour que Dieu nous soit favorable, ni pour être quelqu’un de bien. Vous n’avez qu’à voir qui sont les Douze, des gens sans instruction, un voleur, que des traites. Jésus est l’ami des publicains et des pécheurs. Il mange avec eux. Jésus prétend que les prostituées nous précèdent dans le royaume.

Vivre avec les paumés, non pas gagner plus. Perdre sa vie, passer sa vie avec les perdants, parce que nous en sommes, pour peu que nous accédions à un peu de lucidité. Je ne crois pas pour que. Même pas, surtout pas, pour que, perdant, il me rachète. Je crois entraîné par la gratuité de celui qui le premier nous a aimés, sans pourquoi.

 

Véronèse, Le repas chez Simon, Pinacothèque Brera, Milan, 1567-1570

29/06/2023

Pour des funérailles (Job 10 - Jn 13, 1-15)


 

Sentiment d’injustice. La maladie qui vous tombe dessus, les projets empêchés, la vie freinée, arrêtée. Le mal est douleur, physique ou morale. Il est arbitraire, pourquoi moi, pourquoi pas lui ? D’une façon ou d’une autre, c’est la plainte de Job que la fiction pousse au paroxysme. Et Job a bien parlé, dit Dieu. Contrairement à ses amis qui cherchent à expliquer, à chercher une raison, qui veulent respecter la toute-puissance des décrets divins.

C’est incroyable cette affaire. Le livre de Job le dit. « Le Seigneur s’adressa à Eliphaz de Témân, un des amis de Job : "Ma colère s'est enflammée contre toi et tes deux amis, car vous n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait mon serviteur Job". » (42, 7) Job a bien parlé de Dieu en sa révolte. Dieu pense comme Job. Le mal est une injustice. Je ne sais si Daniel aurait pensé cela, si c’est ainsi qu’il a vécu sa maladie. Comme je comprends la colère de Nicole contre ce qui a volé des années.

Loin de nous consoler, la religion, ou du moins ce texte du Premier Testament, nous donne des mots pour la révolte contre ce qui porte atteinte à la vie, certifiant que telle serait la pensée même de Dieu ! Dieu lui-même, c’est du moins ce que je crois, ma foi, est en colère contre la maladie et la mort. Il n’a pas fait la vie pour cela. Quant à moi, je me moque des consolations qui iraient jusqu’à nous apprendre à bien mourir, sous prétexte que nous verrons Dieu, sous prétexte que Dieu sait ce qui est bon.

Je crois effectivement qu’il sait ce qui est bon, et jamais la mort ne peut l’être.

Faudra-t-il se rendre malade de la révolte contre la maladie, le mal et la mort ? En toute chose, ce qui est excessif est insignifiant ; mais enfin, nous serions un peu plus malades de la maladie, du mal ‑ celui que nous commettons comme celui que nous subissons ‑ peut-être notre monde irait… moins mal. C’est accepter le mal de ne pas lutter contre lui, ne pas le limiter.

Béatitude souvent lue pour les funérailles : « Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés. »

N’y a-t-il aucune consolation, aucun apaisement ? Si, sans doute.

Le 22 avril, ceux qui entouraient Daniel pour le repas de ses 80 ans en savent quelque chose. Daniel était lucide, nous l’avons bien entendu. Je ne me rappelle pas les mots exacts. Il savait qu’il était au bout de la course.

Et ce repas, c’était une riposte à la maladie, mais pas seulement. C’était, par la joie, réussir à vivre encore un moment de rencontre et de partage ‑ comme la nourriture partagée ‑ un pied-de-nez, un défi au mal.

Trouvera-t-on osé d’avoir proposé le dernier repas de Jésus comme texte d’évangile, alors que le 22 avril, c’était comme le dernier repas de Daniel, repas d’adieu, nous le savions même si nous ne le disions pas, ne voulions pas le dire ou le savoir.

Jésus ne vient pas expliquer le mal. Il le prend en pleine figure, il n’y coupe pas. Mais il faut la vie plus forte, un repas en héritage, en testament, alliance nouvelle et éternelle. Dans la version de Jean que nous venons d’entendre, le repas n’est pas raconté. Le partage de la nourriture est omis. Le lavement des pieds prend toute la place. Mais comme pour le pain et le vin, il nous est commandé de faire cela en mémoire de lui. « C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi comme moi j’ai fait pour vous. »

Sommes-nous des disciples de Jésus ? Sommes-nous des croyants ? Des pratiquants ? Qu’est-ce qui permet de répondre à ses questions ? Une chose, une seule. Avons-nous pratiqué comme Jésus le service des autres pour qu’ils puissent vivre, dégagés de toute saleté, comme lavés du mal, qu’ils en soient responsables ou victimes.

La nourriture de Jésus est de relever ceux qui n’en peuvent plus, de nous relever, non par une baguette magique qui fait disparaître le mal, la maladie, la mort. Il organise le banquet qui lave et restaure. « Ah! vous tous qui avez soif, venez vers l’eau, même si vous n’avez pas d'argent, venez, achetez et mangez; venez, achetez sans argent, sans payer, du vin et du lait. »

 

Tintoret, Le lavement des pieds, Musée du Prado, 1548-1549

24/06/2023

L. M. Tonstad, Théologie queer

 

 

Les éditions Labor et fides ont publié en août 2022 la traduction d’un ouvrage de 2018, Theologie queer, de Linn Marie Tonstad.

Les traducteurs avertissent « [L’]attitude d’impertinence, voire d’indécence, déconcertera et même déconcertera certain·es, nous le savons. Et pourtant il peut y avoir quelque chose d’intéressant et de positif dans cette démarche de la théologie queer : elle permet de désacraliser, si besoin était, le discours théologique, de nous souvenir de son caractère humain ‑ pas à moitié mais de part en part. […] Voici notre recommandation : éviter toute pudibonderie et pruderie et consentir à se laisser désarçonner par tel ou tel propos. »

(Je recopie la graphie inclusive, qui certes légitimement pourra agacer, mais qui veut aussi interroger les évidences et la pertinence du genre, qu’il soit grammatical (selon les langues, il varie), humain, divin.

Faut-il traduire queer ? Bizarre, étrange, voire excentrique. Le terme est employé dans le contexte, au début du moins, très précis de sexualités qui surprennent ceux pour qui la normalité (il s’agit bien et précisément d’une norme) des relations sexuelles ne fait pas problème et s’impose comme allant de soi, « le plan de Dieu pour l’humanité est une union à vie entre un homme et une femme » où sont attendus et élevés des enfants.

Le problème, c’est qu’il existe d’autres types de sexualité, et que cette norme est enfreinte pas beaucoup, y compris de ceux qui la défendent. La présomption de paternité n’aurait pas de sens s’il n’y avait pas d’enfant naturel et s’il ne fallait pas protéger le capital en faisant que seuls les enfants légitimes héritent. Aujourd’hui, on accepte de voir en face les violences entre conjoints ou concubins, dont les victimes sont les femmes presque toujours. La sexualité n’est pas seulement ni même d’abord une relation fondée sur l’amour mais un rapport de forces, y compris économiques, de propriété. Les femmes qui élèvent seules leur(s) enfant(s) sont davantage frappées par la précarité financière. « Une grande partie de la Bible part du principe que la sexualité des femmes appartient aux hommes. Même les Dix commandements partagent cette considération. » Ils interdisent que l’on convoite la femme de son prochain ‑ et non son mari ‑ ils rangent les femmes dans les biens des hommes, au même titre que leur maison et leur bétail.

Si l’on accepte de ne pas regarder comme des exceptions ces situations qui contredisent le discours sur le couple et la famille, si notamment, on intègre à la réflexion le cas des personnes homosexuelles et celles qui ne se reconnaissent pas dans le sexe biologique qui leur échoit ou leur a été attribué, alors on est obligé de penser différemment non seulement la morale sexuelle et la théologie du corps, mais l’ensemble de la théologie s’il est vrai qu’à l’image de Dieu, hommes et femmes ont été créés, s’il est vrai qu’en Jésus c’est Dieu qui habite dans le corps, humain, de chair, s’il est vrai que l’Eglise est corps du Christ.

La théologie queer, avant d’être l’affaire d’une pensée à propos de Dieu de la part de ceux qui ont une sexualité queer, est une interrogation sur les présupposés anthropologiques de la théologie ; ces présupposés sont ceux de ceux qui écrivent la théologie, jusqu’à récemment, des hommes, masculins, blancs, rationnels, appartenant à la part de l’humanité qui domine économiquement et culturellement le monde, qui pensent, même si cela s’est estompé depuis la décolonisation, être ceux qui portent et apportent la culture.

La théologie queer est donc politique, une théologie de la libération, ex-centrant l’homme blanc occidental, montrant que l’excentrique, le queer est une notion relative. L’excentrique, l’étrange, c’est cet homme blanc occidental et puissant, ou du moins est queer l’attitude qui refuse une norme qui exclurait tout ce qu’elle ne prend pas en compte.

Le plus intéressant est moins ce qui serait affirmé comme théorie théologique spécifiquement queer ‑ cela n’a même pas d’intérêt, si c’est en érigeant une norme excluante à la place d’une autre ‑ que la critique épistémologique de l’instance où le discours théologique est pensé et énoncé. La vérité de la théologie, sa pertinence, sa crédibilité dépendent du lieu à partir duquel elle est formulée, ou plutôt de la prise en compte de ce lieu. Ce n’est pas un hasard si Mechior Cano écrit ses loci teologici (1563) dans le contexte des questions que pose à la culture occidentale la découverte d’autres humains, d’autres cultures.

 

Certains considèrent que la théologie queer a d’abord pour but de permettre aux Eglises d’accueillir en leur sein, comme tout autre personne, celles qui ont une sexualité « étrange », minoritaire. Ainsi, il conviendrait de rendre compte (apologie) que rien n’empêcherait, contrairement à ce que les Eglises disent souvent, la moralité ou le caractère naturel de ses sexualités. Il est sans doute utile de faire remarquer que la Bible ne parle pas d’homosexualité, ne serait-ce que parce que le terme et la réalité sont une invention du XIXeme siècle, celui où triomphe la supériorité de l’homme, mâle, blanc, occidental, porteur de la culture et de la vraie religion. Il est sans doute utile de faire remarquer qu’il est peu conséquent de retenir l’interdit de coucher avec un homme comme on couche avec une femme (encore une fois, la Bible ne pense pas du point de vue des femmes) mais d’ignorer ou de considérer comme désormais insensé les autres interdits du Lévitique, comme le mélange dans une étoffe du lin et du coton, etc. Mais c’est viser trop court. De surcroît, aujourd’hui, « en général, les gens n’ont pas besoin de donner toutes sortes de raisons pour lesquelles l’esclavage est un mal, et ils ne perdent pas de temps à lutter contre les passages bibliques qui soutiennent l’esclavage. » Pourquoi le faudrait-il pour les sexualités queer ?

L’évangile transgresse toutes les binarités, toutes les frontières. Et c’est Paul qui le dit, lui qui serait misogyne et phallocrate ; ce sont plutôt les lectures que l’on a faites de Paul qui le sont. « Le christianisme, bien compris, est une question de transgression des frontières. Les chrétien·es croient en un·e Dieu qui abolit toutes les binarités », juif·ve/grec·que, esclave/libre, homme/femme (Ga 3, 8). On pourrait, on devrait ajouter la binarité sacré/profane, pur/impur, divin/humain. « Selon Paul (Rm 9-11), l’Alliance de Dieu avec Abraham n’a pas été interrompue, au contraire, elle est en train de s’accomplir. Les chrétien·nes païen·nes devraient être reconnaissant·es que son accomplissement ait été retardé suffisamment longtemps pour qu’elles et ils puissent être inclu·es, du fait de la gracieuse miséricorde de Dieu. » « Dieu agit "contrairement à" ou "au-delà de" la nature en incorporant les païen·es à l’olivier juif (Rm 11, 24) [et avec] la prédilection de Dieu pour une sexualité irrégulière dans l’histoire du salut, comme dans le cas des femmes nommées dans la généalogie de Jésus. » Aucune d’entre elles n’est dans les clous, sans parler des prostituées qui précèdent dans le royaume. On note que la prostituée ou l’adultère, c’est toujours des femmes, mais leur intégration dans le plan de Dieu, leur salut n’en dit que davantage la transgression de l’amour divin. Il apparaît que c’est Dieu et sa conduite (Ez 18, 25) qui sont étranges, queer ! Jésus mange avec les publicains et les pécheurs, ce qui cause la récrimination de qui se comprend comme la référence, il ne peut être prophète s’il sait par qui il se laisse toucher, essuyer les pieds. Qui définit l’étrange, l’étranger ?

La dimension politique de la théologie queer déborde largement la morale sexuelle. « La prise de conscience de la déformation du monde par ce que beaucoup de théologien·nes appellent les puissances et les autorités ‑ forces puissantes et destructrices qui nous façonnent néanmoins à des niveaux profonds et dont nous aspirons à nous délivrer ‑ s’apparente à un processus de conversion ou à une expérience mystique. Il nous est alors possible de voir le monde et sa propre expérience avec un œil nouveau. » Ce que l’actuel Pape appelle écologie intégrale, où la sauvegarde de la planète est une affaire de justice sociale et de lutte contre les puissants qui s’enrichissent à détruire le cadre de vie de tous, n’est pas forcément éloignée de cette prise de conscience. La théologie concerne la réalité ! « La tâche de la théologie est de "déconstruire un ordre moral fondée sur une construction hétérosexuelle de la réalité, qui organise non seulement les catégories d’interactions sociales et divines approuvées, mais aussi les catégories économiques". En somme, la théologie est une affaire de sexe, d’argent et de Dieu. »

« La théologie parle d’un Dieu le Père et d’un Dieu le Fils, mais prétend que la paternité et la filiation n’ont rien à voir avec le sexe ou le genre, même si le christianisme a également (mais pas seulement) été un système patriarcal tout au long de son histoire. Que dirait la théologie si elle disait ces vérités ? Voilà la question de la théologie queer.  Si la théologie disait la vérité, elle parlerait de corps, de chair. » Feuerbach avait déjà montré comment la théologie ne parlait pas de Dieu mais des êtres humains et des relations entre eux. Et ce que l’on a pris pour une critique implacable est la juste expression de ce qu’est la théologie, du moins avec l’évangile, lorsque l’incarnation, le Dieu dans la chair, la sainteté dans le chair, est le centre et l’enjeu de confession croyante.

Christian Duquoc parlait d’un Dieu différent. La théologie queer est plus politique à partir des questions d’exclusions sociales et ecclésiales, tant économiques. « Le Queer n’est pas une bizarrerie. Le Queer est précisément l’inverse : c’est l’essence même d’une réalité niée. [… Nous] parlons de queering […] comme d’un processus de retour à l’authenticité, aux expériences de la vie quotidienne décrites comme bizarres par les faiseurs et les faiseuses d’idéologie – et de mythologie. Le fait de rendre indécent permet de retrouver le sens du réel. » la théologie queer identifie les violences de la norme, les violences au nom du bien, pour les renverser. Elle montre comment ce que l’on appelle la norme ou la nature est seulement la perspective de ceux que cela arrange qu’il en soit ainsi, qui sont la majorité ou ceux qui ont la force pour eux.

« Le Christ n’est pas l’histoire d’un ego qui se possède lui-même ; l’histoire du Christ est plutôt une histoire de relations, de désirs et d’intensités, une histoire à laquelle les autres participent et répondent. La puissance jaillit de son corps et guérit la femme qui avait passé douze ans à saigner. Cette théologie […] est centrée sur le désir, notre désir de Dieu et le désir de Dieu pour nous. »

La théologie queer doit avoir les caractéristiques suivantes : « Elle doit prendre au sérieux les réalités désordonnées et les complexités de la vie des gens ; elle doit s’opposer aux pouvoirs de distorsion du capitalisme et du colonialisme ; elle doit exprimer et honorer l’être corporel humain ; elle doit dépasser la recherche de l’identité, de la fixité et de la finalité [Ricœur écrivait que l’identité est une tâche et non un donné au point que dans une philosophie de l’ipséité (et non de la mêmeté, cf. Soi-même comme un autre) « la possession [de l’identité] n’importe pas.] ; et elle doit parler de la présence de Dieu dans le corps, de l’identification avec celui-ci et de l’amour pour lui, de la manière dont Dieu nous appelle à conjuguer amour, désir et justice. »

 

Un interview dans Le Monde.

23/06/2023

Le cri de joie : Dieu fait grâce (Nativité du Baptiste)


 

La naissance du Baptiste est bien dans le style des Ecritures, conception miraculeuse, don du nom, annonce d’une vie au service des œuvres de Dieu. Cette naissance permet d’inscrire celle de Jésus dans la suite de celles que raconte le premier Testament. Elle permet de joindre ce qui n’existe pas encore, un premier et un second testament. L’alliance dont Dieu se souvient ‑ c’est le sens du nom de Zacharie ‑ est recadrée : l’enfant ne s’appellera pas comme son père, mais Jean, Dieu fait grâce. Quand Dieu se souvient, il fait grâce

C’est ce que déploie jusqu’à l’accomplissement, jusqu’à l’extrême, la vie de Jésus.

Il fallait aussi permettre aux disciples de Jean de rentrer dans le rang. Jésus, disciple de Jean est le maître. Il trace sa route et abandonne le chemin que le Baptiste avait ouvert dans le désert. La conversion est nécessaire, mais elle est la conséquence de la miséricorde divine, non ce qui la motiverait. Ce n’est pas par crainte de la cognée à la racine de l’arbre que l’on se convertit, c’est parce que le Royaume est venu jusqu’à nous, que le temps de la grâce est ouvert ; Jean l’avait dit en son nom : Dieu fait grâce.

Avec la naissance de Jean, chaque naissance est annonciatrice de celle de Jésus. Elle donne l’expérience et les mots pour entendre ce qui advient en Jésus. Un fils d’homme pour qui la poursuite de la justice est nécessité, obligation, devoir, mais aussi service et révolte.

On aurait aimé que le psaume, à la naissance d’un enfant, qui crie comme tout nouveau-né, qui crie aussi dans le désert, à la naissance d’un enfant qui réjouit, on aurait aimé que le psaume soit celui qui commande de pousser des cris de joies ! Non parce que nous serions heureux, mais pour faire trembler les oppresseurs. Comme les esclaves noirs qui découvrent dans l’évangile, gospel, la force qui renverse les puissants de leur trône. Déployant la force de son bras, il renverse les superbes comme il avait ouvert la mer. Le cri de joie des petits a de quoi inquiéter ceux qui se pensent puissants, qui vivent en puissants.

Avec la naissance du Baptiste, ce qui s’inaugure, c’est une écriture de l’histoire depuis les victimes. Inscrire sur le marbre, ou du moins sur le parchemin recopié jusqu’à aujourd’hui, l’injustice des puissants, la dénoncer, encore et toujours. Ecrire le chant de joie des écrasés, ne pas oublier leur mémoire, y compris lorsqu’ils furent détruits au nom de l’évangile, l’évangile à la main. Il en sait quelque chose le Baptiste, supprimé par Hérode.

Cette injustice, cette violence, c’est la nôtre. C’est celle d’un ordre mondial dont nous profitons aux dépends des autres, ceux qui ne sont pas blancs, Occidentaux, et si possible mâles. Le sommet pour un nouveau pacte financier, hier, est-il un énième atermoiement des pays riches ? Certains des chefs d’Etat du Sud ne veulent plus de promesse, seulement que le Nord fasse ce à quoi il s’est déjà engagé.

Nos concitoyens, partout au Nord, refusent l’immigration des pauvres, ou une nouvelle chance pour les prisonniers ou la dignité des pauvres. Or nous sommes l’origine de l’asservissement où nous mettons la planète. L’Evangile s’il n’est pas politique, l’évangile s’il est le mol édredon où nous assouvissons nos désirs malsains, lubriques, de spiritualité, ne mérite pas une seconde qu’on s’y attarde.

La naissance du Baptiste comme la résurrection de Jésus est insurrectionnelle ; anastasis : il élève les humbles.

On pourra penser que la fête est une stratégie de christianisation des fêtes païennes du jour le plus long. Il est trop long le jour de la souffrance des humiliés. Elle a assez duré la fête insouciante et meurtrière des riches. Oui, la lumière l’emporte sur la nuit, notre calendrier l’atteste en ces jours. C’est cela que nous voulons raconter à nos concitoyens du Nord. S’il est une pastorale kérygmatique, c’est celle-ci. Le voici le kérygme : l’anastasis, le relèvement et l’insurrection des humiliés, en Jésus, par Jésus, hier, aujourd’hui, demain.