01/03/2024

Jésus sacrilège ; ouf ! (3ème dimanche de carême)

 

N. de Staël, Colonnes de temple à Agrigente (1954)
 

L’épisode des marchands chassés du temple est rapporté par les quatre évangiles. Ce n’est pas souvent que la tradition johannique concorde avec celle des synoptiques. C’est d’autant plus curieux que l’on est en droit de se demander ce qui s’est passé. L’événement a-t-il eu lieu ? Jésus a-t-il pu renverser les tables de changeurs ? Personne ne l’aura empêché ? On dirait que ce ne sont pas seulement quelques étals qui ont été bousculés, mais la totalité. Comment cela est-il possible ? La réalisation de la prophétie de Jérémie (7, 11, Za 14, 21 et Is 56,7) semble plus importante à affirmer que la relation exacte des faits.

Chez Jean, l’épisode se situe dès le chapitre deux, tout début du ministère de Jésus, de suite après Cana. Chez les synoptiques, il ouvre la passion. La foule est bien prête à suivre Jésus, mais le lâche lorsqu’il touche au temple et au sacré, à la cohésion sociale, à la nourriture autant qu’aux habitudes qui ne peuvent être contestées sans que cela choque, révulse, ébranle.

Dans les quatre évangiles, la mort de Jésus se joue dans l’accomplissement de la prophétie, remise en cause de la religion, de la religiosité. On aurait une idée de la violence du geste si l’on voyait un baptisé convaincu renverser le calice tout juste consacré sur les murs du ministère de l’intérieur où se décide le sort des migrants sans papiers et les directives quant aux Obligations de quitter le territoire français, dans le bureau des autocrates qui assassinent leurs concitoyens. Geste autant religieux que civique, sacrilège que contestataire des structures politiques et gouvernementales ainsi que des évidences sociales.

Le temple n’est pas un lieu magique où l’on trouverait la protection divine parce que l’on s’y rassemble. Sans le souci de la justice et de la vérité, le culte est sacrilège, et le sacrilège réparation. Le sanctuaire est un refuge de bandits s’il n’est « maison de prière pour toutes les nations. » « Vous aurez beau multiplier les prières, moi, je n’écoute pas. » (Is 1, 15)

Et Jean va plus loin encore que les prophètes et les synoptiques. Il ne dénonce pas seulement les perversions du culte ; il abolit le culte. Le temple n’est pas un lieu mais le corps de Jésus ; le temple est l’humanité qui s’élève harmonieusement sur le Christ pierre angulaire, et personne ne peut en poser d’autre, sur les fondations que sont les apôtres, disons la transmission de l’enseignement et de la vie de Jésus.

On tue, et personne ne célèbre de messe de réparation. Des enfants et des adultes ont été violés par des clercs, et personne n’a célébré de messe de réparation. Hypocrites ! Non, c’est trop peu dire. Sacrilège, mensonge, perversion, mort, assassinat. Elle est juste la prophétie, nos églises sont des cavernes de bandits où l’on se croit en sureté, des bâtiments de commerce, de tous types de trafics, que les marchands ont investis.

Avec Jean c’est la fin du culte, alors même que Cana constate qu’il n’y a plus de vin. L’alliance nouvelle n’est pas tant la révocation du judaïsme que celle de la religion et du culte, des sacrifices. « Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous. » Si l’on est choqué par autel renversé ou un tabernacle profané, il faudra l’être de façon exponentielle de tout homme, toute femme, tout enfant tué. Scandale de Jésus qui rabaisse Dieu à hauteur de prochain, le frère, à commencer par le plus méprisable. Auprès des musulmans que je connais, fort religieux, cela ne passe pas. Dieu reste dans sa sainteté et ne peut être abaissé à hauteur de pécheur. Désacralisation et renversement des valeurs.

Chaque fois que Dieu est dit, prononcé, célébré, adoré mais que le frère est ignoré, piétiné, tué, il y a urgence à démolir les temples, institutionnalisation religieuse ou civile du mensonge, du mépris, de la haine, de la destruction des frères. Si la crise des crimes et délits, abus spirituels ou de pouvoir, a un tel retentissement pour les baptisés, ce n’est pas seulement ‑ ce qui est déjà énorme ‑ parce qu’ils sont le mal dans l’horreur, mais parce qu’ils sont la mise en pratique d’un contre-évangile, la fidélité à l’anti-évangile des disciples eux-mêmes, parce qu’ils annulent l’évangile au nom de l’évangile ; ce sont les disciples qui conduisent Jésus à la croix, du début (le chapitre 2 de Jean) à la fin (la passion dans les synoptiques).

L’évangile et Jésus ‑ c’est tout un ‑ sont libération ; le banditisme religieux qui fait main basse sur Dieu est démantelé. Il n’en reste pas pierre sur pierre dans la mort et résurrection que nous nous apprêtons à célébrer. Puisse-t-il rester des pierres vivantes, piliers suffisamment solides, pour que l’ensemble de la société et des sociétés s’y appuie et y pose les voûtes d’une humanité, maison commune où se rassemblent dans la justice et la paix toutes les nations.

1 commentaire:

  1. Marguerite1/3/24 20:33

    et cela me fait penser à Jean Chrysostome : ( petit extrait ! ) “ Quel avantage y a-t-il a ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de faim ? Commence par rassasier l’affame et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas “un verre d’eau fraiche” ? Et a quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable et que tu ne l’abandonnes pas pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure et la pire des injures ?

    RépondreSupprimer