31/03/2010

Assez des saints prêtres ! (Jeudi saint)

Le jeudi saint, dit-on, est la fête des prêtres, parce que c’est la fête de l’institution de l’eucharistie. C’est un peu curieux comme idée. Jamais l’Eglise du premier millénaire n’aurait ainsi lié l’eucharistie aux prêtres. C’est toute l’Eglise qui fait mémoire du dernier repas du Seigneur comme il l’a lui-même commandé : Faites cela en mémoire de moi. C’est l’Eglise qui célèbre la mort et la résurrection de son Seigneur chaque fois qu’elle rompt le pain et partage la coupe ainsi que l’exprime Paul dans la 1ère lettre aux Corinthiens, plus ancienne attestation de la Cène du Seigneur : Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il revienne.

Alors que les crimes de certains prêtres défrayent la chronique (permettant aux malveillants de taper sur l’Eglise dans une série d’amalgames plus que malhonnêtes), que veut dire cette fête du sacerdoce ?

Faut-il se taire, faire le dos-rond, s’identifier au Christ souffrant, avoir le courage qui ne se laisse pas intimider par la rumeur des opinions dominantes, s’arc-bouter sur nos certitudes d’être dans le vrai ? Celui qui implore le Père de pardonner à ceux qui ne savent ce qu’ils font n’a jamais traité par le mépris ceux qui le menaient au Calvaire. Il ne suffit pas d’être traîné dans la boue pour avoir raison contre ses détracteurs. Est-ce le Pape qu’il faut soutenir dans cette tourmente ? Peut-être un peu les prêtres qui sont facilement soupçonnés du crime de certains d’entre eux, plus encore, tous ceux qui constatent effectivement avec honte, le mal fait à l’Evangile et à leur Seigneur, le discrédit jeté sur le Seigneur de sainteté que le péché des hommes vient une fois encore défigurer. C’est surtout l’humanité entière, croyante ou non, qu’il faut encourager. Alors qu’on l’invite habituellement à faire confiance à l’Eglise, ne la voilà-t-elle pas à plaindre, si même l’Eglise ‑ pas la pire des institutions loin s’en faut ! ‑ n’est plus digne de confiance ? Qui lui présentera la source de la vie, le Seigneur venu pour servir et non être servi ?

Le péché des pédophiles et des autres, à des degrés évidemment différents, revêt d’un masque de laideur le beau pasteur de l’évangile. Il est méconnaissable, n’a plus figure humaine, ou alors trop humaine, bestiale, comme un ver ! Objet de mépris, rebut de l’humanité.

A travers ces vicissitudes, nous devons apprendre à parler autrement des prêtres. Nous devons non seulement avoir honte mais nous amender, ne serait-ce qu’en changeant notre discours, en renouvelant notre façon de penser ; il s’agit d’une conversion (Rm 122). On ne peut parler des prêtres, des chrétiens, indépendamment de leur péché. Il ne s’agit pas de faire de tous des criminels, mais tous sont pécheurs. Le prêtre, s’il est saint, n’est pas l’homme parfait ; il est le pécheur sanctifié par l’illumination baptismale, ainsi que tout chrétien, ni plus ni moins. Il n’est d’ailleurs pas possible d’être plus sanctifié que par la grâce de Dieu dont le baptême est le sacrement. Or on pense trop souvent que les prêtres sont saints, ce qui veut dire parfaits : donnez-nous des prêtres, donnez-nous de saints prêtres. On tolère certaines incartades, mais elles demeurent des exceptions qui confirment la règle. Cet imaginaire entretenu de la perfection est mensonge.

« Je crois en l’Eglise », l’ouvrage du père Christian Duquoc, a pour sous-titre précarité institutionnelle et Règne de Dieu. Il n’est pas possible de faire de la théologie sans prendre en considération la faiblesse, la précarité, la faillibilité. L’angélisme au mieux frappe du sceau de l’inanité ce qu’il touche, au pire en déguise l’horreur : qui fait l’ange fait la bête.

Si nous voulons penser une théologie des ministères, nous devons intégrer que les hommes qui les reçoivent ne sont pas des saints. On peut espérer qu’ils ne soient pas plus pécheurs que cela ; on peut espérer que leur ministère et leur vie soient chemin de sanctification. On doit autant que possible écarter les criminels, mais un criminel n’est tel qu’une fois qu’il est passé à l’acte, et c’est trop tard. Les prêtres demeurent des pécheurs. Ce sont des pécheurs qui, au nom de l’Eglise, rompent le pain. La honte qui touche aujourd’hui l’Eglise, sans parler de la douleur incomparable des victimes, n’a d’égal que l’enthousiasme aussi béat que coupable qui met les prêtres sur un piédestal. C’est usurpé, c’est mensonge. Ce que dit l’évangile vaut pour tout chrétien et donc aussi pour les prêtres : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi comme moi j'ai fait pour vous. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. » (Jn 1314-17)

Tant que l’on ne prendra pas l’évangile au sérieux, tant que les serviteurs continueront à être des Père et Monseigneur, tant que les ministres revendiqueront le magistère, le ver est dans le fruit. Il ne s’agit pas de mépriser les ministres, encore que ce soit aussi le chemin du serviteur, mais c’est humainement intolérable ; il s’agit d’éradiquer ce qui contredit l’évangile ou constitue un déni coupable de la précarité institutionnelle et de la faillibilité humaine.

Non, le prêtre n’est pas un homme séparé, à part. Il partage le sort de tous et parfois, souvent, comme ses frères baptisés, il tache de laisser le visage du Christ transparaître en sa vie, parfois, souvent, il cherche la justice comme tant d’hommes et de femmes, croyant ou non. Les mêmes, en même temps, tous, demeurent enfermés dans le péché.

Il ne s’agit pas de répondre au discours de l’exaltation par celui du misérabilisme. On ne va pas se flageller ; mais que l’on ne s’enorgueillisse pas. Que l’on ne se prenne pas pour quelqu’un d’autre. Le prêtre n’est pas un autre Christ, ou alors comme tous les autres baptisés, voire toute l’humanité que le nouvel Adam restaure à son image.

Il s’agit de tourner le regard vers celui qui fait confiance à des pécheurs pour annoncer son amour jusqu’à l’extrême. Jésus au soir de sa vie s’en remet à ses disciples. Il sait que ce n’est pas gagné ; Judas le livre, Pierre le renie, les autres fuient. Seules des femmes semble-t-il et un anonyme disciple qu’il aimait, certes figure de tout disciple, le suivent jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême. La grandeur de l’extrémisme divin, c’est de s’en remettre aux hommes qui sont des pécheurs, tant que la victoire sur la mort n’est pas définitivement remportée.

Plutôt que de parler de la sainteté des prêtres, et de celles de baptisés, même si c’est moins dans les habitudes, laissons-nous saisir par celui qui, seul saint, se confie à la charge de pécheurs. Pouvaient-ils nous aimer plus qu’à ainsi faire confiance malgré tout à ceux dont il sait l’infidélité ?


Textes du Jeudi saint : Ex 12, 1-14 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15


Prions pour le peuple chrétien. Qu’il puise à la source eucharistique la force de l’action de grâce.

Prions pour le monde. Il est en droit d’attendre une Eglise toujours plus servante.

Prions pour les malades. Qu’ils découvrent par la présence à leurs côtés de frères et sœurs dévoués, le Seigneur serviteur lui-même.

26/03/2010

Dieu meurt (Rameaux et Passion)

D’où vient la force des récits de la Passion malgré leur dépouillement littéraire ? On ne montre presque rien de la souffrance, on la nomme pudiquement. On n’arrache pas les larmes par des procédés faciles. S’il faut pleurer, ce n’est pas tant sur la victime que sur l’humanité qui est à elle-même son propre bourreau. Ne pleurez pas sur moi, pleurez sur vous-mêmes et vos enfants.

Nous tuons le sauveur ou plutôt nous voulons n’avoir rien à faire avec lui. Comment pourrions-nous vivre ? La mort n’a jamais été aussi proche de remporter la victoire totale, l’anéantissement dont nos horreurs hier et aujourd’hui sont la déclinaison : injustice, mépris du pauvre et de l’innocent, violences.

Mais le vertige n’a pas fini de nous prendre. Depuis toujours, et lorsque l’on parle de création, cela signifie en permanence, Dieu risque l’échec de son don. Dieu s’offre par amour à celui qui, par cet amour est suscité dans la vie. Ainsi offert, il ne maîtrise plus rien, pas même lui, sans quoi, se serait-il seulement donné ? Les récits de la passion ont de quoi ébranler.

Aimer c’est tout donner, et quand Dieu donne, il ne garde rien pour lui, pas même lui puisque c’est lui qu’il offre. Quand Dieu entre dans l’histoire, si ce genre de propos a un sens pour l’Eternel, il risque tout. Et tout s’effondre. Le voile du temple ne réserve plus rien, le Saint du Saint expose son vide effroyable à côté duquel celui du tombeau n’a vraiment pas de quoi surprendre.

Le ciel s’est vidé et la terre a refusé d’accueillir la semence d’immortalité. Et cela semble écrit depuis toujours, l’occasion seulement est circonstancielle : Le Fils de l'homme, certes, va son chemin selon ce qui a été arrêté, mais malheur à cet homme-là par qui il est livré.

On peut dire que Dieu n’agit pas pour faire semblant, que Jésus ne parle pas à la légère : moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert ! Qui prendra la route à sa suite ? Non pas la course à la souffrance, le culte du sacrifice ou le sacrifice cultuel, mais la radicalité du don, du service.

C’est impossible et Dieu en est mort. Seul Dieu peut aller jusque là, mais il en meurt. Alors que nous entrons dans la semaine de la passion, n’en appelons pas trop vite à la résurrection. Contemplons l’abîme du don. Voyez comme il est grand l’amour dont Dieu nous aime !

Les seules arrhes d’une lumière résident dans l’attente mortuaire des femmes avec leurs aromates. Le soin du mort est tout ce qui reste pour honorer encore le Seigneur du ciel et de la terre. Encore le service ; et ce sont des femmes, les ministres ; ce sont les femmes qui sont au service pour que même quand tout est fini, on n’en finisse pas.

Le souci du cadavre se fait avec les gestes qu’elles avaient appris à langer leurs enfants. Est-ce de là que la vie surgira ? Du corps assurément, mais il faudra encore reconnaître le corps, comme après chaque décès violent. Et le cadavre n’est pas seulement défiguré, il sera transfiguré. Le corps du supplicié deviendra, lorsque le matin se lève, le corps d’une humanité rendue et promise à la vie.

Mais il est trop tôt pour le dire. L’Eglise entre dans le grand sabbat de son Dieu. C'était le jour de la Préparation, et le sabbat commençait à poindre.

C’est cela aussi la Bonne Nouvelle de Pâques. C’est aujourd’hui le jour de la préparation et le jour du repos de Dieu commence à poindre. Du fond de la disparition de Dieu de nos sociétés se prépare un nouveau monde qui germe déjà, ne le voyez-vous pas ? Pourquoi voudrions-nous si vite parler de résurrection au temps de la passion si nous ne sommes pas prêts à croire que jamais la foi n’a eu autant de chances qu’aujourd’hui ? Pourquoi fustiger la culture de mort ? (Nous ne voulons pas bien sûr, autant que possible, en être complices. Mais Jésus a-t-il fustigé la mort et ceux qui l’y ont conduit ?) C’est de la croix que la vie jaillit, hier, aujourd’hui et demain. C’est de la mort de Dieu lui-même commencée au premier jour de la création que la vie jaillit encore aujourd’hui et demain.


Textes du dimanche des Rameaux et de la passion: Is 50, 4-7 ; Ph 2, 6-11 ; Lc 22-23


Par Jésus-Christ ton serviteur, nous te prions, Seigneur.


Pour que l’Eglise, chair du Christ, soit fidèle à sa mission, même si cela doit la mener au martyre, comme son Seigneur.

Pour les prêtres qui sont grandement discrédités au cœur même de leur engagement, par l’infamie de certains d’entre eux.

Pour les victimes souvent brisées à jamais d’actes pédophiles.

Pour les coupables de tels actes.


Pour notre monde qui ne réussit pas à vouloir la paix que cependant il désire.

Pour l’endurcissement des dirigeants israéliens.

Pour le mépris de leur peuple de nombre de dirigeants, notamment en Afrique

Pour ceux qui sont engagés dans la promotion de la paix.


Pour que notre communauté avance sur le chemin ouvert par le Christ.

Pour que, différents, nous soyons plus forts à construire l’unité.

Pour que nous puisions dans la célébration de ces jours saints l’énergie d’un témoignage auprès de ceux que nous aimons.

25/03/2010

Confesser un amour plus grand que tout (Pénitentielle Carême)

Voici qu’ils sont arrivés les jours de la Passion. Et nous sommes affligés à voir ainsi le Seigneur mené à la mort. Mais s’agit-il d’une histoire ancienne seulement ? Nous serions de bien doux sentimentaux à pleurer sur un condamné à mort il y a 2000 ans ! Nous sommes affligés, car nous pressentons que sa mort hier sur le Calvaire n’est pas sans rapport avec notre propre péché aujourd'hui.

Oh certes, dans une logique de cause à effets, notre péché n’est pour rien dans la mort de Jésus. Mais ce qui a causé la mort de Jésus n’est-il pas encore ce qui fait de nous des scélérats ? Nous avons échappé, par des circonstances temporelles, à n’être pas le Judas ou le Pierre de l’Evangile, Pilate le Romain ou Caïphe le Juif. Des petites lâchetés aux grandes trahisons, des compromissions aux intérêts partisans ou particuliers, ils n’ont pas agi, les contre-héros de l’évangile, autrement que nous n'agissons aujourd’hui.

Le péché de Pierre consiste seulement à jurer : Je ne connais pas cet homme. Se peut-il que nous n’ayons rien fait de pire ? Et étions-nous menacés comme Pierre ou bien avons-nous déclaré ignorer cet homme, parce que cela était plus simple ou plus confortable pour nous ?

Déclarer ignorer Jésus, je vous laisse chercher ce que cela veut dire. Mais cela pourrait commencer par nos refus de suivre Jésus, de vivre avec lui, lui préférant d’autres choses, même très bonnes, ou plutôt, préférant les choses, même très bonnes ce n’est pas la question, quitte à se passer du Seigneur. Ce n’est pas d’avoir plusieurs amours qui fait difficulté ; c’est que nous puissions aimer sans l’aimer lui aussi, dans le même mouvement.

N’allons pas dramatiser de façon morbide ou culpabilisante notre péché en en faisant une nouvelle mise à mort de Jésus, c’est insensé. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de cela pour que notre péché soit un drame. En abandonnant le Seigneur à son sort, nous signons notre propre mort, non qu’il se vengerait, mais que nous abandonnons la source du salut, la source de vie. C’est notre mort que nous signons, c’est nous que nous condamnons à la mort dans le péché.

Vous me direz, ce n’est pas très grave, car notre mort est déjà assurée. Pécheurs ou non, c’est à peu près la seule chose de certaine : nous mourrons. Nous mourons. Mais voilà, il ne suffit pas de respirer pour être vivant. On a même vu des gens en train de mourir plus vivants que nombre de ceux qui sont englués dans leur problèmes ou dans leur stratégie pour faire semblant de vivre, tant vivre pour de vrai, vivre en grand, ça effraie.

La vie, même du moine, réglée même par la prière, pour ne pas affronter l’inattendue de la vie, la folie du souffle divin, l’enthousiasme, peut inventer des manières de se croire vivant qui cependant dénonce la mort ou l’état de moribond.

Il ne s'agit pourtant pas d'entrer dans un examen de conscience. Ce que je pointe, ce n’est pas tant le mal commis, les fautes, que la stratégie qui pourrait nous faire croire que l’aménagement bien réglé de nos vies pourrait nous faire échapper au péché. « Si nous disons : "Nous n'avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, lui, fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité. Si nous disons : "Nous n'avons pas péché", nous faisons de lui un menteur, et sa parole n'est pas en nous. » (1 Jn 18-10)

L’enjeu d’une célébration pénitentielle, qu’elle soit communautaire ou personnelle, qu’elle soit sacramentelle ou non, n’est pas un arrangement avec la conscience. C’est une affaire de vie ou de mort, non une histoire de conscience. Nous ne repartirons pas la conscience tranquille. Et comment le pourrions-nous ? Nous ne repartirons pas avec la ferme détermination de ne jamais recommencer. Elle est mensongère « la ferme résolution de ne plus offenser Dieu », même avec le secours de sa sainte grâce. En la prenant, nous nous mentirions à nous-mêmes et ferions de Dieu lui-même un menteur. Nous serons sans doute pacifiés par le Seigneur, mais restera l'écharde en la conscience, en la chair. Paul a dit ce qu'il en a été pour lui. Par trois fois il a demandé à en être débarrassé. Et voici la réponse :« Ma grâce, mon don te suffit, car la puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Co 126-9)

Ce dont il est question dans la célébration du pardon, c’est une remise des dettes, non pour effacer la dette, mais pour vivre paisiblement malgré la dette. C’est ce que signifie notre demande dans la prière dominicale : Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs (Mt 612). Comment pourrions-nous cesser d’être en dette avec Dieu ? N’est-ce pas cela le péché, se croire quitte vis-à-vis de Dieu. C’est cela le pharisaïsme hypocrite que Jésus a dénoncé.

Nous venons confesser un amour plus grand que tout. « Car si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout. » (1 Jn 320) A dire que nous n’avons pas ou n’avons plus de péché nous faisons de Dieu lui-même un menteur. N’importe pas de ne plus être pécheur, mais d’être délivré. Nous venons confesser un amour plus grand que tout.

Si vous êtes de ces purs que le péché ne tente pas, tant mieux pour vous, mais n’oubliez pas que le péché ce n’est pas l’absence de vertu. Le péché c’est d’abord et avant tout de croire que l’on peut s’en tirer seul, que Dieu n’aura rien à nous reprocher. D’abord parce que nous imaginons que Dieu pourrait nous reprocher quelque chose, ce qui est une aberration et une profession de non foi. Ensuite parce que c’est de Dieu et de lui seul que vient le possible de l’impossible : que tout soit fait selon sa parole.


Textes: 1 Jn 3 et Mt 26, 65-69

19/03/2010

Pécher: recourber le désir à ce que la vertu peut en supporter (5ème dimanche de carême)

La femme adultère. Voilà un texte qui pourrait bien parler du pardon. Encore qu’avec cette histoire de lapidation, il s’agit, comme dimanche dernier, d’une question de vie et de mort. Certes, on parle d’un adultère. On pourra convenir que le coup de canif dans le contrat n’est pas un bien surtout pour celui qui est cocu. Mais ne trouvez-vous pas qu’il est curieux que, ici comme ailleurs, ce soit la femme qui est adultère ? Il faut bien qu’elle ait eut un complice. De lui, on ne parle pas. On ne parle pas même du mari trompé. Ce serait pourtant à lui de porter plainte. Y a-t-il seulement un mari ? Le texte ne dit rien au point que l’on se demande même s’il y a du mal à se faire du bien, tant les accusateurs sont de mauvaise foi et sont une contre-pub à la morale. Il y a certes des Dom Juan qui, incapables d’aimer, rendent malheureux ceux à qui ils prennent leur intimité. Mais il est tant d’amants, légaux ou licencieux, qui s’offrent en offrant à l’autre de pouvoir exister sans crainte, exposés à la joie.

Pourquoi faut-il que cette femme soit dénoncée, si ce n’est parce qu’elle réveille la soif de luxure ‑ il faut tout de même être vicieux pour surprendre quelqu’un en flagrant délit d’adultère, il faut être un peu voyeur non ? ‑, l’envie de plaisirs suaves que l’on écarte pour rester fidèle à son conjoint, à ses engagements.

Il est plus difficile que l’on croit de dire en quoi la luxure est un mal, et Jésus se garde d’en dire un mot dans tout ce que les évangélistes rapportent. On dit plutôt que des prostituées faisaient partie de ses disciples. Les accusateurs de la femme non plus ne raisonnent pas sur la question, ils s’en moquent. La femme n’est qu’un moyen d’atteindre Jésus. Ce n’est pas elle qu’ils veulent arrêter, mais sa lapidation pourrait être l’occasion de faire tomber celui qui se tient en dehors de la faute. C’est cela le pire en Jésus. Il offre par sa beauté le miroir de leur disgrâce à ceux qui refusent sa grâce. Comment ne pas rejeter un tel miroir ?

C’est Jésus, la grâce de Dieu, la beauté gratuite et offerte de Dieu, qui gracie, qui rend gracieux tout homme, même celui qui s’évertue à porter le pire masque de laideur. Or la source du bien, le bien, engendre la haine. Voilà le drame de Jésus. Voilà le drame de Dieu. En créant ceux qui ne pouvaient naître divins, s’il est vrai que le divin n’est pas créé, Dieu encourrait le risque, qui n’a pas tardé à arriver, de susciter la haine, alors qu’il s’offrait pas amour.

La femme n’y peut rien. Bien qu’au milieu, elle n’intéresse personne. Elle est seulement la figure de celle qui sans doute n’est pas parfaite mais qui au moins ne règle pas ses comptes avec Dieu, ne le tient pas responsable de sa faiblesse ni ne cherche à s’en disculper, ni ne craint le regard de vérité. Comme souvent la femme, elle assume. Ce sont les purs qui règlent leurs comptes avec Dieu, je veux dire, les vertueux qui se croient purs. Peut-on se croire pur ? Il semble que personne n’ose puisque tous s’effacent, en commençant par les plus âgés. Mais on les imagine bouillonnants, verts de rage, de la couleur du cadavre. Ils voulaient tuer la femme, ils sont révélés à leur mort, déjà proches de la tombe, cadavériques. On parle des plus vieux. Il y a dans cette histoire une femme adultère et de vieux hommes au bord de la fosse. Triste portrait de l’humanité.

Femme, c’est ainsi que Jésus s’adresse à celle qui lui est amenée par ceux qui pourraient être ses fils, des fils de femmes comme nous tous. C’est l’humanité qui est traînée en procès par ses propres fils. Ils accusent leur mère sans voir que son crime c’est le leur. Ils se condamnent sans le savoir alors que l’humanité ne peut qu’espérer le jugement de Dieu.

C’est cela le péché. Le seul. Il guète davantage les justes et les donneurs de conseils, les professeurs de morale. Mesquinerie de rejeter sur l’autre sa faute. Ce n’est pas moi c’est lui. C’est ainsi depuis la deuxième page de la Bible. Avant, cela ne risque pas, c’est Dieu qui crée toute chose par sa parole et c’est très bon.

Ne pas consentir à sa faiblesse. Se croire plus malin, capable du bien. Se prendre pour Dieu, au cœur même de la religion, car quel serait l’athée qui se prendrait pour Dieu. Oh certes les athées peuvent se croire aussi vertueux et peuvent aussi tuer au nom de cette vertu, mais au moins, ils ne mouillent pas Dieu dans cette histoire.

Y a-t-il pire péché que le puritanisme ? Mais ce n’est pas suffisant. Car le puritain pour n’être pas tenté ne désire plus, n’assume plus qu’il désire. Il recourbe son désir à la mesure de ce qu’il peut maîtriser. Or quel désir peut-on maîtriser ? A peine quelques morceaux de chocolat et deux ou trois cuillères de confiture. Qui veut vivre grand ne peut que se prendre les pieds dans le tapis de son désir.

Ou bien l’on ne désire plus, mais alors on ne vit pas, on n’est même pas croyant (soif et désir de Dieu sont partout dans les psaumes et Jésus a désiré ardemment), ou bien l’on désire, mais l’on risque de mourir à prendre pour ce qui nous grandit, ce qui nous dilate, ce qui n’en est qu’une image. Elle voulait aimer, l’humanité, elle a trompé son époux. Car c’est bien lui, l’époux que l’on cherchait en vain. Et il n’a pas accusé, et il ne s’est pas plaint. Il a relevé l’humanité, inscrivant dans la poussière que le vent de l’Esprit emporte le texte d’une loi que la dureté de la pierre avait perverti en accusation.

La femme, par deux fois, est dite au milieu alors que de toute évidence c’est Jésus qu’il s’agit de coincé, mais on ne peut le faire de face, alors on tente de l’avoir par le côté. Au milieu, l’humanité pécheresse depuis qu’elle a mangé de l’arbre qui était au milieu du jardin. Pas de chance que le seul arbre dont on ne puisse manger se trouve au milieu ! Et la femme est là aussi en évidence, désirable à voir et belle.

Jésus lui offre ce qu’elle n’avait pas osé demander et dont elle s’était saisie : la vie si désirable, belle à voir et bonne à manger, à croquer à pleines dents.


Textes du 5ème dimanche de carême C : Is 43, 16-21 ; Ph 3,8-14 ; Jn 8, 1-11

16/03/2010

Séjour romain avec Le Caravage


La langue française a des ressources merveilleuses que Lacan n’a pas manqué d’utiliser, au point d’en abuser peut-être. La Rome antique a fasciné autant qu’elle a révélé l’affect romantique. Mais ce n’est pas seulement l’Empire romain ou le XIXe. C’est aussi le Moyen-âge, dans la diversité de ses mille ans, ou du moins tant que les Papes n’étaient pas partis en Avignon. C’est aussi la Renaissance, le baroque, bref, on vit ici depuis des siècles et l’on y laisse des traces de gloire.

Comment ne pas être excédé par la recherche de la gloire, surtout lorsqu’elle devient celle de l’Eglise. Pensez qu’au fronton de la basilique vaticane, c’est le nom de Paul V Borghese qui est au centre. Le prince des apôtres auquel l’édifice est dédié n’occupe que les marges de l’inscription. Exemple parmi bien d’autres. Caravage n'a sans doute pas vu cette façade achevée quatre ans après sa mort. Il avait vu le dôme grandiose qu'avait conçu Michel-Ange.

Voilà quatre cents ans mourrait le Caravage. Ce n’est certes pas un apôtre au seuil de la tombe duquel on se rendrait en pèlerinage. Cela interdit-il une visite ad limina ? Comment cet homme peut-il servir la gloire des mécènes et rappeler l’évangile à ceux qui le pervertissent.

A Sainte Marie du Peuple, la conversion de Paul. Au centre, un sabot de cheval. Regardez comment court la Parole, autrement qu’à faire la gloire de ses hérauts. En face, le martyre de Pierre. Le prince des apôtres est comme caché par le postérieur d’un de ses bourreaux et le pied sale de celui qui le cloue au bois.

Vous préférez Saint Louis des Français et le cycle de St Matthieu ? Pierre, l’Eglise qui a reçu mission de montrer le Christ peut y mener qu’à condition de le cacher. Cruel dilemme que l’on a oublié de méditer. Et pendant ce temps, les jambes des changeurs et publicains, le sexe de Matthieu à y regarder de près, s’exhibent sans rien révéler aux voluptueux, quoi qu’il en soit de leur engagement au célibat continent.

Le même tabouret est repris de la vocation dans l’inspiration de l’évangile. Il est en déséquilibre, un pied dans le vide. Comme si l’évangile était un truc qui ne peut pas tenir, la fragilité qui est pourtant ce qui tient le monde. Pourquoi faut-il que l’Eglise se soucie de son identité, qu’il s’agisse de gloire ou de doctrine ? Elle sait bien qu’elle ne peut pas tenir et ce n’est pas le déni qui y changera quoi que ce soit. C’est un autre qui la tient. Caravage savait cela.

Il faut aller à la galerie Borghese pour voir une des théologies mariales les plus justes jamais peintes ? C’est la Vierge à l’enfant, Marie avec son fils, la Mère de Dieu comme disait le Concile d’Ephèse (431) qui écrase la tête de l’antique ennemi. Mais non. L’enfant appuie sur le pied de la mère. Seul le Christ détruit la mort et associe la mère, l’humanité, à sa victoire, non parce qu’elle en serait seulement bénéficiaire mais qu’elle est, par ce fils de sa chair, elle-même victorieuse. Tout n’est-il pas dit de confession de foi christologique ?

On ne saurait tout commenter ni même évoquer : les toiles du palais Barberini avec le Narcisse dont je crois que l’attribution est discutée mais qui renvoie un drôle de miroir à la recherche de la gloire ; les toiles du palais Doria-Pamphili ou du musée capitolin, en particulier les deux Baptiste que l’on a dernièrement préféré appeler Isaac, si proche de l'amour vainqueur. L'ascétisme en prend un coup!

Caravage a la réputation d’une vie peu recommandable (insultes, agressions, meurtre, luxure). Est-ce par ce qu’il ne pouvait pas se prendre pour un juste qu’il était disciple du Seigneur de miséricorde ? C’est chez lui comme si souvent, ce que le bourgeois ou le dévot peuvent comprendre : le contraire de la sainteté, ce n’est pas le vice, mais la vertu. Il est heureusement des hommes qui ne confondent pas la sainteté et la perfection morale, qui savent que ce à quoi ils sont appelés n’est pas à leur portée, mais un don, qui ne réduisent pas la sainteté à ce dont ils seraient capables, condamnant leur vie et même leur foi à la mesquinerie. Est-ce pour cela qu'il aime à peindre les gens peu fréquentables ? Il est l'un deux, il les aime sans s'absoudre lui-même. A cet égard, la comparaison des deux scènes d'Emmaüs mérite que l'on s'y arrête. Il y a la stupeur de la première, avec ses couleurs et l'opulence de sa table. Seule la nature morte dit la mort, vanité reprise des toutes premières toiles. La seconde est plus sobre, la palette moins chaude. Il y a seulement un peu de pain. Une femme, une servante, a rejoint l'aubergiste. Le Christ semble s'effacer, sa chevelure se fond dans l'ombre d'où jaillissent les visages des serviteurs, des pauvres. Ne sont-ils pas eux le Christ, celui-là même que l'on sert et reconnaît dans la fraction du pain ?

L’exposition des Scuderie del Quirinale rassemble nombre d’œuvres, romaines ou non. Partout, la tendresse (comme dans le repos durant la fuite en Egypte ou la Madeleine pénitente – c’est le même modèle qui pose pour Marie et la Prostituée) la sensualité (Isaac curieusement avec le même modèle que l’amour victorieux et Bacchus), le côté cru de la pauvreté sous le nez des riches commanditaires (la Madone de Lorette met les pieds des gueux à la hauteur du nez du célébrant à St Augustin), la théologie (les pèlerins d’Emmaüs, l’apparition à Thomas, le baiser de Judas), la critique de l’étroitesse humaine, critique nourrie d’une compréhension elle aussi humaine, mais en un tout autre sens, de l’évangile. La grandeur de l’humanité, cette vertu dont on voudrait qu’elle donne son nom à l’espèce et non l’inverse, s’oppose à l’humain trop humain si détestable (le sacrifice d’Abraham, Judith et Holopherne, La diseuse de bonne-aventure, David avec la tête de Goliath)


Je ne peux recopier toutes les toiles. On en voit plusieurs sur http://anothergaylight.over-blog.com/article-32890969.html (reproductions pas toujours bonnes) et http://lesmenines.mabulle.com/index.php/2007/11/09/98477-voyage-vers-le-caravage.

13/03/2010

Se jeter dans les bras du Père (4ème dimanche de Carême)

Tout le monde le sait, la parabole du fils prodigue parle du pardon. Et cependant, le mot de pardon n’est pas dans le texte. Il y a même une vraie difficulté à faire de cette parabole un texte sur le pardon, parce qu’avec une telle lecture vous ne savez que faire du frère aîné, de sa jalousie. Et si l’on demandait à brûle-pourpoint à l’un d’entre nous pour qui la parabole parle évidemment de pardon de raconter cette parabole, il omettrait sans doute la fin du texte, ne parlerait pas du fils aîné.

J’enrage contre la réduction des textes et de la foi à une dimension certes importante de la vie humaine et chrétienne (comme le pardon) mais il y a plus important à dire.

Par deux fois, le texte dit du fils ou du frère qu’il était mort et qu’il est revenu à la vie, sans parler de l’expression de ce fils qui dit « et moi ici, je meurs de faim ». Ce texte parle de résurrection d’abord parce qu’explicitement, d’abord parce qu’il y a la récurrence : il était mort et il est revenu à la vie, souligné par il était perdu et il est retrouvé. C’est de cela que nous devons parler, ce que c’est que vivre, mourir, passer de la mort à la vie

Que l’on ne me dise pas que c’est plus compliqué. Ce sont les questions des enfants. Ce sont nos questions. Mais parce que nous ne savons pas réponde, parce que nous ne supportons pas les questions sans réponse, nous préférons parler d’autres choses. Nous préférons la morale, au meilleur sens du terme d’ailleurs, parce que là au moins on voit ce qu’on a à faire. Mais se peut-il que le mot de résurrection fasse moins sens pour nous que celui de pardon ?

Mais le texte parle encore d’autre chose. Il faut pour comprendre ce texte poser une question : Voulez-vous savoir qui est Dieu ? Voulez-vous savoir ce que Jésus dit de Dieu ? Eh bien, « un homme avait deux fils, le plus jeune dit à son Père… »

Voilà le sens de ce texte. Ce n’est pas parce que le pardon aussi c’est important que cela nous dispenserait de parler de Dieu, de la vie avec lui. Ce n’est pas parce que nous savons mieux parler d’un truc à faire (pardonner) que nous devrions occulter le cœur de la foi. On ne saurait s’étonner ensuite de la rupture de la transmission de la foi. Nous l’aurions nous-mêmes occultée cette foi. Si la foi ce sont les valeurs, ce que tous accordent et vivent plus ou moins, croyants ou pas, pourquoi donc encore être croyants ?

Ce genre de textes dit l’inouï et peut-être aussi l’inaudible du christianisme, de l’évangile. Que Dieu soit comme cet homme, c’est incroyable et finalement, nous n’en voulons pas parce qu’un tel Dieu oblige. Tant que Dieu demeure une idée, un souverain tout puissant au ciel ou le garant de la morale, nous le laissons à sa place, quand bien même nous sommes très dévots. Mais c’est autre chose la dévotion que la foi ! Mais notre Dieu oblige parce que l’amour désarme et interdit pratiquement que nous nous refusions.

Nous pouvons régler nos affaires avec Dieu par la prière, par l’eucharistie, en faisant même de l’eucharistie une dévotion. Mais la prière est autre chose, sans parler que le jeûne que préfère le Seigneur c’est la justice et l’amour du frère.

Il faudrait que notre lecture de ce texte soit aussi forte qu’un enfant qui court se jeter dans les bras de ses parents. Pourrions-nous arriver à dire cela de notre Dieu ? Il ouvre les bras comme les parents qui reçoivent l'enfant qui se jette dans leurs bras, pour le plaisir, comme dans ces jeux que parents et enfants affectionnent. L’enfant se jette en toute confiance dans les bras ouverts et se laisse sauver de la chute par l’adulte qui le saisit au moment clé. Jeu avec la limite, histoire de vie ou de mort.

Pour le plaisir, la joie d’abord, se jeter dans les bras du Père, insouciant du danger, et en même temps, jouant avec le danger. Se laisser récupérer de la chute ensuite, affaire de vie ou de mort. Est-ce que nous dirions de Dieu qu’il est notre vie, celui qui nous tire de la mort, non pas demain quand nous serons morts, mais aujourd’hui. Il ne suffit pas de vivre (biologiquement) pour être vivant. Il faut aimer et être aimé, par les autres, par Dieu. Se pourrait-il que Dieu nous fasse vivre à nous aimer et à s’offrir à notre amour comme ceux qui nous sont le plus cher. Se jeter dans les bras du père, n’est-ce pas cela être disciple de Jésus, entendre cette parabole ? Affaire de vie ou de mort, affaire d’amour. Voilà notre foi.

Le père de notre parabole est toujours dehors à sortir, pour attendre et voir venir de loin le fils qui était perdu ; pour aller chercher le fils qui ne veut pas entrer dans la joie, le plaisir de la fête. C’est même le père qui prie. C’est Dieu même qui prie l’homme d’entrer au festin. L’amour oblige ! C’est le monde à l’envers. Avec Dieu, c’est le monde remis à l’endroit, la mort vient avant la vie comme la cendre avant le feu de Pâques; ainsi la vie ne finit pas.

Les fils sont loin, géographiquement pour le premier, idéologiquement pour le second qui est à des années-lumière de ce que pense son père. Et loin du père, loin de la source, on meurt. Vous avez remarqué qu’il n’y a pas de mère dans cette histoire. Voilà une famille sans femme. C’est curieux. A moins que justement le père ne soit pas un papa, mais la source de la vie, père et mère tout à la fois. Et voilà pourquoi l’éloignement est mort.

On peut être très proche de Dieu, géographiquement et mourir. On peut passer son temps en dévotion, en adoration, à courir les pèlerinages et avoir le christianisme à la bouche mais être mort. Jésus ne juge pas. Puissions-nous faire de même. Il laisse l’histoire sans conclusion. On ne sait pas si l’aîné est entré dans la joie du père et la salle du festin. Et nous, que ferons-nous ? Nous sommes tous loin du Père, géographiquement et, ou, idéologiquement. Courrons-nous comme l’enfant nous jeter dans ses bras, pour la joie et la vie ?

Textes du 4ème dimanche de Carême C : Jos 5, 10-12 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 11-32

04/03/2010

Il leur ouvrit les Ecritures


Le texte de l'évangile comme une porte.
Elle est fermée comme le sens de ce vieux texte.
Il n'y a pas de clé.
Seulement une colonne se dresse avec quelqu'un qui tend son dos à la flagellation.
Une colonne qui ne touche pas le ciel, qui ne soutient rien ; une colonne qui ne semble faite que pour cela, attacher le supplicié.
La couronne du roi a perdu son or qui vient souligner quelques mots : Roi des Juifs, fils de David, Jésus, Ciel, Qu'est-ce que la vérité ? Seigneur, Gethsémani. Serait-ce ici qu'il faudrait trouver une clé ?
Des noms, des lieux et une question. Pas de quoi articuler le moindre discours, la moindre idéologie. Des mots aussi déchirés, déchiquetés que le dos du martyr.
L'homme embrasse la colonne. Il ne semble pas s'y appuyer ; il paraît plutôt la tenir. La terre tremble sur ses bases et l'homme de douleur, familier de la souffrance pourrait recréer les colonnes de la terre. L'homme embrasse la colonne avec l'affection de l'amant.
Qui comprendra que cet homme qui n'a plus figure humaine, sans beauté, sans éclat, que cet homme, c'est le reflet de la gloire de Dieu, son image ?
Tous, nous l'avons vu cet homme, non pas cette représentation, mais ces frères, qui sont les siens.
La vérité de l'humanité, c'est qu'aucun ne soit méprisé. Et comment ouvririons-nous la porte alors que tant sont dehors de ceux qui n'ont plus figure humaines ?
Qui brise les sceaux du livre, sinon la clé de David ?