Croyants ou pas, nous ne pouvons entendre cette page
d’évangile (Mt 6,
25-34) sans un certain étonnement. Qu’elle audace ou au contraire quelle
insouciance, cette invitation à ne pas se préoccuper pour demain ! Demain
nous parait pourtant préoccupant : crise écologique, déréglementation de
l’économie, accroissement des inégalités, migrations rendues inexorables par
les violences, la pauvreté ou, pour les plus riches, l’appât du gain, dans les
monarchies du Golfe ou les capitales économiques.
Pouvons-nous ne pas nous préoccuper de demain autrement qu’à
être irresponsables ?
Vous nous avez donné à entendre ces paroles de Jésus car
évidemment elles disent autre chose, par exemple : la vie, c’est
aujourd’hui. On ne vit pas dans le futur, on ne construit pas le futur à se
détourner du présent, à mépriser la vie, ici et maintenant. Si une
préoccupation est légitime, c’est celle de l’aujourd’hui, non comme un carpe diem profiteur, mais comme
recherche de la justice. « Cherchez le royaume et sa justice, et le reste
vous sera donné par surcroît. » Dès lors que nous nous engageons pour une société
juste, fraternelle, nous n’avons plus rien à craindre. Même la guerre perd son
terreau, les inégalités et le mépris.
Sans doute, la prise en considération de ce que vivons
aujourd’hui passe-t-elle par une forme de décroissance ou de frugalité. A n’être
pas préoccupés pour demain, l’on s’oblige à déserter le régime de la possession
et l’on rend l’avenir possible.
Alors que vous vous engagez l’un envers l’autre pour toute
votre vie, vous choisissez d’être attentifs l’un à l’autre, l’un avec l’autre
aux autres, parce que c’est dans la vérité de l’aujourd’hui que demain est possible
autrement que comme une apocalypse, parce que c’est le mépris de l’aujourd’hui
qui conduit à la catastrophe. Entre la possession et la confiance, il faut
choisir, entre l’amour et la préoccupation de l’avenir.
De la confiance à la foi, il n’y a pas loin, l’étymologie
l’atteste. Cette foi n’est pas un croire Dieu, sans doute. Elle est notre
manière de vivre avec l’autre, avec les autres, pratique de la différence. L’on
ne peut pas aimer sans la confiance, apprendre à ne plus se posséder soi-même,
mais s’en remettre ‑ et cela apparaît risqué ‑ à l’autre, conjoint,
ami, tout autre, voisins ou peuples éloignés, hébergés par une même planète,
frères et sœurs en humanité.
Si l’on en vient à parler de foi, de confiance en Dieu, on
ne sera pas dépaysé dès lors que la possession aura été reléguée. On comprendra
pourquoi avec Dieu, il ne peut être question de preuve, preuve d’existence, de
compte à rendre, comme dans la possession, mais seulement de confiance. C’est
le sens du sacrement de mariage. A vivre de la confiance, à croire l’autre, on
a déjà fait ses gammes pour croire Dieu. Réciproquement, à compter sur Dieu, on
apprend à vivre par l’autre, Dieu, conjoint, ami, voisin ou frère d’une autre
latitude.
Je sais, faire des gammes n’est pas jouer un concerto. Apprendre
la dépossession en aimant, en cherchant la justice du royaume, si c’est croire,
est-ce croire Dieu ? Vous êtes prêts à vous risquer ensemble aujourd’hui
pour la vie ; accordons qu’il n’est pas moins possible de se lancer à l’aventure
d’une dépossession radicale parce que l’autre auquel on s’en remet est encore
plus mystérieux que le conjoint, l’ami, le voisin et frère de quelque latitude
que ce soit.
La première lecture (Os 2,
16b. 17b. 21-22) nous a fait entendre une déclaration
enflammée d’un Dieu qui aime l’humanité. Le découpage liturgique violente un
peu le texte. Mais enfin, le « reste » donné par surcroît, le reste
qui nous advient dans la recherche du royaume et de sa justice, n’est-ce pas
cela ? Cherchez le royaume et sa justice, et vous arrivera, comme un don
gratuit, l’amour de Dieu. Non une récompense ! Mais la quête de la justice
révèle ce que la possession empêche de voir. Nous sommes aimés, infiniment. Ce
que nous sommes n’est pas une identité, à défendre, à protéger, à revendiquer,
mais notre réponse à une interpellation aimante, amoureuse. La providence, ce
n’est pas la magie d’un dieu arrangeur de destin, c’est la vie qui se comprend
comme reçue, comme don d’amour. Oui, il donne, il se donne et c’est notre
recherche de justice qui nous le révèle, par surcroît.
Vivre en homme et femme en ce monde, c’est se comprendre
comme appelés par l’amour. Gratuitement. La gratuité même de la beauté des lys
et des fleurs des champs.
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