12/02/2024

Vraiment, il est juste et bon (Mercredi des cendres)

 

La coupe Warren (vers l'an 0, British Museum)

Le carême comme préparation à Pâques. Evidemment, cela ne peut passer que par la conversion. Comment pourrait-on célébrer celui dont on se dit les disciples sans laisser nos visages et nos vies refléter les siens ? Les exercices ‑ l’ascèse en grec – spirituels sont le doigt du sage qui indique la lune. On ne va pas faire les imbéciles à les regarder, mais lever les yeux vers ce qu’ils montrent : celui qui, relevé de la mort, entraîne à lui et avec lui, l’humanité en peine de vie juste et bonne.

Nous n’entrons pas en carême pour nous améliorer. Nous serions bien trop encore préoccupés de nous-mêmes. Nous n’entrons pas en carême pour être meilleurs, voire parfaits. Laissons cela à la morale des classes dirigeantes qui érigent en perfection leurs us et coutumes, l’apparence urbaine cache-misère. Que des disciples aient pu choisir pour devise, y compris pour des écoles, excellence et perfection, me donne la nausée.

Nous rêvons de perfection(s) mais sommes dans le déni de nos claudications, malformations, déformations, atrophies et amputations. Illusion sans avenir, ou au contraire à l’avenir assuré, d’un idéal du moi projeté dans le ciel qui se perd en ratant l’essentiel. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les malades et les pécheurs. C’est notre propre idée de la sainteté que nous canoniserions, et nous tenons souvent d’autant plus à cette idée que nous n’en avons peu !

On se demande d’ailleurs pourquoi au bout de tant d’années, nous n’avons pas progressé, nous ne sommes pas vraiment meilleurs. Des années à l’ombre d’un cloître, sous les nefs d’une église paroissiale, dans le logement de la famille censée être un lieu d’épanouissement et de croissance pour tous, au travail et dans les relations amicales et sociales, nous avons eu tant d’occasions pour nous perfectionner. Et…

Peut-être, le perfectionnement n’est-il pas progressiste, et consiste-t-il à tenir en un état moral qui résiste aux assauts de circonstances toujours différentes. Quoi de commun entre la perfection de l’adolescent au bord de la vie adulte et celle de la personne âgée, à l’autre extrémité, à toute extrémité ?

Je ne crois pas à ces finasseries. Si l’on ne progresse pas sur le chemin de la perfection, c’est que nous ne nous convertissons pas, et cela ne peut être le cas tant que nous penserons à faire quelques exercices religieux qui, sacrément, nous changeraient. Ils ne peuvent rien puisque nous gardons la même logique, puisque nous ne remettons pas en cause nos logiques trop courtes. Metanoia, changement d'esprit, de jugement, de connaissance. Rien de l’insurrection chrétienne n’aura commencé à dynamiter les valeurs mondaines, à ériger les barricades sur les avenues de l’illusion.

Se convertir, c’est se laisser convertir. Se convertir est la passivité même, l’abandon. Se convertir, c’est accueillir la convocation à la justice et à la bonté que chaque minute nous présente, dans la rencontre avec les autres, dans les pensées de nos cerveaux en agitation, dans le silence de la prière. Il n’y a pas de conversion sans rencontre, car l’on n’est pas saint en soi mais pour, par et avec les autres. Jésus est l’homme pour les autres et il s’agit de « marcher comme Jésus », de « marcher comme Jésus lui-même a marché ».

Le reste rate la cible, est péché, littéralement. Les efforts de perfection sont péchés parce qu’ils ratent la cible. La sainteté n’est pas le contraire du vice, mais de la vertu ! L’étymologie de vertu est vis, la force, mâle, la valeur. Demandez à Jésus ce qu’il pense des valeurs, lui qui frayent avec les prostituées et les pécheurs ‑ avec nous quoi ! ‑, qui les dit premiers dans le Royaume, prêt à lâcher quatre-vingt-dix-neuf brebis pour une seule, à se faire rouler soixante-dix-fois sept fois pour pardonner toujours une fois de plus, etc. etc. Pecca fortiter, écrit Luther !

On ne décide pas avec qui l’on est juste et bon, avec qui on est convoqué à l’être. On ne décide pas des exercices d’ascèse ‑ pardon pour le pléonasme ‑ délaissant celui-ci pour cette année, choisissant le cheval d’arçons de la fermeté plutôt que les barres parallèles de l’équité. Le théâtre de boulevard et l’opérette racontent tout cela !

De Jésus, dont nous disons vouloir refléter la vie et le visage, nous disons, vraiment, il est juste et bon.

1 commentaire:

  1. Le texte me fait beaucoup réfléchir. J’entends les limites qu’il pose aux “exercices religieux, retraites et toute pratique spirituelle de “perfectionnement…” En même temps, comment trouver des véritables moyens de conversion et comment les leur faire vivre ou imposer à l’institution, à la hiérarchie sans qu’elle les fuie. Peut-être que c’est un combat perdu ; peut-être que c’est de l’ordre de l’utopie et que la vraie conversion se joue dans la tension vers ce perpétuel inachevé qu’est la perfection (comprise au sens évangélique)

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