29/05/2010

Prêcher la Trinité

Prêcher la Trinité. Ainsi s’intitulait une thèse de doctorat d’un prêtre de Lyon dans les années 70. Il s’agissait pour lui d’en finir avec cette évidence communément partagée que la Trinité est une abstraction réservée aux spécialistes, un sujet de disputes byzantines, sans aucun intérêt pour la vie chrétienne au jour le jour.

Prêcher la Trinité, parce qu’à faire l’impasse sur un dogme sous prétexte que personne n’y comprend rien, on rate le cœur de la foi, on passe à côté de ce que la prédication évangélique a de plus propre. Prêcher la Trinité, même si cela empêche le dialogue interreligieux d’aboutir à un consensus sur Dieu, parce que le Dieu réduit au plus petit commun dénominateur n’a pas plus de rapport avec le Dieu de Jésus qu’un plat de Resto U avec la gastronomie.

Mais alors comment prêcher la Trinité pour que l’on puisse comprendre ? Comme Jésus, ai-je envie de répondre, même s’il n’a effectivement jamais prêché la Trinité. Il aurait fallu qu’il sût qu’il était Dieu ! Prêcher la Trinité comme les Apôtres, Paul et le Actes en premier lieu. Ils ne l’ont jamais fait non plus, du moins n’ont jamais utilisé ce mot. Et pourtant, à la suite de Jésus, ils ont parlé du Père, du Fils et de l’Esprit. Ils ont raconté l’histoire de Dieu comme une communion, une vie de don, de joie trouvée à s’offrir à l’autre, à permettre à l’autre de s’offrir.

Comme toujours, il suffit de faire comme Jésus, de faire comme les Ecritures. Est-ce si simple ? Et n’est pas ce qu’ont fait les Pères de l’Eglise lorsque précisément ils se sont mis à parler de Trinité ? Si bien sûr. Et justement qu’ont-il fait ?

Ils ont évangélisé le visage de Dieu, la conception de Dieu, la conception païenne de Dieu, du Dieu archaïque. Et que l’on ne croie pas que parce que nous sommes en 2010, que parce que la dogmatique chrétienne est bimillénaire, on en aurait définitivement fini avec le dieu archaïque. On n’en a jamais fini avec le Dieu païen, que l’on soit croyant ou pas, que l’on soit chrétien ou pas. Sans doute les religions sont-elles, aussi paradoxal que cela paraisse, plus libres de l’archaïsme que l’athéisme ou l’indifférence religieuse. Et cependant, même en catholicisme, on n’en a pas fini avec cet archaïsme, et cela pourrait justement se mesurer à la fréquence, à la structure, à la nécessité de notre prédication de la Trinité.

Le dieu archaïque est celui que l’on craint, celui que l’on prend pour un magicien, jusque dans la prière, sorte de marchandage où jouerait la logique de la causalité. Le sacrifice, les cierges et les mortifications seraient la monnaie – de singe ! ‑ avec laquelle on l’achète, on s’assure une grâce. Parce que l’on a accompli un rituel de façon aussi scrupuleuse qu’un pointilleux remplit un formulaire administratif, on est convaincu que telle guérison a été obtenue, quand bien même l’on dit savoir que la gratuité du don de Dieu ne s’achète pas. A la fois on a coloré l’archaïsme religieux d’un peu d’évangile, reconnaissant la gratuité, à la fois, au moins à l’esprit, vient la nécessité de faire quelque chose.

Or la Trinité, le Dieu Trinité, le Dieu de Jésus-Christ, le Dieu que l’Esprit permet d’invoquer est le Dieu le plus critique, au-delà de ce que l’on peut imaginer, de l’imaginaire archaïque et religieux. Il ne peut plus jamais y avoir d’idole, plus jamais de crainte du dieu conscience, plus jamais d’asservissement, parce que celui qui aurait pu réduire l’homme à l’esclavage par sa grandeur, est révélé comme le serviteur de la joie de l’homme, de la vie de l’homme. En Jésus, il se dépouille se faisant l’esclave, venu servir et non être servi. Et il faut bien que Jésus soit Dieu si l’on veut que ce qui se joue en cet homme dise Dieu, détrône en dissipant le mirage, la toute puissance du dieu archaïque.

En retour, si Dieu n’était pas le Tout puissant serait-il encore Dieu ? Si Dieu n’était pas l’absolu transcendant inaccessible, impossible pour l’homme, ne serait-il pas qu’une idole, ouvrage de mains ou de pensées humaines, façonné à l’image de l'homme ? Comment l’homme pourrait-il s’adresser à Dieu, si Dieu est Dieu ? Comment, même avec un Dieu serviteur, l’homme pourrait-il converser avec Dieu comme avec un ami, si Dieu n’en avait l’initiative, si Dieu le premier ne s’était offert, ne nous avait aimés, si Dieu ne nous offrait son amitié, sa philanthropie ?

L’Esprit est en nous Dieu qui donne à l’homme de connaître, d’aimer, de vivre avec Dieu. Au Dieu qui se fait serviteur pour que l’homme soit Seigneur répond dans le cœur de cet homme divinisé, l’Esprit qui chante la louange du Père, par lequel le Père fait de nous des fils et filles dans le Fils premier né. Comme Dieu est, si l’on peut oser cette manière de parler de ce que nous ne pouvons pas connaître, il est aussi dans l’humanité, entrainant en sa vie ceux qu’il aime, source de vie jubilante, donnée et reçue, remerciement et acquiescement, amen. Par l’Esprit, nous avons part à la tendresse libératoire qui tourne le Fils vers le Père en réponse à l’amour de Dieu.


Textes de la fête de la Trinité C : Pr 8, 22-31 ; Rm 5, 1-5 ; Jn 16, 12-15


Esprit qui nous donne d’entrer dans l’intimité de Dieu, souffle dans l’Eglise la force de l’action de grâce, de l’Amen. Fais la participer à l’œuvre du Fils qui trouve sa joie à être tourné vers le Père, à demeurer dans le sein du Père.

Esprit qui plane sur les eaux avant même le premier matin du monde, continue l’œuvre de création de ceux en qui le Père se complaît. Que libérés de tous les esclavages, y compris religieux, les hommes reconnaissent en Dieu le serviteur de leur joie.

Esprit de consolation, force des malades, pénètre comme une onction ceux qui sont accablés par les douleurs, ceux qui ont été détruits par l’homme inhumain.

21/05/2010

Professionnels du remerciement (Pentecôte)

Certains d’entre nous prennent part pour la première fois au banquet eucharistique. Ils poursuivent leur initiation chrétienne. Ils deviennent initiés, ils prennent part à l’action de grâce. Ils rejoignent la communauté de professionnels du remerciement. N’est-ce pas en effet ce que nous sommes, ce que signifie notre état de chrétiens initiés à et par l’action de grâce, ayant part à l’eucharistie ?

Action de grâce, expression dont on ne sait guère plus ce qu’elle signifie que son équivalent grec, eucharistie. Action de grâce, eucharistie, remerciement. Mais de quoi remercier ? Et qui remercier ? Et comment remercier ? Les chrétiens sont ceux qui remercient, qui rendent grâce à Dieu en faisant eucharistie. S’ils remercient, c’est donc que Dieu a donné. Et qu’a-t-il donné sinon lui-même, de sorte que c’est à sa vie que nous avons part. Vivre, pour nous, n’est pas affaire seulement de biologie, aussi nécessaire que ce soit cependant. Vivre pour nous n’est pas affaire seulement de relations humaines aussi importantes qu’elles soient.

Vivre, c’est comprendre notre existence comme un don. Dieu lui-même se donne à nous et dans ce don, nous existons. Dieu s’offre à ce qui n’existe pas encore pour le recevoir et qui existe par ce don. Que nous le sachions ou pas, que nous le voulions ou pas. Il se donne gratuitement et c’est la vie, la nôtre aussi.

Comment fera-t-il pour ne pas s’imposer, pour se proposer seulement, alors qu’il est la source qui fait jaillir la vie ? Comment pourrait-il ne pas être le tyran qui oblige ceux qui n’ont rien demandé et ne peuvent exister qu’à venir de lui ? Notre Dieu ne s’impose pas. Il se retire au moment même où il se donne. Notre Dieu, on peut fort bien ne pas le connaître, ne pas le reconnaître, ne pas lui être reconnaissant. La vie, sa vie, lui, demeure donné.

Beaucoup d’hommes et de femmes, autour de nous et de partout dans le monde, n’ont jamais entendu que notre Dieu s’offre ainsi ? C’est dire combien il est discret ; vraiment Dieu ne s’impose pas, à tous les sens du terme. Nous voyons la vie, biologique, humaine, pour le pire mais aussi heureusement pour le meilleur. Point besoin de connaître Dieu pour en vivre. Et justement, sont chrétiens ceux qui reconnaissent, là encore aux deux sens du terme, ceux qui voient dans la vie le don de Dieu et l’en remercient. Voilà pourquoi nous sommes professionnels du remerciement.

Et comment faisons-nous pour remercier ? Nous tendons encore les mains. Pour faire eucharistie, pour remercier, nous n’offrons rien ; pire nous recevons encore, nous tendons les mains en mendiants. Et qui pourrait donner sinon lui, la source du don, lui le don, lui la vie qui est don ? Nous ne remercions pas de ceci ou de cela, nous ne faisons surtout pas action de grâce après l’eucharistie, comme si nous remerciions pour cette hostie minuscule ! C’est absurde. Si l’eucharistie est un rite et un sacrement, c’est qu’elle n’a pas de sens en soi mais par rapport à ce qu’elle signifie et opère. Nous remercions Dieu pour lui même, parce qu’il est Dieu, parce qu’il est don, gratuit, et c’est encore lui qui nous donne de pouvoir rendre grâce. Et ce don nous fait vivre, et cette reconnaissance nous fait vivre, et cette reconnaissance est notre vie.

Voilà pourquoi on ne saurait remercier Dieu autrement qu’à tendre encore les mains. Voilà pourquoi on ne saurait rater l’action de grâce, parce que c’est là que nous reconnaissons la source qui fait vivre, l’absolue gratuité du Dieu qui s’offre sans s’imposer. Puissions-nous être heureux de l’avoir découvert. Et si c’est notre vie d’être initiés à et par l’eucharistie, si c’est vivre pour nous que d’être des professionnels du remerciement, comment pourrions-nous ne pas être là régulièrement – chaque dimanche – pour exercer notre profession, notre vocation (c’est le même mot, ce que l’allemand dit encore Beruf et Berufung), pour vivre.

Une dernière question qui s’impose en cette fête de la Pentecôte. Qui remercie ? Est-ce vous et moi ? Est-ce ceux qui aujourd’hui communient pour la première fois ? Oui et non. Et plutôt non que oui. Ce n’est pas moi ni toi. Qui sommes-nous pour ainsi vivre dans la proximité de Dieu et oser tendre les mains ? Je parie que dès la semaine prochaine, plusieurs d’entre nous ne reviendront même pas rendre grâce !

Ce n’est pas toi ou moi, c’est nous, nous tous ensemble, avec ceux qui nous ont précédés, depuis Abel le juste jusqu’au dernier homme. C’est le peuple immense de ceux qui cherchent Dieu qui rend grâce, qui fait eucharistie. Non parce qu’il en aurait la compétence, bien que remplis de professionnels ! Mais parce que Dieu lui-même lui en donne, encore, le pouvoir. Et ce pouvoir de rendre grâce c’est lui-même, c’est une force venue d’en haut, c’est l’Esprit. De sorte qu’en tenant notre mission de remerciement, nous prenons notre place dans le corps que l’Esprit anime, par lequel il chante lui-même le remerciement en faisant vibrer nos gorges lorsqu’il souffle en nous. Poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l’appelant Abba ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui affirme à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

Viens Esprit de sainteté, viens force d’en haut, viens nous donner de reconnaître l’amour qui nous est offert par le Père, de nous tenir reconnaissants dans la joie de sa présence, de tendre encore les mains, à la suite du Fils, d’avoir l’audace de les tenir ouvertes et tendues, comme des mendiants.



Textes de la Pentecôte C : Ac 2, 1-11 ; Rm 8, 8-17 ; Jn 14, 15-26



Esprit de Dieu, feu et lumière, embrase l’Eglise, le corps que le Christ s’est choisi, pour qu’elle brille d’une sainteté plus forte que son péché, pour qu’elle ait l’audace de porter un peu de lumière à tous ceux qui cherchent à reconnaître en Dieu un Père qui aime ses enfants.

Esprit de Dieu, souffle de vie, traverse et repose sur le monde, pour qu’il soit ressuscité, relevé de la mort avec le Christ, pour qu’il se comprenne peuple de frères, appelé à la fraternité, le respect de tous, le partage entre tous.

Esprit de Dieu, doigt de Dieu, touche ceux qui parmi nous tendent leur main pour la première fois afin de recevoir de pouvoir remercier le Dieu de la vie, le père de Jésus. Avec eux, apprends-nous à demeurer des mendiants. Apprends-nous à vivre heureux de tout te devoir. Apprends-nous à vivre heureux de cette dette, heureux de vivre en dette.

12/05/2010

La fin des sacrifices (Ascension)

L’épître aux Hébreux propose une compréhension de Jésus à partir des rites de l’ancien Israël, lorsque le temple accueillait les sacrifices. Ainsi, essaye-t-on de comprendre Jésus à partir du propre d’une religion, cultes et rites. Ce n’est pas seulement l’ancien Israël qui sert de comparaison, mais toute religion, s’il est vrai qu’en toutes, il y a des sacrifices et des rites, des prêtres ou sacrificateurs et des offrandes.

Pourquoi lire encore l’épître aux Hébreux dans une civilisation non religieuse comme la nôtre ? S’il n’y a plus rites ni cultes aujourd’hui, l’évangile de l’épître aux Hébreux fait-il encore sens ?

Il faudrait être certain qu’il n’y a plus de sacrifices rituels dans nos civilisations modernes. Le dieu voiture n’engloutit-il pas chaque année des milliers de mort dans un arbitraire aussi implacable que le destin des Grecs ? C’est le prix à payer à la route : que l’on consente que certains y meurent ou soient marqués dans leur chair à jamais par les blessures ou le handicap. Le dieu de l’argent a lui aussi son culte. Son temple est une bourse, ses lois celles de l’économie devant lesquelles on ne peut que s’incliner. Se dresser contre est un sacrilège qui plus est absurde. On immole des milliers d’anonymes au nom des lois du marché et de la finance. Il semble d’ailleurs n’y avoir jamais assez de victimes !

Contrairement aux apparences, le sacrifice existe encore ; il explique bien des comportements contemporains. Les faux dieux ne sont pas morts, même dans une société qui se croit sans dieu. La société moderne a tué Dieu mais c’est comme si elle ne le savait pas, continuant à sacrifier. Alors l’épître aux Hébreux pourrait être aussi pertinente que toujours. Elle parle de ce que nous vivons, du culte que nous rendons aux dieux alors même que nous pensons nous en être débarrassés puisque nous ne croyons plus en Dieu.

Que dit l’épître ? Non pas seulement la fin des sacrifices de la première alliance, ni de ceux qu’ils pourraient représenter, les sacrifices des religions. Elle dit aussi la fin des faux dieux et donc des sacrifices qu’on continue à leur offrir, culte du corps, dieu de l’argent, revendication de nos sacro-saints pouvoirs, dévotions aux astres et aux loteries. L’épître en parlant du sacrifice du Christ dit plus encore qu’il nous faut changer notre définition de Dieu, notre conception ou compréhension de Dieu.

A y regarder de près, la mort du Fils n’est pas un sacrifice, au sens des religions ou au sens de la critique de nos civilisations dites développées. Nous l’avons entendu : « Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire […] il est entré dans le ciel même. » Il n’y a plus de sanctuaire, ou alors les cieux, mais justement, le mot n’est pas employé. Certes, le mot sacrifice l’est, mais n’est-ce pas justement pour montrer qu’il s’agit d’autre chose que ce que l’on appelle sacrifice. Et ne pas voir la différence, c’est lire trop vite, c’est passer à côté de la Bonne nouvelle de l’épître, c’est conserver le vieux dieu et ne pas se convertir au Dieu de Jésus Christ.

Le Dieu annoncé par Jésus est tellement éloigné du dieu des religions et de toutes nos idoles contemporaines que nous refusons d’admettre qu’il faut changer nos conceptions de dieu. Paul, dans l’épître aux Romains, dans un contexte de culte nouveau aussi écrit : Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l'intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait.

Il n’y a plus de sacrifice, au sens où nous offririons à Dieu ce qui pourrait lui plaire, ce qui évidemment nous coûterait le plus, puisqu’évidemment, Dieu ne peut que vouloir que l’homme en bave ! Il y a Jésus qui, par sa vie et sa mort, offre à tout homme de pouvoir être fils. Il n’y a plus la toute-puissance divine concurrente de la grandeur ou de l’autonomie de l’homme, mais l’adoption filiale, l’amour d’un Père qui se dépossède de tout pour que nous soyons enrichis de sa propre vie.

Ce retournement, ce changement de dieu, n’est pas un échange d’un dieu moins bien pour un dieu meilleur voire le meilleur. Il est la critique de tous les dieux, y compris ceux que nous n’appelons plus dieux mais auxquels pourtant nous sacrifions, y compris du Dieu chrétien quand il n’est pas converti radicalement au Dieu de Jésus-Christ. Parce que le Christ se retire et entre dans les cieux, il laisse l’homme libre de croire. Il ne s’impose plus à réclamer les sacrifices, arbitraires et implacables. Seul un Dieu qui se vide de lui-même, ainsi que le dit Paul dans l’hymne aux Philippiens, seul un Dieu qui se retire, peut laisser surgir dans l’absolue liberté, y compris celle de croire, la grandeur d’hommes et de femmes dont la dignité humaine n’est pas réduite par la toute-puissance divine.

Le grand inquisiteur de Dostoïevski pense qu’un tel Dieu ne peut que rater, car une telle liberté est trop lourde pour l’homme, et heureusement, selon lui, l’Eglise a rattrapé le coup en réduisant la liberté et en réintroduisant la religion et le sacrifice ! A nous de savoir de quel côté nous sommes, celui de l’inquisiteur ou celui de Jésus. Rassurez-vous, rappelez-vous, lorsque Jésus quitte l’inquisiteur, il l’embrasse comme pour lui rendre la vie, pour rendre l’esprit, une fois encore…


Textes de l’Ascension C Ac 1,1-11 ; He 9,24-28. 10,19-23 ; Lc 24,46-53


Seigneur, ton départ nous laisse désemparés. Il nous faut inventer les chemins de notre fidélité. Il nous faut affronter ton absence. Envoie ton Esprit, qu’il donne son souffle de courage à ton Eglise. Que par la force de l’Esprit, l’Eglise avec lui appelle : Viens !

Seigneur, ton absence de ce monde offre au monde la liberté. Mais souvent, il en use pour choisir de nouveaux esclavages. Mais souvent, il en use contre toi, contre lui-même. Envoie ton Esprit, qu’il donne à tout homme le souffle de la liberté. Que par la force de l’Esprit, le monde apprenne à reconnaître le vrai visage du Père.

Seigneur, ton ascension dans le ciel est une espérance pour tous ceux ici qui n’en peuvent plus de la souffrance. Envoie ton Esprit d’espérance pour qu’ils découvrent en toi le premier d’entre les morts, le premier fils des hommes, qui ait part à la vie même de Dieu. Que par la force de l’Esprit, dès maintenant et malgré tout, nous découvrions que la vie éternelle est déjà commencée.

07/05/2010

Puissions-nous avoir le souffle de l'annoncer présent alors qu'il semble si loin (6ème dimanche de Pâques)

Le Seigneur est-il parmi nous ? Drôle de question ! « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux » (Mt 1820) confie-t-il aux disciples. Drôle de question si nous sommes rassemblés pour célébrer l’eucharistie, sacrement de sa présence.

Et pourtant, « Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais et je reviendrai vers vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, parce que le Père est plus grand que moi. Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez. » C’est au chapitre 14. « Il vous est bon que je m’en aille » répète Jésus deux chapitres plus loin (Jn 167).

Le Seigneur est-il parmi nous ? S’il était là, son Eglise pourrait-elle être à ce point malmenée par les vents violents de l’extérieur et par les secousses criminelles de l’intérieur ? S’il était là, pourquoi donc si peu de ceux que nous aimons et dont nous connaissons la volonté de vivre sérieusement, humainement, ne le voient nulle part, et en particulier ni dans notre rassemblement du dimanche, ni dans le pain partagé ?

Ce que nous appelons présence réelle peut-il ne pas ne pas dénoncer une absence tout aussi réelle. Car si le Seigneur était là, qu’aurions-nous encore besoin de recourir au sacrement ? Si le Seigneur était là, pourquoi faudrait-il le pain et le vin pour dire sa présence ?

C’est que sa présence n’est pas du type de celle des objets qui sont là ou n’y sont pas. Sa présence n’est pas un objet, un quelque chose. Nous ne sommes pas des matérialistes, et surtout de l’eucharistie, nous ne voulons pas en faire un objet, la réduire à une présence matérielle. Ce serait l’idolâtrie au lieu de la foi, la fixation sur la vanité de l’idole plutôt que la quête de la foi.

Déjà des personnes, nous pouvons dire qu’elles nous sont présentes alors que matériellement elles ne sont pas là, ou que là physiquement, elles sont ailleurs, pensent à autre chose. Etre présent pour nous, c’est une autre histoire que de nous trouver ici ou là. C’est nouer une relation, c’est être en alliance, c’est l’appel adressé à ou par autrui à demeurer avec lui, ici ou malgré les kilomètres qui peuvent nous séparer. La réalité de la présence se joue ici, dans la vérité d’une relation, quelles que soient les distances. Et il faut toujours une distance, même infime, sans quoi, c’est la fusion, la destruction de la relation, la confiscation de l’altérité.

Absence et présence ne s’opposent pas. Elles sont condition l’une de l’autre. Pas de présence sans absence.

La présence réelle est celle d’une vérité absente, indisponible. Et dans l’intervalle de l’absence qui rend possible la présence se glisse le souffle, celui de la parole, celui de l’amour, celui de la caresse, qui jamais ne prend ni ne bat mais qui laisse un peu d’espace pour que vibrent les corps ainsi qu’une flûte ou le vent dans les arbres.

Le souffle qui se glisse dans l’absence rend possible la présence, dans l’absence qui n’est plus abandon mais don de la présence. ce souffle c'est l’Esprit, celui que Jésus promet, en ce chapitre 14 de Jean comme encore au chapitre 16.

Que le Seigneur ne soit pas là, parmi nous, c’est ce qui nous fait encore le chercher alors que nous sommes ses disciples. Seuls les disciples le cherchent. Connaissez-vous des non-croyants qui cherchent Jésus ? Et son manque est parfois un grand vide, une blessure. Il faut entendre Jean de la Croix. Nada. Rien de tout ce que nous imaginons, pensons, croyons, rien, nada, rien de tout cela n’est notre Dieu sous peine que nous ne le réduisions à ce que nous imaginons, pensons, croyons, de peur que nous n’en fassions la morte idole alors qu’il est le vivant qui fait vivre et toujours nous attend devant, sur l’autre rive.

Il faut entendre Thérèse de Lisieux : « Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a des âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment… Cette épreuve ne devait pas durer quelques jours, quelques semaines, elle ne devait s’éteindre qu’à l’heure fixée par le Bon Dieu et… cette heure n’est pas encore venue. […] Il me semble que les ténèbres, empruntant la voix des pécheurs, me disent en se moquant de moi : “Tu rêves la lumière. […] Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant.” […] Je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de blasphémer… j’ai peur même d’en avoir trop dit… » (Thérèse de Lisieux, Manuscrits autobiographiques, Manuscrit C, Juin 1897, Le Livre de vie, Office central de Lisieux, 1957, pp. 245-248.)

Il fallait qu’il parte pour que nous le cherchions et le suivions. Il fallait qu’il ne soit pas là comme un sac de patates ou la statue de l’idole pour que sa présence ouvre l’espace d’un souffle de vie qui nous emporte. Il fallait qu’il ne soit pas là pour que, croyant ou non, nous éprouvions l’absence qui seule peut nous le faire désirer. Il fallait qu’il ne soit pas là mais qu’il y ait du pain et du vin, sacrement de sa présence bien réelle donc aussi de son absence, pour que nous tournions notre regard vers ceux avec qui nous avons part à ce pain, car c’est par eux qu’il est là, réunis à deux ou trois ou plus encore. Il fallait qu’il ne soit pas là pour que nous le quêtions en serviteurs dans cette humanité encore marquée par la souffrance et la mort. Puissions-nous avoir le souffle de l’annoncer présent alors qu’il semble si loin…

Texte du 6ème dimanche de Pâques : Ac 15 ; Ap 21,1à-23 ; Jn 14, 23-29