Le début du chapitre 15 de Luc prend le lecteur à témoin de
l’opposition que rencontre Jésus. Son style de vie, sa fréquentation des
publicains et des pécheurs, les repas qu’il partage avec eux, tout cela semble contraire
à la fidélité au Dieu très saint. Est-il possible d’exiger le choix de la
dernière place et du renoncement comme nous l’avons lu les deux derniers
dimanches, lorsque, dans le même temps, on fait bon accueil aux pécheurs ?
Les pécheurs n’ont pas plus que les autres accepté la dernière
place ; ils pensent aussi en « moi d’abord ». Pourquoi Jésus les
accueillent-ils alors que ses propos sont si durs avec les scribes et
pharisiens ? Ces derniers, à défaut d’opter pour la radicalité du service,
au moins, peuvent penser ne pas être malhonnêtes, voleurs ou débauchés.
Alors que François parle d’un risque de schisme dans l’Eglise tant
sa prédication suscite l’opposition et la haine de certains catholiques, on a
l’impression d’entendre les mêmes interrogations. S’il suffisait d’être pauvre
pour être un homme ou une femme de bien, cela se saurait ! (Où l’on met
souvent les pauvres et les pécheurs dans le même sac !) Nous autres qui
travaillons, qui nous adaptons pour produire de la richesse, qui soutenons
l’Eglise financièrement, qui défendons l’identité chrétienne et voulons être
disciples, est-il juste de s’opposer à notre style de vie et de soutenir incessamment
les pauvres et les migrants ? Qu’ont-ils fait pour se prendre en main,
pour sortir de la pauvreté, pour construire des pays états de droit, de
liberté, de prospérité ? Ne sont-ils pas des profiteurs et des assistés ?
Hier comme aujourd’hui, c’est la même incompréhension. La parole de
l’évangile, reconnue comme chemin par les disciples, comme commandements du
Dieu très saint à travers Jésus ou François, semble condamner ceux qui mettent
cette parole en pratique, se veulent disciples de Jésus.
Deux réflexion. La première, c’est la dénonciation par Jésus de la
religion du mérite ou de la rétribution. On n’est pas chrétien, disciple, pour
toucher une récompense, ou pour être quelqu’un de bien. On est chrétien par
amour de Jésus, c’est-à-dire de tous les hommes et femmes qui sont ses frères
et sœurs. Qui parle d’amour parle de gratuité, de « pour rien », et
non de rétribution. Vous pardonnez ou êtes agréable avec votre conjoint ou vos
parents non pour être récompensé par eux ou par Dieu, mais parce que vous les
aimez. La raison d’aimer, ce sont les autres, et Dieu parmi et avec eux.
Or dire que l’être disciple est gratuit laisse penser que cela ne
sert à rien, n’a pas de valeur. Si, en plus, vous vivez l’être disciple comme
un pensum, alors, vous faites des efforts pour rien. Cela n’a jamais été très
apprécié, mais dans une société où tout se paie, où tout à un prix, ce qui n’en
a pas est forcément méprisable. L’évangile demeure intempestif.
L’évangile et Jésus renversent une conception de la religion comme
tutrice de vie morale, comme garde-fou ne serait-ce que comme peur du gendarme.
Mais ils font de la foi un attachement à Jésus dont on n’a jamais fini, comme
avec l’amour. On n’est jamais quitte avec Jésus et les frères, et la dette de l’amour
est bonheur. La foi est autrement plus radicale que la religion où il suffirait
d’être en règle pour recevoir la récompense.
Deuxième réflexion. Qui d’entre nous peut sans mentir affirmer
qu’il a toujours agit moralement ? Qui d’entre nous peut dire sans
hypocrisie vivre toujours selon la vertu, selon les valeurs comme on dit
aujourd’hui ? La phrase de Jésus devenue proverbe permet de
répondre : « que celui qui n’a jamais péché lance la première
pierre ».
Dans ces conditions, personne n’est juste. C’est dur à entendre
pour certains qui ne sont pas comme ceux qui… Au lieu d’accuser Jésus de manger
avec les pauvres et même les pécheurs, ne devrions-nous pas nous réjouir de ce
que, saint comme le Père, il vienne manger avec nous ? A nous prétendre purs,
des gens bien, ne nous interdisons-nous pas d’être accueillis sans limite par
le Christ ? « Mon fils que voilà était mort, il est revenu à la vie. »
Dans le Royaume, il n’y a qu’un seul chemin, celui de la dernière
place. Il s’impose à tous. C’est celui qu’a pris Jésus. C’est l’unique solution
pour une civilisation de la paix et de la vie digne pour tous. Avec les
pécheurs, pour tous donc, heureusement que Jésus vient manger avec nous, se met
en tenue de service, se fait notre serviteur. Par sa présence nous entrons dans
la sainteté de Dieu. « Il faut se réjouir car ton frère était perdu et il
est retrouvé. »
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