L’épitre aux Hébreux est un évangile, une proclamation de la
vie reçue par lui, avec lui et en lui, Jésus. Nous ne la lisons guère, parce
que son style nous égare. Sur tous les textes du second testament pèse la
distance de quasi deux-mille ans qui nous sépare de leur rédaction. Le monde du
texte n’est pas le nôtre ; nous sommes dépaysés voire perdus.
(Le recourt à l’histoire peut être utile pour se repérer,
certes, mais pas au point que seuls les historiens auraient la possibilité de comprendre
le texte. L’histoire aidera surtout à prendre conscience de la distance entre
le monde du texte et celui du lecteur. C’est dans l’intersection de ces deux
mondes que le sens émerge. Un texte fait sens tant qu’il est possible, avec les
éléments qu’il offre lui-même, de faire se croiser son monde et le nôtre. Nous nous
laissons altérés par l’altérité du texte, alors nous avons commencé à
comprendre, alors le texte nous dit quelque chose ; la preuve, sa lecture nous
transforme.)
L’épitre aux Hébreux choisit comme grammaire de son évangile
la vie liturgique au temple de Jérusalem au premier siècle de notre ère. Comme
le temple est détruit par Titus en 70 et que la lettre est généralement datée
des années 80-90, qu’en outre, elle ne reçoit son nom que tardivement, au 2ème
siècle, il n’est pas certain qu’il faille connaître la liturgie du temple ni les
Hébreux pour comprendre. Dans l’extrait que nous lisons (He 5, 1-6) par exemple,
on explique d’abord ce qu’est un grand prêtre puis on le compare à Jésus.
Mais pourquoi donc parler de Jésus comme d’un grand-prêtre ?
Quelle drôle d’idée ! Dire que Jésus est grand-prêtre, c’est dire son rôle
pour mener la prière et la vie des hommes à Dieu. Il est, comme le dit le texte
de l’épitre, médiateur. Vous voulez aller à Dieu, vous voulez vous adresser à
lui, obtenir de lui bénédiction et bienfaits, passez par Jésus.
N’allons pas croire que notre monde déchristianisé et
sécularisé ignore tout du religieux. Au contraire, moins il le connaît
thématiquement, plus il y revient dans la pratique. La religion, c’est un monde
où le dieu ou les dieux sont des forces qui nous dépassent, agissent plus ou moins
sur le cours de notre vie, et que nous devons, par quelques pratiques, nous
concilier. Il s’agit d’avoir tout fait. « Ce n’est pas que je sois
croyant, mais je rentre toujours dans une église quand elle est ouverte. »
Nous avons entendu, ou peut-être vécu cela.
Dans une religion, il ne s’agit pas de croire, de s’en
remettre, de faire confiance, mais de poser des actes. Ainsi l’on est en règle,
avec soi, la société, le ou les dieux. Vous mesurez la distance d’avec Jésus.
Avec Jésus, il s’agit de s’en remettre à lui, et l’on se moque d’être en règle,
parce dans l’amour, les règles ne comptent plus, elles ne risquent pas d’être
enfreintes, elles sont dépassées. « Aime et fais ce que tu veux. » « Dieu
est amour. »
Parler de Jésus comme grand-prêtre, c’est en finir avec les
religions, les règles de la pratique cultuelle, liturgique, avec la religion. C’est
entrer dans une compréhension non religieuse de la vie et de la société. Cela
tombe bien pour nous qui vivons dans un monde qui se pense non religieux, qui
pense assez généralement les religions comme périmées voire coupables et
dangereuses. Les religions, y compris le christianisme, non seulement peuvent
être dangereuses, c’est une évidence, mais surtout, elles empêchent d’entendre
l’évangile. Nous pouvons grâce à un texte biblique penser l’évangile sans la religion.
C’est dire l’actualité de l’épitre aux Hébreux !
Mais alors, que devons-nous faire ? Rien, si la
religion est le domaine du faire, de la pratique, des rites sacrés. Si pratique
il y a dans l’évangile, c’est comme mise en pratique de la parole. Nous autres,
disciples de Jésus, savons que le service divin s’accomplit dans le service des
frères, dans la charité. La justice est le culte qui plaît à Dieu, si l’on veut
conserver le vocabulaire liturgique. On n’est pas chrétien à avoir tout fait,
baptême, communion et tout le tintouin ; c’est dans la vie de chaque
instant, que nous sommes appelés à vivre comme Jésus, à vivre par lui, avec lui
et en lui, à laisser surgir le royaume de Dieu, ici et maintenant.
Si Jésus est grand-prêtre, ce n’est pas comme un
fonctionnaire de Dieu, c’est comme fils, engendré, issu, procédant du Père. Ce
n’est pas comme les prêtres, que la figure d’Aaron représente, mais comme Melchisédech,
le roi de justice, dont on ne sait rien de l’ascendance ni de la descendance,
parce qu’il vient de Dieu même.
Parler de Jésus comme grand-prêtre, non seulement mène à la
confession de foi ‑ Jésus engendré du Père avant tous les siècles, seul
médiateur d’une alliance nouvelle, donne aux hommes de vivre de Dieu même, de
vivre de l’amour ‑ mais permet de comprendre que pour vivre avec Dieu, il
faut abandonner les religions, christianisme compris. Sans cesse dans l’histoire
de l’Eglise, on est retourné au veau d’or de la religion. « Le veau d’or
est toujours debout ! » L’alternative n’est pas entre la religion ou le
chaos qu’annoncent en chaire les Cassandre contemptrices du monde désacralisé,
mais entre deux mondes. Le « nouveau germe déjà, ne le voyez-vous pas ? »
C’est fraternité reçue de « Notre Père qui est aux cieux », c’est le « service
de Dieu dans la justice et la sainteté tout au long de nos jours ».
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