12/02/2010

Tu ne peux laisser ton ami voir la fosse (6ème dimanche du Temps)

Pourquoi croire en la résurrection ? Pourquoi faut-il ajouter cela à notre quête de Jésus ? En quoi cela est-il utile ou nécessaire ?

Il me faut presque présenter des excuses à poser pareilles questions. Mais comment faire autrement alors que les sondages disent que même parmi les catholiques pratiquants, tous ne croient pas en la résurrection ? En outre, peut-on ne pas entendre les critiques de Feuerbach ou de Nietzsche, selon qui la religion de la résurrection ne serait qu’une projection dans le ciel d’un idéal anthropologique ou la création d’un arrière monde qui vise à discréditer celui-ci ?

Il nous arrive, lorsque nous assistons à des funérailles, d’entendre ces paroles qui sont censées consoler : on se retrouvera dans l’autre monde. Je reste dubitatif voire déçu. Ce n’est pas une consolation pour moi. C’est maintenant que je suis affligé par la mort de celui ou celle qui vient de nous quitter. Et, indépendamment de ce qu’il en sera pour moi après la mort, la promesse de me retrouver avec celui ou celle que j’ai aimé dans une quarantaine d’années me fait une belle jambe. Que serai-je dans quarante ans ? N’aurai-je pas tout simplement oublié celui qu’aujourd’hui je pleure ? Je le vois bien, si je peux encore penser à tel ami, à tel grand parent décédé, dix ou quinze ans après leur décès, je ne sais pas bien ce que veut dire espérer les retrouver. Pourquoi ? Comment ?

Ainsi donc, la promesse que l’on se retrouvera, trop souvent entendue, me semble une consolation à bien court terme, s’appuyant sur une conception inflationniste ou réductrice de la résurrection, qui en dit trop ou trop peu – et cela revient au même ‑, qui discrédite l’affirmation chrétienne à propos de la résurrection.

C’est en effet pour aujourd’hui qu’il nous importe de savoir ce qu’il en est de la résurrection. Nous ne saurions nous contenter d’une possibilité de revanche à prendre au Paradis alors que sur la terre, nous aurions été cantonnés à une vallée de larmes. Que serait la vie si elle n’était qu’une attente d’une autre vie ? Que serait cette autre vie si elle n’était qu’une réparation des injustices et douleurs de la vie terrestre ? Rien qui vaille.

Confesser la vie éternelle, confesser la résurrection de la chair, c’est dire la grandeur de cette vie humaine et terrestre, la vocation infinie, à l’infini de la vie ici et maintenant. En effet, pourquoi faudrait-il que quelque chose sans valeur reçoive un destin d’éternité ? Confesser la vie éternelle n’est crédible qu’à condition d’être une manière de comprendre l’existence de chaque jour comme digne d’éternité. Confesser la résurrection de la chair, c’est d’abord dire que rien ne vaut plus que l’humanité, de chair et de sang, d’esprit aussi, au point que cette humanité, c’est-à-dire aussi la chair et le sang, ont destin d’éternité. N’allons pas chercher à savoir ce qu’est un corps ressuscité ; il se pourrait que nous y perdions tout bon sens. Arcboutons-nous à l’affirmation de la dignité humaine, qui déjà est possible anthropologiquement, mais qui reçoit de sa vocation à la divinisation sa véritable dimension.

Si nous confessons la résurrection y compris charnelle de ceux que nous pleurons, c’est parce que la mort et la souffrance sont inadmissibles, révoltantes. Le stoïcisme voit trop court pour l’homme. Il ne s’agit pas d’apprendre à mourir, mais de vivre à la folie ; il ne s’agit pas de nier la mort, puisqu’une fois mort on n’en saurait rien, mais de lutter dès maintenant pour plus de vie, aussi démesurée que paraisse le geste.

Dire cela, ce n’est pas proposer une théorie contre une autre. Les faits, la factualité de la mort rendent vaines les unes comme les autres. Dire cela, c’est le fruit d’une promesse déjà tenue : aujourd’hui, déjà, l’amitié avec Dieu, l’amitié avec le Vivant, la vivification par le Vivant est ce dont nous vivons. Si nous sommes disciples de Jésus, c’est pour cela seulement : pour vivre, non pas seulement demain, mais aujourd’hui. Oh certes, il est possible de vivre sans lui, sans savoir que c’est lui. Mais il est aussi possible de vivre, dans la gratuité débordante d’un excès insensé, avec lui.

La résurrection de nos morts, la nôtre, n’a de sens que parce que dès maintenant nous sommes par la grâce de Dieu, en amitié avec lui. Dieu laisserait-il ses amis voir la corruption, comme dit le psaume ? Si la résurrection de la chair fait sens, ce n’est pas pour promettre autre chose demain, c’est parce que ce que nous pouvons vivre dès aujourd’hui, l’amitié avec Dieu, ne saurait s’évanouir et disparaître, du moins, si Dieu est Dieu.

Voilà pourquoi avec la résurrection, ça passe ou ça casse pour la foi. Si Dieu ne ressuscite pas les morts, si Dieu ne rappelle pas à la vie ses propres amis, Dieu ne mérite aucune estime, aucun culte. Je suis athée d’un tel Dieu. J’exige pour mon Dieu qu’il soit Dieu et non quelque consolateur, analgésique, opium. Point besoin d’un Dieu pour donner une morale à l’humanité, un sens à la vie. L’homme s’en charge très bien seul, merci pour lui ! Au delà du sens, comme l’amour – qui oserait demander à quoi bon aimer ? – seul un Dieu qui aime l’homme à la folie est digne de foi.

Je ne sais pas ce qu’il arrivera demain. Je ne sais pas ce que veut dire retrouver ceux que j’ai aimés et qui sont morts. Je me moque des revanches de demain, car c’est aujourd’hui qu’il faut se battre pour plus de justice, et le fait que ce combat soit si souvent perdu ne retire rien à son urgence ni à la dignité de l’homme.

Tachons de vivre en présence du Vivant qui fait vivre maintenant, puisqu’aujourd’hui, même écrasés par la peine, même broyés par la souffrance, rien, pas même la mort, ne saurait nous séparer de l’amour dont Dieu nous aime. Avec le palmiste notre confession de foi est prière : Tu ne peux laisser ton ami voir la corruption.


Textes du 6ème dimanche du Temps C : Jr 17,5-8 ; 1 Co 15, 12. 16-20 ; Lc 6, 17. 20-26


Seigneur, c’est en reconnaissant la vocation de tout homme à la sainteté, c’est en reconnaissant l’amour dont tu aimes tout homme, que ton Eglise se bat pour la dignité de tout homme. Donne-lui la force de dénoncer tout ce qui fait mourir, à commencer par les systèmes économiques ou politiques qui ne profitent qu’au petit nombre de ceux qui oppriment leurs frères.


Seigneur, nous te prions pour tous ceux qui ne savent pas croire que tu les aimes, que tu les destines à la vie sans fin. Qu’ils trouvent en nous des témoins de ton amour.


Seigneur nous ne prions pour tous ceux qui meurent, particulièrement dans l’indifférence ou la violence. Que nous nous levions devant tant d’injustice. Et quand il n’y a rien d’autre à faire, que nous leur tenions la main pour qu’ils découvrent pas nous, parabole de ton amour, l’amour dont tu les aimes.

2 commentaires:

  1. Merci ! Croire en la vie, en la vie malgré tout... Le problème aujourd'hui n'est pas de dire trop facilement : il faut vivre (certaines vies nous font fuir très loin de cet impératif) mais : de ta misère, Dieu amour ressuscite. Rassurer ? Certainement pas. Consoler ? A la rigueur. Quoi d'autre ? Aimer, simplement aimer - et vivre cet amour avec celui qui souffre.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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