La parabole du pauvre Lazare (Lc 16, 19-31). Nous voilà comme la
semaine dernière, interrogés sur l’argent et ses ravages, ravages pour ceux qui
sont dans la misère, ravages pour les riches qui détruisent en eux aussi
l’humanité par leur mépris des pauvres.
Le pauvre a un nom, Lazare, le riche non. La parabole n’aurait pas
eu besoin d’en raconter plus. Mais son volet infernal offre une description du
riche qui, bien que mort, continue à se prendre pour un puissant, à considérer
Lazare comme un larbin qui devrait le désaltérer et aller avertir ses frères et
sœurs, et va jusqu’à donner des ordres à Abraham.
Le texte ne parle peut-être pas tant de richesses et de pauvreté,
d’inégalités, que de foi. « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les
morts : ils ne seront pas convaincus. » Tout est déjà dit de la vie
entre nous selon les commandements de Dieu : il y a la loi et les
prophètes, il y a la loi morale inscrite au fond de la conscience. A propos de
prophète, nous avons écouté, comme la semaine passée, une dénonciation par Amos
des turpitudes des riches.
Quant à la loi, je n’en cite que deux versets : « Quand
un immigré résidera avec vous dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas.
L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un israélite de souche, et
tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été immigrés au pays d’Égypte.
Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lv 19, 33-34)
En cette journée des migrants, nous sommes sommés de regarder la
réalité de la migration en face, non pas de manière biaisée, politicienne. Nous
n’avons pas le choix parce que c’est notre propre humanité qui est en jeu. A
refuser à autrui le minimum de la solidarité fraternelle, à le laisser être
nourriture pour les chiens qui lèchent ses plaies, c’est nous qui sommes
inhumains, qui assassinons notre humanité, qui nous détruisons en le détruisant.
Regarder l’immigration en face, c’est d’abord rencontrer des
personnes. Les migrants ne sont pas des migrants. Ce sont des personnes, des
hommes, des femmes, des enfants, des mineurs non accompagnés. « Il ne
s’agit pas seulement de migrants » comme le dit le thème de cette journée
2019 proposé par le Pape.
Regarder l’immigration en face, c’est écouter, comme nous le ferons
dans un instant quand Imram prendra la parole, quand à la fin de la messe nous
aurons la possibilité de parler un peu avec ceux qui nous ont fait l’amitié de
venir nous rencontrer.
Regarder l’immigration en face, c’est se renseigner. Je vous
invite, par exemple, à lire le papier de François Héran, professeur au Collège
de France, dans Le Monde suite à la
sommation de regarder l’immigration en face. Il y a dans l’Yonne plus de 800
migrants mineurs non accompagnés. Qui parmi nous les a vus ? Qui s’est
rendu compte d’un problème avec les plus de 600 personnes dans des centres
d’accueil comme Jaulges ou Vergigny ?
« Les faits sont là : [La France] n’a jamais fait partie
des pays d’Europe qui croulent sous le poids des demandes d’asile, y compris
dans la période récente. Les 400 000 demandeurs enregistrés sur notre sol
depuis janvier 2015 ne représentent que 10 % du total européen et, sous
l’hypothèse que tous seraient restés en France, ils n’ont accru notre population
que de 0,6 % (contre 2 % en Allemagne et 0,8 % dans l’Union européenne). […]
Il y aura toujours une majorité de l’opinion publique pour juger
que les autres sont de trop. Du temps de Malthus, c’étaient les pauvres ;
aujourd’hui, ce sont les étrangers. Souvent, ce sont les deux. Le vrai débat
n’est pas de savoir s’il y a « trop d’étrangers » en France. […] Aujourd’hui,
le déni, c’est de refuser de regarder en face la composante migratoire de nos
sociétés. C’est de faire croire au peuple qu’un retour au passé est possible,
dans le repli sur soi. C’est d’opposer la politique à la morale, l’éthique de
responsabilité à l’éthique de conviction, alors que les deux sont
inséparables. »
Regardons la migration en face. Il n’y a pas de crise migratoire.
Il y a une crise de l’accueil, une crise de l’asile. Une crise de l’Europe et
des pays riches. Car la migration dont notre pays voudrait se protéger, c’est
celle des pauvres. (La migration des riches, nous la regrettons alors qu’ils
vont à l’étranger pour payer moins d’impôts !)
Pas besoin que quelqu’un ressuscite pour savoir que l’accueil de l’étranger
est un impératif. Jésus est ressuscité ; c’est ce que nous, ses disciples,
croyons. Mais l’écoutons-nous ? « J’étais un étranger et vous ne
m’avez pas accueilli. […] “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim,
avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton
service ?” “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas
fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” »
(Mt 25, 43-45)
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