Paul Cézanne, la route tournante 1881 |
Certains chrétiens, sous prétexte de vouloir vivre sérieusement le temps de l’avent, réclament des trucs à faire. Ils voudraient que les choses soient aussi simples que ce qu’ils voient de l’Islam, que pourtant ils n’apprécient guère. Une fois qu’on s’y serait soumis, on pourrait se penser quitte, assuré d’avoir passé un bon avent, d’avoir bien fait, d’être de bons disciples. Ils jugent trop vagues ou abstraits les appels à lutter contre le mal comme forme ordinaire de la conversion alors que nous attendons le retour du Seigneur,
Nous voulons des choses extraordinaires pour nous faire croire que nous sommes disciples, alors que nous ne sommes pas même capables de tenir bon dans l’ordinaire ! Il ne serait pas convenant de faire la même chose en avent et au carême, à Pâques ou à la Trinité, comme si la charité était de saison. Sa nouveauté ne dépend pas du calendrier car elle est la charte du Royaume. On n’aura pas compris ce qu’est la vie dans le Christ. On aura confondu l’évangile et la religion, la sainteté et l’impeccabilité. Déjà littéralement le propos de Jean !
Dieu n’attend pas de nous que nous remplissions des conditions pour nous compter parmi les siens. Nous en sommes d’ores et déjà, nous le sommes depuis toujours, parce que c’est lui qui nous fait siens, parce que c’est lui qui aime. Il se moque de nos efforts de carême ou autre s’il s’agit pour nous d’être dans les clous. Nous ne sommes jamais dans les clous ; la chaussée du Seigneur n’est pas une affaire de lignes à ne dépasser mais une vie qui s’invente, inédite, pour Dieu lui-même. Naître et vivre et enfanter est affaire de débordement.
Laissons aux scrupuleux de savoir s’ils ont tout bien fait, chemin assuré pour rater la vie et, passant, l’évangile. Il n’y a pas de préparation à Noël, il n’y a pas de préparation au paradis. Il y a la vie, ici et maintenant, qui est déjà l’éternité de Dieu, qui est déjà grosse de Dieu, incarnation de surcroît. Pensez donc, s’il s’agit de mettre Dieu au monde, s’il s’agit de rendre visible son habitation parmi les siens, une tente, une cahute plantée au cœur, nous sommes avec lui, déjà, dans le vrai, non dans un exercice préparatoire. Dieu ne fait pas de l’existence un galop d’essai en vue de déterminer quelle récompense conviendra. Du premier coup, il se donne, entier, sans retour, pour que nous vivions de sa vie, en jouissions.
Le temps perdu à nous entraîner ne se rattrape pas. Ici, maintenant, c’est le temps de la paix, le temps de la vie, le temps de l’amour, le temps de la justice, le temps de la réconciliation et de la consolation. Quoi !? Nous voyons exactement le contraire ! Certes mais c’est comme dénonciation du mal et exigence de faire ce qui nous revient, sans attendre, ordinairement. Ce monde est paradis parce qu’il n’y en a pas d’autre, parce qu’il n’est pas tolérable un instant de plus de le faire enfers. Il n’y a pas d’autre monde parce qu’ici et maintenant Dieu est vie, d’une et seule façon, dans les ténèbres qui le nient, et nous avec (qui nions, qui sommes niés, reniés).
Ainsi le Baptiste renvoie tous ceux qui veulent faire des trucs pour préparer le chemin du Seigneur. « Que devons-nous faire ? ». Et chacun ne se voit répondre que ce qu’il sait déjà. Il n’y a rien de spécial à faire qui ne soit ce que chacun sait déjà, chercher la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions les plus justes possibles, faire une place à chacun dans la salle commune. Voilà ce que nous avons à faire. Nous en détourner parce que cela ne serait pas assez chrétien et trop commun, pas assez religieux et trop profane est un mensonge, la meilleure manière de ne rien changer au monde des puissants et de la violence qui tue.
Nous n’avons pas compris, nous ne voulons pas comprendre que l’évangile ne veut rien d’autre que le bonheur des humains, leur vie. Nous ne voulons pas comprendre qu’une religion qui voudrait s’affranchir de l’humanité pour être plus divine est une entreprise de violence absolue. Que serait donc l’humanité qui s’affranchirait de l’humanité, qui se voudrait quitte avec l’humanité !
Préparer plein de choses pour Jésus est toujours une manière pour ne pas s’occuper de lui. Car pour s’occuper de lui, la seule façon, c’est de s’occuper des autres, pas de lui. L’évangile, Jésus, c’est la fin de la religion. Arrêter de penser que l’on pourrait changer le monde en se divertissant comme dit Pascal, en allant voir ailleurs que dans les activités ordinaires la germination du Royaume, la tente de Dieu, la vie plantée en plein cœur.