23/10/2018

Après le deuxième suicide d'un prêtre jeune en un mois


Quelques heures après un deuxième suicide de prêtre, on commence à en savoir un peu plus.
Il est vrai, aucun savoir ne vient expliquer que l'on en vienne à se supprimer. Je reste tétanisé à penser à ce corps d'homme encore jeune, à sa détresse. Un suicide est toujours violent pour ceux qui restent. Alors qu’il y a peu de prêtres jeunes, la disparition coup sur coup de deux d’entre eux va au-delà de leur personne, spectre d’une mort pour l’Eglise. C’est terrifiant.
Il n'y a pas d'explication au mal, parce que s'il y en avait, le mal serait explicable, raisonnable. Or c'est tout le contraire. Le diable c’est l’adversaire du Logos, l'anti-logos.
Notre clergé est assez fier de lui. Notre clergé se pense du bon côté. Littéralement, il plastronne, affiche d’autant plus crânement son identité que l’Eglise s’efface ou est effacée dans la société. Il se croit compétent ou avec suffisamment de ressources pour ne pas vraiment préparer ses homélies. Il se présente rarement comme la prostituée et le publicain qui nous précèdent dans le royaume. Il ne se dit pas dans la faiblesse de la croix, parce qu’alors, il lui faudrait reconnaître ce qu’il est vraiment. L'Eglise se pense du bon côté. (Encore une fois François tranche avec sa devise, qui dit qu'il lui a été fait miséricorde.) Les pratiquants, comme disent les sociologues, pensent et se pensent de la même manière. Pour trouver des chrétiens comme les pécheurs qui se laissent retourner par Jésus, il faut sans doute aller voir du côté de ceux qui se pensent mauvais chrétiens, que les « bons chrétiens » pensent mauvais chrétiens, parce qu'ils ne vont pas à la messe, ne sont pas engagés dans le business...
L'Eglise parle souvent de pardonner (ce serait un devoir, il faut pardonner, plus qu’une attitude théologale) mais dit peu, pas, qu’elle est pardonnée, c’est-à-dire pécheresse. Casta meretrix, chaste putain. Chaste, sans doute, épouse du Christ, prostituée, tout autant !
L’humilité de se reconnaître pécheur, la lucidité de connaître sa misère est le chemin de la conversion théologale, assez éloignée de la recherche de la perfection, de l’idéal de perfection qui invite nombre de prêtres à se poser comme des modèles. Or « c’est quand je suis faible comme je suis fort », dit l’avorton et non le héros de l’évangélisation. Ce n’est pas pour rien si les missionnaires dans l’évangile ont l’ordre de partir deux par deux, sans rien, comme des mendiants. Le chrétien est un mendiant, quand l’Eglise se pense riche de sa morale, de son dogme, de sa manière de vivre, etc.
Alors, quand un prêtre fier de son état, l'arborant jusque dans l'habit, prend en pleine figure la publicité de ses ambiguïtés, la publicité qu'il est pécheur, non pas comme discours pieux et sans rapport concret avec son histoire, mais comme acte repéré par la société comme type même du mal, qu'une infraction ait été ou non commise, c'est la catastrophe.
Oh, je ne juge pas. Je ne suis pas sûr que je ne ferais pas comme ces deux jeunes hommes. Combien de fois la tentation du suicide, je le dis pour moi diabolique, apportait la solution pour en finir avec le mal. C’est le comble. Mais qui supporte sans coup férir le mal en sa radicalité ?
Un des éléments à prendre en compte me semble être le pharisaïsme ecclésial et sacerdotal, non pas d'abord au sens d'hypocrisie qui est second, mais de sentiment d'être dans le juste.

6 commentaires:

  1. Merci, Patrick, pour ton courage, pour le rappel insistant de l'essentiel.

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  2. Dans le cas de Pierre-Yves Fumery, il me semble que le Mal a pris deux visages pour ne lui laisser aucune chance. Le premier visage, c'est celui d'une procédure aussi juste qu'implacable qui s'est enclenchée le 7 septembre, de paroissiens bien intentionnés en "cellule d'Écoute des blessures" - cette initiative de Mgr Blaquart vantée dans Libération la veille même du suicide de "PYF" - en passant par la Cellule de recueil et de traitement des informations préoccupantes concernant les mineurs du Loiret et l'enquête diligentée par la gendarmerie qui a abouti à l'audition du jeune prêtre le 15 octobre, actant que rien ne pouvait lui être incriminé pénalement. Le second visage du Mal, c'est celui qui lui a intimé l'ordre de se pendre comme s'il n'y avait plus d'autre issue, un an après que l'évêque lui avait confié à 37 ans la garde de "28 clochers". L'Église et la société sont pavées de bonnes intentions. Ces pavés ont tué Pierre-Yves Fumery. Il faudra en tirer les leçons, au-delà des dérisoires "éléments de langage" que le communiqué de Mgr Blaquart a repris textuellement à celui de Mgr Lebrun et au drame précédent de Rouen :"visiblement, il s'est donné la mort", "même si nous savions qu'il connaissait un moment difficile."

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    1. Je ne suis pas certain de saisir la pointe de votre commentaire.
      Vous incriminez ceux qui auraient signalé un comportement qu'ils jugeaient inconvenant et l'évêque. Ai-je bien compris ? Si oui, pourquoi ne pas le dire plus clairement ?
      Après votre réponse, je donnerai mon avis. Mais je voudrais être sûr d'avoir bien compris, pour répondre au bon commentaire, ou mieux, pour bien répondre au commentaire.

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  3. Non je n'incrimine personne mais j'ai commencé l'analyse d'une suite de procédures qui forment à mon avis un ensemble plus kafkaïen que chrétien. Je n'ai pas terminé. J'avais commencé par un billet sur mon blog La Vie qui s'appelle La tentation du Kärcher que vous pourrez lire si ça vous intéresse pour élargir la discussion.

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    1. Je suis allé lire votre texte. Pas sûr que vous n'incriminiez personne. Au minimum, vous stigmatisez "l'idée de M. Moreau".
      Je suis très mal à l'aise avec ce que vous écrivez. Non, on ne fera pas une Eglise de purs, et la tentation du Karcher est dangereuse. Mais de là à faire de la lutte contre la pédocriminalité un totalitarisme même non nommé, ce n'est pas recevable. On ne joue pas avec la vie des gens, que ce soient les mineurs massacrés, les victimes des totalitarismes ou nos deux frères prêtres. Ce n'est pas digne.
      A affirmer, à juste titre que le Karcher n'est pas admissible, vous faites avalez que ce que vous dénoncez est juste. C'est un artifice connu des sophistes. (Vous permettrez que j'utilise ce mot, puisque vous-même semblez rire assez aisément des philosophes et de leur recours à la vérité.)
      Il y a une responsabilité de l'Eglise et de la société à protéger les enfants des pédocriminels. Cela oblige à un tri de l'ivraie et du bon grain, dans la société, l'Eglise, l'école, et tout ce que vous voulez, ici et maintenant. On ne peut attendre le Royaume.
      Mal à l'aise encore à dire que "l'idée de M. Moreau" a déjà tué deux fois. Vous aussi savez désigner le bon et le mauvais grain, à ce que je vois et n'avez pas peur de jeter l'opprobre. Votre distinction entre M. Moreau et son idée est de pure rhétorique et vous n'en est pas dupe, j'imagine.
      Mais l'on ne se suicide pas parce que l'on a été calomnié. Surtout si la justice a le temps de faire savoir qu'il n'y a pas d'infraction constituée. Ce raccourci est coupable parce que dangereux. Je vous trouve en outre bien informé de l'état d'esprit des deux prêtres pour affirmer sans trembler le motif de leur geste.
      Ce double malaise est déjà celui que j'éprouvais à votre premier commentaire, ci-dessus.

      On pourra dire, on devra même dire si c'est avéré, que les gens qui ont alerté sur le comportement des deux prêtres ont mal agit. Cela suffit-il à se suicider ? Si tous ceux qui sont victimes un jour dans leur vie d'une injustice aussi grande, ni plus ni moins, et si effectivement il y eut injustice, se suicidaient, ce serait par millions qu'ils se compteraient. Etre adulte, c'est aussi savoir vivre dans un monde où la méchanceté (à supposer que ce soit de cela qu'il s'agisse ici) existe et nous atteint, nous blesse, parfois très profondément, intimement.
      La dénonciation de ces prêtres est peut-être l'élément déclencheur, la goûte d'eau qui fait déborder le vase, mais qu'est-ce qui avait rempli le vase à ras-bord de telle sorte qu'il ne puisse encaisser la moindre goûte ?

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  4. Oui, je reconnais que j'ai "poussé" à l'extrême, je comprends votre malaise, mais si j'ai parlé de tentation, je n'accuse personne d'y avoir succombé. Simplement, face au retour de balancier - l'Église vient de passer brutalement du secret et de la dissimulation à une exposition maximale des faits et gestes de ses clercs, désormais sous surveillance étroite (le "principe de précaution" est le dernier préservatif à la mode) - j'ai voulu pointer des risques, en flirtant grossièrement, je le reconnais, avec le point Godwin. Je ne connais pas précisément la situation qui était celle de Jean-Baptiste Sèbe, en dehors de ce qui est sorti dans la presse. Je suis plus proche de celle de Pierre-Yves Fumery. Un suicide, certes, renvoie toujours à un mystère, une fragilité, une liberté aussi, etc. Je le sais par expérience familiale. Je pense que "PYF" comme il se faisait appeler par les jeunes qu'il "animait", au sens étymologique de ce verbe, s'est pris le retour de balancier en pleine figure. Le pire dans toute cette affaire, c'est qu'il n'y a sans doute eu aucune méchanceté, que des bonnes intentions, l'Église en est pavée, mais toutes happées dans une mécanique procédurière d'où aucune main tendue n'est parvenue à s'extraire. Peut-être Pierre-Yves n'était-il déjà plus en état d'en saisir une. C'est la mécanique que j'accuse, pas les personnes.
    Henri Laborit explique bien (cf. le film d'Alain Resnais "Mon oncle d'Amérique") que face à une crise, l'individu a trois solutions : la fuite, la lutte ou l'inhibition. Pierre-Yves Fumery aurait envoyé "ch..." ses paroissiens et son évêque, il serait sans doute encore en vie. Il a fui puis il s'est enfermé. A sa décharge, il avait été "lock-outé" de son ministère le jour même de la messe de rentrée dont il a été interdit (pardon, invité à "prendre du recul"), lui qui avait mis toute sa vie au service des jeunes. A-t-il eu envie de lutter ? Mais contre quoi ou qui ? Oui, je reste en colère, qui est mauvaise conseillère. Mais ça va passer. Et de ce Mal sortiront sans doute, il faut l'espérer, mille fruits de la grâce.

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