Qui est cet homme qui s’approche de Jésus et demande comment
obtenir la vie éternelle ? On apprend à la fin du récit qu’il est riche,
mais c’est évidemment dès le début qu’il arrive habillé correctement, propre. Imaginons
la scène pour mieux nous rendre compte. Nous voyons se jeter aux pieds de Jésus
un homme qui, même sans ostentation, est mieux vêtu, plus soigné que Jésus qui
n’a pas même où reposer la tête. La rencontre est aussi étonnante, dans un sens
opposé, que celle de Jésus avec les lépreux. Faut-il comprendre la scène comme
une gesticulation, la démonstration d’une impudique humilité, la confiance qui
se moque du qu’en dira-t-on ?
Dans le dialogue qui s’engage, l’homme affirme sans vergogne
avoir tout fait, avoir tout bien gardé depuis sa jeunesse. Si humilité il y
avait dans sa prostration, on se demande ce qu’elle est devenue. Qui peut
prétendre avoir, depuis sa jeunesse, toujours gardé les commandements, n’avoir
certes jamais tué, voire n’avoir jamais eu de relations sexuelles avec une
autre personne que son conjoint, mais encore n’avoir jamais volé, ni dit du mal
d’autrui, et avoir toujours considéré avec respect ses parents ?
Je ne sais pas vous, mais moi, cet homme, je ne le sens pas.
Je ne sais même s’il a pu exister, si Marc ne nous tend pas un piège à nous en
parler. Je crains ceux qui disent « j’ai tout fait » où l’on entend
« j’étouffais ». Qu’a-t-il étouffé en lui et chez les autres pour se
penser si bien ? Est-ce lui ou Jésus qui est bon ? On en connaît de
ces personnes qui ne voient pas pourquoi elles se remettraient en cause,
puisqu’elles ont toujours tout bien fait.
Jésus pose son regard sur lui et l’aima. Voilà une note qui
nous inviterait à un peu de sympathie pour cet homme, comme Jésus. Mais deux
choses intriguent. Jésus pose son regard sur lui. Ne l’avait-il pas vu avant ?
Bien sûr que si, puisqu’il lui a parlé, répondu. Serait-ce que Jésus doit s’y
prendre à deux fois pour l’aimer, pour ne pas en rester à une première
impression, assez détestable, que laisse cet homme ? Pourquoi ce regard
second ?
Jésus avait semblé agacé par l’homme, au point de le
corriger. « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon
Dieu seul. » Cela fait un peu beaucoup, cet homme qui accourt et se met à
genoux, qui se jette aux pieds de Jésus, forcément démonstrativement, et lui
donne du « bon maître ». La Fontaine n’avait pas encore écrit mais
l’on savait que les flatteurs vivent aux dépens de qui les écoute. Qu’est-ce
qu’il veut, cet homme ?
Avoir la vie ? Croit-il que, comme le reste, cela
s’achète pour peu qu’on ait les moyens ? Arrogance des riches, d’autant
plus arrogante qu’ils ne se rendent pas compte de l’énormité de ce à quoi ils
pensent pouvoir évidemment prétendre, qui imaginent que leur richesse dit leur
perfection, comme d’autres se croient justes du seul fait d’être croyants. Et
pourtant Jésus l’aime, parce que Dieu est amour, parce que cet homme aussi a
besoin de salut. La preuve, il est prêt à faire quelque chose pour avoir la vie
éternelle.
Mais la suite du texte, pour sévère et rédhibitoire qu’elle
soit à l’encontre des riches : « Comme il sera difficile à ceux qui
possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! […] Il est plus
facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer
dans le royaume de Dieu. » modifie le propos. Le riche ne vaut plus pour
lui-même mais comme type de celui qui a, même peu ; modèle de qui n’a pas
à recevoir, de celui qui possède. De façon hyperbolique, c’est tout homme qui
se trouve confronter à l’impossibilité. « Pour l’homme c’est impossible. »
Vends tout, donne aux pauvres, parce qu’alors, tu seras bien obligé de
recevoir. La vie en effet, on ne l’a pas, on n’en hérite pas, on ne l’achète
pas, ni avec l’argent, ni avec des mérites, ni avec le respect de la loi ou de
la religion. La vie n’est pas une affaire de possession ou de rétribution. La
vie est don, gratuit. Personne d’entre nous n’a pu demander à vivre, exiger la
vie ou la refuser. Elle nous est advenue, indépendant de nous.
Et les disciples ne comprennent pas mieux que l’homme riche
et triste. Qui peut être sauvé ? demandent-ils. Et Pierre revient à la
charge, sous prétexte d’avoir tout quitté. Qu’a-t-il quitté, qu’avons-nous
quitté pour Jésus ? Soyons honnêtes. La réponse de Jésus est pleine
d’ironie, tu auras tout au centuple, avec les persécutions, parce que « pour
les hommes, c’est impossible ». Pour les hommes, se donner la vie est
impossible. C’est tellement évident, nous le savons tous, et pourtant nous
continuons à penser que nous avons quelque chose à faire pour obtenir la vie.
Avec Jésus, il faut recevoir, tendre les mains, comme à
l’eucharistie. Dieu donne, Dieu se donne. L’homme selon l’évangile n’est pas le
riche, mais le mendiant. Renversement, une fois encore, des valeurs : la
richesse n’est pas une bénédiction mais la malédiction qui nous empêche d’accueillir
la vie. Ne cherchons pas à avoir, à hériter, fût-ce la sainteté et la vie. Comme
de la manne, on ne peut faire des réserves, mais le don se renouvelle chaque
matin. Tâchons de le recevoir, de l’accueillir ce Dieu qui se donne. C’est ça
vivre.
- Seigneur, nous te prions pour
l’Eglise réunie en synode à Rome. Elle veut se faire attentive aux jeunes, se
mettre à leur écoute afin que l’évangile puisse être accueilli. Donne-nous ton
Esprit pour renouveler l’Eglise.
- Seigneur, les aumôniers de
prison sont en ce moment à Lourdes. Prêtres, religieux, laïcs, hommes et
femmes, ils sont environ sept cents témoins de la miséricorde à aller visiter
les quelques deux cents prisons françaises et les soixante-dix mille détenus.
Que notre péché nous aide à savoir accueillir la vie que tu nous donnes.
- Seigneur, nous commençons la
semaine missionnaire mondiale. Que notre communauté se sente responsable de l’annonce
de l’évangile.
Salut, as-tu par hasard lu le commentaire de Dietrich BONHOEFFER, pages 50 à 59 de "vivre en disciple", le prix de la grâce, édition de 2009 chez Labor et fides ?
RépondreSupprimerTu verras comme vos lectures sont convergentes, à propos du caractère peu crédible de cet homme là.
En effet, on comprend mieux l'ensemble de ce récit si l'homme est considéré d'emblé comme désobéissant, à la loi simple de Dieu. Ses questions sont seulement l'occasion de ne pas faire ce qui est simplement commandé... Comme tu dis, je ne le sens pas, cet homme.
Bertrand.
Merci Bertrand.
SupprimerJe ne me rappelle pas ces pages de Bonhoeffer. Dès que ma bibliothèque sera sortie de carton, j'irai voir.
Le problème avec l'évangile, c'est qu'on y croit comme si c'était "parole d'évangile", au premier degré, sans rien regarder des stratégies littéraires pourtant souvent constituées de ficelles monstrueuses. Cela m'interroge beaucoup. Je voudrais bien un peu percer ce mystère.