29/06/2010

Suite à la Gay-pride

Dimanche la marche des fiertés Lesbiennes Gays Trans et Bi. La couleur de fête, le bruit et l’extravagance. Principalement des jeunes, mais pas seulement. Dans la foule qui défile, accompagnant les chars, dans la foule qui regarde passer, participant manifestement à l’événement, même si c’est pour un court instant, toutes sortes de gens, aux looks mélangés, ni plus ni moins que dans le métro.
S’agit-il d’une fête ? De quoi s’agit-il d’ailleurs ? Les homophobes n’étaient pas là ou avaient rangé leur hostilité. La reconnaissance est un fait puisque le défilé existe et constitue une manifestation largement soutenue par la ville. Mais ce n’est pas de cette apparence ou non de fête et de reconnaissance que je veux parler.
J’ai pris dans la figure la violence des propos anti ecclésiaux. Quelle haine de l’Eglise ! Tout au long du défilé des petits panneaux brandis insultant le Pape avec les pires amalgames, soupçonnant l’honnêteté des prêtres, etc. Ce n’est pas l’Eglise, me direz-vous, mais ses ministres et encore, certains d’entre eux. Oui. Mais je ne suis pas sûr que la haine contre ces ministres s’arrête respectueusement au seuil du mystère de l’Eglise, la communauté dont le Christ a fait le sacrement de son corps, le sacrement d’une fraternité appelée à reconnaître l’amour de l’unique Père.
Je comprends bien que l’on puisse taper sur les ministres. A la limite, je suis mieux placé que nombre de ceux qui défilaient pour formuler des critiques plus exactes et donc plus violentes parce que moins insignifiantes. Sauf que les miennes ne porteraient pas, je l’espère du moins, de haine.
Je comprends que l’on puisse être en révolte contre l’Eglise et ses ministres. Ce que l’on appelle le discours de l’Eglise ‑ et qui est l’Eglise, qui est le sujet du discours : le Pape, tel évêque, le magistère, l’ensemble des fidèles clercs ou laïcs, tel ou tel chrétien, etc ? ‑ sur la sexualité et en particulier sur l’homosexualité n’est pas entendu. Il a d’autant plus de raisons d’être rejeté qu’il est contredit par la pratique de chrétiens eux-mêmes, de ministres eux-mêmes. Même si l’on frise l’amalgame, il faut bien convenir que les crimes de pédophilie ne peuvent que discréditer le discours des chrétiens sur la sexualité, quoi qu’il en soit de l’engagement de nombreux chrétiens pour une éducation à la liberté et à la responsabilité dans la sexualité.
Je comprends aussi qu’un discours de la responsabilité, justement, qui articule une exigence quant à la sexualité comme expression non seulement d’un besoin mais aussi et surtout comme symbole de ce qu’est l’humain ne peut être reçu par une société qui mesure sa liberté à son pouvoir de faire ce qu’elle veut quand elle veut, ainsi qu’elle en rêve. Rares sont par exemple les stars dont on conte les frasques et qui sont présentées comme idéal de réussite qui ne sont pas jeunes et belles, riches et en bonne santé. Rares sont les pubs où la femme ou les hommes aguicheurs ne sont pas de beaux jeunes gens. Ne pourra pas être accepté sans résistance la dénonciation, par l’Eglise aussi, de l’illusion mortifère selon laquelle se réduirait à ce jeunisme friqué et jouisseur la vie, notre vie, celle de ceux qui n’ont pas, ou n’ont plus ou n’auront pas toujours 20 ans, la santé, la beauté et la richesse. Je comprends que ce discours moral soit parfois une exigence indépassable de résistance, on pourrait dire citoyenne, et de refus de ce qui nie l’humanité de l’homme, une sorte d’opium qui peut aller jusqu’au crime.
Mais je ne comprends pas ou ne veux pas me faire à l’idée que sous prétexte de tout cela, le Christ soit détesté ou ignoré.
Devant la douleur, il n’y a pas toujours quelque chose à faire, si ce n’est de compatir. Devant la douleur qui suscite la haine et qui engendre à son tour la douleur, pas sûr qu’il y ait de solution. La société qui se croit toute puissante n’a pas encore découvert comment abattre la haine. Et d’ailleurs le veut-elle ? Et d’ailleurs, heureusement elle ne le peut sans doute pas ; une telle société serait une dictature.
Notre Eglise, sans renoncer à son discours moral, lequel ne peut pas être compris sans la foi au Christ, ne devrait-elle pas au risque de scandaliser le bourgeois, relâcher le lien entre foi et morale ? Oh je sais, non seulement une foi qui n’agit pas n’est pas la foi, mais la volonté qu’a le magistère de fonder sa morale sur la morale naturelle va à l’encontre de cela, prétendant ainsi à l’universalité de son discours moral. Comme si la foi, la foi catholique, n’était pas universelle, elle. On croit rêver. Mais laissons-là cette question. Jésus, lui, a distingué ce qui était considéré comme sexuellement immoral ou impur et la sainteté, plus qu’il ne l’a fait entre la morale politico-éconimique et la sainteté d’ailleurs, à l’inverse exact de ce que pratique un certain discours ecclésial.
Si le discours de l’Eglise en matière de morale sexuelle est sensé, c’est et ce doit être comme réponse à l’appel de Dieu accueilli dans la foi. Non que cette morale serait alors particulière mais que l’universalité de la foi est plus certaine que celle de la raison, à moins que l’Eglise ne soit l’une des dernières dévotes des Lumières, ce qui serait un comble. Non pas fidéisme contre rationalisme, mais, quoi qu’il en soit de l’autonomie et de la dignité de la raison, conviction que la foi ne peut que mener à une plus grande humanité, donc à une plus grande rationalité. N’oublions pas que la rationalité ne se réduit pas à l’intellectualité et que si amour et vérité, justice et paix ne s’embrassent pas, c’en est fini et de l’homme, et de la morale, et de la raison et de la foi. On est chaque jour contraint de le constater.
Je ne suis pas sûr qu’en droit il y ait une morale chrétienne, qu’il y ait une spécificité de la morale chrétienne. Je ne veux pas pour autant revendiquer l’universalité de la raison. Je suis bien obligé de constater que de fait, il y a des discours qui se prétendent de morale et qui sont particuliers jusque dans leur appel à l’universel. Peut-il en aller autrement dès lors que l’homme est un être fini et contingent et que son approche de la vérité est toujours une quête ?
Sans renoncer donc à son discours moral, l’Eglise voit bien qu’elle ne fera pas entendre ce qu’elle a de plus cher, l’amour de Dieu pour tous, si elle ne change d’attitude. Non pas opportunisme ou adaptation au monde moderne ‑ c’est insensé, on se convertit à l’évangile et l’on ne convertit pas l’évangile ‑ mais accueil sans limite de l’homme tel qu’il est, avec ses failles aussi que l’on aurait bien tort de ne pas repérer.
Qu’est-ce qui garantit que les convictions morales de l’Eglise sont effectivement, de manière égale, l’expression de l’évangile ? L’Eglise est-elle définitivement convertie, tournée vers Dieu, ou n’a-t-elle pas, elle et son discours, toujours à chercher comment lui être plus fidèle ? Changer d’attitude pour se convertir elle-même à l’attitude du Christ qui a tout sacrifié, jusqu’à sa vie, pour témoigner de l’amour de Dieu. Peut-on à juste titre ne pas sursauter devant la distorsion entre l’accommodation de la morale chrétienne avec les puissants et l’argent et l’intransigeance d’un discours dit officiel quant à la sexualité ? A défaut d’offrir leur vie, les ministres et l’ensemble des chrétiens pourraient-ils au moins sacrifier certaines de leurs conceptions morales pour faire entendre qu’il y a plus important, notamment plus important que ce discours moral ou que ces convictions ou habitudes même moutonnières de l’homme moderne ; il y a l’amour de Dieu manifesté, montré en Jésus.
Ne doit-on pas faire le tri entre ce qui est incontestablement inadmissible parce que négateur de l’humanité de l’homme et des pratiques sexuelles dont on ne peut contester qu’elles peuvent contribuer à l’humanisation de l’homme, quand bien même elles n’ont pas la vie biologique comme terme. L’homosexualité pas plus que la l’hétérosexualité n’est une histoire de coït. Si la continence peut être une façon de se libérer du conditionnement de la nature, on ne voit pas comment la nature pourrait-être érigée en norme. La sexualité, continente ou non, c’est le défi de la différence comme lieu de l’union la plus grande parce qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul. S’il suffisait d’un homme et d’une femme pour garantir la différence, les droits de la femme ne seraient pas encore une conquête si laborieusement en cours. Je n’ai pas la faiblesse de croire que ce discours passerait mieux. Mais tant qu’à faire d’être rejeté, il aura au moins pour lui de reconnaître ce que des hommes et des femmes vivent d’humanisant, non seulement comme personnes, mais aussi dans leurs actes, dans leurs pratiques sexuelles.
C’est un enfer que tant d’hommes et de femmes se privent de Dieu parce que l’image qu’ils en ont, à juste titre ou pas, les en détourne. Le but n’est pas que tous soient chrétiens ou rejoignent l’Eglise. Le Christ n’est pas venu pour embrigader l’humanité dans une Eglise mais pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. Pas besoin de croire en Dieu pour être aimé de Dieu, pour recevoir, sans même le savoir, sa vie et son salut. Mais comment accepter que l’on rate la chance, la grâce de se reconnaître ses amis, parce que l’évangile aura été défiguré au point d’être inaudible, aura été défiguré par l’Eglise aussi, expression du refus, même dans l’Eglise, de l’intempestif évangélique.

26/06/2010

C'est pour la liberté que le Christ vous a libérés (13ème dimanche)

Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. Traduction qui gomme le pléonasme afin de rendre la phrase plus compréhensible. Traduction coupable qui rend lisse un texte qui accroche à dessein. Il faut lire : Pour la liberté, le Christ nous a libérés.

Pour quoi pourrions-nous être libérés : pour être heureux ? pour rendre gloire à Dieu ? pour être responsables de nos actes ? Rien de tout cela. Nous sommes libérés pour la liberté, nous sommes libérés sans autre but que la liberté. C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés.

La liberté gagnée pour nous par le Christ est une fin en soi, elle est un bien, et quel bien, pour que le Christ s’engage dans l’aventure humaine jusqu’à la mort, et la mort de la croix.

Cela dit, qu’est-ce que la liberté ? Si elle ne sert à rien, puisqu’elle est une fin en soi et non un moyen en vue d’une autre fin, comment en jouir ?

La liberté n’est pas un état, du moins dans notre texte. Nous ne sommes pas libres, nous sommes libérés, passés d’un esclavage à la liberté. De quoi avons-nous été libérés ? de tout ce qui est susceptible de nous entraver, de nous enchaîner, de nous enfermer. Qu’est-ce qui peut bien nous asservir au point que nous ne trouvions de liberté que par l’action libérante du Christ ? De quoi sommes-nous esclaves pour ne pas pouvoir nous libérer nous-mêmes et recevoir du Christ la libération ?

Une seule réponse possible, aussi radicale que la libération qui met un terme à son règne : la mort. Nous sommes libérés de la mort. Comme les Hébreux, coincés entre la mer et les Egyptiens. La traversée de la mer, de la mort, les rend à la liberté. Leur liberté est une libération, non un état, une action du Dieu sauveur. Comme eux, nous ne sommes pas libres mais libérés ; c’est dire que vivre libéré, c’est vivre avec Dieu, dont le dernier ennemi est précisément la mort.

Mais enfin, ceux qui sont sans Dieu ne seraient pas libres ? Et nous qui prétendons être avec Dieu, sommes nous libres ? Cela ne saute pas aux yeux. Nous n’en avons pas fini avec la mort, c’est plutôt elle qui nous finira. Nous n’en avons pas fini avec nos esclavages, ceux de l’enfance qui nous reteint prisonniers, de la psychologie source de nombres de nos péchés au point que nous nous considérons plus malades, blessés que coupables, sans parler de l’oppression politique ou économique.

Se pourrait-il que tout cela, que parfois nous honorons quand bien même nous savons que c’est notre perte, ce que l’on appelait, peut-être pas si naïvement, faux-dieux, nous en soyons libérés ? Voilà, une fois encore non pas un état, mais une bonne nouvelle. Nous est annoncé que tout cela, c’est fini. En avant ! Heureux êtes vous !

Pouvons-nous, voulons-nous le croire ? Etre libéré n’est pas affaire de constat, comme un état des lieux ou un état de fait. Etre libéré est une aventure, celle de la réponse à une bonne nouvelle : C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés.

Une aventure où laxisme et rigorisme sont renvoyés dos-à-dos comme semblablement insignifiants. La liberté est plus douloureuse que les esclavages, et c’est bien pourquoi nous préférons nous en remettre à nos péchés, mignons ou pas, à un homme ou à une institution providentiels, à des pensées toutes faites, voire à des dieux ou à un Dieu tout puissant, à des sécurités ou assurance. L’évangile de ce jour les dénonce. Il n’y a pas de pierre où se reposer pour que rien ne nous attache ni ne nous alourdisse. Vivre libre, c’est n’être assuré de rien ; terrible euphémisme ‑ assurance vie – qui repose sur la mort de celui que l’on chérit !

Si nous sommes libérés, y compris de Dieu au point de pouvoir ne rien avoir à faire avec lui, c’est parce que Dieu se fait le serviteur de notre liberté. Nous ne sommes pas libres pour honorer Dieu, à moins que l’homme libre soit l’honneur de Dieu. Réminiscence irénéenne : la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Oui, Dieu se lie à l’homme pour servir sa liberté : c’est pour la liberté que le Christ nous a libérés. Un Dieu au service de l’homme, jusqu’à en mourir ; prêt à tout, y compris à être ignoré de l’homme pour que l’homme soit vivant, libre. Et quel gâchis si c’est pour que l’homme retourne à ses esclavages d’hier ou d’aujourd’hui, quelle abomination si être disciple de ce Dieu ne nous libère pas, si son Eglise ferme ses portes au vent de liberté.

Le prix de la liberté, un jour ou l’autre, est exorbitant. Il l’est pour Dieu, il l’est pour nous. Il faudra consentir à l’isolement. Un résistant de la deuxième guerre mondiale disait récemment : La liberté, c’est la solitude. Pour être totale, la liberté ne peut être qu’offerte par quelqu’un qui s’en fait le serviteur. Dieu se sacrifie pour la liberté de l’homme ! C’est pour la liberté que Christ vous a libérés


Textes du 13ème dimanche C : 1 R 19, 16-21 ; Ga 5, 1. 13-18 ; Lc 9, 51-62

19/06/2010

Sauver sa vie... (12ème dimanche)

« Pour vous qui suis-je ? » Non pas, pour vous qui est Jésus ? et encore moins qui est Jésus ? Nous ne sommes pas interrogés sur l’identité de Jésus. Nous sommes interpellés par Jésus, non pour donner une réponse, mais pour nous engager : Pour vous, qui suis-je ?

Et de fait, il semble que la réponse de Pierre importe peu, qu’elle est à peine rapportée. S’imposent le silence, l’annonce de la passion et un chemin pour suivre Jésus. Répondre à la question de l’identité de Jésus ne relève pas d’un savoir. Répondre à Jésus, confesser son identité, c’est s’engager sur un chemin.

L’identité n’est pas un nom mais une route ou alors l’être est chemin : « Je suis le chemin, la vérité, la vie ». Et mieux vaut se taire si l’on n’est pas prêt à se mettre en route. Il y a mensonge à dire, même parfaitement, qui est Jésus sans s’engager à sa suite. C’est bien pour cela qu’apparaissent si scandaleux les péchés des chrétiens. Comment dire Jésus et ne pas prendre sa suite ? Comment dire non à Jésus en disant son nom ?

« Que votre oui soit oui, et votre non, non. » « Pourquoi m’appelez-vous "Seigneur, Seigneur", et ne faites-vous pas ce que je dis ? » ; suit la parabole de la maison construite sur le sable ou le roc.

Ainsi, dire « Jésus » est un chemin. Et connaissez-vous route qui ne soit qu’agréable pente douce, ombragée et pleine d’agréments ? Voilà le problème : pourquoi la vie n’est-elle pas un long fleuve tranquille ? Pourquoi faut-il renoncer dès lors que l’on choisit ? Pourquoi faut-il mourir pour vivre ? Pourquoi faut-il perdre sa vie pour la gagner ?

Ce n’est pas seulement la suite de Jésus qui exige le renoncement et sa douleur. Jésus n’est pas plus exigeant que le reste. Terrible loi de la vie qui passe par la mort. Toutes ces morts depuis toujours, depuis le jour de notre naissance, depuis ces interdits des parents auxquels le petit est confronté, jusqu’à la vieillesse où l’on se voit diminué jusqu’à la mort en passant par les contradictions auxquelles se heurtent tous les adolescents : vouloir tout, vouloir la vie plus grande, et devoir renoncer pour pouvoir vouloir…

Le chemin à la suite de Jésus a toujours été rude, comme la route de la vie, un chemin de mort, un chemin de croix. Et c’est révoltant que le chemin de la vie passe ainsi par le renoncement. Car il ne s’agit pas de renoncer seulement au mal, mais à ce qui est si désirable, si bon. Je ne peux être ici avec mes amis et là-bas avec d’autres que je chéris tout autant.

Le chemin à la suite de Jésus est peut-être plus rude aujourd’hui, où l’on nous fait croire que ce n’est pas vrai, il n’y a pas à mourir. Comme il est dur le chemin pour nos enfants. Télé, pub, people, argent, tout fait croire que tout est possible. Nous pensons pouvoir gagner notre vie, la réussir et au moins la garder, la sauver. Comme une intolérable provocation, l’évangile dit : non ! Il dénonce radicalement les illusions. L’opium du peuple n’est pas forcément dans le christianisme, et l’évangile est aussi corrosif, voire davantage, que ne l’était le marxisme par rapport à la religion. Pour sauver sa vie, il faut la perdre.

Non qu’il faille renoncer à la vie, non qu’il faille, désabusé, abandonner l’espérance des promesses de la vie. Au contraire, pour ne pas rétrécir la vie à ce qui est seulement possible, à ce que je peux sauver, il faut consentir à perdre. Pour la vie plus grande ‑ trop aux yeux des dealers de l’opium contemporain ‑ il faut tout perdre. Comme c’est dur. Et avec nos enfants, avec ceux qui ne partagent pas la foi, nous sommes dans cette même et terrible aventure.

Quand nous verrons Dieu face-à-face, je crois qu’il nous demandera pardon. Il n’a pas su faire que la vie ne passe pas par la mort… Il n’a pas su créer la vie sans que le mal ne la pourrisse.

Nous n’avons pas de nom à donner à notre Dieu si ce n’est nos velléités de le suivre. Nous n’avons pas de repos assuré ‑ notre cœur est sans repos ‑ mais nous pouvons nous mettre en route. Impossible de vivre sans aimer, et aimer c’est justement ne plus rien savoir, ne plus rien maîtriser. Et là encore nous ne sommes pas aidés lorsque l’on nous fait croire, lorsque nous voulons croire, qu’il est si simple d’aimer.

Le chemin de la croix, le chemin de la mort, s’il est chemin de vie, ce n’est pas par dolorisme ou masochisme. Le chemin de la vie, s’il passe par la mort, c’est qu’il est amour, dépossession pour désencombrer des mains trop pleines et leur donner ce qu’elles ne pouvaient pas saisir. Qui le comprendra ?



Textes du 12ème dimanche du temps C : Za 12, 10-12a ; 13, 1 ; Ga 3, 26-29 ; Lc 9, 18-24

13/06/2010

Le cœur de la foi (11ème dimanche)

Posons-nous une petite question, si simple, si innocente. C’est quoi être chrétien ? C’est quoi, être disciple du Christ ? Pouvons-nous le dire en une phrase ?

Lorsque j’anime une préparation baptême, c’est le premier volet de ma catéchèse. Alors que nombre de ceux que nous croisons à l’occasion de la préparation des sacrements ne sont pas de ceux qui se croisent ici dimanche après dimanche, avant de savoir quel est le sens du chrême ou même ce que signifie le mot baptême, il importe de se dire le cœur : c’est quoi être chrétien ?

Nous pourrions faire entre nous un tel exercice, sans forcément imaginer que tous connaissent la signification du chrême ou savent que baptême désigne en grec le plongeon ou la plongée, plongée dans la mort de Jésus, pour avec lui traverser l’eau et renaître à la vie nouvelle.

Lundi dernier, une des mamans présentes en vient à dire qu’être chrétien, c’est respecter des règles. Evidemment, ce qu’elle dit n’est pas faux. Evidemment, on peut même entendre très positivement une telle réponse. Mais tout de même, cela me fait mal, cela me transperce le cœur que des gens puissent ainsi penser que le cœur de la foi réside dans l’observation de règles. Cela me fait mal, parce que ces gens sont écartés du cœur de la foi. Parce que ces gens, qui demandent peut-être pas mieux qu’à croire, quel que soit par ailleurs l’engagement qui est le leur pour vivre leur foi, ces gens n’ont pas entendu, n’ont pas su entendre, n’ont pas pu entendre le cœur de la foi.

Ne devrions-nous pas réentendre l’évangile de ce jour. N’est-ce pas la fin des règles ? N’est-ce pas la gratuité de l’amour ? Comment est-il possible que le cœur de la foi ne soit pas la gratuité même de l’amour ? Oh certes, vous pourrez mettre des règles à l’amour, et il le faudra peut-être. Mais s’il y a d’abord les règles, c’est insensé, on passe à côté du plus important.

Etre baptisés, être chrétiens, être disciples de Jésus, c’est la reconnaissance de ce que Dieu nous aime. Nous avons connu l’amour et nous y avons cru. S’il y a quelque chose à dire à ceux qui veulent savoir ce qu’est notre foi, aux enfants à qui souhaitons la transmettre, à nous aussi, c’est cela et cela d’abord, et seulement.

Regardons encore l’évangile. Cette femme n’a sans doute pas tout fait dans les règles, à la différence du pharisien Simon. Lui non plus n’est pas parfait, évidemment, mais son imperfection ne se voit pas trop, comme la nôtre. Et qui est disciple du maître ? Qui est éperdu d’amour ? Celle qui n’a pas tout fait dans les règles. Certes, on peut aussi être disciple et tout faire dans les règles, mais tout faire dans les règles n’est pas une condition, ni suffisante, ni nécessaire. Aimer est le seul sens de la foi. Ama et fac quam vis.

Il ne s’agit pas de prêcher l’anarchie, mais il n’est pas tolérable que la prédication chrétienne soit retenue comme étant celle de règles au point que l’on en oublie cette bonne nouvelle incroyable : Dieu fait de nous ses amis ; Dieu nous épouse comme la bienaimée ; Dieu nous chérit comme ses enfants.

Nous sommes aux antipodes de la religion, non qu’il s’agirait d’instruire à nouveau le procès de la religion dans son opposition avec la foi. Mais force est de reconnaître que nous ne pouvons rien faire pour Dieu, quoi qu’en pense le pharisien Simon. Et de fait, il n’a rien fait, il n’a pas même pratiqué les gestes de l’accueil. On peut se remuer, préparer un repas, on peut suivre toutes les règles et passer à côté du cœur, rater ce à quoi l’on dit pourtant tenir. Quant à oser l’impensable, qu’un Dieu, que Dieu lui-même nous aime au point de nous relever, cela finalement, est plus dérangeant, car l’amour oblige, et plus que les règles, sans mesure.

Si le cœur de l’évangile est effacé par les règles, c’est qu’il est plus simple d’observer les règles, mêmes les plus contraignantes, que de se laisser aimer par Dieu. L’opposition paulinienne de la foi et de la loi pourrait signifier exactement cela.

L’évangile est renversement total. Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés le premier. L’évangile n’est pas récompense que nous obtiendrons demain parce que nous aurons bien fait, c’est l’annonce de ce que tout est déjà donné, sans condition.

Voilà les béatitudes, l’ouverture de l’évangile : non la récompense consolante, mais la bonne nouvelle que la vie de l’homme est le bonheur, malgré la croix qu’il faut traverser, parce dès toujours, Dieu offre à l’homme le meilleur, lui-même.

Le bonheur de l’homme n’est pas dans la réussite ; nous sommes les disciples d’un perdant. Le bonheur de l’homme n’est pas dans la recherche de la vie bien ordonnée, réglée, dans la quiétude d’une aisance tant pécuniaire qu’affective, dans le savoir le plus pertinent ou la confession de l’orthodoxie. N’allons pas dauber là dessus pour autant ! Et cependant, le bonheur de l’homme est dans la reconnaissance, incroyable, de qu’il est aimé par Dieu même.


Textes du 11ème dimanche C : 2 Sa 12,7-13 ; Ga 2, 16-21 ; Lc 7,36 – 8,3

On trouvera une lecture de l'évangile par le peintre Philippe de Champaigne en suivant le lien http://berulle.over-blog.com/article-11e-dimanche-du-temps-ordinaire-52129155.html

06/06/2010

Je vous ai transmis ce que j'ai moi-même reçu (Fête du corps et du sang du Christ)

Par deux fois, à quatre chapitres d’intervalle Paul, dans sa lettre aux Corinthiens, utilise cette formule : je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu. Ce qu’il transmet ne vient pas de lui, n’est pas à lui. C’est un bien précieux, reçu pour être transmis.

Et que transmet-il, qu’a-t-il reçu ? D’abord, et nous venons de l’entendre, la fraction du pain : la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu'il vienne.

Manger le pain qui est corps, boire le vin qui est sang. Ce n’est pas seulement un rite commémoratif d’un événement dont pourtant il convient de faire mémoire selon le commandement réitéré du Seigneur : faites cela en mémoire de moi. Manger le pain et boire le sang, c’est aussi proclamer la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il revienne. C’est proclamer sa mort et attendre son retour, en attendant son retour, pour attendre son retour.

Lorsque nous venons ici rendre grâce et rompre le pain, partager et boire à la même coupe, nous sommes engagés dans une attente. Nous attendons que le Seigneur revienne. Est-ce effectivement ce que nous vivons ? Notre rassemblement, notre communion est-elle attente de Dieu ? Et comment sera-t-elle attente de Dieu sinon à être proclamation de la mort du Seigneur ? En effet, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

A qui, pour qui proclamons-nous sa mort ? Cela n’est pas dit et ne semble pas importer. La proclamation de la mort n’est pas un savoir qu’il faudrait que tous connaissent. Elle semble plutôt être l’occupation pour attendre le retour du Seigneur, comme un réveil qui nous empêche de nous endormir, comme morts, en attendant le retour du Seigneur, qui tient dans l’attente du jour de Dieu, qui transforme par l’attente chaque jour en jour de Dieu.

Voilà pourquoi nous venons communier chaque dimanche, pour ne pas nous endormir, pour ne pas mourir, pour maintenir notre veille, notre vie, pour ne pas rater le jour du Seigneur.

Il est une seconde occurrence de notre formule de transmission : Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois ‑ la plupart d'entre eux demeurent jusqu’à présent et quelques-uns se sont endormis ‑ ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.

Le contenu de la foi, la profession de foi, semble cette fois, plus explicite. Cela ne ressemble plus à un acte, comme boire et manger. Il ne s’agit pas cependant seulement d’un savoir. En fait, c’est bien un acte, un acte interprétatif. Il s’agit de lire ‑ vous avez noté la récurrence, par deux fois l’expression selon les Ecritures ‑ de telle sorte que les Ecritures parlent de la mort et de la résurrection de Jésus. Rien dans les Ecritures, dans ce que nous appelons ancien testament, ne parlent explicitement de la résurrection de Jésus. Il faut faire quelque chose, pour que mort et résurrection s’y trouvent écrites. Et ce qu’il faut faire, c’est dans le même temps repérer la communauté vivante de ceux à qui Jésus est apparu vivant.

Ceux qui font profession de foi ne récitent donc pas un credo, si le credo n’était qu’un texte appris par cœur, un contenu de savoir, une leçon d'orthodoxie. Ils mangent et boivent pour que ce jour soit jour de Dieu. Ils lisent les Ecritures pour qu’elles parlent de la mort et de la résurrection de son fils. Ils appartiennent à la communauté de ceux à qui ce Jésus apparaît vivant. Ceux qui font profession de foi sont engagés dans une action, dans une vie, manger et lire.

Ce n’est pas chacun qui croit, mais la communauté des frères qui transmettent comme Paul ce qu’ils ont reçu. Passage de témoin qui fait de chacun un témoin. Aucun témoin de Jésus ne peut exister sans les plus de cinq cents frères à la fois auxquels le Seigneur apparaît vivant. De même qu’ils ne peuvent partager le pain s’ils sont seuls ‑ avec qui partageraient-ils ? ‑ de même, ils ne peuvent comprendre les Ecritures comme évangile de vie s’ils n’ont pas reçu pour frères ceux auxquels le Seigneur a donné son Père.

Ceux qui font aujourd’hui profession de foi, ceux qui partagent aujourd’hui le pain ne sont pas seuls. Ils ne s’engagent pas, eux, devant les autres. Ils affirment qu’ils acceptent d’avoir place dans la foule immense de ceux qui cherchent Dieu, de ceux qui font de chaque jour un jour de Dieu en partageant le pain et en buvant à la même coupe, de ceux qui lisent les Ecritures comme parole de vie.


Textes de la fête du corps et du sang du Christ (Année C) : Gn 14, 18-20 ; 1 Co 11,23-26 ; Lc 9 11-17


Seigneur Jésus, tu reçois de l’humanité comme d’une mère un corps que tu livres en une passion d’amour. Viens au secours de cette humanité qui méprise sa propre chair, que ce soit par l’oppression et le mépris de trop nombreux hommes, femmes et enfants, que ce soit dans le culte du corps et le confort.

Seigneur Jésus, tu as fais de ceux à qui tu apparais vivant ton corps, chargé de rompre le pain pour que tous aient la vie, chargé de découvrir dans les Ecritures un évangile de vie. Viens au secours de l’Eglise pour qu’elle prenne la tenue de service et fasse passer la multitude à la table de ton banquet.

Seigneur Jésus, tu nous as commandé de rompre le pain pour qu’il soit ton corps, en mémoire de toi jusqu’au jour de ton jour. Viens au secours de ceux qui font aujourd’hui profession de foi. Qu’ils te connaissent présence réelle au cœur de leur vie.