C’est le tout début de l’évangile de Jean, le chapitre premier. Il y eu le prologue, dix-huit versets, où l’on parlait d’un homme envoyé par Dieu qui n’était pas la lumière mais qui était venu pour rendre témoignage à la lumière. Son nom était Jean.
De cet homme on ne sait rien de plus. Et d’ailleurs, l’évangile lui-même met en scène l’interrogation sur son identité. Ainsi, dès la fin du prologue, au verset 19, des Juifs demandent à Jean : « Qui es-tu ? ». Jean ne se définit que négativement : je ne suis pas le Messie, non, je ne suis rien de tout ce que vous dites.
Jean est une voix, et encore non pas une voix qui crie, comme si elle avait une identité, mais la voix de celui qui crie. Drôle d’expression qui cache encore. Qui est celui qui crie ?
Il ne s’est encore rien passé dans l’évangile, si ce n’est un jeu de renvois qui entretient l’interrogation, qui est qui ? De Jean, on apprend certes qu’il baptise mais cela encore interroge ceux qui viennent l’interroger. (Faut-il préciser que Jean n’est pas appelé le baptiste dans l’évangile de Jean à la différence des synoptiques et qu’il n’est pas le cousin de Jésus ainsi que Luc le dit.)
Si l’on accepte de ne savoir que ce que dit l’évangile de Jean que l’on vient d’ouvrir, nous n’en savons finalement que très peu et ce qui a été répété, orchestré, c’est l’absence d’identité de Jean, son identité négative ‑ je ne suis pas – sa non-identité faite pour désigner un autre, son être de renvoi, de désignation.
Et c’est ce que nous lisons au début de notre texte. Jean désigne celui qui vient vers lui : « Voici l’agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde ». Encore une drôle d’identité, cryptée, dissimulée ! Qui est qui ?
Et l’évangéliste qui ne veut pas nous laisser croire qu’il nous mène en bateau avec son jeu littéraire explique. Jean ne peut rien dire de plus de Jésus puisqu’il ne le connaissait pas. « Je ne le connaissais pas, mais si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté au peuple d’Israël. » Et il répète deux versets plus loin, histoire que l’on entende bien : « Je ne le connaissais pas. » Juste avant, il avait déjà précisé : « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas. »
Nous sommes dans l’ignorance de celui qui vient se tenir au milieu de nous, de celui qui est au centre. Ne pas connaître Jésus empêche Jean de dire qui il est. Il sait que celui qui vient est celui par qui tous reçoivent un nom. C’est ce que les versets du prologue avaient dit : La parole vient aux hommes et tant qu’ils ne la connaissent pas, comment pourraient-ils parler, savoir quoi que ce soit, savoir qui ils sont ?
Littérairement c’est magistral. Une demie page seulement et une histoire de route à préparer, de voix pour celui qui crie, de mise en route comme une interrogation, comme une remise en question. Et encore, ce n’est pas nous qui avançons, c’est Jésus que Jean voit venir à lui. Ce n’est pas nous qui parlons, c’est Jésus qui a l’initiative ; lui, la parole, interroge : Que cherchez-vous ? C’est sa première prise de parole. C’est la première prise de parole de la parole, un appel au désir, à ce qui manque ; que cherchez-vous ?
Notre texte se finit par ce qui pourrait être une confession de foi. En fait seulement un témoignage, une attestation de Jean qui désigne Jésus comme le fils de Dieu. Mais comme Agneau de Dieu, ce titre crypté dissimule, interroge. Reste un chemin à ouvrir, une voix à prêter, l’abandon de tout savoir pour tout réapprendre. Disparaître nous, pour que la parole parle. Etre la voix comme Jean : une voix de celui qui crie, une voix pour la parole.
Jean est mis en posture de voix pour la parole. C’est la place pour ceux qui témoignent, ceux qui attestent que Jésus est le fils de Dieu. Nous lui donnons notre corps pour qu’il vienne en chair et en os – nous serions son corps, sa voix ‑ crier qu’il faut préparer les chemins du Seigneur.
On n’en saura pas plus sur Jean. Il ne le faut pas, puisqu’il s’efface pour désigner. Il faut certes des témoins mais ils doivent diminuer pour que grandisse ce qui est leur raison d’être, leur logos.
On n’a pas à parler de Jean, on n’a pas à parler des chrétiens, on n’a pas à parler de l’Eglise. Il faut que personne ne regarde le doigt qui montre la lune, il faut que la voix qui montre s’efface devant celui seul qui est la vraie lumière. Il nous faut disparaître au moment même où nous sommes en mission.
Paradoxe de la vie chrétienne, de l’Eglise elle-même. Faire place à celui que nous ne connaissons pas et que pourtant nous désignons ; le désigner en nous retirant, en disparaissant. Que la voix diminue pour que seule la parole soit entendue.
Textes du deuxième dimanche : Is 49, 3-6 ; 1 Co 1, 1-3 ; Jn 1, 29-34
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