08/03/2024

STOP ! (4ème dimanche de carême)


 

Curieuse affaire que ce serpent de bronze dressé en haut d’un mât (Nb 21, 4-9). Le regarder guérit de la morsure mortelle de serpents bien vivants. Superstition transmuée ou authentique piété paganisée ? Plus curieux encore, que l’évangile (Jn 3, 14-21) rappelle cet épisode assez marginal dans le Premier Testament. Quel besoin ?

Il s’agit d’exhiber la mort et la souffrance. Dénoncer ce qui tue. Le mettre sous les yeux de tous. Ce n’est pas du masochisme, complaisance dans la souffrance. Puisse cela ne pas être perversion, se repaître du mal, plaisir de voir souffrir. C’est la venue au jour de ce que les tyrans au faîte de leur pouvoir ont besoin de cacher, les basses-œuvres, l’inavouable aux yeux mêmes de qui serait sans conscience, sans morale, dépourvu de la moindre humanité, bête immonde, démoniaque.

Ficher le mal au sommet, la souffrance et la mort, les dresser vers le ciel comme un cri qui réclame justice, qui est appel à la vie, confession que la vie vaut, ne peut être piétinée, liquidée, supprimée. Que tous voient, soient témoins de l’horreur. Ainsi que des secrets de familles mortifères, les murs des camps, les fosses communes en Bosnie ou au Rwanda, le goulag, les génocides, les crimes sexuels, etc., etc, tout cela se voient par la lumière venue dans le monde. Ce n’est pas beau à voir. Mais préfèrera-t-on longtemps encore les ténèbres ?

Que tous repartent, ceux qui survivent du moins, coup de chance ou conséquence d’une collaboration avec l’horreur, en hochant la tête, se frappant la poitrine, mémoire des victimes. Le Christ en croix est cela, mémorial des enfants, des femmes, des hommes qui ont été écrasés, qui « simplement » sont morts. Le Christ en croix à jamais pour que jamais ne se perde la mémoire des écrabouillés. « Toutes les foules qui s'étaient rassemblées pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s'en retournaient en se frappant la poitrine. » (Lc 23, 48)

Parce qu’est gravée dans le corps supplicié de Jésus la mémoire de tous ceux que la nature ou les autres ont déchiquetés, il est possible de ne plus porter ce péché, de ne plus s’en charger et de tenter de vivre, encore, à nouveau. Parce que le corps du crucifié crie à jamais la dénonciation du mal, le péché du monde est porté, enlevé. Il n’est pas l’agneau du sacrifice : le Père ne réclame aucun sacrifice. Cela suffit du mal ! « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, mais tu m’as fait un corps. Alors j’ai dit : me voici mon Dieu, je viens faire ta volonté. » (Ps 40 et He 10) Il est l’agneau comme les milliards d’êtres humains égorgés par des mains fratricides, nourriture de la haine, des appétits de richesses, du pouvoir, de vengeance.

Du haut du mât, du haut de la croix, un cri a retenti : STOP !

« Je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle […]. Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n'y en aura plus, car l’ancien monde s'en est allé. Alors, celui qui siège sur le trône déclara : "Voici, je fais l'univers nouveau." » (Ap 21)

C’est quand Dieu est identifié au péché (2 Co 5, 21) qu’il est révélé, l’amant considérable, philanthrope, amis des humains, jusqu’à aimer les criminels, les violeurs, les violents... « Car Dieu a tellement aimé le monde... » Scandale que si peu croit, parce que c’est incroyable.

Qui a été amant d’un amour impossible sait un peu ce que cela signifie que Dieu aime le monde jusqu’à se faire péché. Secourir coûte que coûte ; sauver. Le fils paye le prix, y met le prix, sa vie, celle du Père. L’Esprit sera-t-il plus fort que le tourbillon infernal de mort ?

Pareil amour n’est-il qu’illusion, espérance vaine, parce que, sans quoi, l’horreur a gagné ? Le relèvement des petits indique que peut-être tout n’est pas vain, perdu. Si Dieu aime les salauds, c’est par le relèvement des victimes. Nos vies en réponse, responsables des petits, laissent deviner que l’espérance pourrait ne pas décevoir. Le relèvement des petits commence dans l’exhibition du mal, sa dénonciation et indique un chemin de libération effective, aujourd’hui. Le jugement est prononcé : « la lumière est venue dans le monde ». On comprend combien la dissimulation des crimes sexuels, si souvent invisibles, est un péché plus dévastateur, si c’est possible, que les crimes mêmes.

Croire au fils venu dans le monde ne veut pas dire être baptisé, être croyant au sens habituel. Croire au fils venu dans le monde signifie la pratique de l’autre, laisser l’autre, les autres, envahir nos vies, vivre de cet envahissement, vivre de ce que la lumière n’est pas de moi, mais d’eux, relevés, relevant. Croire la lumière venue dans le monde : le mal cloué au pilori, l’advenue de l’insurrection de vie, ici et maintenant. Résurrection.

2 commentaires:

  1. Merci pour ce commentaire qui vient recaler le mysticisme de certaines réflexions sur ces textes. Un vrai effort de traduction du sens (portée et contenu) de ces gestes symboliques renvoyant à la fois, au scandale irréductible de la souffrance et à l’urgence de lui porter remède.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je voudrais même ajouter, des gestes d’indignation et de cri de justice symbolisés par le “bois levé” (le serpent d’airain et la Croix).

      Supprimer