20/09/2019

Le temps des sacrifices humains (25ème dimanche)


Jésus exagère quand il parle d’argent. D’ailleurs, même ses disciples ne mettent pas ses propos en pratique. La pauvreté évangélique ne concerne quelques illuminés, parmi lesquels François d’Assise et quelques uns de ses fils et filles, aujourd’hui encore.
Je ne parle pas de la pauvreté subie, qui avilie voire tue tant d’hommes, de femmes et d’enfant Je parle de la pauvreté librement consentie au nom de Jésus, Dame pauvreté, qu’épouse saint François, la pauvreté comme refus le plus décidé de sacrifier au dieu argent.
Faudrait-il penser que l’argent est un mal, même si c’est un mal nécessaire ? L’enseignement social de l’Eglise se refuse à des positions aussi radicales, parlant de l’argent comme d’un moyen qui n’est mauvais qu’à devenir une fin.
J’ai peur que ce soit un peu court. L’évangile parle de l’argent comme d’une idole. Que vous lui sacrifiiez une fois par an ou tous les jours, que vous lui sacrifiiez la vie de vos frères ou seulement un petit refus de partager, cela demeure une idole. Entre Jésus ‑ et les frères ‑, et l’argent, il faut choisir. Nous ne pouvons servir deux maîtres à la fois. « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. »
« Cette parole est dure. Qui pourra l’écouter ? » (Jn 6, 60) Et pourtant, qui nous fera croire que l’évangile n’a plus rien à dire tant le dérèglement de l’économie est source de violence, de guerre, de migration, d’inégalité, d’injustice ? Nous vivrions l’évangile dans sa force de renouveau social, ne serions-nous pas missionnaires ?
Le reflux de l’Eglise aujourd’hui a de multiples causes. Mais nous, disciples, ne piétinerions pas l’évangile, ne croyez-vous pas que ce reflux serait moindre ? Ne serions-nous pas pour partie responsable du discrédit de l’évangile ? Le refus de sacrifier à l’argent n’est pas pour nous d’abord une affaire politique ou économique. C’est une affaire de foi.
Les inégalités dans notre pays et dans le monde n’ont cessé de croître depuis quarante ans. Les conséquences sont nombreuses, notamment sur le lien social. Pour qu’une société tienne debout, tienne comme société, un ensemble, il ne suffit pas d’augmenter la richesse, au point d’ailleurs de mettre la planète en péril, il s’agit de permettre au plus grand nombre d’y avoir sa place. En continuant à laisser au pouvoir un capitalisme de la dérèglementation, nous nous tirons une balle dans le pied. Non seulement ce qui financerait le lien social est sans cesse rogné, mais les classes moyennes sont elles-mêmes victimes des injustices économiques. En France, c’est une première depuis des siècles : les enfants ne sont plus statistiquement à un niveau de vie supérieur à celui de leurs parents. S’il s’agit de décroissance, ce peut être une bonne nouvelle, si c’est à cause des inégalités, c’est une bombe sociale. Et l’évangile, qui dit sa petite musique de paix, nous ne l’écoutons pas ?
Nous organisons le territoire national avec des banlieues où se concentrent les difficultés sociales et économiques, et ensuite, nous nous scandalisons de ce qu’il y ait des zones de non-droit. Nous laissons le trafic de drogue s’organiser parce que, sans cette économie parallèle, ce serait l’émeute permanente. Il ne s’agit pas de légitimer la délinquance, mais de s’interroger. Pouvons-nous nous étonner des conséquences des politiques que nos choix électoraux ont rendu possibles ? Alors, vivent les populistes et les extrémistes ? Pour l’heure Trump, Bolsonaro, Orban, Netanyahu n’ont fait qu’augmenter les sacrifices humains au dieu argent et pouvoir. Après quelques années de ce type de gouvernants, la situation d’aucun de leur pays ne s’est arrangée. Et l’évangile ? Et sa petite musique de paix ?
Les flux migratoires inquiètent. A dire vrai, ceux des pauvres ; parce que lorsque des européens s’installent aux Etats Unis, à la City ou à Dubaï, cela ne nous fait pas problème. Mais comment ces flux pourraient-ils ralentir alors qu’ils sont produits par la mondialisation et son marché, alors que rien n’est fait, au contraire, pour que les inégalités nord-sud se réduisent, que nous continuons à commercer avec ceux qui dépouillent leur propre pays ?
Et si l’évangile avait déjà la réponse ! Oh, certes pas en terme de politique, de moyens à mettre en œuvre. Mais comme une boussole. La course à l’argent mène à la catastrophe. La crise écologique en est la preuve. Mais rien ne change. Nous sacrifions au dieu argent des milliers, des millions de vies, déjà celles de nos enfants. Les sacrifices humains n’ont pas disparu. Les faux dieux en sont repus. Les autels du dieu argent débordent de sang humain.
Il n’y aura pas de paix sans partage, partage de notre commune humanité, de notre fraternité. Quel monde laissons-nous à nos enfants ? Et l’évangile n’aurait plus rien à dire ?

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