22/09/2023

Il faut arrêter de compter Mt 20, 1-16 (25ème dimanche du temps)

Q. Metsys, Le prêteur et sa femme, 1514

 

Une fois encore, il est possible que ma lecture de l’évangile surprenne. Je prie ceux que cela agressera de bien vouloir n’en pas tenir compte. On est adulte. On supporte de ne pas être d’accord avec tous et on n’en fait pas un drame. C’est encore du cléricalisme, ou de l’infantilisme ‑ cela revient au même ‑ que d’exiger du prédicateur que l’on puisse en tout penser comme lui.

Si je ne répète pas ce que l’on sait déjà, c’est parce que d’une part, le sachant, cela ne sert à rien de le redire. On a autre chose à faire et l’évangile n’est pas un livre de recettes à appliquer au premier degré mais un empêcheur de penser et de vivre en rond. C’est, d’autre part, que le texte n’est pas notre jouet et que nous ne pouvons lui imposer ce que nous pensons ; il faut l’ascèse de le laisser dire ce qu’il pense. Enfin, je ne peux pas faire dire au texte le contraire de ce que je crois. Une homélie n’est pas un catéchisme, mais une profession de foi. Dans ce que raconte le prédicateur se joue sa foi. Même si c’est avec réserve ‑ au point de ne pas se voir ‑, c’est avec les tripes qu’il parle.

La semaine passée, j’ai refusé de faire de la parabole du serviteur ingrat un texte sur le pardon. Je l’ai lue comme un exercice spirituel pour dynamiter nos calculs, tels les enfants qui comptent pour savoir qui en a fait le plus. Le pardon est inconditionnel et Dieu ne compte pas. Tant que pourtant, nous refuserons de penser cela et de le vivre, nous nous condamnons à la géhenne, nous passons à côté du Dieu qui tend les bras. Si sûrs de nous, nous allons sur le chemin que nous croyons mener à Dieu, alors que nous allons à la perdition, et nous ne voyons pas Dieu nous faire signe ailleurs.

Augustin dit qu’on ne commet pas d’erreur grave à ne pas rendre la pensée de l’auteur biblique, et admet des lectures fautives, hors sujet. Il y met cependant une condition, et laquelle ! Que l’on édifie par le commentaire l’amour de Dieu et celui du prochain. La lecture qui rend Dieu et le prochain détestables ou insignifiants est inacceptable.

Certaines lectures du texte sont ainsi inacceptables. Les textes ont plusieurs sens, mais pas n’importe lesquels. Je suis athée du dieu, surmoi projeté dans le ciel, propre et policé, aussi violent que les mensonges sociaux. Sous prétexte de tolérance, on nous refile le relativisme, sous prétexte de liberté de penser, les fakes-news et autres vérités alternatives, sous prétexte de pluralisme, un à chacun sa lecture. Or, on ne peut pas dire n’importe quoi, non parce que la vérité s’imposerait dans toute sa splendeur, mais précisément au nom d’une pensée faible ; non parce qu’on manquerait la charité, mais parce que c’est ce qui s’est passé avec Jésus. Il s’est mis, et ses disciples après lui, une bonne partie des Juifs à dos. Drame : il était venu rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés… Voilà qu’au nom de sa vie avec Dieu, il crée une séparation de plus. Ses disciples se sont ensuite vautrés dans un antisémitisme inexcusable qui ne fait que rendre cette séparation encore plus insupportable.

La parabole des ouvriers de la dernière heure (Mt 20, 1-16) est un scandale. Le maître justifie sa libéralité parce qu’il aurait le droit de faire ce qu’il veut de son fric. Qui sursaute à entendre cela ? Avoir de l’argent, être riche, crée des obligations plus que cela ne libère. De s’en moquer, notre monde court depuis toujours à sa perte, et nous, les riches, sommes malheureux et ne voyons pas le scandale pourtant explicite. Malheureux vous les riches, parce que vous avez touché votre récompense, parce que vous pensez que la récompense est ce qui importe, ce qui fait tourner le monde. Là non plus, il n’y a pas d’enseignement, mais un exercice spirituel, une autre bombe qui fait exploser la même chose que dimanche dernier, le dieu comptable, le dieu de la rétribution, le dieu des bons points. Il faut arrêter de compter.

Nous ne sommes pas disciples pour recevoir la récompense ; ce serait nos intérêts, et non Dieu, qui nous mouvraient. Vivre en disciples, c’est ici et maintenant, pour que se voie un peu la proximité du Royaume. Ainsi faut-il brûler le paradis et éteindre l’enfer ; ce n’est pas grâce ou à cause d’eux que nous voulons être disciples. Dieu ne nous aime pas en réponse à notre amour. Il aime, le premier. Il se donne. Il donne tout, le denier à chaque fois. Il ne donne pas davantage, parce qu’à chacun, il a tout donné, lui. « Nous avons connu l’amour. »

Nous n’attendons pas des grâces, une consolation, une sucrerie spirituelle. Nous n’attendons pas plus ou moins. Nous n’attendons rien puisqu’il a déjà tout donné. Tout recevoir, c’est demeurer, vides, vidés. Pas de miracle, la mort et le mal nous atteignent. Cheminer démunis cependant, ouvre les mains, le cœur, les yeux : style de vie, pour et avec les autres. Rude épreuve que le passage en nos vies de la tourmente de l’inouï.

 

 

2 commentaires:

  1. Merci ! Nous devons avoir une parole libre et adulte. Après tout la gratuité de notre relation à Dieu n'est pas une malédiction mais une libération et une bonne nouvelle.

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