08/11/2019

Pour penser l'eucharistie


 Modifié le 17 11 2019

 

Pour parler de l’eucharistie, nombre de chemins sont possibles. On pourrait partir des Ecritures[1], des Pères de l’Eglise[2] ou de l’arrière-plan juifs du dernier de Jésus et des rassemblements eucharistiques du premier siècle. On pourrait relire les textes conciliaires, et particulièrement ceux de Trente, au XVIème, qui, après le traumatisme de la séparation d’avec les Eglises de la Réforme, veut définir la compréhension catholique de l’eucharistie. Mais peut-être serait-il plus urgent, tant qu’à lire les conciles, de commencer par Vatican II.
Il serait possible d’avoir une approche sacramentelle et d’articuler eucharistie et sacerdoce, communion et eucharistie, sacrifice ou présence réelle[3], ou encore d’étudier les prières eucharistiques, les différentes oraisons et textes dont on a usé et use dans la liturgie. On préfèrera peut-être une lecture plus morale, rapprochant l’eucharistie du lavement des pieds (Jn 13) lors du dernier repas de Jésus. Au « faites ceci en mémoire de moi », correspond le « c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi comme moi j'ai fait pour vous » (Jn 13, 15). La première trace que nous ayons du rapport entre la célébration eucharistique et le reste de la vie, entre eucharistie et morale, se trouve dans la première lettre de Paul aux Corinthiens, écrite vers 54.
On pourrait faire une histoire de l’eucharistie.[4] Cela permettrait de prendre conscience de la multiplicité des théologies et pratiques de l’eucharistie au long des siècles. On verrait le fossé se creuser entre théologie et piété populaire, et l’essai du magistère de réduire ce fossé, souvent en canonisant la pratique. Je prends trois exemples assez dépaysants.
- On arrive à repérer la fréquence de la communion selon les époques. Ainsi, pendant les deux ou trois premiers siècles, elle est dominicale. Au point d’appeler l’eucharistie le dominicum[5]. Du troisième au cinquième siècle environ, la communion est souvent mais pas unanimement quotidienne. Pourtant, très vite, certains ne communient que très rarement, trois fois par an, voire jamais, d’où l’obligation de Latran IV en 1215 de la communion annuelle. Il faut attendre le 20ème siècle pour que la communion fréquente redevienne une pratique commune[6].
- Comment participer à la messe alors que l’on ne comprend plus le latin[7], que les textes sont réservés au prêtre et que leur sainteté empêche qu’on les traduise ? Une lecture allégorique de la messe se met en place, chaque geste représentant un moment de la vie de Jésus, spécialement de sa passion. (L’allégorie se met en place dès la 9ème siècle avec Amalaire et dure, sous diverses formes, jusqu’au 20ème)[8].
- Un texte pour nous évidemment eucharistique, les disciples d’Emmaüs, a été lu, jusqu’au 13ème siècle comme concernant la parole de Dieu : « Il y est dit [Lc 24] qu’ils reconnurent le Christ à la fraction du pain. Qu’est-ce que la fraction du pain sinon l’explication de l’Ecriture ? Car c’est là que le Seigneur est reconnu. » (Durand de Mende, + 1296)[9]
Les traités sur l’eucharistie ont longtemps présenté d’un côté tous les éléments historiques, et de l’autre la doctrine. Il s’agirait alors d’articuler les deux. Mais il faudrait ajouter une analyse d’anthropologie religieuse et une réflexion sur le sens des rites et sur le fonctionnement de l’intelligence symbolique.
Il faudrait parcourir le droit canonique. On pourrait aussi partir de ce qu’on appelle la vie spirituelle[10], comment elle est nourrie par l’eucharistie, comment l’eucharistie nous attache au Christ. On ne pourrait oublier la réflexion philosophique et métaphysique sur l’eucharistie ; comment une substance peut-elle en devenir une autre ? Cela ne concerne pas que la scolastique médiévale, mais aussi Descartes et Leibnitz par exemple[11].
A travers cette liste de perspectives sur l’eucharistie, non exhaustive, j’ai juste voulu indiquer tout ce que nous ne ferons pas, l’ampleur du sujet.

1.      Vie eucharistique
a Le mot eucharistie
Commençons par une question de vocabulaire. Pourquoi parler d’eucharistie ? D’où vient ce mot. Il y en a d’autres, très anciens, plus anciens, fraction du pain, repas (littéralement souper) du Seigneur. Eucharistie dérive d’un verbe utilisé dans le Nouveau Testament, rendre grâce. Il apparait dès les premières lettres de Paul, vers 51 en 1 Th et 54 en 1 Co.
Il faut attendre quelques décennies pour que le substantif désigne le pain et le vin sur lesquels la prière a été dite, ainsi que la célébration au cours de laquelle on dit une prière sur le pain et le vin[12]. La première attestation pourrait se trouver chez Ignace d’Antioche, mort vers 110, dans la Lettre aux Smyrniotes VII, 1 et VIII, 1 : « Ils s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière, parce qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, chair qui a souffert pour nos péchés, et que dans sa bonté le Père a ressuscitée. […] Que personne ne fasse, en dehors de l’évêque, rien de ce qui regarde l’Eglise. Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en aura chargé. » (Voir aussi Lettre aux Philadelphiens IV)
Notons que l’emploi du terme ne se réduit pas à sa dimension liturgique et encore moins sacramentelle, et nous aurions tort de l’oublier. Réduire l’eucharistie aux saintes espèces, au saint sacrement, est sans doute une des ornières communes du catholicisme. Il n’y a pas qu’à l’eucharistie que l’on fait eucharistie. Ainsi, dans la Lettre aux Philippiens (1, 3), Paul écrit : « Je rends grâce à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous ». En grec moderne encore, ευχαριστώ, efcharisto, signifie « merci ».
Arrêtons-nous pour tirer quelques conséquences de ces remarques de vocabulaire.

b Vie reçue
Il faut parler de vie eucharistique avant de parler de célébration de l’eucharistie. Qu’est-ce que cela veut dire ? La vie eucharistique, c’est la vie comprise comme reçue et pour laquelle nous voulons rendre grâce. Vivre, apprendre à vivre, persévérer dans la vie en recevant l’existence avec gratitude, vivre comme un remerciement, vivre comme ayant tout reçu (« Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » 1 Co 4, 7).
Les disciples de Jésus, et sans doute tous ceux qui confessent un dieu créateur, non comme explication de ce qu’il y a quelque chose plutôt que rien, mais comme se recevant de ce dieu, vivent comme des « tard venus », venus après, précédés par l’amour qui les suscite (1 Jn 4, 19). Ce que nous expérimentons des parents et aïeux, mais que nous oublions si vite, nous pensant autonomes, malgré la vie que nous recevons sans cesse de ceux avec qui nous vivons, que nous les aimions ou non, renvoie à une réception plus radicale encore. Nous vivons comme offerts, par pure gratuité, et nous le découvrons dans l’action de grâce qui répond à ce don. Dans l’eucharistie, la vie est appréhendée sous le mode de l’accueil, elle est réponse, et non origine de soi, affirmation de soi, ou possession de soi[13].
C’est le sens de la Providence ; non un arrangement plus ou moins miraculeux du destin, mais l’expression de la vie reçue. C’est ce que l’on peut comprendre d’un passage d’un sermon d’Augustin : « C’est votre propre mystère qui est posé sur la table du Seigneur, vous recevez votre propre mystère. » (Sermon 272)
Parfois, il est impossible de rendre grâce. Job et Jérémie le montrent : « Maudit, le jour où je fus enfanté ! Le jour où ma mère m’enfanta, qu’il ne devienne pas béni ! » (Je 20, 14 et Jb 3, 1) Il n’en reste pas moins que la vie est en forme de réponse. Même dans l’impossibilité de vivre, la vie est comprise comme nous incombant, comme donnée.
Est-il possible de comprendre la vie autrement ? Bien sûr ! Nous croyons souvent que la vie se gagne, ou se prend. Au chapitre 2 de la Genèse, le fruit est défendu en tant qu’on ne peut le prendre, on ne peut se l’octroyer, mais seulement le recevoir. Le fruit n’est pas réservé à Dieu, comme on le comprend trop souvent, mais réservé au don. L’Apocalypse l’atteste, puisque les élus ont précisément droit au fruit de l’arbre de la vie (Ap 2, 7 et 24, 14).

c De l’action de grâce au rite eucharistique
S’agit-il d’apporter la vie sur l’autel parce que le rituel en serait privé ? Faut-il rendre vivantes les célébrations ? Faut-il, par exemple et comme on le voit parfois dans les célébrations de caté, une procession d’offertoire avec des cahiers, des ballons ou des jeux ? Il se pourrait que l’on soit encore dans une conception sacrale de l’eucharistie. Il s’agit non pas d’apporter la vie dans le rite, mais de percevoir le rite comme un concentré de la vie.
Le rite ou la célébration ne sont pas une activité à côté des autres activités, une activité parmi d’autres. Ils sont comme l’amour que partagent ceux qui s’aiment, non un moment de la journée, ni un moment dans l’histoire de leur amour, mais la source et le sommet de cet amour, susceptible d’être vécu en permanence. L’amour célébré, si l’on peut dire, est le condensé, le résumé, l’expression et la source de l’amour des amants. L’amour n’est pas un moment de la vie des amants mais assume toute leur vie[14].
Nous avons ainsi une double métonymie de l’action de grâce à la célébration et de la célébration aux saintes espèces. Et le mouvement inverse vaut tout autant. Ce qui est posé sur l’autel, « [notre] propre mystère » comme dit Augustin, nous dévoile l’existence comme reçue ou comme réponse. On comprend alors l’expression conciliaire de l’eucharistie « source et sommet de la vie chrétienne » (LG 11). Non que la célébration serait le moment le plus important de la vie chrétienne. Elle est la partie qui comprend et désigne le tout de la vie. L’action de grâce a forme sacramentelle dans la célébration eucharistique autant qu’elle est la forme convertie de la vie.
Ce rapport de la célébration avec le reste de la vie sort la célébration d’une compréhension cultuelle, ou plutôt fait de la vie chrétienne tout entière un culte ; un culte non cultuel faudrait-il dire (semblable au renversement sacrificiel opéré par le champ sémantique sacrificiel de l’épitre aux Hébreux). « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en offrande vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre. » (Rm 12, 1) (Il faut lire tout le chapitre, et il faut surtout se méfier des traductions, toutes impossibles.)
Si tout est rite ou culte, alors il n’y a plus de sacré ni de profane. Dire que « tout homme est une histoire sacrée », ce n’est pas une sacralisation de l’homme, mais un renversement du profane. Avec l’eucharistie l’on sort du paganisme, entendons des religions. Tout ce qui refait du sacré est païen et nie l’incarnation. En elle, il n’y a plus le sacré d’un côté et le profane de l’autre puisque le Saint habite le corruptible pour le rendre saint comme il est saint (Lv 19, 2, 1 P 1, 16). Un dieu qui meurt, qui plus est ignominieusement, ne peut être le dieu de la religion, de la distinction du sacré et du profane.
La querelle à propos de la désacralisation de la liturgie est pleine d’enseignements[15]. Si l’on veut revenir au sacré que Vatican II aurait congédié, on reprend le joug du paganisme, ou du judaïsme. Mais si l’on fait de la célébration une activité comme les autres et parmi d’autres, si l’on défait son caractère rituel, en outre manifesté par la répétition et un style d’attitudes originales (on ne dit pas merci par exemple au lecteur après sa lecture ou quand on reçoit le pain, on ne s’y exprime pas comme autour d’une table, quand bien même c’est autour d’une table que tout se passe, etc.) on n’est plus en mesure de vivre un sacrement. Les sacrements sont un genre liturgique original, ni culte sacré et donc séparé du profane, ni activité parmi d’autres.
L’eucharistie n’est « source et sommet de la vie chrétienne » que si le rite eucharistique n’est pas une activité parmi les autres, fût-elle la plus haute ou une activité sans rapport avec les autres, séparée, sacrée. En outre, l’action la plus haute de la vie chrétienne, elle aussi source et sommet, ne réside-t-elle pas dans le service des plus petits ? N’est-ce pas dans ce service, comme le dit explicitement Mt 25 et bien d’autres passages évangéliques, que le Christ est donné à rencontrer, est réellement présent ? S’il n’y a qu’une seule source et sommet, l’eucharistie ne peut que se jouer là où le service des frères est en jeu.
On ne saurait mettre en concurrence eucharistie comme rite et service des frères jusqu’au don de soi, offrande à Dieu. Dieu ne se donne pas dans les saintes espèces plus ou mieux qu’ailleurs. Dieu n’est pas là plus ou mieux qu’ailleurs. Ce type de raisonnement nous mènerait à une idolâtrie de l’eucharistie. L’eucharistie n’est pas non plus ce que l’on fait de mieux, parce qu’en offrant un sacrifice à plus grand, on ferait forcément ce qu’il y a de mieux. L’eucharistie n’est pas une œuvre, une action, fût-ce la plus grande, la meilleure[16].

d Comment rendons-nous grâce ? En recevant encore.
Dans un article qui veut sauver l’aspect sacrificiel de l’eucharistie, alors qu’il entérine la pertinence de la critique luthérienne, J. Ratzinger écrit : « Le culte chrétien n’est donc plus l’offrande de nos propres dons. Par son essence même il est accueil, acceptation de l’acte sauveur de Jésus-Christ offert une fois : il est donc action de grâce, Eucharistia. »[17]
Lorsqu’il s’agit de vivre de et avec la source de la vie, de vivre du Dieu créateur et avec lui, comment rendre grâce ? Le psalmiste posait la question en des mots que les chrétiens ont compris comme une prophétie. « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur. » (Ps 115, 12-13)
Comment dire merci à la source autrement qu’à s’y désaltérer encore, s’y rafraichir ou s’y soigner, à recevoir gratuitement encore l’eau de la vie ? (Cf. Is 55, 1 et Ap 21, 6 ; 22, 17) Il n’est d’autre manière de dire merci à Dieu que de le recevoir. A l’eucharistie, comme des mendiants, nous tendons les mains. Nous le recevons qui se donne, parole qui fait vivre, parole devenue nourriture.
Nous rendons grâce, non pour le morceau de pain, fût-il consacré, mais pour la bonté de Dieu, sa providence, Dieu en tant qu’il est don de vie. Dieu en effet ne donne pas quelque chose, mais lui-même, Dieu ne donne rien si ce n’est lui-même. Si Dieu donne sa grâce, c’est parce que Dieu est grâce ; Dieu est appelé grâce quand on le désigne comme don et donateur, créateur, gratuité prévenante, gracieuse.
On ne rend donc pas grâce après l’eucharistie, on ne célèbre pas une messe d’action de grâce (terrible pléonasme !). On rend grâce parce que la vie humaine a forme responsoriale. Thomas d’Aquin, avec l’étymologie d’Isidore, entend eucharistie comme « bonne grâce » donnée par Dieu et non comme « action de grâce ». Du coup, l’action de grâce vient après la communion[18].
Or il n’y a qu’un seul don, Dieu lui-même, don diffracté. Et le remerciement même, l’action de grâce n’est possible que par le don de Dieu. Dans le même temps, le don de Dieu reçu, Dieu qui est don, convertit ceux qui le reçoivent en ce qu’il est. Si le don est conservé comme un bien, il n’est plus don mais possession. La seule manière de garder le don comme don, c’est de le donner à nouveau. L’action de grâce est divinisation, c’est-à-dire, nous fait don puisque Dieu est don. Nous avons reçu et nous sommes appelés à être don. Vivre l’action de grâce sans devenir don pose problème.
Bien que cette conversion concerne tout chrétien, l’homélie de François pour l’ouverture du synode sur l’Amazonie (6 oct. 2019) s’adresse aux évêques : « Nous avons reçu un don pour être des dons. Un don ne s’achète pas, ne s’échange pas, ne se vend pas : on le reçoit et on l’offre. Si nous nous l’approprions, si nous nous mettons au centre et ne mettons pas au centre le don, en tant que Pasteurs nous devenons des fonctionnaires : nous faisons du don une fonction et la gratuité disparaît, et ainsi nous finissons par servir nous-mêmes et par nous servir de l’Eglise. Notre vie, au contraire, en raison du don reçu, est pour servir. L’évangile, qui parle de ‘‘serviteurs inutiles’’ (Lc 17, 10), le rappelle : une expression qui peut signifier aussi ‘‘serviteurs sans profit’’. Cela signifie que nous n’agissons pas pour obtenir un profit, un gain personnel, mais parce que nous avons reçu gratuitement et donnons gratuitement (cf. Mt 10, 8). Notre joie sera toute dans le service, car nous avons été servis par Dieu, qui s’est fait notre serviteur. Chers frères, ayons conscience d’être appelés ici pour servir en mettant au centre le don de Dieu ! »
Plusieurs prières sur les offrandes expriment le fait que pour dire merci, il faut encore recevoir : « Accepte Seigneur le sacrifice que tu nous as donné dans les mystères que nous célébrons pour te rendre grâce, sanctifie les hommes que tu as sauvés par ton fils » (XXVII) « Tu nous as aimés Seigneur d’un si grand amour que tu nous as donné ton propre fils. Accorde-nous de ne plus faire qu’un avec lui afin de te présenter une offrande digne de toi. » (19ème) « Maître et créateur de toute chose, accepte les présents que nous avons reçus de toi. Tu nous les as donnés pour notre vie sur la terre ; qu’ils deviennent porteurs de vie éternelle. » (1ère) « C’est toi Seigneur qui nous donnes ce que nous t’offrons, pourtant tu vois dans nos offrande un geste d’amour. […] » (VIII)

2.      Qui célèbre ?
a Jésus
Qui rend grâce ? C’est le Christ. Nous le disons à chaque préface : « Vraiment, Père très saint, il est juste et bon de te rendre grâce, toujours et en tout lieu, par ton Fils bien-aimé, Jésus Christ. » C’est lui, l’homme eucharistique, tourné vers le Père, réponse au Père, véritable Amen (Ap 3, 14). L’homme eucharistique, c’est Jésus, la vie eucharistique, celle de Jésus. Rendre grâce, dans la vie comme dans la célébration eucharistiques, c’est toujours entrer dans l’action de grâce du Christ, s’unir à l’action de grâce de Jésus. « Jésus est eucharistie »[19], non pas dans les espèces consacrées d’abord, mais par toute sa vie.
La Lettre aux Hébreux est sans doute l’écrit le plus ancien à penser la vie du Christ comme sacerdoce. Il est le grand prêtre. Une étude de cette lettre montre que le recours au vocabulaire cultuel et sacerdotal permet de renverser le sacrifice. Le culte, comme on l’a dit plus haut n’est pas un moment, une action sacrée, mais la vie tout entière.
Cette conviction que c’est le Christ qui rompt le pain peut se lire dans le récit d’Emmaüs et dans la non-désignation du président des célébrations néo-testamentaires, en particulier dans les Actes). C’est le Christ qui continue à inviter à son repas, qui le préside, quand l’assemblée rompt le pain.
Dans le Nouveau Testament, le mot prêtre, sacerdote, n’est jamais utilisé pour un ministre chrétien. Il est utilisé pour désigner les prêtres païens ou juifs, mais jamais pour un chrétien. Il n’y a pas de prêtre dans la nouvelle alliance, sinon un seul grand-prêtre Jésus. (Le terme qui apparaît, et qui donne naissance à notre mot de prêtre, presbyter, ancien, ne désigne jamais une fonction cultuelle. Jésus n’est jamais appelé ancien, cela n’aurait pas de sens.)
En revanche, les mots sacerdoce ou sacerdotes sont utilisés en deux endroits pour désigner l’ensemble des baptisés. Et c’est bien normal, s’ils sont les membres du corps du Christ (deux fois dans la Première lettre de Pierre (2,5.9) et trois fois dans l’Apocalypse (1, 6 ; 5, 10 et 20, 6).
Aucun des auteurs des trois premiers siècles ne lit le dernier repas de Jésus avec les Douze comme l’institution d’un sacerdoce. Et seul Luc réserve la dernière cène aux « Apôtres » en un sens devenu ministériel (Matthieu et Marc parlent des Douze et Jean des disciples).

b L’assemblée
Dans le Nouveau Testament le sujet des verbes qui disent ce qui est devenu célébrer l’eucharistie, c’est toujours l’assemblée. (Ac 13, 1-2 pourrait dans une lecture obvie laisser penser que prophètes et docteurs célèbrent (liturgisent, servent). Mais il serait curieux qu’ils ne célèbrent qu’à quatre ou cinq. Le sujet du verbe, « ils » doit renvoyer à l’assemblée d’Antioche. Ac 20, 7-11 est explicite et est donc la seule exception littérale, c’est Paul qui rompt le pain au v. 11, mais au verset 7, c’est le « nous » de l’assemblée.)
Nos textes liturgiques sont explicites, même si nous les écoutons mal. Il faut repérer toutes les occurrences du « nous ». Dans toute les oraisons, il désigne l’assemblée dont fait partie celui qui parle en son nom. Et au moment d’ouvrir la prière eucharistique, celui qui préside s’adresse à tous en disant : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu », ce à quoi tous répondent « Cela est juste et bon ». C’est l’Eglise qui célèbre, et non le ou les prêtres. Ces derniers président, si l’on veut. Le terme n’est pas d’abord technique, il veut dire être devant. Le terme se trouve en Romain 12, 8 et est repris par Justin. C’est ainsi que le canon romain désigne l’évêque, antistes[20].
Bien avant le Concile Vatican II, on a parlé de participation active des fidèles. Il s’agit de leur permettre de vivre pleinement ce qui est célébré, quand bien même, on pensait alors que seul le prêtre célébrait. Les chants comme l’allégorie dont nous avons déjà parlé, attribuant à chaque moment de l’eucharistie un moment de la passion de Jésus, étaient des moyens pour la participation des fidèles. Congar dit que cette participation active est la principale visée de Sacrosanctum concilium[21].
Est-ce à dire que tous doivent faire quelque chose ? Sans doute. Mais quoi et comment ? Il est matériellement impossible, dès lors que l’assemblée est conséquente, que tous aient une intervention à faire. Faire participer des enfants à l’eucharistie, est-ce donner la parole ou quelque chose à faire à chacun ?
« L’espace produit par l’action liturgique […] est d’abord un espace où prendre place. L’invitation à prendre place […] est plus radicalement invitation à se tenir-là, simplement là, en tant que témoin. Le témoin n’est ni un voyeur occasionnel, ni un observateur, mais le partenaire obligé d’une action qui tout entière est testamentaire. N’existant que par une précédence reconnue, le témoin prend place statutairement dans l’attestation de l’Alliance, et sa simple présence, en tant que telle, avant tout recueil de bénéfice, est un acte plénier et incommensurable. […] Ici, on ne s’abandonne pas au charisme d’un acteur, on ne souscrit pas à un contrat de fiction passé avec la Scène, on fait foi. Mysterium fidei. Et ce pacte de la foi n’est pas "mental", puisque conclu sur une parole entendue et redite ab origine, et parce qu’il repose sur un serment dont un Corps, hier mort en Croix, est témoin, corps parlé, écrit, chanté, mangé. […] La communauté est d’abord une communauté contractuelle d’alliance et non de conviction ou d’opinion, ou même d’heureux voisinage. »[22]
L’assemblée n’est pas un rassemblement d’individus. Elle est première, non les individus. C’est elle qui célèbre et chacun en son sein. Elle n’est pas seulement un de baptisés, mais le corps du Christ, ou le peuple de Dieu, ou le temple de l’Esprit, une assemblée organisée, selon les métaphores principales et trinitaires. On n’est jamais chrétien sans les autres, sans l’Ecclesia qui n’est pas une foule mais un corps. Le rapport de l’assemblée à l’eucharistie est décisif. La Première lettre de Paul aux Corinthiens traite dans les mêmes chapitres de l’assemblée comme corps du Christ et de l’eucharistie.
Ainsi, la participation à l’eucharistie n’est ni une dévotion personnelle où je pourrais me passer des autres (je pourrais arriver en retard, ne saluer personne, et partir dès que j’ai reçu l’hostie, le prêtre pourrait la célébrer seul), ni un moment où chaque personne devrait prendre la parole individuellement. Penser un corps ne nous est pas spontané en Occident, y compris dans l’Eglise. La liturgie nous convoque à une certaine passivité, celle de qui reçoit, celle de la corporéité (contre distinguée de l’âme comme principe d’action), où se reconnaît encore la priorité de Dieu et où chacun accepte de se déposséder un peu de sa préoccupation pour lui, de son souci de reconnaissance. S’il y a reconnaissance, ce n’est pas celle de tel ou tel, par exemple le prêtre vedette ou homme sacré, les musiciens, mais celle de Dieu. « Je » est précédé par le nous, je suis précédé par une tradition[23].

c L’évêque et les prêtres, ministres de l’eucharistie
Pour articuler présidence du Christ, absent à l’évidence, et célébration de l’Ecclesia, les ministères ont quelque chose d’important à signifier. Le problème c’est lorsque l’in persona Christi devient une sacralisation du prêtre ou de l’évêque ; on ne voit plus que lui, c’est lui qui célèbre, et non plus le Christ. Dans le même temps, l’in persona Ecclesiae s’efface. La théologie du sacrement de l’ordre s’est alors assise sur le Christus Totus augustinien.
Il faudrait en faire l’histoire. Il faudrait interroger le lien entre ministère et eucharistie. Le rôle des ministres, c’est de servir. La manière de présider le montre-t-elle ? Il y a présidence parce que l’Ecclesia n’est pas un tas, mais un corps. Leur rôle pourrait effectivement consister à tenir la place du Christ, non au sens de prendre sa place, pas même comme une lieutenance. Tenir la place pour que personne n’enlève cette place de l’assemblée sous prétexte qu’elle est vide, tenir la place libre, pour que personne, et surtout pas eux, ne l’occupent.

d Que fait l’assemblée lorsqu’elle célèbre ?
J’ai parlé de métonymie. Le terme est peu théologique. Cela m’importe, parce que les mots de tous les jours, ou du moins des mots qui n’appartiennent pas au vocabulaire théologique, des mots qui ont sens ordinairement, doivent pouvoir dire la foi. Le mot théologique reçu pour exprimer ce rapport de la chose visée à l’action circonscrite qui l’exprime, c’est sacrement.
Augustin, parle du sacrement comme « signe sacré » (Civ Dei X, 6) et traite dans une lettre (98, 9 à Boniface) de la similitude entre le sacrement (sacramentum) et la chose qu’il signifie (res). Comme souvent la scolastique médiévale reprend le vocabulaire augustinien. Pour mieux comprendre, elle cherche à mettre en évidence les différentes perspectives sur ce qu’elle étudie, comme autant de coups de projecteur qui permettent de voir une même chose selon plusieurs angles. Mais d’Augustin et des Pères aux scolastiques, le monde a changé, ainsi que les pratiques chrétiennes et les manières de penser. Les questions ne sont plus les mêmes, les mots n’ont plus le même sens.
Je ne peux entrer ici dans les questions que cela pose. Je retiens juste qu’une nouvelle question se fait jour, celle de l’efficacité du sacrement, celle de la causalité : comment le sacrement est-il efficace ? Cette question, nous la posons aussi, quoi que différemment. Pourquoi célèbre-t-on l’eucharistie ? Que se passe-t-il à la messe ? Que fait l’assemblée lorsqu’elle célèbre l’action de grâce ?
La prière eucharistique le dit expressément : ainsi, la deuxième, celle que nous connaissons le mieux. Elle a été rédigée pour le Missel de Paul VI publié en 1969, en s’inspirant d’un texte du début du 3ème siècle, voire fin du second, connu sous le nom d’Hippolyte de Rome[24]. « Humblement, nous te demandons qu’en ayant par au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps. » Lumen Gentium 26 cite Saint Léon : « La participation au corps et au sang du Christ n’a d’autre action que de nous faire passer en ce que nous recevons. »[25]
L’Esprit a été invoqué (ce que l’on appelle une épiclèse) sur le pain et le vin pour qu’ils deviennent corps et sang du Christ. De même, l’Esprit est invoqué sur la communauté, « nous », pour qu’elle devienne un seul corps. On perçoit dans la structure de la prière ce que fait l’eucharistie, la res du sacrement. De même que le pain et le vin deviennent corps et sang du Christ, de même, l’assemblée. Nous célébrons l’eucharistie, nous communions, nous rendons grâce, pour devenir le corps du Christ.
Le but de l’eucharistie, si l’on peut ainsi parler, est de constituer les disciples en corps du Christ, de constituer leur unité dans ou comme corps du Christ. Il ne s’agit pas que chacun devienne ce qu’il reçoit, à titre individuel. On ne voit pas d’ailleurs comment un seul membre pourrait être corps. On ne communie jamais seul et ce n’est pas pour rien que l’eucharistie est appelée communion. Mais lorsque tous communient, ensemble, ils deviennent ce qu’ils reçoivent, le corps du Christ. « Que nous puissions devenir ce que nous avons reçu : le corps du Christ » (Post-communion XXVII).
Faut-il préciser que la communauté des disciples est elle-même métonymie, « sacrement en quelque sorte, ou un signe ou un instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1, voir aussi 9). La communauté est prémices de l’humanité nouvelle. Son unité n’a pas de sens en soi, mais comme ferment et signe de l’humanité en sa vocation d’unité. Dieu se donne pour que le monde ait la vie (Jn 3, 16-17), Dieu veut que tous soient sauvés (1 Th 2, 4). L’eucharistie en est le signe efficace, le sacrement. « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » (Jn 6, 51)
Si nous voulons comprendre ce que nous célébrons à l’eucharistie, il est indispensable de situer la célébration comme n’ayant pas son but en soi ‑ le corps du Christ, la présence réelle ‑ mais comme sacrement précisément, ferment et signe, de ce que nous sommes appelés à vivre et que nous apprenons de recevoir dans l’action de grâce de recevoir et de répondre : le rassemblement dans l’unité des enfants de Dieu (Jn 11, 52), la communion d’un corps, l’humanité comme corps du Christ.

3.      Le repas
a Sacrifice, mémorial, repas.
L’action de grâce des chrétiens en sa forme sacramentelle se présente comme un repas. Dans l’histoire, et les textes en portent la trace, on pourtant souvent insisté sur le sacrifice[26], malgré le constat par l’Epitre aux Hébreux de la fin des sacrifices.
Un sacrifice est un don que l’on fait à la divinité pour se la rendre favorable, ou pour racheter sa faute, ou pour lui dire merci. On ne voit jamais Jésus offrir le moindre sacrifice durant sa vie. On constate même une distance certaine de Jésus vis-à-vis des sacrifices, dans la lignée des prophètes. « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices » (Mt 9, 13 et 12, 7). « L’accomplissement de la loi, c’est la charité » (Rm 13, 10). L’épisode des marchands chassés du temple (qui renvoie à Jr 7) l’illustre également. Le jeûne ou le culte que Dieu préfère, n’est-il pas la libération des prisonniers (Cf. Is 58, Jr 7 ; Am 5, 15 et ss , Ps 40 (39), 7 cité par He ; 50 (49) 8 ss ; 51 (50) 18) ? « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer le prochain comme soi-même, vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices. » (Mc 12, 33)
Jésus ne fréquente guère les prêtres et les lévites. Il n’est pas d’une famille sacerdotale. Il ne semble pas porter le personnel du temple dans son estime si l’on en croit la parabole du Samaritain, et le grand-prêtre joue un rôle terrible dans la passion. Les premiers chrétiens n’ont manifestement pas compris la fraction comme un geste sacrificiel, lié au temple ou à un sacerdoce, quoi qu’il en soit de la mention de l’alliance et du sang qui la scelle dans les paroles prononcées sur le vin, j’y reviendrai. « Malgré la prégnance de cette connotation sacrificielle, l’Eglise n’a toutefois jamais employé le mot "sacrifice" tout seul (on ne va pas au sacrifice, on va à la messe). »[27] (Certes, tout repas antique a une connotation sacrificielle. L’abatage des animaux est toujours cultuel, le temple c’est aussi la boucherie !)
La mort même de Jésus doit-elle être entendue comme un sacrifice[28] ? Jésus meurt-il pour que le Père pardonne à l’humanité ou pour le louer ? Rien de tel dans les Ecritures. Jésus donne sa vie par amour, à chaque instant, et donc aussi à sa mort. « Nul n’a d’amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). (La première occurrence explicite de sacrifice à propos de la mort de Jésus pourrait se trouver dans la Didachè[29]).
En revanche, il convient de faire mémoire de sa vie et sa mort pour en vivre. Le mémorial actualise ce qui a été vécu, comme dans la libération d’Egypte. Il rend présent un événement du passé. L’ordre de réitération constitue la dernière cène en mémorial non du repas lui-même, mais de ce que le repas exprime, le don de sa vie par Jésus jusqu’au bout. Cyprien explique ainsi en 253 qu’on ne célèbre pas l’eucharistie le soir en commémoration du dernier repas de Jésus, mais le dimanche matin, car c’est à l’aube du premier jour qu’il est ressuscité (Cf. Lettre 63, 16). Les prières eucharistiques sont d’ailleurs unanimes : « Faisant ici mémoire de la mort et de la résurrection de ton fils ».
Dans le mémorial, chacun est rendu contemporain de l’événement, ou plutôt, l’événement devient contemporain de chacun de ceux qui font mémoire. La mort et la résurrection ne sont pas des événements du passé, si anciens, comme dit Hegel, qu’ils ne seront bientôt plus vrais. Si Jésus est mort il y a deux mille ans, à chaque Pâque, nous célébrons cette résurrection comme actuelle. « Dans la scène eucharistique, la liturgie consiste, par le récit et l’épiclèse, à faire quelqu’un témoin et commensal, partie intégrante d’un système testimonial en sa performativité. »[30] Le mémorial est exprimé en concentré dans ce que l’on appelle l’anamnèse.

b Un repas donc
On sera frappé par le nombre de fois où Jésus est à table[31]. On le traite même de glouton et d’ivrogne (Mt 11, 19). Son attitude rompt avec la pratique ascétique du jeûne du Baptiste. On ne nous rapporte jamais que Jésus jeûne. La commensalité et l’hospitalité sont une de ses marques de fabrique. Et il convient qu’il y ait en abondance, de reste comme lors de la multiplication des pains, ou que le vin soit excellent, comme à Cana. Cela dit, la nourriture ne sera pas pour lui un sujet de préoccupation, et il reproche aux disciples d’être obnubilés par ce qu’ils ont à manger (Mc 8, 17). Autre est sa nourriture (Cf. Jn 4, 34 et Mt 4, 4).
La symbolique du repas devrait être développée. A manger ensemble, on entre dans l’intimité les uns des autres, on manifeste une communion même si un traitre peut partager le repas, mais alors, il n’en apparaît que plus évidemment qu’il n’a pas sa place à table ; ainsi de Judas. A partager le pain, on ne fait plus qu’un, compagnon. Cela est renforcé par le fait qu’il n’y a qu’une seule coupe à laquelle tous boivent, à la différence de la pratique juive.
Le repas touche aussi à la vie. Parler de pain, c’est parler de vie. Parler de vin, c’est parler de réjouissances, de vie comme joie. Parler de repas, c’est encore, dans la logique de la prédication de Jésus, parler du Royaume. En effet, celui-ci est plusieurs fois présenté comme un repas, un banquet, un festin, tant dans le Premier Testament qu’encore juste avant la dernière cène, et même un repas d’alliance, de noces. « J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir ; car je vous le dis, jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse dans le Royaume de Dieu. » (Lc 22, 15-16 ; Cf. Lc 13, 29 ; 14, 15-24)
La couleur pascale du dernier repas en rajoute encore à sa signification. Pour les synoptiques, Jésus partage le repas pascal. Pour Jean, le repas a lieu la veille de la Pâque, ainsi Jésus est l’agneau immolé. Pour Paul aussi le contexte pascal est évident, « le Christ, notre Pâque a été immolé. » (1 Co 5, 7).
Il existe des repas rituels et sacrés, notamment en paganisme. Pourtant, il semble que le repas de Jésus ne soit compris par les premiers chrétiens dans une perspective cultuelle, au temple. Le repas juif de la fête de Pâque est davantage à l’arrière fond de la cène (ce qu’indique « la coupe de bénédiction » dont parle Paul et les deux coupes en Luc). Le dernier souper de Jésus s’inscrit dans sa pratique des repas, il est le dernier de nombreux autres, avant le repas eschatologique ; il revêt une signification communautaire, signe d’amour. Les premières communautés ont d’ailleurs continué à célébrer l’eucharistie au cours d’un repas (Cf. 1 Co et Didachè) que l’on nommait agapes, repas de l’amour (agapè).
C’est avec une rencontre profane, un repas avec des pécheurs, que Jésus dit la sainteté. (Nous avons déjà fait allusion à la relégation des catégories de sacré et de profane.) Voilà qui interdit une sacralisation du rite sacramentel et le tourne décidemment du côté de la relation aux frères, clairement manifestée dans le partage. « Le repas des chrétiens se présente à la fois comme un repas de groupe et un service d’entraide. […] La distribution des biens collectés est liée au repas pour faire de ce dernier le repas de l’entraide. »[32]

c Le corps chemin de Dieu
L’expression le corps chemin de Dieu est de L.-M. Chauvet, et doit s’entendre au deux sens du génitif. Dieu passe par le corps pour se donner et l’on passe par le corps pour répondre à ce don, pour découvrir ce don. Elle ouvre sur une réflexion de type anthropologique et symbolique valable pour tous les sacrements, et plus généralement pour nombre d’activités où se dévoile l’homme comme homme.
A-t-on besoin d’une liturgie pour rendre grâce. La récitation d’un psaume ou la prière jaculatoire ne suffisent-elles pas ? Même alors, il y a des mots, une voix, des gestes. « Qui veut faire l’ange fait la bête », écrit Pascal. Si c’est l’homme qui prie, il prie forcément avec un corps, le sien, mais aussi, le corps social auquel il appartient, le corps ecclésial s’il est chrétien, le corps cosmique doit-on ajouter, alors que nous devenons de plus en plus conscients que nous sommes dépendants de la nature.
Non seulement on ne peut vivre sans corps, mais l’incarnation fait du corps un lieu de Dieu, alors que souvent, on pense devoir déserter le corps pour trouver Dieu. De même qu’il n’y a pas d’esprit d’un texte sans la lettre et le sens littéral, il n’y a pas d’esprit humain sans corps. Ainsi, il n’y a pas de vie spirituelle, qui serait quelque chose de différent des autres activités de la vie, placé à côté. Il n’y a qu’une vie qu’il faut vivre dans l’Esprit. La vie spirituelle n’est pas plus un moment de la vie à côté de la vie professionnelle ou familiale que l’eucharistie n’est une activité parmi d’autres (Cf. supra le même type de propos quant à l’eucharistie).
Pour le dire autrement, il n’y a pas d’accès direct et immédiat à Dieu, ce qu’exprime l’impossibilité biblique de voir Dieu face-à-face. Selon l’adage médiéval, rien n’est dans l’esprit qui ne soit d’abord dans les sens. C’est pourquoi la métaphore, tant comme expression que comme action (le geste symbolique), est indispensable.
Comment le corps est-il concerné dans l’action de grâce ? Il faut manger et boire pour rendre grâce, bref il faut vivre et vivre, c’est forcément autre chose que survivre, il y a de l’abondance et de la fête. Plus encore, répondre à Dieu, c’est aussi répondre des autres, de nous et du monde devant Dieu, être responsable (Cf. Lévinas). Le participe présent dit en un seul mot les deux idées, l’homme est un répondant.
Le corps n’est d’ailleurs pas tant l’un des deux ou trois composés de l’homme, à côté de l’âme, que l’homme tout entier en tant qu’affectable, que souffrant, dirait Ricœur, l’homme en sa passivité, comme l’âme est l’homme tout entier en tant que principe d’animation. Le corps est le terrain de la solidarité, entendue comme l’exigence de faire en sorte que tout homme puisse trouver en nous un prochain (Cf. Lc 10, 36). Je ne choisis pas qui est mon prochain. Le prochain m’advient. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui me dis chrétien, mais les autres, à commencer par le baptême que je reçois. De la métaphore à la solidarité, la médiation corporelle est en outre renversement idolâtrique. Dieu n’est pas ce que je pense, ce que je sens, je veux et désire. Il est toujours autrement, parce qu’on ne le voit que de dos. Mais Dieu ne se trouve pas ailleurs que dans ce qu’avec et pour les autres, nous désirons, pensons, faisons.

d Une seule table
On a pris l’habitude de repérer dans toute célébration catholique quatre moments : l’accueil, la parole, le geste, l’envoi. Le concile Vatican II entérine l’expression de deux tables (Sacrosanctum Concilium 48 et 51). La Présentation Générale du Missel Romain de 2007 a bien noté qu’il est plus opportun de parler avec Dei Verbum 21, Prebyterorum Ordinis 18 et Perfectae Caritatis 6 de la « double table de l’Ecriture et de l’eucharistie ». (On notera l’évolution du vocabulaire conciliaire et le fait que la PGMR de 2007 continue à parler de la table eucharistique pour le seul autel.)
Jusqu’au Concile, ce que nous appelons liturgie de la parole est appelé avant-messe. La messe est valable dès lors que l’on arrive à l’offertoire, parce que c’est alors qu’elle commence. Mais toute la messe n’est-elle pas eucharistie ? Notons que nous ne sommes pas totalement sortis de cette conception. La monition de la prière pénitentielle continue à dire « Préparons-nous à célébrer l’eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs », comme si cette reconnaissance ne faisait pas partie de l’eucharistie.
Parler des deux tables pourrait être un héritage d’une théologie de polémique, que l’on veut certes dépasser mais que l’on ne fait que prolonger parce que l’on ne change pas de logique. Lorsque Luther critique la messe catholique, c’est notamment parce que le sacrement y aurait pris trop de place aux dépends de la parole de Dieu. Si le Concile de Trente remet à juste titre la Parole de Dieu en honneur, il ne remet pas en cause la dichotomie parole et sacrement, voire la canonise.
Dans les Ecritures, y compris dans le Premier Testament, la parole est un pain qui se mange. « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. » (Dt 8, 3 et reprise en Mt 4, 4 et // déjà cité) Le discours du pain de vie n’est pas eucharistique au sens où il parlerait des espèces consacrées. C’est la parole qui est chair et sang du Christ. C’est la vie de Jésus tout entière, et ses paroles en sont le reflet, et ses paroles sont sa chair et son sang, qui doivent être mangées et bues parce qu’elles donnent la vie. Et pourtant, ces mêmes paroles sont esprit et vie (Jn 6, 63).
On devrait ici parcourir les écrits des Pères. Augustin parle des sacrements « comme de paroles visibles » et comme « de n’importe quelle parole des saintes lettres » (Lettre 53, 38) ; Origène (XIII, 3 sur Ex ; XII, 5 sur Gn) remet en place ceux qui montrent à juste titre du respect pour le corps eucharistique du Christ mais ne font aucun cas des Ecritures. Nous avons déjà fait allusion à la lecture de Lc 24[33] comme concernant l’Ecriture[34].
« Qu’est-ce que l’eucharistie en effet si ce n’est la Parole de Dieu – cette « Parole nourriture » que figurait déjà la manne au désert […] ‑ Parole advenant sous le mode visible du pain, c’est-à-dire, dans la culture méditerranéenne, représentative de toute nourriture ? »[35]
« Le "corps livré" dans l’eucharistie n’est […] pas autre chose que la parole du salut (parole de pardon "jusqu’à soixante-dix-sept fois sept fois" et parole de "vie en abondance"), prenant toute son ampleur : parole à "ruminer" comme le rouleau du livre, en vue de nous "assimiler" le mystère scandaleux d’un Dieu donnant sa vie pour le monde. »[36]
De sorte qu’il faut dire : l’eucharistie, c’est la parole pour qu’on puisse la manger[37]. La manducation, réciproquement, est une parole : « Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (1 Co 11, 26) On ne passe pas à autre chose lorsque l’on a fini la liturgie de la parole. C’est cette même parole que nous recevons autrement, comme un pain que nous puissions manger et une boisson qui réjouisse le cœur. Relisons tant Dei Verbum 21 : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle le fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table tant de la Parole de Dieu que du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles. » que Presbyterorum Ordinis 18 qui parle des : « actes par lesquels les chrétiens se nourrissent de la Parole de Dieu aux deux tables de l’Ecriture Sainte et de l’Eucharistie. »
« La célébration de l'eucharistie est la parole incarnée, la proclamation publique et solennelle de l'événement historique unique, qui, par cette proclamation, devient présent ou révèle sa présence et acquiert ainsi une validité publique, enfin devient une interpellation et une exigence adressées à l'individu comme à la communauté »[38]

4.      Ceci est mon corps livré pour vous
a un peu d’histoire
Les exégètes et historiens du texte discutent beaucoup sur l’origine des paroles de la dernière cène[39]. Ce qui est sûr, c’est que l’on a un texte daté au plus tard de 54 et que ce texte dit être transmission de ce qui a été reçu. La version la plus ancienne de la cène, rapportée par Paul, nous renseigne ainsi sur ce qui se passe à la fin des années 40, soit moins de vingt ans après qu’elles eurent été prononcées.
On pourra être étonné que Jésus donne à boire son sang. Comment les Juifs, qui ne mangent pas le sang, pouvaient-ils entendre ces propos, comment le Juif Jésus a-t-il pu les tenir ? Jn 6, plus tardif, se fait l’écho de la première question. J’y vois une manière de reprendre la thématique de l’alliance, scellée dans le sang, mais en la faisant échapper au sacrifice, puisque l’on en fait une boisson. En offrant le sang de l’alliance à boire, Jésus substitue au sacrifice, religieux, sacré, le repas, signe eschatologique de la fraternité et de l’hospitalité.
On s’interroge aussi pour savoir à partir de quand les paroles de Jésus lors du dernier repas deviennent paroles pour la célébration. La Didachè n’y fait pas allusion. Dans le texte de Justin, vers 155, elles fondent la description du rassemblement dominical, l’expliquent mais ne semblent pas en être un élément. On connaît d’ailleurs des anaphores qui ne comportent pas ce qu’il est convenu d’appeler le récit de l’institution. Comme préfet de la Doctrine de la foi, J. Ratzinger reconnaît, ce qui est une évidence, que l’anaphore d’Addaï et Mari (plus anciens éléments du 2ème siècle) est une authentique prière eucharistique, alors qu’elle ne comporte pas le récit de l’institution. Ce fait est d’importance, parce qu’il tranche le débat de savoir si ce sont ces paroles ou l’ensemble de la prière eucharistique qui consacrent[40].
Justin est témoin d’une période où à Rome, le président improvise la prière, non qu’il parle forcément d’abondance de cœur, mais qu’il n’y a pas de « prière eucharistique ». Ce que nous laisse quelques décennies plus tard Hippolyte est sans doute plus une trame qu’un texte à suivre à la virgule près. Déjà la Didachè semblait donner un tel cadre assez normatif[41].
Ambroise de Milan propose (vers 390) une réflexion sur les paroles de Jésus comme « consécration ». Le mot se trouve chez lui ; on pourrait trouver le même genre d’idées, chez Chrysostome qui parlerait alors de sanctification[42]. Ambroise isole ces paroles qui n’ont pas le même statut que le reste. Cependant, il « donne peu de relief au rôle du sacerdos qui prononce les paroles du Christ. »[43] Il sera peu repris si ce n’est par Pierre Lombard (+ 1160) et quelques successeurs puis finalement par Thomas d’Aquin (+ 1274) qui infléchissent sa pensée dans le sens de l’in persona Christi au point qu’il pourrait y avoir consécration par ces seules paroles en dehors même de la prière eucharistique[44]. Le Christus Totus d’Augustin ne permet guère de séparer la tête des membres, ni celui qui agit in persona Christi de l’Ecclesia.
Les Pères et tout le premier millénaire ont un vocabulaire précis et techniques. Cependant, la manière de raisonner n’a pas pour critère dirimant l’univocité. On parle souvent d’intelligence symbolique[45]. Plutôt que d’enfermer une pensée dans des règles, il est plus urgent de constater et d’interpréter le glissement de sens des mots, d’une époque à l’autre.
Le Père de Lubac[46] a montré que le corps mystique du Christ, au IXe siècle, c’est l’eucharistie, mystique étant ici un adjectif relatif au mystère, mot grec habituellement traduit en latin par sacrement. On se situe dans la logique des Pères qui lient l’eucharistie et l’Eglise qui devient ce qu’elle reçoit, le corps du Christ, dans son action de grâce. Le IXème est un moment de précision du vocabulaire. Ainsi Paschase Radbert écrit-il vers 831 : « Il y a trois manières selon lesquelles, dans les Ecritures, on parle du corps du Christ : l’Eglise en sa totalité qui est son corps, le corps mystique du Christ sur l’autel, enfin le corps né de la Vierge Marie ». Cette formulation ne fait problème à personne.
Dès le XIème siècle, dire de l’eucharistie qu’elle est corps mystique choque certains. N’est-ce pas une manière de nier que l’eucharistie est réellement le corps du Christ ? Pour retracer toute l’histoire, il faudrait rappeler qu’à cette époque, on ne communie quasiment plus (pas même une fois par an comme nous l’avons dit dans l’introduction), à part les prêtres. Il faudrait aussi faire allusion à l’insistance, par exemple franciscaine sur l’humanité de Jésus. La vérité du corps eucharistique exige un réalisme exacerbé. Ainsi voit-on des hosties saigner. Béranger de Tours (+ 1088) refuse pourtant de dire que ses dents mordent ou broient le corps du Christ. Même si les différentes formules de rétractation qu’il doit signer atténuent un peu l’hyper-réalisme eucharistique au fil des versions, le mal est fait. La question de l’être[47] est posée qui ignorent la plurivocité aristotélicienne de être et dont personne n’arrive à sortir pendant au moins un siècle et demi. Désormais, le corps mystique, c’est l’Eglise, et le vrai corps du Christ c’est l’eucharistie, qui renvoie au corps né de Marie (Cf. l’Ave verum corpus). Des trois corps, celui qui fait couple avec l’eucharistie n’est plus la communauté ecclésiale, mais le corps historique. (L’expression Eglise corps mystique apparaît au milieu du XIIe et est utilisé par Boniface VIII dans la bulle Unam sanctam de 1302.)

b Le sens d’une parole
Thomas d’Aquin permet de trouver une solution à l’hyper-réalisme, en reprenant les propos d’Ambroise, une nouvelle fois de façon assez isolée. Mais le contexte est tout autre. On s’interroge sur ce que signifie le changement de substance du pain en corps et du vin en sang du Christ, sur le sens du verbe être dans ces paroles, comment le pain eucharistique est vrai corps du Christ. Il faut arriver à expliquer que l’on ne communie pas plus si l’hostie est plus grande ou plus petite, que l’on n’est pas plus proche ou plus loin de Jésus selon que l’on est au premier rang ou au fond de l’église. Comment répondre à l’hyper-réalisme sans nier que l’eucharistie est le vrai corps du Christ ?
Thomas fait porter sa réflexion sur la formule Hoc est enim corpus meum, comme s’il s’agissait d’une proposition de type A est B. Mais lorsque dans la liturgie il est dit « ceci est mon corps », cette proposition est-elle du type « cette table est un autel », ou « le chat est sur le paillasson », propos uniquement et entièrement descriptif, que l’on peut comprendre par une réflexion sur le sens du mot être et ce qu’est une substance ?
Le problème, c’est que Jésus n’a pas dit « ceci est mon corps », comme il aurait dit « ceci est une table ». Il a dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps livré pour vous. » Le propos change passablement de sens lorsqu’il est destiné à quelqu’un pour qu’il mange et qu’il n’est donc plus une description. Aussi, pour comprendre le sens du propos de Jésus, il faut sans doute davantage l’entendre comme une parole d’amour. Il n’y a pas d’amour plus grand que de donner sa vie (son corps) pour ceux qu’on aime. Le repas eucharistique est nuptial s’il s’agit d’alliance, comme l’enseigne Cana, festin des noces de l’agneau, alliance nouvelle en son sang. Les amants se disent : prends, ceci est mon corps pour toi.
« Je voudrais parler de la dernière cène et de la sexualité. Cela paraît peut-être bizarre, mais réfléchissez un instant. Les paroles centrales de la dernière cène sont "Ceci est mon corps, et je vous le donne". L’Eucharistie, comme le sexe, est centrée sur le don du corps. Avez-vous jamais remarqué que la première épître aux Corinthiens tourne autour de deux sujets, la sexualité et l’Eucharistie ? Et cela parce que Paul sait qu’il nous faut comprendre l’un à la lumière de l’autre. Nous comprenons l’Eucharistie à la lumière de la sexualité, et la sexualité à la lumière de l’Eucharistie. […] Lorsque Jésus dit "Ceci est mon corps et je vous le donne", il ne se défait pas d’un bien : il transmet le don qu’il est. Son être est un don du Père, et c’est ce qu’il nous transmet. […] À la dernière cène, Jésus prit du pain et le donna à ses disciples en disant : "Ceci est mon corps livré pour vous". Il se livre. Au lieu de se les asservir, il se livre à eux pour faire ce qu’ils veulent. Et nous savons ce qu’ils en feront. Voilà l’immense vulnérabilité de l'amour. »[48]

c Vénéré parce que conservé
Le concile de Trente veut répondre à Luther mais ne peut se détourner de ce qu’il y a de juste en ses propos. Ainsi, défendant le bien-fondé de l’adoration eucharistique, il ne peut que la relativiser par rapport à la communion. « Pour avoir été institué par Notre Seigneur Jésus-Christ à dessein qu’il soit pris et reçu par les fidèles, on ne doit pas moins adorer [le très saint sacrement]. »[49]
Ce type d’incises ne permet pas cependant d’éviter les graves défauts du travail conciliaire. La distinction du traité de l’eucharistie en deux volets, sacrement (présence réelle) et sacrifice (messe) empêche que l’on pense la messe comme célébration du sacrement eucharistique. Cela vient aussi comme réponse à Luther qui récuse le terme de sacrifice et retient celui de sacrement (encore qu’il préfère parler de testament). Mais la distinction est aussi le reflet de la pratique, le sacrement que le peuple adore (présence réelle) et le sacrifice de la messe à laquelle on se contente de communier spirituellement.
L’eucharistie n’est plus l’action de grâce de l’Eglise et par elle de l’humanité au Père par le Christ dans l’Esprit, mais la présence du Christ, l’accomplissement de sa promesse d’être avec les disciples jusqu’à la fin (Mt 28, 20)[50]. Elle est tournée vers le Christ. Ce faisant, l’action de grâce s’efface tant comme vie eucharistique que comme res du sacrement, au profit d’une adoration de Jésus présent.
Or, à séparer le sacrement de sa célébration, on en fait un « en-soi » alors qu’il ne peut être que « pour nous ». Le rituel de l’eucharistie en dehors de la messe a beau recommander que l’on montre le lien entre l’adoration et la célébration, ne serait-ce qu’en utilisant pour la seconde le pain consacré à la messe qui précède, les habitudes n’ont pas changé. « Il est facile d’enclore imaginairement la présence du Christ dans le pain, oubliant que ce pain n’est médiation sacramentelle de cette présence que dans son rapport à la fraction qui en dit la destination de nourriture ("mon corps pour vous") et de communion fraternelle ("un seul pain, un seul corps").[51]
L’expression même de présence réelle est problématique. Nulle part je n’en ai trouvé la première occurrence. Que serait d’ailleurs une présence non réelle ? Quelle conception de la réalité suppose-t-elle ? S’agit-il de dire la vérité de la présence, ou l’être de la présence, dans une perspective ontologique ? Thomas, ne semble pas apprécier l’expression de « présence corporelle » qu’il ne reprend pas dans l’office du saint sacrement alors qu’elle figure dans la bulle d’Urbain IV qui décrète la fête du Corpus[52].
« Le Corps du Christ n’est pas dans ce sacrement comme dans un lieu » (IIIa, 76, 5). « Le Christ n’est sous ce sacrement que dans la mesure où il peut être ordonné à l’usage de l’homme. » (Sent IV, 13, 2, 1)
Lorsque l’on parle de présence, on n’entend plus ce que dit le latin, ad-esse, être pour ou pour le moins être [tourné] vers. Du coup, présence s’oppose à absence, alors que présence signifierait plutôt ce qui advient, et donc d’un certain point de vue n’est pas déjà là.
Il me semble que l’on pourra reconnaître avec une tradition antique[53] jusqu’à Luther compris, ce que l’on appelle présence. Le pain rompu n’est plus ce que l’on mange à table. Il est réception du don de Dieu en Jésus. L’eucharistie ne se pose pas en termes de présence mais de don. On adore, si l’on veut, les saintes espèces, parce qu’on les conserve, on ne les conserve pas pour les adorer.






Pour lire ce texte, on pourra repérer la douzaine de thèses suivantes, réparties dans les quatre parties du propos.

1 L’eucharistie est action de grâce avant d’être une célébration ou les saintes espèces.
2 La vie comme reçue ou comme réponse.
3 Pour rendre grâce à la source de tout don, il faut encore recevoir.
4 Vivre du don nous fait don.

5 C’est l’Ecclesia qui célèbre
6 devenant ce qu’elle reçoit, le corps du Christ.

7 La célébration de l’eucharistie est un repas, selon l’habitude de Jésus, avec les pécheurs
8 et non un sacrifice, acte religieux du culte.
9 Répondants à Dieu et des frères.
10 L’Eucharistie, c’est la parole pour qu’on puisse la manger.

11 Les paroles de la dernière cène expriment un don, une déclaration d’amour.
12 L’eucharistie est action de grâce pour le don de Dieu (Dieu lui-même) par le Fils dans l’Esprit avant d’être présence de Jésus.


[1] Cf. L’eucharistie dans la Bible, CE 37, 1981 ; Les récits fondateurs de l’eucharistie, Sup CE 140, 2007 ; X. Leon-Dufour, Le pain de vie, Seuil, Paris 2005 et les nombreux travaux de C. Perrot dont ceux cités ci-dessous, note 27.
[2] Cf. par exemple les quelques pages de M. Jourjon, Les sacrements de la liberté chrétienne, Cerf, Paris 1981, pp. 63-89.
[3] P. De Clerck, « Il y a plus ici que la présence du Christ », L’eucharistie au cœur de l’Eglise, A. Haquin éd., Louvain-la-Neuve, 2004, 61-73.
[4] Cf. par exemple, M. Metzger, Histoire de la liturgie eucharistique, Bayard, Paris 2000.
[5] Les Martyrs, tome II, Le troisième siècle, Dioclétien, Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle, traduites et publiées par H. Leclercq, Oudin, Paris 1903 ; pp. 207 et ss.
[6] J. Duhr, « Communion fréquente », Dictionnaire de Spiritualité, II, 1234-1292. La liturgie devient à ce point raffinée et sophistiquée, avec les Carolingiens, que le peuple s’en détache et se rabat sur d’autres pratiques, notamment les pèlerinages et la vénération des reliques.
[7] Le latin n’a jamais été vraiment compris dans les pays de langues non latines, et il ne l’est plus nulle part à partir des Carolingiens. De surcroît, à cette époque, on se met à dire la prière eucharistique à voix basse. P.-M. Gy, « Doctrine eucharistique de la liturgie romaine dans le haut moyen âge », La liturgie dans l’histoire, Cerf/Saint-Paul, Paris 1990, p. 191.
[8] Cf. J.-A. Jungmann, Missarum solemnia I, Aubier, Paris 1951, p. 144-156 ; P. Béguerie, Pour vivre l’Eucharistie, Cerf, Paris 1993 ; p. 159, P. Martin, Le théâtre divin, Une histoire de la messe XVIe-XXe siècle, CNRS éditions, Paris 2010, pl. III.
[9] Cf. P. Prétot, « Les yeux ouverts d’Emmaüs. Réflexion sur l’utilisation théologique et liturgique d’un texte évangélique », LMD 195 (1993), pp. 7-48.
[10] Cf. par exemple, M. Bellet, La chose la plus étrange. Manger la chair de Dieu et boire son sang, Desclée de Brouwer, Paris 1999.
[11] X. Tilliette, Philosophies eucharistiques de Descartes à Blondel, Cerf, Paris 2006. J.-L Marion, J.-L. Chrétien, et d’autres contemporains se sont aussi emparé du sujet.
[12] Cf. P.-M. Gy, « Eucharistie et "ecclesia" dans le premier vocabulaire de la liturgie chrétienne », La liturgie dans l’histoire, op. cit., pp. 41-57 (repris de LMD 130 (1977), pp. 19-34).
[13] Cf. J.-N. Bezançon, La messe de tout le monde, sans secret, ni sacré, ni ségrégation, Cerf, Paris 2009, p. 125.
[14] Cf. B. Latour, Jubiler ou les tourments de la parole religieuse, La Découverte, Paris 20132, p. 177 : « Les amants savent bien que leur amour n’est pas toute leur vie : qu’ils travaillent, qu’ils désirent, qu’ils vaquent à mille occupations, mais ils n’accepteraient sûrement pas de se priver de la remise en présence grâce à ces paroles si originales, si originaires qu’ils appellent "leur amour" et qui font ce qu’elles disent. »
[15] Cf. J.-L. Schlegel, « Pourquoi on ne va plus à la messe », Etudes 4264 (oct 2019), pp. 83-94.
[16] M. Luther, Prélude sur la captivité babylonienne de l’Eglise, Œuvres I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 199, p. 732 (GA 6, 511-512).
[17] J. Ratzinger, « L’Eucharistie est-elle un sacrifice ? », Concilium 24 (1967), p. 69. On lit p. 73, en guise de quasi conclusion : « Toutes les théories sur le sacrifice rituel sont dépassées et […] la nouvelle alliance est accomplie et achevée par un sacrifice véritablement nouveau : il devient visible que Jésus, l’homme qui se livre lui-même, est le culte véritable et la vraie glorification de Dieu. »
[18] L.-M. Chauvet, Le Corps chemin de Dieu, Les sacrements, Bayard, Paris 2010, p. 274. P.-M. Gy, « Eucharistie et "ecclesia" », La liturgie dans l’histoire, op. cit., p. 47 mentionne que Chrysostome parle de seconde eucharistie pour désigner une action de grâce après la communion, continuant donc à penser la prière sur le pain et le vin comme (première) eucharistie.
[19] J.-N. Bezançon, op. cit., p. 126.
[20] Sur la présidence, Cf. R. Minnerath, « La présidence de l’eucharistie chez Tertullien et dans l’Eglise des trois premiers siècles », Le repas de Dieu, Mohr Siebeck, Tübingen 2004, pp. 271-298 et H. Legrand, « La présidence de l’eucharistie selon la tradition ancienne », Spiritus 69 (1977), pp. 409-431.
[21] Y. Congar, « L’"Ecclesia" ou communauté chrétienne, sujet intégral de l’action liturgique », La liturgie après Vatican II, Unam Sanctam 56, Cerf, Paris 1967, p. 241. Cf. aussi Y.-Congar, « Références et recherches actuelles sur l’Assemblée liturgique », LMD 155 (1973), pp. 7-29 et I.-H. Dalmais, « Assemblée liturgique et communauté ecclésiale », Mens concordet voci, pour Mgr A.-G. Martimort, Desclée, Paris 1983 pp. 532-540. « L’assemblée liturgique est l’Eglise en petit, l’Eglise à l’échelon local. Tout ce qui est vrai de l’Eglise se doit dire de l’assemblée liturgique. », écrit A.-G. Martimort, Mens concordet voci, op.cit., p. 207.
On doit entendre dans le canon romain, « ta famille » comme désignant l’assemblée locale, et la Catholica, comme l’Eglise tout entière. « Nous tes serviteurs et ta famille entière » serait un ajout de Grégoire le Grand (+ 604). Selon P.-M. Gy, « Doctrine eucharistique », La liturgie dans l’histoire, op. cit., p. 188, il faut comprendre clercs d’une part et laïcs d’autre part. C’est une nouveauté, redoublée par les Carolingiens, avec le « nous t’offrons pour eux ou » ajouté au « ils t’offrent […] ce sacrifice de louange » (Cf. J.-A. Jungmann, Missarum solemnia III, Aubier, Paris 1954, p. 73). Mais « nous tes serviteurs » pourraient aussi désigner l’assemblée en train de célébrer, spécialement avec l’évêque de Rome, et ta « famille entière », l’ensemble de l’Ecclesia, qui célèbre aussi et n’est évidemment pas réunie en un même lieu. P.-M. Gy, « Le "nous" de la prière eucharistique », LMD 191 (1992/3), pp. 7-14, repris dans L’Eucharistie, Tradition, célébration, adoration, Cerf, Paris 2005, pp. 164 et 166, pourrait aller dans ce sens.
Il faut attendre Pie XII et Mediator Dei (1947) pour qu’un texte pontifical reconnaisse que « d’une certaine façon » les fidèles offrent aussi le sacrifice et pas seulement le prêtre (bien sûr au singulier) § 113 voir aussi 114 et 115. Sacrosantum Concilium 48 élargit un peu la visée : « qu’offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi en union avec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes ». C’est encore bien court. Il ne s’agit pas ici seulement de la participation active, déjà évoquée par Pie X (Tra le sollecitudini, 1903 sur la musique sacrée) et Pie XI (Divini cultus, 1928), mais du rôle de l’assemblée dans l’offrande comme disent les textes, c’est-à-dire comme célébrante.
[22] J.-Y. Hameline, « Théâtralité de la liturgie », LMD 219 (1999/3), pp. 28-29.
[23] Cf. L.-M. Chauvet, op. cit., p. 91-95.
[24] Contre la lecture de B. Botte, voir M. Smyth, « L’anaphore de la prétendue "tradition apostolique" et la prière eucharistique romaine », RvSR 81/1 (2007), pp. 95-118. Qui est Hippolyte ? Ce dont parle le texte décrit-il ce qui se passe à Rome, ou ailleurs, et depuis quand ? Nous ne le savons pas.
[25] Léon le grand, Sermon 50, 7 (SC 74bis, p. 163), daté de mars 452.
[26] Cf. P.-M. Gy, « Doctrine eucharistique », La liturgie dans l’histoire, op.cit., pp. 192-194 : « Le déplacement de l’action de grâce vers le sacrifice ». On y parle de « la rupture qui s’est effectuée, en latin chrétien, du lien qui existait en grec entre l’eucharistie-prière et l’eucharistie-chose sainte. […] En même temps qu’eucharistia et gratiarum actio perdaient leur unité originelle, le sens de l’action, dès l’époque patristique, s’est déplacé de l’action de grâce vers le sacrifice. » Cf. aussi pp. 47-50.
C’est Augustin principalement qui, après il est vrai des usages, typologiques, du sacrifice, depuis la Didachè comme on l’a dit, développe l’eucharistie comme sacrifice. Il ne s’agit pas d’un propos théologique mais apologétique ‑ et à n’en pas tenir compte on fait un faux-sens ‑ dans le contexte des religions sacrificielles du bassin méditerranéen antique. Les chrétiens savent, eux, ce qu’est la vraie religion, le véritable sacrifice. « Le véritable sacrifice, c’est toute œuvre qui nous unit à Dieu dans une communion sainte : toute œuvre donc accomplie en vue de ce bien ultime par quoi nous pouvons vraiment être heureux. […] Les vrais sacrifices sont les œuvres de miséricorde soit envers nous-mêmes, soit envers le prochain, que nous rapportons à Dieu. […] Tel est le sacrifice des chrétiens : à plusieurs, n’être qu’un seul corps dans le Christ. Et ce sacrifice, l’Eglise ne cesse de le reproduire dans le sacrement de l’autel bien connu des fidèles, où il lui est montré que dans ce qu’elle offre, elle est elle-même offerte. » (La Cité de Dieu, X,VI) Cela n’a plus rien de sacrificiel ! C’est la res du sacrement qui est visée.
Pour une évaluation après Vatican II, J.-M. Tillard, « Vocabulaire sacrificiel et eucharistie », Irenikon 53 (1980), pp. 145-174. L’auteur regrette la marche arrière de la version de la PGMR de 1969 à celle de 1970, notamment avec l’effacement du mémorial, dont il donne une définition pp. 165-166, et la réaffirmation du sacrifice.
[27] C. Perrot, « Le repas eucharistique », http://religions.free.fr/0400_liturgie%20du%20jour/0431-cene.html ; cf. aussi, C. Perrot, « Le repas du Seigneur », LMD 123 (1975), pp. 29-46. Voir, à propos d’un texte à peine plus tardif, M. Jourjon, « Remarques sur le vocabulaire sacerdotal dans la Ia Clementis », Epektasis, Mélanges patristiques offerts au cardinal Jean Danielou, J. Fontaine et C. Kannengiesser éd., Beauchesne, Paris 1972, pp. 107-110.
[28] Cf. B. Sesbouë, Jésus Christ l’unique médiateur I, Desclée Paris 1988, pp. 257-291, demande p.  257 « si en définitive, le sacrifice du Christ n’échappe pas au registre général du sacrifice. » Il présente un dossier historique assez complet de la question. Il dénonce les raisons antiprotestantes du maintien du terme sans cependant conclure pour le rejet de ce terme. Il renvoie en outre à J. Moingt, « La révélation du salut dans la mort Christ. Esquisse d’une théologie systématique de la rédemption », Mort pour nos péchés, Faculté universitaires Saint-Louis, Bruxelles 1976, p. 117-172. Cf. J. Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd’hui (1968), Cerf, Paris 19852, pp. 197-207.
[29] Cf. S. C. Mimouni, « La tradition du dernier repas de Jésus au 1er siècle : de la réalité historique à la réalité liturgique », Sacrifices humains, dossiers, discours, comparaisons, Brepols, Turnhout 2013, pp. 149-164.et B. Grimonprez-Damm, « Le "sacrifice" dans la Didachè », RvSR 64 (1990/1), pp. 9-25 qui opte pour une interprétation allégorique pour désigner la charité.
[30] J.-Y. Hameline, op. cit., p. 28.
[31] M. Theobald, « Le repas du Seigneur dans le Nouveau Testament », RSR 107/1 (2019), p. 72 invite à distinguer la pratique des repas de Jésus, son dernier repas, et les repas après la Pâques. C’est à parcourir ces trois étapes que l’on peut comprendre comment la fraction du pain est devenue l’eucharistie des disciples.
[32] C. Perrot, « L’Eucharistie comme fondement de l'identité de l'Eglise dans le Nouveau Testament », LMD 137 (1979), pp. 109-125. La citation qui renvoie à Ac 6, 1-6 et à 1 Co 11, 17-34 est p. 25 de la reprise dans L’Eucharistie, Tradition, op. cit.. On remarquera dans Justin, Première Apologie 67, l’importance des dons au cœur de la célébration. Il faut relire 1 Co où eucharistie et vie fraternelle vont de paire.
[33] Cf. supra note 9.
[34] Pour d’autres citations d’Augustin, voir L.-M. Chauvet, op. cit., pp.122-123.
[35] L.-M. Chauvet, op.cit., p. 53.
[36] Ib. p. 127.
[37] J. Zizioulas, L’Etre ecclésial, Labor et fides, Genève 1981, p. 155, écrit : « C’est seulement lorsque la parole prêchée devient identique à la chair eucharistique… ». Cf. Irénée de Lyon, AH IV, 18, 5 : « Notre doctrine est conforme à l’eucharistie et notre eucharistie est notre doctrine. »
[38] W. Kasper, « L’unité de l’eucharistie », Communio X, 3 (mai-juin 1985), p. 49.
[39] Cf. M. Theobald, op. cit., pp. 63-71.
[40] Cf. P.-M. Gy, « Doctrine eucharistique… », La liturgie dans l’histoire, op. cit. p. 195 et « Le "nous" de la prière eucharistique », L’eucharistie, Tradition, op. cit., p. 163, cf. infra note 44 et le commentaire de A.-M. Roguet dans Thomas d’Aquin, L’eucharistie, ST, Cerf, Paris 1960, pp. 393-400.
[41] Sur la prière eucharistique, E. Mazza, L’action eucharistique, Origine, développement, interprétation, Cerf, Paris 2005. Voir les différents travaux de M. Smyth, notamment les articles publiés dans RvSR.
[42] P.-M. Gy, « Le "nous" de la prière eucharistique », L’eucharistie, tradition, op. cit. p. 162.
[43] P.-M. Gy, « Prière eucharistique et paroles de consécration selon les théologies de Pierre Lombard à S. Thomas d’Aquin », La Liturgie dans l’histoire, op. cit., p. 211. Voir aussi p. 196. Ambroise de Milan, Les Mystères, 54.
[44] Thomas d’Aquin, ST IIIa, q. 78, a. 1, 4 avec référence à Ambroise de Milan, Les sacrements, IV, 4.
[45] Le concile de Trente, en citant les Pères, se permet de parler de l’eucharistie comme symbole. Ainsi le décret sur le saint sacrement de 1551 écrit au chap 2 que l’eucharistie est « symbole de cet unique corps dont le Christ est la tête » ou au chap 8 qu’elle est « signe d’unité », « lien de la charité » et « symbole de la concorde ». W. Kasper, La théologie de l’Eglise, Cerf, Paris 1990, p. 432 écrit : « L’archétype et l’image, le type, le symbole, la figura d’un côté, et la veritas de l’autre, se séparèrent depuis la deuxième controverse sur l’eucharistie au XIe siècle. Si on comprenait primitivement dans un symbole une chose qui en un certain sens est ce qu’elle signifie, on comprend désormais dans un symbole une chose qui n’est pas réellement ce qu’elle signifie. »
[46] Cf. un résumé, un rien condescendant, non théologique, de la part d’un sociologue des religions et du droit, de H. de Lubac, Corpus mysticum, Aubier, Paris 1944, https://www.jstor.org/stable/23665496?read-now=1&refreqid=excelsior%3A416d2401ae695c8a0a9ca661904733e6&seq=4#page_scan_tab_contents. Une relecture théologique vient de paraître : J.-F. Chiron, « Corpus mysticum revisité », RSR 107/1 (2019), pp. 33-58.
[47] A propos du rapport entre être et eucharistie, voir J.-Y. Lacoste « Etre », Dictionnaire critique de Théologie, PUF, Paris 1998, pp. 422-425.
[49] Concile de Trente, Décret sur le saint sacrement, 11 oct 1551, chap 5.
[50] Ce verset a un sens eucharistique, que Thomas ne retient pas, depuis le XIIe. Cf. P.-M. Gy, « L’office du Corpus Christi, œuvre de S. Thomas d’Aquin », La liturgie dans l’histoire, op. cit., p. 237.
[51] L.-M. Chauvet, op. cit., p. 99.
[52] Une recherche dans l’index thomisticus donne une occurrence à presentia realis et seulement cinq a presentia corporalis dans toute l’œuvre de Thomas (quel que soit le cas) et aucune ne concerne ce que l’on appelle la présence réelle.
[53] Tertullien, Ad Uxorem II, v, 3 (SC 273 p. 139), donnerait la plus ancienne attestation de ce que nous appelons la présence réelle ou du moins la réserve eucharistique. Les chrétiens emportaient chez eux le pain eucharistique et communiaient durant la semaine (Cf. DACL 14, 2385-2389). Une femme mariée à un païen risque d’attirer son attention. « Ton mari ne saura-t-il pas ce que tu prends en secret avant toute nourriture ? Et s’il vient à savoir que c’est du pain, ne croira-t-il pas qu’il s’agit de ce pain dont on parle ? » Ce texte est considéré de l’époque catholique, donc entre 193 et 206. Voir le commentaire de M. Jourjon, op. cit., pp. 65-67.
Cf. Confession d’Augsbourg (1530), art. X : « Le vrai corps et le vrai sang du Christ sont véritablement présents dans la Cène, sous les espèces du pain et du vin, et […] là, ils sont distribués et reçus. »

4 commentaires:

  1. Après tout ce que tu as dit, comment peut-on continuer à exclure du corps du Christ, une partie des fidèles que sont les personnes divorcées, engagées dans une nouvelle union. Cette exclusion n'est-elle pas tout simplement anticonstitutionnelle, puisque le corps du Christ sera toujours "amputé" d'une partie des baptisés...

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    1. Je ne sais pas qui est la personne qui écrit le message ci-dessus. Je suis surpris. Peut-on encore dire que des fidèles sont exclus de l'eucharistie parce qu'ils seraient remariés ?
      Amoris laetitia a ouvert une porte qui permet d'envisager les choses autrement, non ? Sans compter que dès avant ce texte, nombreux étaient les catholiques pratiquants réguliers de la messe du dimanche et divorcés-remariés à recevoir déjà la communion, et que, souvent, des laïcs de la paroisse, le prêtre ou l'évêque du coin le savaient.

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  2. Patrick, tu devrais en publier un article! Ça doit profiter et nourrir les esprits clos des curies....

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  3. Bonjour Patrick, Un très grand merci pour ce véritable dossier sur l'Eucharistie...C'est un sujet qui nous intéresse beaucoup puisque nous sommes engagés dans la pastorale des personnes "divorcées-remariées" et que la question de l'Eucharistie est...sensible. Je t'envoie une contribution intéressante, celle qu'a fait Mgr Spiteris au synode de 2015 où cette question était très controversée...
    https://synodequotidien.wordpress.com/textes-du-synode/ioannis-spiteris/
    Bonne lecture...nathalie

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