30/11/2022

Jésus passe... (30 novembre Saint André)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (4, 18-22)

En ce temps-là,
    comme Jésus marchait le long de la mer de Galilée,
il vit deux frères,
Simon, appelé Pierre,
et son frère André,
qui jetaient leurs filets dans la mer ;
car c’étaient des pêcheurs.
    Jésus leur dit :
« Venez à ma suite,
et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »
    Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.

De là, il avança et il vit deux autres frères,
Jacques, fils de Zébédée,
et son frère Jean,
qui étaient dans la barque avec leur père,
en train de réparer leurs filets.
Il les appela.
    Aussitôt, laissant leur barque et leur père,
ils le suivirent.

 

Nous sommes au chapitre 4, l'évangile commence tout juste. Ce qui précède n'est que le préambule. Premier récit de Jésus au milieu des hommes.

Que se passe-t-il ? Que va-t-il se passer. Déjà trois chapitres que Matthieu ne dit rien. Suspens. Eh bien précisément, il passe. Il ne reste pas en place. Moi, j'en ai pour ma journée à regarder cela. Jésus passe en ce monde comme le Créateur dans le jardin des origines à la brise du soir.

Et que se passe-t-il lorsque Jésus passe ? Ce n'est pas un récit de vocation ; il n'y a pas de dialogue. Lorsque Jésus passe, il ne rencontre que des frères. C'est curieux non ? Statistiquement, cela ne tient pas. On ne parle pas d'autres personnes, si ce n'est à la toute fin, un père qui est laissé. Pas de compagnons, pas de compagnes.
Quand Jésus passe, tous sont frères. C'est bien pourquoi il faut laisser le père, qui n'est pas abandonné, puisque lui aussi est frère. Mais le père, quand Jésus passe, c'est un autre. C'est le père de tous les frères.
Simon et André n'ont pas de père nommé (alors qu'on connaît par ailleurs le nom du père de Simon). Et pour cause ! On ne voit pas comment un Juif et un Grec auraient le même père. C'est Jésus qui fait leur fratrie, leur fraternité.

Que se passe-t-il quand est manifestée la fraternité et indiquée incognito la paternité unique ? Les uns et les autres découvrent qu'ils sont faits pour prendre soin de ceux qui se noient, parce que la vie est une mer impétueuse pour beaucoup. Il faut pêcher les hommes parce que leur lieu n'est pas la mer-mort, mais la vie.

Mais là, j'en dit trop. Le texte se contente de relancer le suspens avec cette drôle d'expression, incompréhensible, de pécheurs d'hommes (anthrôpos et non anèr). Pêcheur d'hommes, ça fait peur, c'est pour les prendre au piège, pour les manger, dévorer le peuple, l'exploiter bestialement ? La suite seulement dira, peut-être, ce que dit l'expression, nulle part reprise dans le texte. Preuve d'ailleurs qu'il ne s'agit pas d'une vocation, d'un appel et encore moins d'une fonction.

Il s'agit d'un récit christologique, premier portrait de Jésus, celui qui par son passage, sa pâque (on est au bord de la mer comme en Egypte pour le récit matriciel du salut) révèle l'humanité à la fraternité, recrée l'humanité en fraternité.

29/11/2022

Même les dénonciateurs du cléricalisme ecclésial demeurent cléricaux !

Les rebondissements sans fin des frasques sexuelles du clergé atteignent désormais les évêques. On mélange tout, d’ailleurs, car, pour ce que l’on apprend, il ne semble pas que tous les écarts par rapport à l’abstinence constituent des délits et encore moins des crimes. Les manquements à l'abstinence ne sont pas toujours des péchés contre la chasteté. Mais le discours de morale sexuelle de l’Eglise est à ce point administré comme normatif, depuis une position de surplomb, de jugement quand ce n’est pas de condamnation, que le fait que des évêques aient un comportement contraire à ce qu’ils enseignent ne fait que rendre la saga plus misérable encore, s’il est possible.
 
Nombreux, parmi les catholiques, et semble-t-il de diverses sensibilités, ne supportent plus, demandent que l’on change la manière de gouverner l’Eglise, que l’on formule la doctrine autrement. C’est sans doute peine perdue, du moins à court terme. Les affaires qui sortiront encore sont déjà commises dans leur immense majorité. On ne peut plus rien faire si ce n'est attendre en tremblant les prochaines révélations, espérant ne pas tout mélanger, crime, délit, instrumentalisation des sacrements, rapports consentis mais contraires à la chasteté, simple coup de canif porté à l'abstinence.
 
Parmi ceux qui prennent la parole, il est des personnes aux compétences juridiques, psychanalytiques ou théologiques certaines. Pourtant, je lis sous leurs plumes des affirmations ou des manières de parler totalement fautives. L’un parle des clercs comme des « hommes de dieu », une autre des évêques comme de la tête de l’Eglise.
 
Ces auteurs dénoncent à juste titre le cléricalisme que par le choix de leurs termes, ils continuent à propager ou dont à leur insu ils continuent à être les victimes. Cela me pose un certain nombre de questions. Pourquoi pour dénoncer le cléricalisme recourent-ils à la rhétorique du système clérical ? S’agit-il de la religion archaïque qui, quoi qu’on veuille, résiste à la conversion évangélique ? Comme s’il fallait bien qu’il y ait des spécialistes de la religion, non des chercheurs d’EHESS ou d'EPHE, mais des techniciens internes à la religion, ce que les religions appellent en latin des sacerdotes. Comme si tout le travail de Vatican II, que ces auteurs connaissent, ne pouvait pas être utile au moment même où il serait de la plus grande nécessité. (Et il n'y a pas besoin d'attendre Vatican II pour savoir que l'Eglise a une seule tête, le Christ !) Comme si l’idéologie catholique était plus puissante que la foi catholique.
 
Le cléricalisme est certes l'affaire des clercs, mais tout autant celle des non-clercs qui pensent qu'il faut des clercs, ou du moins pensent avec la case "clerc".
 
Cette contradiction doit être interrogée, y compris analytiquement. Il y a quelque chose d'archaïque, infantile, à maintenir le religieux et ses structures. C'est le rêve qu'il existe une caste qui serait à l'abri des problèmes du commun. C'est précisément ce qui renforce le crime et la perversité. Le religieux est dangereux, et plus ça va, plus je vois Jésus en lute contre le religieux, plus sa condamnation, qui met d'accord Juifs et Romains, est, comme celle de Socrate, une accusation d'impiété. Faut pas toucher aux règles, surtout celles qui ne sont pas dites, mais structurent tyranniquement les sociétés.
 
Qui peut être dit homme ou femme de Dieu ? Ce n'est pas une expression de Jésus. Lui s'émerveille autant qu'il s'étonne, puisque c'est le même verbe grec, de la foi de quelques personnes qu'il rencontre. On ne sait pas d'ailleurs ce en quoi consiste cette foi. De toute façon, ce n'est jamais un statut, une cléricature, un baptême, mais un art de vivre, une pratique. Certeau parle de "pratique de la différence". Je continue à trouver cela pertinent.
 
Croire qu'il y a des hommes et des femmes de Dieu par statut, croire qu'il y a des hommes qui soient tête de l'Eglise, c'est se faire le tenant d'un système religieux, où il y aurait un sacré, préservé, pur. Mais le sacré est le lieu de la terreur, tremendum, non du sublime. Mais Jésus nous a délivrés du sacré. Le religieux et le sacré sont impossibles. Il faut en faire le deuil. Il faut les évangéliser, les subvertir par la force de l'évangile.
 
"Se raccrocher à l'impossible était notre imperfection, notre manquement, au sens premier du mot péché. On ne me demandait pas de croire en l'impossible, mais de croire et penser que la vie était tout entière dans le possible du monde. Ce qui est radicalement différent de la perversion du rêve qui me faisait croire que ce qui était impossible était possible. Oh je sens bien que c'est très difficile à saisir." (F. Boyer) Peut-être c'est cela l'incarnation, Dieu dans la chair. Le religieux n'existe pas puisque le lieu de Dieu c'est la chair, l'histoire, la vulnérabilité. Il n'y a pas de tête, il n'y a pas d'hommes et de femmes de Dieu par un statut. Il y a l'aventure humaine, avec et pour les autres, dans des institutions que nous voulons plus justes. Rien d'autre. Ou du moins, si nous cherchons Dieu, c'est là seulement qu'on le trouvera, parce que c'est ainsi qu'il vient à nous.

25/11/2022

Cours accéléré de vie éternelle (1er dimanche de l'Avent)

C’est parti pour un nouvel Avent. Mais que l’on ne s’y trompe, l’aventure de la foi ne se recommence pas comme une année scolaire ou pastorale, une vendange ou la énième édition d’un festival.

Beaucoup de catéchistes tiennent à insister sur le déroulement de l’année liturgique. Certes il est important de se repérer un peu, de savoir un minimum de choses sur ce qui règle la vie de la communauté chrétienne. Mais tout de même, on s’en moque un peu de l’année liturgique, non ? Il y a plus urgent, plus important : en quoi et comment Jésus, l’apôtre du Père, peut-il changer nos vies, les modeler selon l’amour de ce Père, jour après jour. Tout ce que nous apprenons ou savons de la culture chrétienne n’est d’aucune importance eu égard à l’enjeu d’une vie de « serviteurs à cause de Jésus ». Notre boulot de catéchistes, c’est cela.

C’est parti pour un nouvel Avent. Nous n’allons pas nous préparer à la naissance du Sauveur. Ça, c’est fait depuis plus de 2000 ans. C’est un peu tard pour s’y préparer ! Nous pouvons préparer Noël, parce qu’une fête, cela se prépare. Si vous omettez de faire des courses, le repas n’aura rien de festif, juste quelques conserves sorties au dernier moment pour pallier votre insouciance. Si vous ne prévoyez pas de cadeaux, non seulement vous aurez droit à la soupe à la grimace, mais vous serez fort gênés à recevoir ceux qu’on vous offrira.

Mais, qu’est-ce que préparer une fête de la foi ? Comment se prépare-t-on à Noël ? Depuis que l’Avent existe ­‑ pas avant le 6ème siècle – c’est un temps de conversion. Pour célébrer une fête du Seigneur, il n’y a qu’une préparation, la conversion, le renouvellement du cœur. Et ce ne peut l’affaire de quelques trucs à faire ou à refaire. La conversion est la forme ordinaire de notre quête du Seigneur. Il ne s’agit pas d’augmenter la prière comme si la prière était un truc qu’on peut augmenter. Il ne faut pas confondre plus et mieux, comme dans la société de consommation. Il ne s’agit pas d’augmenter la charité, l’aumône ou le temps de jeûne, pour les mêmes raisons.

Il s’agit de poursuivre la route du dépouillement et du service, lorsque l’on apprend à ne plus mener sa vie soi-même mais à la laisser mener par un autre, en l’occurrence Jésus. Persévérer dans le modelage de notre pensée, nos paroles, nos actes selon ce que nous voyons Jésus faire dans l’Evangile. Se remuer en vue de la conversion alors qu’on ne fait que s’agiter en rites est tromperie. A vivre comme Jésus a vécu, quand bien même nous ne confesserions pas la foi, c’est déjà ça d’hospitalité, comme une tente plantée parmi nous.

C’est parti pour un nouvel Avent. Puisque Jésus est déjà venu, ce n’est pas sa naissance que nous attendons, mais son retour dans la gloire. Le vocabulaire est mythologique ; ce ne sont plus nos manières de penser. Essayons de parvenir à une seconde naïveté, une nouveauté, celle d’une venue, passée au crible de la critique. Nos préventions contre le mythe sont aujourd’hui la condition pour entendre ce qui s’y raconte.

Son retour, c’est la fin des temps. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Cette fin n’est pas un avenir à ce point lointain qu’elle en est incertaine. La fin, c’est maintenant. Nous le lirons le jour de Noël : « à la fin, en ces jours où nous sommes, Dieu nous a parlé par son Fils ».

Attendre, veiller pour attendre. Désirer et se tenir éveillé. C’est notre tâche, ce vers quoi nous sommes tendus, car Jésus vient à notre rencontre. Vous imaginez le rater ? L’Avent est un cours accéléré pour passer du vieux monde, celui de la vie sans Dieu, à l’absolue nouveauté, ce que l’on appelle la vie éternelle, la vie avec Dieu… ici et maintenant.

Malheur à qui attend la vie éternelle après la mort. « Dieu est à l’œuvre en cet âge, ces temps sont les derniers. » L’Avent nous apprend à percevoir notre temps comme le temps de Dieu, temps de l’amour. Cela ne saute pas aux yeux ? C’est pour cela que l’on veille. Nos vies, à cause de Jésus, nous les voulons de charité, comme Jésus. Ainsi devine-t-on, même si peu, désire-t-on contre tout réalisme, la vie-à-jamais. N’allons pas la rater !

Dieu prononce un non sans faille au mal, un oui à la vie, parce qu’il nous veut comme lui, vivants. Le jugement dernier fait la vérité ; cela signifie que Dieu peut enfin être reconnu pour ce qu’il est (Rm 14, 11-12) « Le monde ancien s’en est allé. » Le monde est déjà jugé. Verdict : Dieu a tant aimé le monde.

21/11/2022

Dis-leur

Dis-leur…

Dis-leur
ce que le vent dit aux rochers,
ce que la mer dit aux montagnes.


Dis-leur
qu'une immense bonté
pénètre l'univers.


Dis-leur
que Dieu n'est pas ce qu'ils croient,
qu'il est un vin que l'on boit,
un festin partagé
où chacun donne et reçoit.


Dis-leur
qu'il est le joueur de flûte
dans la lumière de midi :
il s'approche et s'enfuit
bondissant vers les sources.


Dis-leur
que sa voix seule
pouvait t'apprendre ton nom.


Dis-leur
son visage d'innocence,
son clair-obscur et son rire.
Dis-leur
qu'il est ton espace et ta nuit,
ta blessure et ta joie.


Mais dis-leur aussi
qu'il n'est pas ce que tu dis
et que tu ne sais
rien de lui.

 

 

CFC (s. Marie-Pierre)
1973

18/11/2022

Prêtres, prophètes et rois (Christ, roi de l'univers)

Il existe une fête du Christ-roi. Elle n’est pas ancienne, 1925, quelques années après la fin de la guerre, quelques années après la prise de pouvoir par les Bolcheviques en 17. Malgré l’Encyclique de Léon XIII en 1893, invitant les catholiques français à rallier la République et à cesser de rêver à un retour à l’Ancien Régime, la fête peut paraître souffler dans les voiles monarchistes. Un pas en avant, deux pas en arrière ?

Une étude des oraisons et des lectures de 1925, celles de 1962 et 1969 montre que la l’Eglise a modifié sa compréhension de la fête. On ne prie plus pour que les gouvernants des peuples offrent un culte public au Christ, pour que les maîtres et les juges l’honorent, que les arts et les lois chantent sa gloire (office de Vêpres). La fête n’est ni la promotion d’un type de régime ni l’inféodation des dirigeants au Christ. La laïcité, l’autonomie des réalités terrestres et l’acceptation de la démocratie sont passées par là. La fête se veut plus théologique, reconnaissant la seigneurie du Christ sur l’univers. Les textes bibliques travestissent encore davantage la fête, mettant en scène un roi de comédie, ou plutôt du drame du mal. Son trône est une croix, il règne en servant ; il n’est pas roi à la manière du monde ; sa loi qui est vie édicte que le chemin vers Dieu n’est autre que le chemin vers les frères, à commencer ceux qui sont massacrés par l’existence.

Il existe une fête du Christ-prêtre éternel. Elle est peu célébrée en France même si son origine se trouve dans l’Ecole Française, il y a un peu moins de quatre siècles. Adoptée en Espagne comme fête du calendrier propre juste avant la fin du franquisme, elle développe une théologie du sacerdoce des plus problématiques, de celles qui supportent et édifient le cléricalisme tant dénoncé par l’actuel évêque de Rome. C’est le prêtre qui est alter Christus et non le baptisé. Et même si le but est louable d’encourager par-là la sainteté du clergé, n’est-ce pas au prix d’une dépréciation du baptême ?

Si vous vous rappelez la triple identité baptismale que le Concile Vatican II introduit avec l’onction du chrême, configurant le néophyte au Christ, prêtre, prophète et roi, vous êtes fondés à chercher une fête du Christ prophète. Que je sache, il n’y en a pas.

Je me garderais bien de m’en faire le promoteur. Mais le fait interroge. Car la thématique du Christ prêtre est quasi inexistante dans le Nouveau Testament. L’épitre aux Hébreux est le seul document qui parle ainsi ; ce faisant, il met fin au sacerdoce ! On se frotte les yeux à voir qu’elle lecture en est faite, quelles conséquences en termes de structure ministérielle pour l’Eglise en ont pourtant dérivé. La royauté de Jésus a pour elle d’être un peu plus testamentaire, quand bien même Jésus se soustrait aux foules de peur qu’on ne le fasse roi. Elle n’est pas de ce monde sans pourtant ériger un arrière-monde : le recadrage de la royauté par Jésus dénonce le pouvoir. Quelques monarques l’ont bien compris qui, retournés, convertis par exemple par le message du Poverello, ont voulu vivre la fraternité et la pauvreté. Ainsi Louis IX ou Elisabeth de Hongrie, tous deux au treizième siècle. Jésus était le modèle du roi et non la royauté un titre pour Jésus !

Il est vrai, le titre de Christ, ou plutôt en hébreu de Messie, plonge ses racines du côté de la royauté davidique, roi berger qui a reçu l’onction de sainteté. Les rois réussiront à être sacrés et les prêtres voudront aussi une onction ; celle des baptisés deviendra.

Fin du sacerdoce, subversion de la royauté. Et la prophétie ? Car s’il est une des trois figures qui convient à Jésus, c’est bien celle-là. Jésus agit et parle comme les prophètes. Il agit et parle au nom de Dieu. On trouvera sans doute que ce n’est pas dire assez et que « Fils de Dieu » est plus pertinent, d’autant plus que, quelques siècles plus tard, on se gardera de parler de Jésus comme les Musulmans le font du Prophète !

Avec Jésus prophète, c’est une christologie discrète qui s’élabore, critique aussi tel le fou du roi qui dénonce la comédie du pouvoir ; le courtisan est faux-prophète. Une christologie de la discrétion de Dieu s’accorde bien avec la situation de l’Eglise, qui ne peut pas trop la ramener, ces temps. Elle est assez fidèle à Jésus que d’aucuns ont reconnu être la source d’une pastorale de l’enfouissement ; Jésus va dans le monde incognito, se dissimulant sous les traits du maudit qui pend au gibet. Elle ouvre un chemin pour la mission. La moins mauvaise de parler de Dieu est le service des frères ‑ Mt 25 est l’évangile de l’année A ! Assez des discours, assez de la grandiloquence. Roi, prêtre, et pourquoi pas empereur ou pape pendant que vous y êtes ! Retroussons nos manches pour servir ces petits qui sont les siens. Nous serons prophètes, selon l’attestation baptismale… et la prophétie : vos fils et vos filles prophétiseront (Jl 3, 1 : Ac 2, 17).

12/11/2022

La tendresse. Maurice Bellet

Extraits de L'explosion de la religion, Bayard, Paris pp. 76-81

L'homme et la femme sont faits pour aimer ou, plus justement, c'est d'être en l'amour qui leur donne d'être. [...]
Le lieu de la tendresse est ce jardin où se tient le plus grand respect de toute vie en même temps que la main de l'homme y a mis cet ordre où il trouve sa paix et sa joie. C'est amour réciproque. [...]
Sur ce chemin où nous sommes la solitude est mortelle car elle atteint l'être humain au principe de son être. La solitude,  bien sûr est possible ou souhaitable quand en amont ce tient ce juste rapport ; mais s'il manque, quel malheur ! On le voit par ces enfants qui n'ont pas eu un peu au moins de cet amour-là : ils entrent en cette détresse qui les fait amis de la mort.
L'enfant, certes, est d'abord au moment de recevoir. Mais bien recevoir, c'est devenir celui qui donne et entre ainsi dans cette communication des vivants. [...]
La tendresse partagée devient et demeure cet espace où l'être humain n'est pas d'abord pris dans les réseaux infinis de la violence - de ce qui tue jusque dans la vie elle-même.
Pour que le jardin ne soit pas détruit par les bêtes sauvages, il faut veiller. [...]
C'est sur fond de l'inaltérable, de l'invincible volonté que soit sauf et que soit vif le lien de liberté qui fait de deux ou plusieurs l'intimité bienheureuse où, bien qu'ils soient mortels, les humains n'ont plus le goût de mort.
Bien sûr, c'est particulièrement vif dans le couple [...] mais c'est vrai en amitié. [...]
On peut juger interdite et même impossible une relation d'amour qui se tient en dehors des formes établies,  mais qui correspond entre ceux qui s'aiment à un don très précieux en cette région primordiale où l'enjeu est d'exister. Ils se donnent l'un à l'autre la primitive assurance, qui guérit leur corps et leur âme de ce vertige de destruction où tout se défait et où l'éthique est impuissante.

11/11/2022

L'Eglise des pécheurs

L'Eglise des pécheurs
 
Louange à Dieu pour cette ville
Bâtie de sang, bâtie d’argile,
Dont une croix marque le cœur,
Ville-refuge des pécheurs
Où le plus faible a droit d’asile.
 
Nous la voulons d’humble patience,
Ville sans armes, sans défense,
Que nul empire ne soumet ;
Quand on la dit morte à jamais
Plus haut s’élève sa confiance.
 
Entre l’exil et le Royaume,
C’est la cité tournée vers l’aube
Comme un navire vers le port ;
Même dans l’ombre de la mort
Elle proclame que Dieu sauve.
 
Cité de veille sur le monde,
Son espérance prend en compte
Le cri du pauvre et du captif :
On y entend la voix du Fils
Et mille voix qui lui répondent.
 
CFC (s. Marie-Pierre)
1986

 

09/11/2022

Dies irae, dies illa (Dédicace du Latran, 9 novembre 2022)

C’est fête, nous fêtons la dédicace de la cathédrale de l’évêque de Rome. La liturgie impose que nous chantions Gloire à Dieu. « Nos vainqueurs nous demandèrent des chansons, et nos bourreaux, des airs joyeux : "Chantez-nous, disaient-ils, quelque chant de Sion". Comment chanterions-nous un chant du Seigneur ? »

« Voyez votre misère, prenez le deuil, pleurez. Que votre rire se change en deuil et votre joie en tristesse. » Il est plus urgent de relire la lettre de Jacques (4, 9) que de se livrer à la louange de l’institution épiscopale.

Dies irae, dies illa.

Je suis désolé si je choque avec ces propos. Mais je n’en peux plus. « Non possumus ! » Expression ecclésiastique de refus motivé pour des raisons de foi.

Nous sommes abasourdis par le communiqué de Jean-Pierre Ricard rendu public le 7 novembre par Eric de Moulins-Beaufort. Nous imaginons le coup de massue pour l’assemblée de Lourdes et nous nous sentons proches des évêques. Mais ce matin, il est avéré qu’Eric de Moulins-Beaufort est au courant depuis février au moins, tout comme Jean-Philippe Nault, lequel n’a signalé les faits au procureur que le 24 octobre, neuf mois plus tard. Jean-Marc Aveline est aussi au courant, je ne sais depuis quand. Hans Zollner commente laconiquement : « Un grand pas en avant, même s’il arrive bien tardivement. »

Ils savent et n’ont rien dit. C’est normal, ils vérifient les sources. C’est normal, il faut avaler le coup. Mais Jean-Pierre Ricard reconnaît les faits chaque fois. Le doute n’est pas permis.

Le discours de clôture de l’assemblée plénière, hier, se fait humble. Il redit ce que nous n’avons cessé de croire ‑ faut pas nous prendre pour des débiles ‑ que la sainteté de l’Eglise est celle de Dieu et non la nôtre, ni celle bien sûr des évêques, qui sont des nôtres. Je le crois. L’évangile engage à cela, parce que le chemin de Dieu est celui des frères et sœurs, et réciproquement. Il n’en a pas d’autre.

La lecture de la lettre de Ricard est une sordide mise en scène qui n’aura trompé que deux jours. Rouler ainsi dans la farine le saint peuple de Dieu, de la part d’évêques de surcroît, c’est sacrilège, car ce peuple est le lieu que Dieu a choisi pour demeure. Le sacrilège est puni d’excommunication. On ne rigole pas avec ces choses-là. Les fautes de Michel Santier et Jean-Pierre Ricard en deviennent secondes, d’autant que la prescription, que je pense légitime, joue vraisemblablement ; c’est dire. Non possumus !

Pour moi du moins, la confiance déjà bien abimée par Philippe Barbarin et quelques autres, est rompue. Je peux raconter non pas les péchés ou les erreurs, mais la perversion, le mensonge, la dissimulation, le harcèlement de ces messieurs. Je ne sais où cela me mènera. Comment célébrer la dédicace d’une cathédrale, église de l’évêque ?

Ce qui nous retiens aujourd’hui, que nous prononcions ou pas le non possumus, c’est que la parole de l’envoyé du seul Saint continue de faire vivre, et nous, et d’autres. C’est que porter cette parole, malgré notre faute à nous aussi, et nous la connaissons, est, par-dessus toutes les autres, notre raison de vivre. Nous savons que la rencontre des frères et sœurs, au nom de Jésus, le plus souvent incognito comme Jésus lui-même, est le sang que nous cherchons à faire couler toujours plus en nos veines par la force de l’altissimi donum Dei.

Relisons notre première lecture : « Que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction. La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ. Ne save[nt-ils] pas que [nous sommes] un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en [n]ous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (1 Co 3, 11. 16-17)