Jésus exagère quand il parle d’argent. D’ailleurs, même ses
disciples ne mettent pas ses propos en pratique. La pauvreté évangélique ne
concerne quelques illuminés, parmi lesquels François d’Assise et quelques uns
de ses fils et filles, aujourd’hui encore.
Je ne parle pas de la pauvreté subie, qui avilie voire tue
tant d’hommes, de femmes et d’enfant Je parle de la pauvreté librement
consentie au nom de Jésus, Dame pauvreté, qu’épouse saint François, la pauvreté
comme refus le plus décidé de sacrifier au dieu argent.
Faudrait-il penser que l’argent est un mal, même si c’est un
mal nécessaire ? L’enseignement social de l’Eglise se refuse à des
positions aussi radicales, parlant de l’argent comme d’un moyen qui n’est
mauvais qu’à devenir une fin.
J’ai peur que ce soit un peu court. L’évangile parle de
l’argent comme d’une idole. Que vous lui sacrifiiez une fois par an ou tous les
jours, que vous lui sacrifiiez la vie de vos frères ou seulement un petit refus
de partager, cela demeure une idole. Entre Jésus ‑ et les frères ‑,
et l’argent, il faut choisir. Nous ne pouvons servir deux maîtres à la fois. « Vous
ne pouvez servir Dieu et l’argent. »
« Cette parole est dure. Qui pourra l’écouter ? »
(Jn 6, 60) Et pourtant, qui nous fera croire que l’évangile n’a plus rien à
dire tant le dérèglement de l’économie est source de violence, de guerre, de
migration, d’inégalité, d’injustice ? Nous vivrions l’évangile dans sa
force de renouveau social, ne serions-nous pas missionnaires ?
Le reflux de l’Eglise aujourd’hui a de multiples causes.
Mais nous, disciples, ne piétinerions pas l’évangile, ne croyez-vous pas que ce
reflux serait moindre ? Ne serions-nous pas pour partie responsable du
discrédit de l’évangile ? Le refus de sacrifier à l’argent n’est pas pour
nous d’abord une affaire politique ou économique. C’est une affaire de foi.
Les inégalités dans notre pays et dans le monde n’ont cessé
de croître depuis quarante ans. Les conséquences sont nombreuses, notamment sur
le lien social. Pour qu’une société tienne debout, tienne comme société, un
ensemble, il ne suffit pas d’augmenter la richesse, au point d’ailleurs de
mettre la planète en péril, il s’agit de permettre au plus grand nombre d’y avoir
sa place. En continuant à laisser au pouvoir un capitalisme de la dérèglementation,
nous nous tirons une balle dans le pied. Non seulement ce qui financerait le
lien social est sans cesse rogné, mais les classes moyennes sont elles-mêmes
victimes des injustices économiques. En France, c’est une première depuis des
siècles : les enfants ne sont plus statistiquement à un niveau de vie supérieur
à celui de leurs parents. S’il s’agit de décroissance, ce peut être une bonne
nouvelle, si c’est à cause des inégalités, c’est une bombe sociale. Et l’évangile,
qui dit sa petite musique de paix, nous ne l’écoutons pas ?
Nous organisons le territoire national avec des banlieues où
se concentrent les difficultés sociales et économiques, et ensuite, nous nous
scandalisons de ce qu’il y ait des zones de non-droit. Nous laissons le trafic de
drogue s’organiser parce que, sans cette économie parallèle, ce serait l’émeute
permanente. Il ne s’agit pas de légitimer la délinquance, mais de s’interroger.
Pouvons-nous nous étonner des conséquences des politiques que nos choix
électoraux ont rendu possibles ? Alors, vivent les populistes et les
extrémistes ? Pour l’heure Trump, Bolsonaro, Orban, Netanyahu n’ont fait
qu’augmenter les sacrifices humains au dieu argent et pouvoir. Après quelques
années de ce type de gouvernants, la situation d’aucun de leur pays ne s’est
arrangée. Et l’évangile ? Et sa petite musique de paix ?
Les flux migratoires inquiètent. A dire vrai, ceux des
pauvres ; parce que lorsque des européens s’installent aux Etats Unis, à
la City ou à Dubaï, cela ne nous fait pas problème. Mais comment ces flux
pourraient-ils ralentir alors qu’ils sont produits par la mondialisation et son marché, alors
que rien n’est fait, au contraire, pour que les inégalités nord-sud se
réduisent, que nous continuons à commercer avec ceux qui dépouillent leur propre
pays ?
Et si l’évangile avait déjà la réponse ! Oh, certes pas
en terme de politique, de moyens à mettre en œuvre. Mais comme une boussole. La
course à l’argent mène à la catastrophe. La crise écologique en est la preuve.
Mais rien ne change. Nous sacrifions au dieu argent des milliers, des millions
de vies, déjà celles de nos enfants. Les sacrifices humains n’ont pas disparu.
Les faux dieux en sont repus. Les autels du dieu argent débordent de sang
humain.
Il n’y aura pas de paix sans partage, partage de notre
commune humanité, de notre fraternité. Quel monde laissons-nous à nos enfants ?
Et l’évangile n’aurait plus rien à dire ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire