La royauté du Christ est un thème biblique assez technique.
Il a été récupéré dans une logique de confrontation plus ou moins violente,
selon les moments, entre l’Eglise et le monde moderne. Lors de l’institution de
la fête du Christ roi de l'univers en 1925, le soviétisme se développe et l’on sort de la première guerre
mondiale. Il semblait urgent de dire que celui qui gouverne l’univers, c’est le
Christ, qu’un système politique ne peut se prévaloir d’offrir le paradis !
Dans les Ecritures, dans l’évangile, la royauté est un thème
récurrent. Tous les jours ne redisons-nous pas : « que ton règne
vienne » ? Notons qu’il s’agit du royaume de Dieu et non de la
royauté de Jésus. Notons que, lorsqu’on veut prendre Jésus pour le faire roi,
il s’esquive. « Jésus, se rendant compte qu’ils allaient venir s'emparer
de lui pour le faire roi, s'enfuit à nouveau dans la montagne, tout seul. »
(Jn 6, 15) Notons que dans le texte d’aujourd’hui (Lc 23, 35-43) c’est dans la
bouche de ses adversaires que l’on trouve les termes de roi et de messie. « Qu’il
se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’élu ! » « Si tu
es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » « N’es-tu pas le Christ ?
Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! »
La royauté, comme on le voit, est liée au messianisme. Le roi est
messie parce qu’il a reçu l’onction. Le messie c’est, littéralement, celui qui
a reçu l’onction. Et en grec, on dit Christ. La filiation davidique mais aussi la
figure du nouveau Moïse servent à exprimer qui est Jésus en même temps qu’elles
égarent. Jésus lui-même, par la rencontre des autres, la connaissance des
Ecritures, la réflexion sur son action, la prière et la vie en présence de Dieu,
a compris et construit sa mission à partir des cadres socio-théologiques
disponibles. L’étude des titres qui lui sont donnés est décisive pour tâcher de
saisir, à partir des courants de pensée contemporains qu’il a repris ou dont
il s’est démarqué, ce qu’il a vécu.
Mais aujourd’hui, que signifie que Jésus est roi ? Et même qu’il
est messie ? Quel sens cela a-t-il, alors que ces thèmes ne jouent plus
aucun rôle ni dans la société ni dans la pratique habituelle, quotidienne de la
foi ? En outre, la thématique du serviteur, autrement plus présente sur l’ensemble
des paroles et gestes de Jésus, nous paraît davantage pertinente pour exprimer
notre foi et ce à quoi elle nous engage. Même l’ambiguïté du contexte politique
et idéologique qui préside à l’érection de la fête de ce jour, n’a pu empêcher de
faire lire un évangile qui renverse la royauté !
Où Jésus est-il roi ? En quoi consiste son
intronisation ? Quel est son trône ? Le trône de Jésus, c’est la
croix. Son intronisation est sa mort. Sa royauté signe sa fidélité à ceux qui
sont méprisés, rebus de l’humanité, parias, qu’ils soient coupables ou
victimes. Jésus meurt comme eux, criminel ou maudit. Ceux qui, reprenant le
psaume se moquent et ainsi accomplissent la prophétie, ceux qui le provoquent
jusque dans ses prétentions messianiques, pas si explicites que cela dans les
textes évangéliques, ne font que manifester l’injustice de sa condamnation, la
méchanceté dont le cœur humain est capable, le contraire de ce qu’aura fait
Jésus, regarder la misère d’autrui avec le cœur.
Il arrive qu’un roi soit injustement traité, soit tué comme un
moins que rien. L’évangile de Luc raconte autre chose. C’est à la croix que
Jésus est roi et messie, qu’il reçoit l’onction et est intronisé. Nulle part ailleurs
ce thème est à ce point développé. La royauté de Jésus, c’est la folie du salut :
même suspendu au gibet, l’homme Jésus, et par lui tout homme, est roi. Rien n’est
à ce point méprisable ou perdu qu’il ne demeure, dans cet instant même, un roi,
disons, en des termes plus actuels, que sa dignité humaine ne demeure : N’est-ce
pas exactement le sens de la déclaration de Jésus : « Aujourd’hui même,
tu seras avec moi en paradis. »
Vocabulaire mythologique du paradis. Affirmation, promesse assurée,
foi de ce que rien, « ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté
dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8, 20). C’est cela le paradis.
Pas besoin d’attendre la mort, la mort infamante. Dès lors que l’on regarde avec
le cœur les autres en misère, même au plus fort de l’enfer, ainsi que le
raconte ce texte, nous vivons, si vous voulez en paradis, nous vivons avec
Jésus, aujourd’hui même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire