23/11/2012

Le Christ-roi, une fête pour s'accuser de nos travestissements de la vérité évangélique


Quelle drôle d’idée cette fête du Christ roi ! Elle n’a pas cent ans : c’est Pie XI qui l’institua en 1925, dans un contexte où il s’agissait de redire la vérité de la doctrine chrétienne par rapport à une société qui contestait toujours plus qu’elle dût lui être soumise. Si le Christ est roi, les nations et les individus doivent être assujettis à l’institution que le Christ a suscitée.
Il va de soi que cette théologie-politique, cette manipulation liturgico-politique, ne fonctionna que pour ceux qui déjà étaient persuadés de la légitimité d’un ordre catholique. Elle ne changea rien à la sécularisation, à l’autonomisation par rapport à l’Eglise romaine de la société et de ses mœurs.
La réforme liturgique de Paul VI transforma quelque peu le titre de la fête. Le Christ n’était plus roi, mais roi de l’univers. Sa seigneurie était ainsi dégagée du champ trop exclusivement politique ; elle prenait un tour plus spirituel, ce qui veut tout et rien dire. Si le spirituel n’a pas d’efficacité dans le concret du temps et de l’histoire, dans les institutions et les comportements, il est fumisterie. Seigneurie sur les âmes ou les cœurs, seigneurie sur la création qu’une préoccupation écologique réinvestit, seigneurie sur les peuples indépendamment des structures politiques, invitant chacun à se reconnaître membre d’un même royaume où règne la paix, voilà la fête sauvée.
Ce faisant, on se ressource à la fontaine des Ecritures. Le Royaume de Dieu n’y est pas affaire politique au point que l’Ancien Testament est lu de façon allégorique. Les paraboles de Jésus qui empruntent la figure de la royauté ne parlent jamais de pouvoir ou d’organisation de la société. Par exemple, dans l’évangile de Matthieu, le royaume est abondance et fécondité avec la graine de moutarde, la moisson ou le filet de pèche ; efficacité transformatrice avec le levain ; préférence sans comparaison possible avec le trésor et la perle fine. Le royaume est justice et pardon avec les paraboles du jugement, lorsque la dette écrase et empêche de vivre, lorsqu’il faut embaucher des ouvriers même à la onzième et dernière heure, lorsqu’il faut ouvrir la vie de Dieu à tous les peuples, lorsque la vie est une noce auxquels tous sont invités et que les vierges attendent, lorsque le service du plus petit est rencontre avec le Seigneur.
Ce royaume est la présence même de celui qui vient. Il est là, tout proche, au milieu de nous. Il est ce qui advient lorsque Jésus passe.
Dans l’évangile de Jean que nous venons de lire (Jn 18,33-37), Jésus se garde bien de revendiquer la royauté. Alors tu es roi ? demande Pilate. C’est toi qui le dis, rétorque Jésus, comme s’il s’agissait de ne pas se mouiller avec des mots si curieux, avec des prétentions piégées. Il vaut mieux éviter d’entrer dans une logique de pouvoir, surtout quand on est serviteur et témoin : je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. Arrêtons de nous payer de mots, celui qui a le pouvoir ne peut être serviteur. Exercer le pouvoir comme un service pourrait bien n’être qu’un sophisme, cruelle hypocrisie, tromperie mensongère. Il faut sans doute que le Pape n’ait plus de pouvoir temporel pour que l’on commence à imaginer qu’il puisse être serviteur. Reconnaissez que ne saute pas aux yeux qu’il soit serviteur des serviteurs. Il en va de même du curé d’une paroisse, encore qu’il lui arrive de n’avoir aucun pouvoir lorsque tout est décidé et jugé sans lui, quand il est le concierge du bâtiment paroissial, devant faire en sorte que les clés soient à disposition, éteignant les lumières, réparant les fuites d’eaux, rangeant la garderie et faisant le ménage, portant au rebut des années de déchets savamment conservés, etc.
Bref, Jésus invite à ne pas vouloir de ce pouvoir, parce que l’on n’en est jamais totalement libre, et que l’on mentirait forcément à se dire serviteur.
C’est une chose curieuse de notre foi. La radicalité de l’annonce du royaume que nous continuons à pratiquer, nous ne cessons de la travestir. N’appelez personne du nom de Père, n’appelez personne du nom de maître. Le Christ ne se dit pas roi. Nous appelons les uns père, les autres monseigneur, d’autres encore excellence ou éminence, nous disons le Christ roi. Et nous arrivons de surcroît à justifier tout cela !
La voix de l’évangile résiste et n’a pour l’heure pas été totalement éteinte et c’est encore nous qui la portons. Faut-il qu’il y ait l’Esprit saint ! Toutes les religions chrétiennes et chacun d’entre nous sommes, avec le pouvoir, avec l’argent aussi, entrés en contradiction avec nous-mêmes, et nous sommes avec nos Eglises contraints de nous entendre accuser, de nous accuser nous-mêmes. Est-ce la force de l’Esprit, est-ce le génie de l’Occident de n’avoir jamais totalement réduit au silence cette accusation, cette force critique ?
C’est assurément la force aussi de toutes les réformes dans l’Eglise. La critique des richesses, mais aussi la critique que je viens de porter de tous les pouvoirs, y compris ecclésiaux, nous apparaît-elle exagérée au point d’être scandaleusement fausse ? Que l’on pense ne serait-ce qu’à François d’Assise... La fête du Christ roi de l’univers pourrait n’être validement célébrée qu’à faire entendre l’accusation de nos contradictions et trahisons de l’évangile et nous mener à la conversion… enfin.

2 commentaires:

  1. je dois avouer ne pas saisir à quoi vous voulez en venir. Prenant comme point d'appui la réponse habile de Jésus, qui nie sa royauté "terrestre" ou "humaine", vous critiquez le pouvoir comme concept incompatible avec le service...et par la même semblez critiquer ceux qui , en particulier au sein de l'Eglise, usent de pouvoir et proclament le faire en tant que serviteur ( du Christ et de l'Evangile)...soit ! mais je ne lis pas dans vos propos les notions d'amour et d'humilité , bien propres au message évangélique, qui , à mon humble avis, sont à la fois sources d'inspiration et "gardes-fous" qui permettent d'exercer le pouvoir en étant serviteur et en se sentant bien dans ses baskets.

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    1. Merci de votre message.
      Je retrouve assez bien ma pensée dans votre résumé. Votre objection est celle que le Cardinal Billé m'avait adressée, il y a une douzaine d'années. Et de fait, l'archevêque de Lyon vivait son pouvoir dans l'humilité et l'amour.
      Mais je maintiens mon propos parce que le pouvoir conféré par l'institution ne peut connaître de limitation qu'institutionnelle. Personne n'a de problème avec le pouvoir d'un saint comme l'était le Cardinal. Mais tous souffrent dans l'institution ecclésiale notamment de l'absence (quasi) totale de contre-pouvoirs institutionnalisés.
      Je ne me situe ni à un niveau politique ni à un niveau juridique, mais plutôt philosophique. Si nous n'intégrons pas dans la nécessité de l'institution la nécessité de sa critique, cette institution sera aussi, et de plus en plus, une machine à écraser, à tuer. La légende de l'Inquisiteur de Dostoïevski n'est malheureusement pas littérature !
      Il se pourrait que ce que je dis là n'ait rien d'original. De tout temps, dans l'Eglise, on a connu des contestations du pouvoir, non pour torpiller l'Eglise, mais pour contribuer à sa capacité à répondre à sa vocation.
      Je prends pour exemple Sainte Claire d'Assise dont la rhétorique du service prétend enrayer toute logique de pouvoir. (Cf. Jacques DELARUN, Gouverner c'est servir, Alma, Paris 2012.)

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