29/03/2019

Le fils prodigue, le modèle du disciple (4ème dimanche de carême)


L’histoire des deux fils (Lc 15, 11-32) présente deux manières de vivre, deux seulement, extrêmes, pour nous faire réagir. Le fils cadet a tout brûlé et se retrouve mal. Mais de ne plus pouvoir compter que sur les autres, un autre, il reçoit la vie en abondance, voyant son père courir à sa rencontre et l’embrasser. Le fils aîné quant à lui a tout bien fait, à ce qu’il pense, n’a pas gaspillé sa vie, mais vit comme un rat mort, n’a jamais fait une fête digne de ce nom ; le voilà aigri.
Qui n’attend pas que quelqu’un vienne en courant à sa rencontre pour le serrer dans ses bras et l’inviter à la fête ? C’est du surplus, du par-dessus le marché, du gratuit. Et c’est comme cela avec Dieu…
Les disciples de Jésus que nous sommes, que pensons-nous de la vie avec Jésus ? Ça nous fait-il suer comme le fils aîné en bave de faire son travail sans jamais le moindre répit ? Il faut encore se lever pour aller à la messe ! Ou bien, la vie avec Jésus est-elle pour nous une vie ‑ pas forcément dans les plaisirs, rien ne nous oblige à croire les rumeurs qu’entretient l’aîné ! ‑ dépensée jusqu’à l’extrême et retrouvée dans les bras du père. La parabole illustre un autre propos de Jésus : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera. » (Lc 9, 24)
Si nous sommes disciples de Jésus, c’est parce que nous pensons qu’il faut vivre et dire qu’il y a autre chose dans la vie. Autre chose que tout ce qui est bon et beau dans la vie, autre chose aussi, bien sûr, que toutes les souffrances et les morts. Être disciple, c’est juste se tenir dans la vie en témoin de ce qu’il y a autre chose, compter sur l’autre, autrement dit, croire en lui. Nous ne sommes pas meilleur que les autres. Nous ne vivons ni mieux ni moins bien que les autres. Mais la vie, notre vie, c’est avec de l’autre, c’est avec les autres. Et c’est ainsi que nous devinons Dieu.
Nous connaissons tous le prénom du fils cadet, celui qui a dépensé toutes sa vie avec les autres. Il a rencontré beaucoup de monde, les a beaucoup aimés. Les femmes l’aimaient parce qu’il les prenait pour des personnes responsables, égales des hommes. A s’occuper toujours des autres, il s’est fait des ennemis, les ennemis de ses amis. A dire qu’il faut ouvrir la vie aux autres, il s’est fait des ennemis, ceux qui ne veulent pas des étrangers dans leur pays, ceux qui ne veulent pas des pauvres dans leur village, etc., etc. Alors, on l’a tué, on a fait une croix dessus.
Et le père courut se jeter à son cou dans les liens de la mort. Son baiser lui a rendu le souffle de la vie. Son fils que voilà était mort et il est revenu à la vie, le troisième jour. Il était perdu, et il est retrouvé. Sa vie était perdue et il l’a sauvée.
Mais il a d’autres prénoms ce fils qui dépense tout pour les autres. Chacun des nôtres, pour peu que nous dilapidions l’héritage, comme disent les gens sérieux. Nous quand nous partageons, quand nous faisons passer l’autre devant. Ce n’est pas correct, dit le fils aîné ! Ce pognon de dingue que ça coûte, les pauvres. Les migrants sont plus aidés que les gens de chez nous. Ce n’est pas juste. Ah, voilà l’histoire qui recommence. C’est extraordinaire l’évangile, c’est toujours notre histoire, ici et maintenant.
Cette histoire des deux fils, c’est celle de Jésus, c’est la nôtre, c’est celle des baptisés. Cette histoire explique ce que c’est qu’être disciples de Jésus, être baptisés. C’est faire comme Jésus, tout dépenser, jusqu’à en mourir peut-être, sans doute, et voir le père courir se jeter à notre cou pour, dans le souffle d’un baiser, nous rendre la vie. La résurrection, c’est maintenant, ou ce n’est qu’une mythologie.
Cette histoire des deux fils, c’est celle de deux manières, extrêmes, caricaturales, de comprendre la vie de Jésus. Enfin extrême, c’est ce qu’a vécu Jésus. Vous croyez en Dieu et cela vous rend ronchon ‑ il faut encore aller à la messe ! ‑ et jaloux de ceux qui vivent avec et pour les autres, quitte à brader les valeurs de la vraie foi, de la vraie religion ‑ les nôtres, quoi ! – ou bien pour faire comme Jésus ?
Imaginez un monde où l’on dépense tout pour les autres. Ça donnerait quoi ? Le paradis. Oui, Paul le dit : « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. » (2 Co 5, 17)

24/03/2019

Summum jus, summa injuria. Démission de Barbarin, suite.

Justice excessive devient injustice
(Adage rapporté par Cicéron (de officiis I, X). Le comble du droit c'est l'injustice, ou le droit qui fonctionne selon ses propres principes, pour lui même, sans l'esprit du droit mais selon sa lettre exclusivement, conduit à l'injustice suprême qui est injure, littéralement contraire au droit. Racine traduit "
Une extrême justice est souvent une injure" et Voltaire "Une extrême justice est une extrême injure", où l'on voit que sens du mot injure a changé.)
"
On commet encore bien des injustices en tirant un parti coupable des lois, qu'on affecte d'interpréter avec une scrupuleuse exactitude, et dont on dénature l'esprit. De là ce proverbe : Droit extrême, extrême injustice. Les hommes chargés des intérêts publics commettent souvent des injustices de ce genre."

J'ai été profondément écœuré, au sens physiologique, atterré, malade, de la décision de François de ne pas accepter la démission de Barbarin. J'ai pensé, sans l'écrire, qu'il renvoyait l'homme à sa conscience, enfin. C'est infantile de s'en remettre au Pape, il faut assumer. Je n'ai pas osé l'écrire, parce que cette interprétation bienveillante envers François n'était pas assurée. Je la lis ici sous la plume de Christine Fontaine et m'en réjouis.
Depuis mardi, le temps, la lecture de divers commentaires, y compris la réponse qu'ils m'inspiraient me fait écrire ce qui suit. C'est d'ailleurs partiellement la réponse à un commentaire lu sur FB.

Il est des façons d'instrumentaliser la justice par la procédure, de nier le droit par les règles du droit, de commettre l'injustice en arguant du droit. C'est la stratégie des avocats de Preynat, lui faisant de fait bénéficier de "réductions de peine" par anticipation ! Que ce jugement n'ait pas encore eu lieu, alors que le prévenu a avoué et ne revient pas sur ses aveux, est scandaleux. Pendant ce temps, Preynat est présumé innocent. Il n'y aurait pas une limite à la présomption d'innocence ?

Pour Barbarin, il y a reconnaissance d'avoir mal agi, mais non pas de ce que cette action mauvaise soit pénalement coupable.Cela a été la ligne de défense des avocats. Les nombreux mensonges du prévenu leur interdisaient de plaider purement et simplement la non-culpabilité. Ainsi donc, l'on joue, d'une autre façon, avec la justice. C'est sans doute immoral, mais cela ne semble pas préoccuper Barbarin. Si l'appel est un droit, y recourir n'est en l'espèce ni moral, ni synonyme de présomption d'innocence.

La décision du parquet, comme toujours, n'est pas la décision de justice, qui est celle du siège seulement (étant entendu que le parquet peut faire appel). Le parquet ne peut être invoqué pour aller du côté de la présomption d'innocence.
D'une part, la décision du parquet de faire appel est technique, elle n'est pas motivée par le fond du dossier. Si j'ai bien compris, c'est ainsi que cela se passe quasi systématiquement lorsque le siège est plus sévère que le parquet et cela permet d'étendre l'appel à toute l'affaire, au-delà du seul motif de l'appel de Barbarin. On ne peut arguer de cet appel au profit de la présomption d'innocence, car alors il faudrait penser que le parquet conteste la non-condamnation des co-prévenus, innocentés pour quatre d'entre eux, ce qui à l'évidence n'est pas le cas.
D'autre part, le parquet n'a jamais considéré que Barbarin était innocent. Il a juste estimé qu'il y avait prescription. A ses yeux aussi l'infraction est constituée. Barbarin n'a jamais été innocenté par le parquet. Le non-lieu a chaque fois été justifié par la prescription, non par l'absence de délit de non-dénonciation. Rappelons-nous qu'au tout début, Barbarin dit qu'il est mis au courant en 2014, par Alexandre HZ. Mais très vite, il parle de 2010, parce que 2014 n'était pas couvert par la prescription, et non par volonté de ne pas mentir, puisqu'on sait désormais, qu'il est informé au mois en 2004 ou 2005 par Isabelle de Gaulmyn.

Barbarin se bat-il pour contester l'infraction, alors même qu'il reconnaît des erreurs, ou pour contester la non-prescription ? Si c'est pour la première raison, on a la preuve de ce que cet homme est scindé, pathologiquement : fautif oui, mais pas sanctionnable. Si c'est pour la seconde, c'est donc uniquement pour échapper à la sanction. Dans les deux cas donc, on joue, légalement certes, avec la justice - summum jus -, pour éviter la sanction alors que la faute est reconnue et pour la justice le délit constitué ! Dans les deux cas, on s'assied sur la morale - summa injuria. Dans les deux cas, c'est légal mais indécent. Et de la part d'un évêque, qui plus est chevalier blanc de la morale, et de la morale sexuelle et familiale, ce n'est pas acceptable parce que c'est contradictoire. C'est, dans les deux cas, piétiner l'évangile.

22/03/2019

Croire pour rien (3ème dimanche de carême)


La page d’évangile que nous venons d’entendre (Lc 13, 1-9) est de très haute importance. Elle rejette tout lien entre le mal subi ‑ maladie, accident, catastrophe naturelle ‑ et la faute. Le malheur n’est pas une punition. Par conséquent, ce qui nous arrive de positif n’est pas, à l’inverse, une récompense. La théologie de la rétribution est renversée, terrassée.
Devant le mal, le mal subi, le mal qu’aucune responsabilité morale n’a provoqué, nous sommes abasourdis. Il nous semble qu’en déterminer l’origine, l’expliquer, nous rendrait ce mal plus supportable. Revenir à la rationalité consolerait. C’est le moment de relire Nietzsche et sa raillerie contre l’animal rationnel !
Le mal serait-il le mal s’il était justifiable ? Comment le mal est-il le mal s’il est justifié, non seulement expliqué mais rendu juste. Non, l’explication ne rend pas juste. Nous mesurons dans la grave maladie, dans les catastrophes et accidents, l’injustice de la condition humaine, sa fragilité, sa vanité. La vie humaine, à mains égards, n’a pas de sens.
Renverser avec Jésus la théologie de la rétribution, refuser de voir dans le mal le châtiment et dans le bien la récompense ‑ eh bien, je vous dis : pas du tout ! ‑ c’est s’engager sur un terrain miné, dangereux parce que c’est poser la question du sens ? La vie n’est-elle pas que l’affolement de cellules agencées de façon très complexes, ce que l’on appelle le vivant ; n’est-elle pas qu’un rapport de forces, comme dit Nietzsche avec les physiciens, rien de plus. Jésus nous conduit à refuser le sens du mal et du bien, non d’un point de vue moral ; le mal fait dérailler le sens jusqu’à l’inanité.
Curieusement, pour sauver le sens, Kant, malgré la revendication d’autonomie de sa philosophie qui met Dieu hors-sujet, fait débarquer Dieu. Il peut et doit être postulé pour que le sens demeure. Jésus nous mène plus loin. Il introduit le ver dans le fruit de la religion (le contexte de notre texte est celui des sacrifices !). Il introduit dans la religion ce qui ne peut que conduire à la sortie de la religion. Religion et sens, même combat ! Et nous en sommes là, comme jamais, puisque même les disciples de Jésus sont obligés d’entendre le non-sens voire d’en convenir ; être disciples de Jésus ce serait considérer le sens comme une idole à rejeter.
Devant le mal et l’ébranlement de l’édifice du sens, du monde de la vie édifié en sens, il reste la beauté et la bonté. Il reste à se rassasier de ce qui est juste et bon. Non pas se consoler à bon compte, oubliant le mal pour se shooter au bien ; mais dans la situation insensée elle-même, cueillir l’inattendu qui surgit. Cela ne donne pas enfin le sens, le mal poursuit son œuvre de destruction, mais la folie d’un amour nous rend autrement vivants, révèle que la vie n’est pas dans le sens mais dans la gratuité absolue, détachée, sans sens.
Le phénomène amoureux en est le topos. On n’est plus le même à être aimé, plus rien n’a de sens parce que la fulgurance d’exister comme de nouveau, d’exister comme pour la première fois, renverse tout et rend tout possible. Quelques uns n’ont jamais été amoureux. Auront-ils alors joui de la beauté ou de la charité, saisis, transportés, transfigurés ? Qui aura échappé à ces épiphanies où la vie se dit comme gratuité, comme grâce ? Non que tout aille bien, que l’on sorte du mal, mais que délaissant le sens, la cause et l’effet, la vie surgit comme donation, mieux, surgit la donation. (Il ne s’agit pas d’un don que l’on pourrait thésauriser et faire fructifier, mais l’advenue du gratuit, la donation.)
Nous autres, croyants, ne tenons pas à Dieu parce qu’il est le sens, ce qui explique qu’il y a quelque chose plutôt que rien. Il faut changer d’esprit, de manière de penser, se convertir comme dit le texte (et non se repentir). Dieu est ce qui advient sans pourquoi, comme la rose qui éclot ; vivre, quoi qu’il en soit du mal et du non-sens, c’est saisir cet avènement, que l’on ne peut traquer même s’il faut longtemps et souvent le chercher.
La parabole qui conclut notre texte nous y encourage, Dieu, comme le figuier est stérile, quasi mort ou parasite qui pompe le sol. N’est-ce pas ce que nous avons sous les yeux, y compris dans ce qui est révélé de l’Eglise et des agissements de ses chefs ? Mais nous allons bêcher, mettre de l’engrais ; nos compagnons vont d’ailleurs s’en charger comme ils le proposent, car Dieu n’advient que par les autres. C’est pour cela qu’ici nous nous tenons.

14/03/2019

L'Eglise "avec et pour les autres dans des institutions justes"

Au maurassien "l’Eglise oui, le Christ non" pourrait répondre "le Christ oui, l’Eglise non". Or l’attachement au Christ n’existe pas sans l’attachement aux frères. Le Christ n’est pas une abstraction ; il a un corps, les autres, et d’abord ceux qui souffrent. On ne va à Dieu que par les autres, sa parabole. L’Eglise constitue les prémices de l’humanité que nous croyons capable de paix, réconciliée en Christ, fraternité.

La crise convoque l’Eglise à la conversion ; son visage en sera profondément changé. L’absence quasi-totale de contre-pouvoirs, de facto et de jure, notamment au niveau épiscopal, rend possible tous les comportements autocratiques. Rien ne peut contraindre à vivre le service par lequel nous sommes disciples. La liberté rend le mensonge et l’hypocrisie possibles.

Nous payons très cher le virage identitaire contraire à Vatican II soutenu voire suscité par Jean-Paul II - sa canonisation est un scandale - et Benoît XVI. La révélation des turpitudes criminelles oblige à prendre part à leur dénonciation en nous rangeant du côté des victimes.
Elle commande ensuite de balayer devant sa porte, même si, comme dit François, on ne confondra pas pécheurs et corrompus.
Enfin, elle fournit la preuve de la nécessité de revisiter les structures de pouvoir, de redéfinir les ministères et leurs rapports au célibat, de changer structurellement la place des femmes, de revenir à un évangile de liberté moins préoccupé par la chambre-à-coucher que par la justice sociale et géopolitique.

09/03/2019

Les charognards ont pris leur vol

J'avoue être surpris par les prises de parole de tous ces évêques depuis l'annonce de la démission de P. Barbarin, de Kérimel, Lebrun et Gobillard (Barbarin's boys s'il en est), Ravel. On dirait des charognards qui se positionnent pour la succession, se servant de la crise de la pédo-criminalité pour leur avancement. Il y a quelque chose de choquant. Le cléricalisme est excessivement retors.
Que n'ont-ils pas parlé depuis janvier 2016 ! Que ne se sont-ils désolidarisés de P. Barbarin depuis la fameuse conférence de presse de la Parole libérée. Que ne se sont-ils pas opposés à la destitution de Pierre Vignon !
Je n'arrive pas à croire à la conversion subite de tous ces évêques, et je ne les ai pas tous nommés.
Non, je ne vous crois pas Messeigneurs. Taisez-vous, s'ils vous plaît.

08/03/2019

Un carême de mort. L'Eglise et ses scandales (1er dimanche de carême)


Voilà un nouveau carême. Ne prenez pas le deuil, ou alors pour un peu de temps seulement. La lumière est déjà à portée de main. Nous attendons la Pâque avec impatience. Déjà elle nous tient, nous fait tenir dans les tribulations.
L’accumulation de scandales dans l’Eglise, pédocriminalité, silence qui protège les coupables, condamnations de prêtres mais aussi d’évêques et de cardinaux, renvoi de l’état clérical d’un cardinal ‑ du jamais vu ‑, double vie d’évêques et de prêtres, notamment au Vatican, spécialement dans des pratiques homosexuelles que les mêmes condamnent comme intrinsèquement désordonnées, guerre déclarée de plusieurs prélats contre l’action réformatrice de François, harcèlement et violences sexuelles commises par des clercs à l’encontre de religieuses, tout cela est insupportable. Les écuries d’Augias à côté sont un modèle d’hygiène !
J’imagine que nous sommes nombreux à nous demander comment rester dans l’Eglise ; beaucoup ont déjà jeté l’éponge. Notre attachement à Jésus et aux frères sera-t-il suffisamment fort pour que nous ne soyons pas emportés, que notre foi demeure vive ? Ce carême, je l’accueille et vous invite à l’accueillir pour ce qu’il est, une expérience de mort et de résurrection, la vie avec Jésus sans cesse à pratiquer, c’est-à-dire à renouveler.
Souvent, considérant les choses, y compris la vie chrétienne, par le petit bout de la lorgnette, nous pensons le carême comme une période d’ascèse, de privation, d’austérité. La situation nous oblige à puiser plus profond à la source du salut que, pour l’heure, l’Eglise en nombre des ses ministres, obstrue. Le carême, c’est le combat à mort contre la mort. Et nous allons y perdre des plumes, comme dans tout combat de ce type.
Nous n’avons pas à nous sentir responsables des ignominies de certains. Que nous soyons pécheurs ne fait pas de tous des corrompus. Que nous soyons pécheurs ne peut conduire à relativiser l’abjection des corrompus. François l’a dit à plusieurs reprises : « Nous sommes tous des pécheurs, mais nous ne sommes pas tous des corrompus. Les pécheurs doivent être acceptés, pas les corrompus. » (Etudes, 2014)
Il ne s’agit pas ici de jouer les purs. Nous nous reconnaissons pécheurs. Il ne s’agit pas de passer d’une culture du silence à une culpabilisation générale qui scellerait notre mutisme. Il s’agit de ne pas mettre l’ensemble des catholiques dans le même sac que ceux qui trahissent éhontément leurs frères et le Seigneur en faisant le contraire de ce qu’ils prêchent et des règles selon lesquelles ils jugent les autres du haut de leur ministère, en piétinant l’évangile, en le discréditant impunément aux yeux du monde, ruinant la mission et la charité.
Corps-à-corps contre la mort. C’est autre chose qu’une histoire de sacrifices et de privation de chocolat ! Ne devrions-nous pas, avec les catéchumènes, vivre ce carême comme le rejet de la mort ? Mais on ne rejette pas la mort par décision administrative ! On la rejette en se livrant corps et âme à l’amour parce que ce que nous aurons fait aux siens, à commencer par les petits, c’est à Jésus que nous l’aurons fait. Notre attachement à Jésus n’a rien d’abstrait. Il s’agit de faire reculer la mort partout où elle avance, dans le soutien aux malades et aux moribonds, dans l’engagement pour la justice, y compris sociale, dans la quête de la vérité qui rend libre, dans la dénonciation de toutes les horreurs.
On me reproche de rabattre la vie chrétienne à une dimension morale, de ne pas assez mettre en évidence le rapport à Dieu. Jésus se trouve là où des hommes subissent encore la croix, parce que c’est à la croix qu’il manifeste pleinement le Père, à la rescousse de ceux que la mort engloutit. Faire reculer la mort au Golgotha, c’est aimer Jésus et écouter ce qu’il révèle du Père. La mystique chrétienne n’est pas éthérée, elle est charité. Penser à François d’Assise ou à Vincent de Paul. Secourir le pauvre alors même qu’on était à la chapelle en prière, c’est quitter Dieu pour Dieu !
Quant à prier, nous voulons nous y adonner d’une façon renouvelée. Nous allons arrêter de réciter des prières. Nous allons laisser le silence, y compris le silence de la mort, nous creuser, nous tarauder. Nous allons tout faire pour que rien, aucune gourmandise si vous voulez, ne vienne remplir ni boucher ce trou du silence. Nous allons le laisser béant, ce silence, comme nous voudrions que notre cœur le soit, afin que Dieu y puisse demeurer. Nous ne pouvons accueillir Dieu autrement que dans la radicale pauvreté, celle de la mort, démunis ‑ et nous le sommes en ce moment ‑, ouverts et disponibles à la semence de vie. Pâques !