Modifié le 17 11 2019
Pour parler de l’eucharistie, nombre de chemins sont possibles. On
pourrait partir des Ecritures[1],
des Pères de l’Eglise[2]
ou de l’arrière-plan juifs du dernier de Jésus et des rassemblements eucharistiques
du premier siècle. On pourrait relire les textes conciliaires, et
particulièrement ceux de Trente, au XVIème, qui, après le traumatisme de la
séparation d’avec les Eglises de la Réforme, veut définir la compréhension
catholique de l’eucharistie. Mais peut-être serait-il plus urgent, tant qu’à
lire les conciles, de commencer par Vatican II.
Il serait possible d’avoir une approche sacramentelle et d’articuler
eucharistie et sacerdoce, communion et eucharistie, sacrifice ou présence
réelle[3],
ou encore d’étudier les prières eucharistiques, les différentes oraisons et
textes dont on a usé et use dans la liturgie. On préfèrera peut-être une
lecture plus morale, rapprochant l’eucharistie du lavement des pieds (Jn 13) lors
du dernier repas de Jésus. Au « faites ceci en mémoire de moi »,
correspond le « c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi
comme moi j'ai fait pour vous » (Jn 13, 15). La première trace que nous
ayons du rapport entre la célébration eucharistique et le reste de la vie, entre
eucharistie et morale, se trouve dans la première lettre de Paul aux
Corinthiens, écrite vers 54.
On pourrait faire une histoire de l’eucharistie.[4]
Cela permettrait de prendre conscience de la multiplicité des théologies et
pratiques de l’eucharistie au long des siècles. On verrait le fossé se creuser
entre théologie et piété populaire, et l’essai du magistère de réduire ce
fossé, souvent en canonisant la pratique. Je prends trois exemples assez
dépaysants.
- On arrive à repérer la fréquence de la communion selon les
époques. Ainsi, pendant les deux ou trois premiers siècles, elle est
dominicale. Au point d’appeler l’eucharistie le dominicum[5].
Du troisième au cinquième siècle environ, la communion est souvent mais pas
unanimement quotidienne. Pourtant, très vite, certains ne communient que très
rarement, trois fois par an, voire jamais, d’où l’obligation de Latran IV en
1215 de la communion annuelle. Il faut attendre le 20ème siècle pour
que la communion fréquente redevienne une pratique commune[6].
- Comment participer à la messe alors que l’on ne comprend plus le
latin[7],
que les textes sont réservés au prêtre et que leur sainteté empêche qu’on les
traduise ? Une lecture allégorique de la messe se met en place, chaque
geste représentant un moment de la vie de Jésus, spécialement de sa passion.
(L’allégorie se met en place dès la 9ème siècle avec Amalaire et
dure, sous diverses formes, jusqu’au 20ème)[8].
- Un texte pour nous évidemment eucharistique, les disciples d’Emmaüs, a été lu, jusqu’au 13ème siècle
comme concernant la parole de Dieu : « Il y est dit [Lc 24] qu’ils
reconnurent le Christ à la fraction du pain. Qu’est-ce que la fraction du pain
sinon l’explication de l’Ecriture ? Car c’est là que le Seigneur est
reconnu. » (Durand de Mende, + 1296)[9]
Les traités sur l’eucharistie ont longtemps présenté d’un côté tous
les éléments historiques, et de l’autre la doctrine. Il s’agirait alors d’articuler
les deux. Mais il faudrait ajouter une analyse d’anthropologie religieuse et une
réflexion sur le sens des rites et sur le fonctionnement de l’intelligence
symbolique.
Il faudrait parcourir le droit canonique. On pourrait aussi partir
de ce qu’on appelle la vie spirituelle[10],
comment elle est nourrie par l’eucharistie, comment l’eucharistie nous attache
au Christ. On ne pourrait oublier la réflexion philosophique et métaphysique
sur l’eucharistie ; comment une substance peut-elle en devenir une
autre ? Cela ne concerne pas que la scolastique médiévale, mais aussi Descartes
et Leibnitz par exemple[11].
A travers cette liste de perspectives sur l’eucharistie, non
exhaustive, j’ai juste voulu indiquer tout ce que nous ne ferons pas, l’ampleur
du sujet.
1. Vie
eucharistique
a Le mot eucharistie
Commençons par une question de vocabulaire. Pourquoi parler d’eucharistie ?
D’où vient ce mot. Il y en a d’autres, très anciens, plus anciens, fraction du
pain, repas (littéralement souper) du Seigneur. Eucharistie dérive d’un verbe
utilisé dans le Nouveau Testament, rendre grâce. Il apparait dès les premières
lettres de Paul, vers 51 en 1 Th et 54 en 1 Co.
Il faut attendre quelques décennies pour que le substantif désigne
le pain et le vin sur lesquels la prière a été dite, ainsi que la célébration
au cours de laquelle on dit une prière sur le pain et le vin[12].
La première attestation pourrait se trouver chez Ignace d’Antioche, mort vers
110, dans la Lettre aux Smyrniotes
VII, 1 et VIII, 1 : « Ils s’abstiennent de l’eucharistie et de la
prière, parce qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre
Sauveur Jésus-Christ, chair qui a souffert pour nos péchés, et que dans sa
bonté le Père a ressuscitée. […] Que personne ne fasse, en dehors de l’évêque,
rien de ce qui regarde l’Eglise. Que cette eucharistie seule soit regardée
comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en
aura chargé. » (Voir aussi Lettre
aux Philadelphiens IV)
Notons que l’emploi du terme ne se réduit pas à sa dimension
liturgique et encore moins sacramentelle, et nous aurions tort de l’oublier. Réduire
l’eucharistie aux saintes espèces, au saint sacrement, est sans doute une des
ornières communes du catholicisme. Il n’y a pas qu’à l’eucharistie que l’on
fait eucharistie. Ainsi, dans la Lettre
aux Philippiens (1, 3), Paul écrit : « Je rends grâce à mon Dieu
chaque fois que je fais mémoire de vous ». En grec moderne encore, ευχαριστώ,
efcharisto, signifie « merci ».
Arrêtons-nous pour tirer quelques conséquences de ces remarques de
vocabulaire.
b Vie reçue
Il faut parler de vie eucharistique avant de parler de célébration
de l’eucharistie. Qu’est-ce que cela veut dire ? La vie eucharistique,
c’est la vie comprise comme reçue et pour laquelle nous voulons rendre grâce.
Vivre, apprendre à vivre, persévérer dans la vie en recevant l’existence avec
gratitude, vivre comme un remerciement, vivre comme ayant tout reçu
(« Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » 1 Co 4, 7).
Les disciples de Jésus, et sans doute tous ceux qui confessent un
dieu créateur, non comme explication de ce qu’il y a quelque chose plutôt que
rien, mais comme se recevant de ce dieu, vivent comme des « tard
venus », venus après, précédés par l’amour qui les suscite (1 Jn 4, 19).
Ce que nous expérimentons des parents et aïeux, mais que nous oublions si vite,
nous pensant autonomes, malgré la vie que nous recevons sans cesse de ceux avec
qui nous vivons, que nous les aimions ou non, renvoie à une réception plus
radicale encore. Nous vivons comme offerts, par pure gratuité, et nous le
découvrons dans l’action de grâce qui répond à ce don. Dans l’eucharistie, la
vie est appréhendée sous le mode de l’accueil, elle est réponse, et non origine
de soi, affirmation de soi, ou possession de soi[13].
C’est le sens de la Providence ; non un arrangement plus ou moins
miraculeux du destin, mais l’expression de la vie reçue. C’est ce que l’on peut
comprendre d’un passage d’un sermon d’Augustin : « C’est votre propre
mystère qui est posé sur la table du Seigneur, vous recevez votre propre
mystère. » (Sermon 272)
Parfois, il est impossible de rendre grâce. Job et Jérémie le
montrent : « Maudit, le jour où je fus enfanté ! Le jour où ma
mère m’enfanta, qu’il ne devienne pas béni ! » (Je 20, 14 et Jb 3, 1) Il
n’en reste pas moins que la vie est en forme de réponse. Même dans
l’impossibilité de vivre, la vie est comprise comme nous incombant, comme
donnée.
Est-il possible de comprendre la vie autrement ? Bien
sûr ! Nous croyons souvent que la vie se gagne, ou se prend. Au chapitre 2
de la Genèse, le fruit est défendu en tant qu’on ne peut le prendre, on ne peut
se l’octroyer, mais seulement le recevoir. Le fruit n’est pas réservé à Dieu,
comme on le comprend trop souvent, mais réservé au don. L’Apocalypse l’atteste, puisque les élus ont précisément droit au
fruit de l’arbre de la vie (Ap 2, 7 et 24, 14).
c De l’action de grâce au rite eucharistique
S’agit-il d’apporter la vie sur l’autel parce que le rituel en
serait privé ? Faut-il rendre vivantes les célébrations ? Faut-il,
par exemple et comme on le voit parfois dans les célébrations de caté, une procession
d’offertoire avec des cahiers, des ballons ou des jeux ? Il se pourrait
que l’on soit encore dans une conception sacrale de l’eucharistie. Il s’agit
non pas d’apporter la vie dans le rite, mais de percevoir le rite comme un
concentré de la vie.
Le rite ou la célébration ne sont pas une activité à côté des
autres activités, une activité parmi d’autres. Ils sont comme l’amour que
partagent ceux qui s’aiment, non un moment de la journée, ni un moment dans
l’histoire de leur amour, mais la source et le sommet de cet amour, susceptible
d’être vécu en permanence. L’amour célébré, si l’on peut dire, est le condensé,
le résumé, l’expression et la source de l’amour des amants. L’amour n’est pas
un moment de la vie des amants mais assume toute leur vie[14].
Nous avons ainsi une double métonymie de l’action de grâce à la
célébration et de la célébration aux saintes espèces. Et le mouvement inverse
vaut tout autant. Ce qui est posé sur l’autel, « [notre] propre mystère »
comme dit Augustin, nous dévoile l’existence comme reçue ou comme réponse. On
comprend alors l’expression conciliaire de l’eucharistie « source et
sommet de la vie chrétienne » (LG
11). Non que la célébration serait le moment le plus important de la vie
chrétienne. Elle est la partie qui comprend et désigne le tout de la vie.
L’action de grâce a forme sacramentelle dans la célébration eucharistique
autant qu’elle est la forme convertie de la vie.
Ce rapport de la célébration avec le reste de la vie sort la
célébration d’une compréhension cultuelle, ou plutôt fait de la vie chrétienne
tout entière un culte ; un culte non cultuel faudrait-il dire (semblable
au renversement sacrificiel opéré par le champ sémantique sacrificiel de
l’épitre aux Hébreux). « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde
de Dieu, à offrir vos personnes en offrande vivante, sainte, agréable à Dieu :
c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre. » (Rm 12, 1) (Il faut
lire tout le chapitre, et il faut surtout se méfier des traductions, toutes
impossibles.)
Si tout est rite ou culte, alors il n’y a plus de sacré ni de
profane. Dire que « tout homme est une histoire sacrée », ce n’est
pas une sacralisation de l’homme, mais un renversement du profane. Avec
l’eucharistie l’on sort du paganisme, entendons des religions. Tout ce qui
refait du sacré est païen et nie l’incarnation. En elle, il n’y a plus le sacré
d’un côté et le profane de l’autre puisque le Saint habite le corruptible pour
le rendre saint comme il est saint (Lv 19, 2, 1 P 1, 16). Un dieu qui meurt,
qui plus est ignominieusement, ne peut être le dieu de la religion, de la
distinction du sacré et du profane.
La querelle à propos de la désacralisation de la liturgie est
pleine d’enseignements[15].
Si l’on veut revenir au sacré que Vatican II aurait congédié, on reprend le
joug du paganisme, ou du judaïsme. Mais si l’on fait de la célébration une
activité comme les autres et parmi d’autres, si l’on défait son caractère
rituel, en outre manifesté par la répétition et un style d’attitudes originales
(on ne dit pas merci par exemple au lecteur après sa lecture ou quand on reçoit
le pain, on ne s’y exprime pas comme autour d’une table, quand bien même c’est
autour d’une table que tout se passe, etc.) on n’est plus en mesure de vivre un
sacrement. Les sacrements sont un genre liturgique original, ni culte sacré et
donc séparé du profane, ni activité parmi d’autres.
L’eucharistie n’est « source et sommet de la vie chrétienne »
que si le rite eucharistique n’est pas une activité parmi les autres, fût-elle
la plus haute ou une activité sans rapport avec les autres, séparée, sacrée. En
outre, l’action la plus haute de la vie chrétienne, elle aussi source et
sommet, ne réside-t-elle pas dans le service des plus petits ? N’est-ce
pas dans ce service, comme le dit explicitement Mt 25 et bien d’autres passages
évangéliques, que le Christ est donné à rencontrer, est réellement présent ?
S’il n’y a qu’une seule source et sommet, l’eucharistie ne peut que se jouer là
où le service des frères est en jeu.
On ne saurait mettre en concurrence eucharistie comme rite et
service des frères jusqu’au don de soi, offrande à Dieu. Dieu ne se donne pas
dans les saintes espèces plus ou mieux qu’ailleurs. Dieu n’est pas là plus ou
mieux qu’ailleurs. Ce type de raisonnement nous mènerait à une idolâtrie de
l’eucharistie. L’eucharistie n’est pas non plus ce que l’on fait de mieux,
parce qu’en offrant un sacrifice à plus grand, on ferait forcément ce qu’il y a
de mieux. L’eucharistie n’est pas une œuvre, une action, fût-ce la plus grande,
la meilleure[16].
d Comment rendons-nous grâce ? En recevant encore.
Dans un article qui veut sauver l’aspect sacrificiel de
l’eucharistie, alors qu’il entérine la pertinence de la critique luthérienne,
J. Ratzinger écrit : « Le culte chrétien n’est donc plus l’offrande
de nos propres dons. Par son essence même il est accueil, acceptation de l’acte
sauveur de Jésus-Christ offert une fois : il est donc action de grâce, Eucharistia. »[17]
Lorsqu’il s’agit de vivre de et avec la source de la vie, de vivre
du Dieu créateur et avec lui, comment rendre grâce ? Le psalmiste posait
la question en des mots que les chrétiens ont compris comme une prophétie. « Comment
rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe
du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur. » (Ps 115, 12-13)
Comment dire merci à la source autrement qu’à s’y désaltérer
encore, s’y rafraichir ou s’y soigner, à recevoir gratuitement encore l’eau de
la vie ? (Cf. Is 55, 1 et Ap 21, 6 ; 22, 17) Il n’est d’autre manière
de dire merci à Dieu que de le recevoir. A l’eucharistie, comme des mendiants, nous
tendons les mains. Nous le recevons qui se donne, parole qui fait vivre, parole
devenue nourriture.
Nous rendons grâce, non pour le morceau de pain, fût-il consacré,
mais pour la bonté de Dieu, sa providence, Dieu en tant qu’il est don de vie.
Dieu en effet ne donne pas quelque chose, mais lui-même, Dieu ne donne rien si
ce n’est lui-même. Si Dieu donne sa grâce, c’est parce que Dieu est
grâce ; Dieu est appelé grâce quand on le désigne comme don et donateur,
créateur, gratuité prévenante, gracieuse.
On ne rend donc pas grâce après l’eucharistie, on ne célèbre pas
une messe d’action de grâce (terrible pléonasme !). On rend grâce parce
que la vie humaine a forme responsoriale. Thomas d’Aquin, avec l’étymologie
d’Isidore, entend eucharistie comme « bonne grâce » donnée par Dieu
et non comme « action de grâce ». Du coup, l’action de grâce vient
après la communion[18].
Or il n’y a qu’un seul don, Dieu lui-même, don diffracté. Et le
remerciement même, l’action de grâce n’est possible que par le don de Dieu. Dans
le même temps, le don de Dieu reçu, Dieu qui est don, convertit ceux qui le
reçoivent en ce qu’il est. Si le don est conservé comme un bien, il n’est plus
don mais possession. La seule manière de garder le don comme don, c’est de le
donner à nouveau. L’action de grâce est divinisation, c’est-à-dire, nous fait
don puisque Dieu est don. Nous avons reçu et nous sommes appelés à être don.
Vivre l’action de grâce sans devenir don pose problème.
Bien que cette conversion concerne tout chrétien, l’homélie de François
pour l’ouverture du synode sur l’Amazonie (6 oct. 2019) s’adresse aux évêques :
« Nous avons reçu un don pour être des dons. Un don ne s’achète pas, ne
s’échange pas, ne se vend pas : on le reçoit et on l’offre. Si nous nous
l’approprions, si nous nous mettons au centre et ne mettons pas au centre le
don, en tant que Pasteurs nous devenons des fonctionnaires : nous faisons
du don une fonction et la gratuité disparaît, et ainsi nous finissons par
servir nous-mêmes et par nous servir de l’Eglise. Notre vie, au contraire, en
raison du don reçu, est pour servir. L’évangile, qui parle de ‘‘serviteurs
inutiles’’ (Lc 17, 10), le rappelle : une expression qui peut signifier
aussi ‘‘serviteurs sans profit’’. Cela signifie que nous n’agissons pas pour
obtenir un profit, un gain personnel, mais parce que nous avons reçu
gratuitement et donnons gratuitement (cf. Mt 10, 8). Notre joie sera toute dans
le service, car nous avons été servis par Dieu, qui s’est fait notre serviteur.
Chers frères, ayons conscience d’être appelés ici pour servir en mettant au
centre le don de Dieu ! »
Plusieurs prières sur les offrandes expriment le fait que pour dire
merci, il faut encore recevoir : « Accepte Seigneur le sacrifice que
tu nous as donné dans les mystères que nous célébrons pour te rendre grâce,
sanctifie les hommes que tu as sauvés par ton fils » (XXVII) « Tu
nous as aimés Seigneur d’un si grand amour que tu nous as donné ton propre
fils. Accorde-nous de ne plus faire qu’un avec lui afin de te présenter une
offrande digne de toi. » (19ème) « Maître et créateur de
toute chose, accepte les présents que nous avons reçus de toi. Tu nous les as
donnés pour notre vie sur la terre ; qu’ils deviennent porteurs de vie
éternelle. » (1ère) « C’est toi Seigneur qui nous donnes
ce que nous t’offrons, pourtant tu vois dans nos offrande un geste d’amour.
[…] » (VIII)
2. Qui
célèbre ?
a Jésus
Qui rend grâce ? C’est le Christ. Nous le disons à chaque
préface : « Vraiment, Père très saint, il est juste et bon de te
rendre grâce, toujours et en tout lieu, par ton Fils bien-aimé, Jésus Christ. »
C’est lui, l’homme eucharistique, tourné vers le Père, réponse au Père,
véritable Amen (Ap 3, 14). L’homme eucharistique, c’est Jésus, la vie
eucharistique, celle de Jésus. Rendre grâce, dans la vie comme dans la
célébration eucharistiques, c’est toujours entrer dans l’action de grâce du
Christ, s’unir à l’action de grâce de Jésus. « Jésus est
eucharistie »[19],
non pas dans les espèces consacrées d’abord, mais par toute sa vie.
La Lettre aux Hébreux est sans doute l’écrit le plus ancien à
penser la vie du Christ comme sacerdoce. Il est le grand prêtre. Une étude de
cette lettre montre que le recours au vocabulaire cultuel et sacerdotal permet
de renverser le sacrifice. Le culte, comme on l’a dit plus haut n’est pas un
moment, une action sacrée, mais la vie tout entière.
Cette conviction que c’est le Christ qui rompt le pain peut se lire
dans le récit d’Emmaüs et dans la non-désignation du président des célébrations
néo-testamentaires, en particulier dans les Actes).
C’est le Christ qui continue à inviter à son repas, qui le préside, quand
l’assemblée rompt le pain.
Dans le Nouveau Testament, le mot prêtre, sacerdote, n’est jamais
utilisé pour un ministre chrétien. Il est utilisé pour désigner les prêtres
païens ou juifs, mais jamais pour un chrétien. Il n’y a pas de prêtre dans la
nouvelle alliance, sinon un seul grand-prêtre Jésus. (Le terme qui apparaît, et
qui donne naissance à notre mot de prêtre, presbyter, ancien, ne désigne jamais
une fonction cultuelle. Jésus n’est jamais appelé ancien, cela n’aurait pas de
sens.)
En revanche, les mots sacerdoce ou sacerdotes sont utilisés en deux
endroits pour désigner l’ensemble des baptisés. Et c’est bien normal, s’ils
sont les membres du corps du Christ (deux fois dans la Première lettre de
Pierre (2,5.9) et trois fois dans l’Apocalypse (1, 6 ; 5, 10 et 20, 6).
Aucun des auteurs des trois premiers siècles ne lit le dernier
repas de Jésus avec les Douze comme l’institution d’un sacerdoce. Et seul Luc
réserve la dernière cène aux « Apôtres » en un sens devenu
ministériel (Matthieu et Marc parlent des Douze et Jean des disciples).
b L’assemblée
Dans le Nouveau Testament le sujet des verbes qui disent ce qui est
devenu célébrer l’eucharistie, c’est toujours l’assemblée. (Ac 13, 1-2 pourrait
dans une lecture obvie laisser penser que prophètes et docteurs célèbrent
(liturgisent, servent). Mais il serait curieux qu’ils ne célèbrent qu’à quatre
ou cinq. Le sujet du verbe, « ils » doit renvoyer à l’assemblée d’Antioche.
Ac 20, 7-11 est explicite et est donc la seule exception littérale, c’est Paul
qui rompt le pain au v. 11, mais au verset 7, c’est le « nous » de
l’assemblée.)
Nos textes liturgiques sont explicites, même si nous les écoutons
mal. Il faut repérer toutes les occurrences du « nous ». Dans toute
les oraisons, il désigne l’assemblée dont fait partie celui qui parle en son
nom. Et au moment d’ouvrir la prière eucharistique, celui qui préside s’adresse
à tous en disant : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu », ce
à quoi tous répondent « Cela est juste et bon ». C’est l’Eglise qui
célèbre, et non le ou les prêtres. Ces derniers président, si l’on veut. Le
terme n’est pas d’abord technique, il veut dire être devant. Le terme se trouve
en Romain 12, 8 et est repris par Justin. C’est ainsi que le canon romain
désigne l’évêque, antistes[20].
Bien avant le Concile Vatican II, on a parlé de participation
active des fidèles. Il s’agit de leur permettre de vivre pleinement ce qui est
célébré, quand bien même, on pensait alors que seul le prêtre célébrait. Les
chants comme l’allégorie dont nous avons déjà parlé, attribuant à chaque moment
de l’eucharistie un moment de la passion de Jésus, étaient des moyens pour la
participation des fidèles. Congar dit que cette participation active est la
principale visée de Sacrosanctum
concilium[21].
Est-ce à dire que tous doivent faire quelque chose ? Sans
doute. Mais quoi et comment ? Il est matériellement impossible, dès lors
que l’assemblée est conséquente, que tous aient une intervention à faire. Faire
participer des enfants à l’eucharistie, est-ce donner la parole ou quelque
chose à faire à chacun ?
« L’espace produit par l’action liturgique […] est d’abord un espace où prendre place. L’invitation à prendre place […] est plus
radicalement invitation à se tenir-là, simplement là, en tant que témoin. Le témoin n’est ni un voyeur occasionnel, ni un
observateur, mais le partenaire obligé
d’une action qui tout entière est testamentaire. N’existant que par une précédence reconnue, le témoin prend
place statutairement dans l’attestation de l’Alliance, et sa simple présence,
en tant que telle, avant tout recueil de bénéfice, est un acte plénier et
incommensurable. […] Ici, on ne s’abandonne pas au charisme d’un acteur, on ne
souscrit pas à un contrat de fiction passé avec la Scène, on fait foi. Mysterium fidei. Et ce pacte de la foi
n’est pas "mental", puisque conclu sur une parole entendue et redite ab origine, et parce qu’il repose sur un
serment dont un Corps, hier mort en Croix, est témoin, corps parlé, écrit,
chanté, mangé. […] La communauté est d’abord une communauté contractuelle
d’alliance et non de conviction ou d’opinion, ou même d’heureux
voisinage. »[22]
L’assemblée n’est pas un rassemblement d’individus. Elle est
première, non les individus. C’est elle qui célèbre et chacun en son sein. Elle
n’est pas seulement un de baptisés, mais le corps du Christ, ou le peuple de
Dieu, ou le temple de l’Esprit, une assemblée organisée, selon les métaphores
principales et trinitaires. On n’est jamais chrétien sans les autres, sans l’Ecclesia qui n’est pas une foule mais un
corps. Le rapport de l’assemblée à l’eucharistie est décisif. La Première lettre de Paul aux Corinthiens
traite dans les mêmes chapitres de l’assemblée comme corps du Christ et de
l’eucharistie.
Ainsi, la participation à l’eucharistie n’est ni une dévotion
personnelle où je pourrais me passer des autres (je pourrais arriver en retard,
ne saluer personne, et partir dès que j’ai reçu l’hostie, le prêtre pourrait la
célébrer seul), ni un moment où chaque personne devrait prendre la parole
individuellement. Penser un corps ne nous est pas spontané en Occident, y
compris dans l’Eglise. La liturgie nous convoque à une certaine passivité,
celle de qui reçoit, celle de la corporéité (contre distinguée de l’âme comme
principe d’action), où se reconnaît encore la priorité de Dieu et où chacun
accepte de se déposséder un peu de sa préoccupation pour lui, de son souci de
reconnaissance. S’il y a reconnaissance, ce n’est pas celle de tel ou tel, par
exemple le prêtre vedette ou homme sacré, les musiciens, mais celle de Dieu. « Je »
est précédé par le nous, je suis précédé par une tradition[23].
c L’évêque et les prêtres, ministres de l’eucharistie
Pour articuler présidence du Christ, absent à l’évidence, et
célébration de l’Ecclesia, les
ministères ont quelque chose d’important à signifier. Le problème c’est lorsque
l’in persona Christi devient une
sacralisation du prêtre ou de l’évêque ; on ne voit plus que lui, c’est
lui qui célèbre, et non plus le Christ. Dans le même temps, l’in persona Ecclesiae s’efface. La théologie
du sacrement de l’ordre s’est alors assise sur le Christus Totus augustinien.
Il faudrait en faire l’histoire. Il faudrait interroger le lien
entre ministère et eucharistie. Le rôle des ministres, c’est de servir. La
manière de présider le montre-t-elle ? Il y a présidence parce que l’Ecclesia n’est pas un tas, mais un
corps. Leur rôle pourrait effectivement consister à tenir la place du Christ,
non au sens de prendre sa place, pas même comme une lieutenance. Tenir la place
pour que personne n’enlève cette place de l’assemblée sous prétexte qu’elle est
vide, tenir la place libre, pour que personne, et surtout pas eux, ne
l’occupent.
d Que fait l’assemblée lorsqu’elle célèbre ?
J’ai parlé de métonymie. Le terme est peu théologique. Cela
m’importe, parce que les mots de tous les jours, ou du moins des mots qui
n’appartiennent pas au vocabulaire théologique, des mots qui ont sens
ordinairement, doivent pouvoir dire la foi. Le mot théologique reçu pour exprimer
ce rapport de la chose visée à l’action circonscrite qui l’exprime, c’est
sacrement.
Augustin, parle du sacrement comme « signe sacré » (Civ
Dei X, 6) et traite dans une lettre (98, 9 à Boniface) de la similitude entre
le sacrement (sacramentum) et la chose
qu’il signifie (res). Comme souvent la
scolastique médiévale reprend le vocabulaire augustinien. Pour mieux
comprendre, elle cherche à mettre en évidence les différentes perspectives sur ce
qu’elle étudie, comme autant de coups de projecteur qui permettent de voir une
même chose selon plusieurs angles. Mais d’Augustin et des Pères aux
scolastiques, le monde a changé, ainsi que les pratiques chrétiennes et les
manières de penser. Les questions ne sont plus les mêmes, les mots n’ont plus
le même sens.
Je ne peux entrer ici dans les questions que cela pose. Je retiens
juste qu’une nouvelle question se fait jour, celle de l’efficacité du
sacrement, celle de la causalité : comment le sacrement est-il efficace ?
Cette question, nous la posons aussi, quoi que différemment. Pourquoi
célèbre-t-on l’eucharistie ? Que se passe-t-il à la messe ? Que fait
l’assemblée lorsqu’elle célèbre l’action de grâce ?
La prière eucharistique le dit expressément : ainsi, la
deuxième, celle que nous connaissons le mieux. Elle a été rédigée pour le
Missel de Paul VI publié en 1969, en s’inspirant d’un texte du début du 3ème
siècle, voire fin du second, connu sous le nom d’Hippolyte de Rome[24].
« Humblement, nous te demandons qu’en ayant par au corps et au sang du
Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps. » Lumen Gentium 26 cite Saint Léon :
« La participation au corps et au sang du Christ n’a d’autre action que de
nous faire passer en ce que nous recevons. »[25]
L’Esprit a été invoqué (ce que l’on appelle une épiclèse) sur le
pain et le vin pour qu’ils deviennent corps et sang du Christ. De même,
l’Esprit est invoqué sur la communauté, « nous », pour qu’elle
devienne un seul corps. On perçoit dans la structure de la prière ce que fait l’eucharistie,
la res du sacrement. De même que le
pain et le vin deviennent corps et sang du Christ, de même, l’assemblée. Nous célébrons
l’eucharistie, nous communions, nous rendons grâce, pour devenir le corps du
Christ.
Le but de l’eucharistie, si l’on peut ainsi parler, est de constituer
les disciples en corps du Christ, de constituer leur unité dans ou comme corps
du Christ. Il ne s’agit pas que chacun devienne ce qu’il reçoit, à titre
individuel. On ne voit pas d’ailleurs comment un seul membre pourrait être
corps. On ne communie jamais seul et ce n’est pas pour rien que l’eucharistie
est appelée communion. Mais lorsque tous communient, ensemble, ils deviennent
ce qu’ils reçoivent, le corps du Christ. « Que nous puissions devenir ce
que nous avons reçu : le corps du Christ » (Post-communion XXVII).
Faut-il préciser que la communauté des disciples est elle-même
métonymie, « sacrement en quelque sorte, ou un signe ou un instrument de
l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1, voir aussi 9). La communauté est prémices
de l’humanité nouvelle. Son unité n’a pas de sens en soi, mais comme ferment et
signe de l’humanité en sa vocation d’unité. Dieu se donne pour que le monde ait
la vie (Jn 3, 16-17), Dieu veut que tous soient sauvés (1 Th 2, 4).
L’eucharistie en est le signe efficace, le sacrement. « Le pain que je
donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » (Jn 6, 51)
Si nous voulons comprendre ce que nous célébrons à l’eucharistie,
il est indispensable de situer la célébration comme n’ayant pas son but en soi ‑ le
corps du Christ, la présence réelle ‑ mais comme sacrement précisément,
ferment et signe, de ce que nous sommes appelés à vivre et que nous apprenons
de recevoir dans l’action de grâce de recevoir et de répondre : le
rassemblement dans l’unité des enfants de Dieu (Jn 11, 52), la communion d’un
corps, l’humanité comme corps du Christ.
3. Le
repas
a Sacrifice, mémorial, repas.
L’action de grâce des chrétiens en sa forme sacramentelle se
présente comme un repas. Dans l’histoire, et les textes en portent la trace, on
pourtant souvent insisté sur le sacrifice[26],
malgré le constat par l’Epitre aux
Hébreux de la fin des sacrifices.
Un sacrifice est un don que l’on fait à la divinité pour se la
rendre favorable, ou pour racheter sa faute, ou pour lui dire merci. On ne voit
jamais Jésus offrir le moindre sacrifice durant sa vie. On constate même une
distance certaine de Jésus vis-à-vis des sacrifices, dans la lignée des
prophètes. « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices »
(Mt 9, 13 et 12, 7). « L’accomplissement de la loi, c’est la charité »
(Rm 13, 10). L’épisode des marchands chassés du temple (qui renvoie à Jr 7)
l’illustre également. Le jeûne ou le culte que Dieu préfère, n’est-il pas la
libération des prisonniers (Cf. Is 58, Jr 7 ; Am 5, 15 et ss , Ps 40
(39), 7 cité par He ; 50 (49) 8 ss ; 51 (50) 18) ? « Aimer Dieu
de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer le
prochain comme soi-même, vaut mieux que tous les holocaustes et tous les
sacrifices. » (Mc 12, 33)
Jésus ne fréquente guère les prêtres et les lévites. Il n’est pas
d’une famille sacerdotale. Il ne semble pas porter le personnel du temple dans
son estime si l’on en croit la parabole du Samaritain, et le grand-prêtre joue
un rôle terrible dans la passion. Les premiers chrétiens n’ont manifestement
pas compris la fraction comme un geste sacrificiel, lié au temple ou à un
sacerdoce, quoi qu’il en soit de la mention de l’alliance et du sang qui la
scelle dans les paroles prononcées sur le vin, j’y reviendrai. « Malgré la
prégnance de cette connotation sacrificielle, l’Eglise n’a toutefois jamais
employé le mot "sacrifice" tout seul (on ne va pas au sacrifice, on
va à la messe). »[27] (Certes, tout repas antique a une
connotation sacrificielle. L’abatage des animaux est toujours cultuel, le temple
c’est aussi la boucherie !)
La mort même de Jésus doit-elle être entendue comme un sacrifice[28] ?
Jésus meurt-il pour que le Père pardonne à l’humanité ou pour le louer ?
Rien de tel dans les Ecritures. Jésus donne sa vie par amour, à chaque instant,
et donc aussi à sa mort. « Nul n’a d’amour plus grand que de donner sa vie
pour ses amis » (Jn 15, 13). (La première occurrence explicite de
sacrifice à propos de la mort de Jésus pourrait se trouver dans la Didachè[29]).
En revanche, il convient de faire mémoire de sa vie et sa mort pour
en vivre. Le mémorial actualise ce qui a été vécu, comme dans la libération
d’Egypte. Il rend présent un événement du passé. L’ordre de réitération
constitue la dernière cène en mémorial non du repas lui-même, mais de ce que le
repas exprime, le don de sa vie par Jésus jusqu’au bout. Cyprien explique ainsi
en 253 qu’on ne célèbre pas l’eucharistie le soir en commémoration du dernier
repas de Jésus, mais le dimanche matin, car c’est à l’aube du premier jour qu’il
est ressuscité (Cf. Lettre 63, 16).
Les prières eucharistiques sont d’ailleurs unanimes : « Faisant ici
mémoire de la mort et de la résurrection de ton fils ».
Dans le mémorial, chacun est rendu contemporain de l’événement, ou
plutôt, l’événement devient contemporain de chacun de ceux qui font mémoire. La
mort et la résurrection ne sont pas des événements du passé, si anciens, comme
dit Hegel, qu’ils ne seront bientôt plus vrais. Si Jésus est mort il y a deux
mille ans, à chaque Pâque, nous célébrons cette résurrection comme actuelle. « Dans
la scène eucharistique, la liturgie consiste, par le récit et l’épiclèse, à
faire quelqu’un témoin et commensal, partie intégrante d’un système testimonial
en sa performativité. »[30]
Le mémorial est exprimé en concentré dans ce que l’on appelle l’anamnèse.
b Un repas donc
On sera frappé par le nombre de fois où Jésus est à table[31].
On le traite même de glouton et d’ivrogne (Mt 11, 19). Son attitude rompt avec
la pratique ascétique du jeûne du Baptiste. On ne nous rapporte jamais que
Jésus jeûne. La commensalité et l’hospitalité sont une de ses marques de
fabrique. Et il convient qu’il y ait en abondance, de reste comme lors de la
multiplication des pains, ou que le vin soit excellent, comme à Cana. Cela dit,
la nourriture ne sera pas pour lui un sujet de préoccupation, et il reproche
aux disciples d’être obnubilés par ce qu’ils ont à manger (Mc 8, 17). Autre est
sa nourriture (Cf. Jn 4, 34 et Mt 4, 4).
La symbolique du repas devrait être développée. A manger ensemble,
on entre dans l’intimité les uns des autres, on manifeste une communion même si
un traitre peut partager le repas, mais alors, il n’en apparaît que plus
évidemment qu’il n’a pas sa place à table ; ainsi de Judas. A partager le
pain, on ne fait plus qu’un, compagnon. Cela est renforcé par le fait qu’il n’y
a qu’une seule coupe à laquelle tous boivent, à la différence de la pratique
juive.
Le repas touche aussi à la vie. Parler de pain, c’est parler de
vie. Parler de vin, c’est parler de réjouissances, de vie comme joie. Parler de
repas, c’est encore, dans la logique de la prédication de Jésus, parler du
Royaume. En effet, celui-ci est plusieurs fois présenté comme un repas, un
banquet, un festin, tant dans le Premier Testament qu’encore juste avant la
dernière cène, et même un repas d’alliance, de noces. « J’ai ardemment
désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir ; car je vous le
dis, jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse dans le
Royaume de Dieu. » (Lc 22, 15-16 ; Cf. Lc 13, 29 ; 14, 15-24)
La couleur pascale du dernier repas en rajoute encore à sa
signification. Pour les synoptiques, Jésus partage le repas pascal. Pour Jean, le
repas a lieu la veille de la Pâque, ainsi Jésus est l’agneau immolé. Pour Paul
aussi le contexte pascal est évident, « le Christ, notre Pâque a été
immolé. » (1 Co 5, 7).
Il existe des repas rituels et sacrés, notamment en paganisme.
Pourtant, il semble que le repas de Jésus ne soit compris par les premiers
chrétiens dans une perspective cultuelle, au temple. Le repas juif de la fête
de Pâque est davantage à l’arrière fond de la cène (ce qu’indique « la
coupe de bénédiction » dont parle Paul et les deux coupes en Luc). Le
dernier souper de Jésus s’inscrit dans sa pratique des repas, il est le dernier
de nombreux autres, avant le repas eschatologique ; il revêt une signification
communautaire, signe d’amour. Les premières communautés ont d’ailleurs continué
à célébrer l’eucharistie au cours d’un repas (Cf. 1 Co et Didachè) que l’on nommait agapes, repas de l’amour (agapè).
C’est avec une rencontre profane, un repas avec des pécheurs, que
Jésus dit la sainteté. (Nous avons déjà fait allusion à la relégation des
catégories de sacré et de profane.) Voilà qui interdit une sacralisation du
rite sacramentel et le tourne décidemment du côté de la relation aux frères,
clairement manifestée dans le partage. « Le repas des chrétiens se
présente à la fois comme un repas de groupe et un service d’entraide. […] La
distribution des biens collectés est liée au repas pour faire de ce dernier le
repas de l’entraide. »[32]
c Le corps chemin de Dieu
L’expression le corps chemin
de Dieu est de L.-M. Chauvet, et doit s’entendre au deux sens du génitif.
Dieu passe par le corps pour se donner et l’on passe par le corps pour répondre
à ce don, pour découvrir ce don. Elle ouvre sur une réflexion de type
anthropologique et symbolique valable pour tous les sacrements, et plus
généralement pour nombre d’activités où se dévoile l’homme comme homme.
A-t-on besoin d’une liturgie pour rendre grâce. La récitation d’un
psaume ou la prière jaculatoire ne suffisent-elles pas ? Même alors, il y
a des mots, une voix, des gestes. « Qui veut faire l’ange fait la
bête », écrit Pascal. Si c’est l’homme qui prie, il prie forcément avec un
corps, le sien, mais aussi, le corps social auquel il appartient, le corps
ecclésial s’il est chrétien, le corps cosmique doit-on ajouter, alors que nous devenons
de plus en plus conscients que nous sommes dépendants de la nature.
Non seulement on ne peut vivre sans corps, mais l’incarnation fait
du corps un lieu de Dieu, alors que souvent, on pense devoir déserter le corps
pour trouver Dieu. De même qu’il n’y a pas d’esprit d’un texte sans la lettre
et le sens littéral, il n’y a pas d’esprit humain sans corps. Ainsi, il n’y a
pas de vie spirituelle, qui serait quelque chose de différent des autres
activités de la vie, placé à côté. Il n’y a qu’une vie qu’il faut vivre dans
l’Esprit. La vie spirituelle n’est pas plus un moment de la vie à côté de la
vie professionnelle ou familiale que l’eucharistie n’est une activité parmi d’autres
(Cf. supra le même type de propos quant à l’eucharistie).
Pour le dire autrement, il n’y a pas d’accès direct et immédiat à
Dieu, ce qu’exprime l’impossibilité biblique de voir Dieu face-à-face. Selon
l’adage médiéval, rien n’est dans
l’esprit qui ne soit d’abord dans les sens. C’est pourquoi la métaphore,
tant comme expression que comme action (le geste symbolique), est
indispensable.
Comment le corps est-il concerné dans l’action de grâce ? Il
faut manger et boire pour rendre grâce, bref il faut vivre et vivre, c’est
forcément autre chose que survivre, il y a de l’abondance et de la fête. Plus
encore, répondre à Dieu, c’est aussi répondre des autres, de nous et du monde
devant Dieu, être responsable (Cf. Lévinas). Le participe présent dit en un
seul mot les deux idées, l’homme est un répondant.
Le corps n’est d’ailleurs pas tant l’un des deux ou trois composés
de l’homme, à côté de l’âme, que l’homme tout entier en tant qu’affectable, que
souffrant, dirait Ricœur, l’homme en sa passivité, comme l’âme est l’homme tout
entier en tant que principe d’animation. Le corps est le terrain de la
solidarité, entendue comme l’exigence de faire en sorte que tout homme puisse
trouver en nous un prochain (Cf. Lc 10, 36). Je ne choisis pas qui est mon
prochain. Le prochain m’advient. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui me dis
chrétien, mais les autres, à commencer par le baptême que je reçois. De la
métaphore à la solidarité, la médiation corporelle est en outre renversement
idolâtrique. Dieu n’est pas ce que je pense, ce que je sens, je veux et désire.
Il est toujours autrement, parce qu’on ne le voit que de dos. Mais Dieu ne se
trouve pas ailleurs que dans ce qu’avec et pour les autres, nous désirons, pensons,
faisons.
d Une seule table
On a pris l’habitude de repérer dans toute célébration catholique
quatre moments : l’accueil, la parole, le geste, l’envoi. Le concile
Vatican II entérine l’expression de deux tables (Sacrosanctum Concilium 48 et 51). La Présentation Générale du Missel Romain de 2007 a bien noté qu’il
est plus opportun de parler avec Dei Verbum
21, Prebyterorum Ordinis 18 et Perfectae Caritatis 6 de la
« double table de l’Ecriture et de l’eucharistie ». (On notera
l’évolution du vocabulaire conciliaire et le fait que la PGMR de 2007 continue à parler de la table eucharistique pour le
seul autel.)
Jusqu’au Concile, ce que nous appelons liturgie de la parole est
appelé avant-messe. La messe est valable dès lors que l’on arrive à
l’offertoire, parce que c’est alors qu’elle commence. Mais toute la messe
n’est-elle pas eucharistie ? Notons que nous ne sommes pas totalement
sortis de cette conception. La monition de la prière pénitentielle continue à
dire « Préparons-nous à célébrer l’eucharistie en reconnaissant que nous
sommes pécheurs », comme si cette reconnaissance ne faisait pas partie de
l’eucharistie.
Parler des deux tables pourrait être un héritage d’une théologie de
polémique, que l’on veut certes dépasser mais que l’on ne fait que prolonger parce
que l’on ne change pas de logique. Lorsque Luther critique la messe catholique,
c’est notamment parce que le sacrement y aurait pris trop de place aux dépends
de la parole de Dieu. Si le Concile de Trente remet à juste titre la Parole de
Dieu en honneur, il ne remet pas en cause la dichotomie parole et sacrement,
voire la canonise.
Dans les Ecritures, y compris dans le Premier Testament, la parole
est un pain qui se mange. « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de
toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. » (Dt 8, 3 et reprise en
Mt 4, 4 et // déjà cité) Le discours du pain de vie n’est pas eucharistique au
sens où il parlerait des espèces consacrées. C’est la parole qui est chair et
sang du Christ. C’est la vie de Jésus tout entière, et ses paroles en sont le
reflet, et ses paroles sont sa chair et son sang, qui doivent être mangées et
bues parce qu’elles donnent la vie. Et pourtant, ces mêmes paroles sont esprit
et vie (Jn 6, 63).
On devrait ici parcourir les écrits des Pères. Augustin parle des
sacrements « comme de paroles visibles » et comme « de n’importe
quelle parole des saintes lettres » (Lettre
53, 38) ; Origène (XIII, 3 sur Ex ; XII, 5 sur Gn) remet en place
ceux qui montrent à juste titre du respect pour le corps eucharistique du Christ
mais ne font aucun cas des Ecritures. Nous avons déjà fait allusion à la
lecture de Lc 24[33] comme
concernant l’Ecriture[34].
« Qu’est-ce que l’eucharistie en effet si ce n’est la Parole
de Dieu – cette « Parole nourriture » que figurait déjà la manne
au désert […] ‑ Parole advenant sous le mode visible du pain,
c’est-à-dire, dans la culture méditerranéenne, représentative de toute
nourriture ? »[35]
« Le "corps livré" dans l’eucharistie n’est […] pas
autre chose que la parole du salut (parole de pardon "jusqu’à
soixante-dix-sept fois sept fois" et parole de "vie en
abondance"), prenant toute son ampleur : parole à "ruminer"
comme le rouleau du livre, en vue de nous "assimiler" le mystère
scandaleux d’un Dieu donnant sa vie pour le monde. »[36]
De sorte qu’il faut dire : l’eucharistie, c’est la parole pour
qu’on puisse la manger[37].
La manducation, réciproquement, est une parole : « Chaque fois en
effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la
mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (1 Co 11, 26) On ne passe pas
à autre chose lorsque l’on a fini la liturgie de la parole. C’est cette même
parole que nous recevons autrement, comme un pain que nous puissions manger et
une boisson qui réjouisse le cœur. Relisons tant Dei Verbum 21 : « L’Église a toujours vénéré les divines
Écritures, comme elle le fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne
cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la
table tant de la Parole de Dieu que du Corps du Christ, pour l’offrir aux
fidèles. » que Presbyterorum Ordinis
18 qui parle des : « actes par lesquels les chrétiens se nourrissent
de la Parole de Dieu aux deux tables de l’Ecriture Sainte et de l’Eucharistie. »
« La célébration de l'eucharistie est la parole incarnée, la
proclamation publique et solennelle de l'événement historique unique, qui, par
cette proclamation, devient présent ou révèle sa présence et acquiert ainsi une
validité publique, enfin devient une interpellation et une exigence adressées à
l'individu comme à la communauté »[38]
4. Ceci
est mon corps livré pour vous
a un peu d’histoire
Les exégètes et historiens du texte discutent beaucoup sur
l’origine des paroles de la dernière cène[39].
Ce qui est sûr, c’est que l’on a un texte daté au plus tard de 54 et que ce
texte dit être transmission de ce qui a été reçu. La version la plus ancienne
de la cène, rapportée par Paul, nous renseigne ainsi sur ce qui se passe à la
fin des années 40, soit moins de vingt ans après qu’elles eurent été
prononcées.
On pourra être étonné que Jésus donne à boire son sang. Comment les
Juifs, qui ne mangent pas le sang, pouvaient-ils entendre ces propos, comment le
Juif Jésus a-t-il pu les tenir ? Jn 6, plus tardif, se fait l’écho de la
première question. J’y vois une manière de reprendre la thématique de
l’alliance, scellée dans le sang, mais en la faisant échapper au sacrifice,
puisque l’on en fait une boisson. En offrant le sang de l’alliance à boire, Jésus
substitue au sacrifice, religieux, sacré, le repas, signe eschatologique de la
fraternité et de l’hospitalité.
On s’interroge aussi pour savoir à partir de quand les paroles de
Jésus lors du dernier repas deviennent paroles pour la célébration. La Didachè n’y fait pas allusion. Dans le
texte de Justin, vers 155, elles fondent la description du rassemblement
dominical, l’expliquent mais ne semblent pas en être un élément. On connaît
d’ailleurs des anaphores qui ne comportent pas ce qu’il est convenu d’appeler
le récit de l’institution. Comme préfet de la Doctrine de la foi, J. Ratzinger reconnaît,
ce qui est une évidence, que l’anaphore d’Addaï et Mari (plus anciens éléments
du 2ème siècle) est une authentique prière eucharistique, alors
qu’elle ne comporte pas le récit de l’institution. Ce fait est d’importance,
parce qu’il tranche le débat de savoir si ce sont ces paroles ou l’ensemble de
la prière eucharistique qui consacrent[40].
Justin est témoin d’une période où à Rome, le président improvise
la prière, non qu’il parle forcément d’abondance de cœur, mais qu’il n’y a pas
de « prière eucharistique ». Ce que nous laisse quelques décennies
plus tard Hippolyte est sans doute plus une trame qu’un texte à suivre à la
virgule près. Déjà la Didachè
semblait donner un tel cadre assez normatif[41].
Ambroise de Milan propose (vers 390) une réflexion sur les paroles
de Jésus comme « consécration ». Le mot se trouve chez lui ; on
pourrait trouver le même genre d’idées, chez Chrysostome qui parlerait alors de
sanctification[42].
Ambroise isole ces paroles qui n’ont pas le même statut que le reste. Cependant,
il « donne peu de relief au rôle du sacerdos
qui prononce les paroles du Christ. »[43]
Il sera peu repris si ce n’est par Pierre Lombard (+ 1160) et quelques
successeurs puis finalement par Thomas d’Aquin (+ 1274) qui infléchissent sa
pensée dans le sens de l’in persona
Christi au point qu’il pourrait y avoir consécration par ces seules paroles
en dehors même de la prière eucharistique[44].
Le Christus Totus d’Augustin ne
permet guère de séparer la tête des membres, ni celui qui agit in persona Christi de l’Ecclesia.
Les Pères et tout le premier millénaire ont un vocabulaire précis
et techniques. Cependant, la manière de raisonner n’a pas pour critère dirimant
l’univocité. On parle souvent d’intelligence symbolique[45].
Plutôt que d’enfermer une pensée dans des règles, il est plus urgent de
constater et d’interpréter le glissement de sens des mots, d’une époque à
l’autre.
Le Père de Lubac[46]
a montré que le corps mystique du Christ, au IXe siècle, c’est l’eucharistie,
mystique étant ici un adjectif relatif au mystère, mot grec habituellement
traduit en latin par sacrement. On se situe dans la logique des Pères qui lient
l’eucharistie et l’Eglise qui devient ce qu’elle reçoit, le corps du Christ,
dans son action de grâce. Le IXème est un moment de précision du vocabulaire.
Ainsi Paschase Radbert écrit-il vers 831 : « Il y a trois manières
selon lesquelles, dans les Ecritures, on parle du corps du Christ :
l’Eglise en sa totalité qui est son corps, le corps mystique du Christ sur
l’autel, enfin le corps né de la Vierge Marie ». Cette formulation ne fait
problème à personne.
Dès le XIème siècle, dire de l’eucharistie qu’elle est corps
mystique choque certains. N’est-ce pas une manière de nier que l’eucharistie
est réellement le corps du Christ ? Pour retracer toute l’histoire, il
faudrait rappeler qu’à cette époque, on ne communie quasiment plus (pas même
une fois par an comme nous l’avons dit dans l’introduction), à part les
prêtres. Il faudrait aussi faire allusion à l’insistance, par exemple
franciscaine sur l’humanité de Jésus. La vérité du corps eucharistique exige un
réalisme exacerbé. Ainsi voit-on des hosties saigner. Béranger de Tours (+
1088) refuse pourtant de dire que ses dents mordent ou broient le corps du
Christ. Même si les différentes formules de rétractation qu’il doit signer
atténuent un peu l’hyper-réalisme eucharistique au fil des versions, le mal est
fait. La question de l’être[47]
est posée qui ignorent la plurivocité aristotélicienne de être et dont personne
n’arrive à sortir pendant au moins un siècle et demi. Désormais, le corps
mystique, c’est l’Eglise, et le vrai corps du Christ c’est l’eucharistie, qui
renvoie au corps né de Marie (Cf. l’Ave
verum corpus). Des trois corps, celui qui fait couple avec l’eucharistie
n’est plus la communauté ecclésiale, mais le corps historique. (L’expression
Eglise corps mystique apparaît au milieu du XIIe et est utilisé par Boniface
VIII dans la bulle Unam sanctam de
1302.)
b Le sens d’une parole
Thomas d’Aquin permet de trouver une solution à l’hyper-réalisme,
en reprenant les propos d’Ambroise, une nouvelle fois de façon assez isolée.
Mais le contexte est tout autre. On s’interroge sur ce que signifie le changement
de substance du pain en corps et du vin en sang du Christ, sur le sens du verbe
être dans ces paroles, comment le pain eucharistique est vrai corps du Christ.
Il faut arriver à expliquer que l’on ne communie pas plus si l’hostie est plus
grande ou plus petite, que l’on n’est pas plus proche ou plus loin de Jésus
selon que l’on est au premier rang ou au fond de l’église. Comment répondre à
l’hyper-réalisme sans nier que l’eucharistie est le vrai corps du Christ ?
Thomas fait porter sa réflexion sur la formule Hoc est enim corpus meum, comme s’il s’agissait d’une proposition
de type A est B. Mais lorsque dans la liturgie il est dit « ceci est mon
corps », cette proposition est-elle du type « cette table est un
autel », ou « le chat est sur le paillasson », propos uniquement
et entièrement descriptif, que l’on peut comprendre par une réflexion sur le
sens du mot être et ce qu’est une substance ?
Le problème, c’est que Jésus n’a pas dit « ceci est mon
corps », comme il aurait dit « ceci est une table ». Il a
dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps livré pour vous. » Le
propos change passablement de sens lorsqu’il est destiné à quelqu’un pour qu’il
mange et qu’il n’est donc plus une description. Aussi, pour comprendre le sens
du propos de Jésus, il faut sans doute davantage l’entendre comme une parole
d’amour. Il n’y a pas d’amour plus grand que de donner sa vie (son corps) pour
ceux qu’on aime. Le repas eucharistique est nuptial s’il s’agit d’alliance,
comme l’enseigne Cana, festin des noces de l’agneau, alliance nouvelle en son
sang. Les amants se disent : prends, ceci est mon corps pour toi.
« Je voudrais parler de la dernière cène et de la sexualité.
Cela paraît peut-être bizarre, mais réfléchissez un instant. Les paroles
centrales de la dernière cène sont "Ceci est mon corps, et je vous le
donne". L’Eucharistie, comme le sexe, est centrée sur le don du corps. Avez-vous
jamais remarqué que la première épître aux Corinthiens tourne autour de deux
sujets, la sexualité et l’Eucharistie ? Et cela parce que Paul sait qu’il
nous faut comprendre l’un à la lumière de l’autre. Nous comprenons
l’Eucharistie à la lumière de la sexualité, et la sexualité à la lumière de
l’Eucharistie. […] Lorsque Jésus dit "Ceci est mon corps et je vous le
donne", il ne se défait pas d’un bien : il transmet le don qu’il est.
Son être est un don du Père, et c’est ce qu’il nous transmet. […] À la dernière
cène, Jésus prit du pain et le donna à ses disciples en disant : "Ceci
est mon corps livré pour vous". Il se livre. Au lieu de se les asservir,
il se livre à eux pour faire ce qu’ils veulent. Et nous savons ce qu’ils en
feront. Voilà l’immense vulnérabilité de l'amour. »[48]
c Vénéré parce que conservé
Le concile de Trente veut répondre à Luther mais ne peut se
détourner de ce qu’il y a de juste en ses propos. Ainsi, défendant le
bien-fondé de l’adoration eucharistique, il ne peut que la relativiser par
rapport à la communion. « Pour avoir été institué par Notre Seigneur
Jésus-Christ à dessein qu’il soit pris et reçu par les fidèles, on ne doit pas
moins adorer [le très saint sacrement]. »[49]
Ce type d’incises ne permet pas cependant d’éviter les graves
défauts du travail conciliaire. La distinction du traité de l’eucharistie en
deux volets, sacrement (présence réelle) et sacrifice (messe) empêche que l’on
pense la messe comme célébration du sacrement eucharistique. Cela vient aussi
comme réponse à Luther qui récuse le terme de sacrifice et retient celui de
sacrement (encore qu’il préfère parler de testament). Mais la distinction est aussi
le reflet de la pratique, le sacrement que le peuple adore (présence réelle) et
le sacrifice de la messe à laquelle on se contente de communier
spirituellement.
L’eucharistie n’est plus l’action de grâce de l’Eglise et par elle
de l’humanité au Père par le Christ dans l’Esprit, mais la présence du Christ,
l’accomplissement de sa promesse d’être avec les disciples jusqu’à la fin (Mt
28, 20)[50].
Elle est tournée vers le Christ. Ce faisant, l’action de grâce s’efface tant
comme vie eucharistique que comme res du
sacrement, au profit d’une adoration de Jésus présent.
Or, à séparer le sacrement de sa célébration, on en fait un
« en-soi » alors qu’il ne peut être que « pour nous ». Le
rituel de l’eucharistie en dehors de la messe a beau recommander que l’on
montre le lien entre l’adoration et la célébration, ne serait-ce qu’en utilisant
pour la seconde le pain consacré à la messe qui précède, les habitudes n’ont
pas changé. « Il est facile d’enclore imaginairement la présence du Christ
dans le pain, oubliant que ce pain n’est médiation sacramentelle de cette
présence que dans son rapport à la fraction qui en dit la destination de
nourriture ("mon corps pour vous") et de communion fraternelle
("un seul pain, un seul corps").[51]
L’expression même de présence réelle est problématique. Nulle part
je n’en ai trouvé la première occurrence. Que serait d’ailleurs une présence
non réelle ? Quelle conception de la réalité suppose-t-elle ?
S’agit-il de dire la vérité de la présence, ou l’être de la présence, dans une
perspective ontologique ? Thomas, ne semble pas apprécier l’expression de « présence
corporelle » qu’il ne reprend pas dans l’office du saint sacrement alors
qu’elle figure dans la bulle d’Urbain IV qui décrète la fête du Corpus[52].
« Le Corps du Christ n’est pas dans ce sacrement comme dans un
lieu » (IIIa, 76, 5). « Le Christ n’est sous ce sacrement que dans la
mesure où il peut être ordonné à l’usage de l’homme. » (Sent IV, 13, 2, 1)
Lorsque l’on parle de présence, on n’entend plus ce que dit le
latin, ad-esse, être pour ou pour le moins être [tourné] vers. Du coup,
présence s’oppose à absence, alors que présence signifierait plutôt ce qui
advient, et donc d’un certain point de vue n’est pas déjà là.
Il me semble que l’on pourra reconnaître avec une tradition antique[53]
jusqu’à Luther compris, ce que l’on appelle présence. Le pain rompu n’est plus ce
que l’on mange à table. Il est réception du don de Dieu en Jésus. L’eucharistie
ne se pose pas en termes de présence mais de don. On adore, si l’on veut, les
saintes espèces, parce qu’on les conserve, on ne les conserve pas pour les
adorer.
Pour
lire ce texte, on pourra repérer la douzaine de thèses suivantes, réparties dans
les quatre parties du propos.
1
L’eucharistie est action de grâce avant d’être une célébration ou les saintes
espèces.
2 La
vie comme reçue ou comme réponse.
3
Pour rendre grâce à la source de tout don, il faut encore recevoir.
4
Vivre du don nous fait don.
5
C’est l’Ecclesia qui célèbre
6
devenant ce qu’elle reçoit, le corps du Christ.
7
La célébration de l’eucharistie est un repas, selon l’habitude de Jésus, avec
les pécheurs
8
et non un sacrifice, acte religieux du culte.
9 Répondants
à Dieu et des frères.
10
L’Eucharistie, c’est la parole pour qu’on puisse la manger.
11
Les paroles de la dernière cène expriment un don, une déclaration d’amour.
12
L’eucharistie est action de grâce pour le don de Dieu (Dieu lui-même) par le
Fils dans l’Esprit avant d’être présence de Jésus.
[1]
Cf. L’eucharistie dans la Bible, CE
37, 1981 ; Les récits fondateurs de
l’eucharistie, Sup CE 140, 2007 ; X. Leon-Dufour,
Le pain de vie, Seuil, Paris 2005 et
les nombreux travaux de C. Perrot dont ceux cités ci-dessous, note 27.
[2]
Cf. par exemple les quelques pages de M. Jourjon,
Les sacrements de la liberté chrétienne,
Cerf, Paris 1981, pp. 63-89.
[3]
P. De Clerck, « Il y a plus
ici que la présence du Christ », L’eucharistie
au cœur de l’Eglise, A. Haquin éd., Louvain-la-Neuve, 2004, 61-73.
[4]
Cf. par exemple, M. Metzger, Histoire de la liturgie eucharistique,
Bayard, Paris 2000.
[5] Les Martyrs, tome II, Le troisième siècle,
Dioclétien, Recueil de pièces
authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe
siècle, traduites et publiées par H. Leclercq, Oudin, Paris 1903 ; pp.
207 et ss.
[6]
J. Duhr, « Communion
fréquente », Dictionnaire de
Spiritualité, II, 1234-1292. La liturgie devient à ce point raffinée et
sophistiquée, avec les Carolingiens, que le peuple s’en détache et se rabat sur
d’autres pratiques, notamment les pèlerinages et la vénération des reliques.
[7]
Le latin n’a jamais été vraiment compris dans les pays de langues non latines,
et il ne l’est plus nulle part à partir des Carolingiens. De surcroît, à cette
époque, on se met à dire la prière eucharistique à voix basse. P.-M. Gy, « Doctrine eucharistique de la
liturgie romaine dans le haut moyen âge », La liturgie dans l’histoire, Cerf/Saint-Paul, Paris 1990,
p. 191.
[8]
Cf. J.-A. Jungmann, Missarum solemnia I, Aubier, Paris 1951,
p. 144-156 ; P. Béguerie,
Pour vivre l’Eucharistie, Cerf, Paris
1993 ; p. 159, P. Martin, Le théâtre divin, Une histoire de la messe
XVIe-XXe siècle, CNRS éditions, Paris 2010, pl. III.
[9]
Cf. P. Prétot, « Les yeux
ouverts d’Emmaüs. Réflexion sur l’utilisation théologique et liturgique d’un
texte évangélique », LMD 195
(1993), pp. 7-48.
[10]
Cf. par exemple, M. Bellet, La chose la plus étrange. Manger la chair de
Dieu et boire son sang, Desclée de Brouwer, Paris 1999.
[11]
X. Tilliette, Philosophies eucharistiques de Descartes à Blondel, Cerf, Paris
2006. J.-L Marion, J.-L. Chrétien, et d’autres contemporains se sont aussi
emparé du sujet.
[12]
Cf. P.-M. Gy, « Eucharistie
et "ecclesia" dans le premier vocabulaire de la liturgie
chrétienne », La liturgie dans
l’histoire, op. cit., pp. 41-57 (repris de LMD 130 (1977), pp. 19-34).
[13]
Cf. J.-N. Bezançon, La messe de tout le monde, sans secret, ni sacré, ni ségrégation,
Cerf, Paris 2009, p. 125.
[14]
Cf. B. Latour, Jubiler ou les tourments de la parole
religieuse, La Découverte, Paris 20132, p. 177 :
« Les amants savent bien que leur amour n’est pas toute leur vie :
qu’ils travaillent, qu’ils désirent, qu’ils vaquent à mille occupations, mais
ils n’accepteraient sûrement pas de se priver de la remise en présence grâce à
ces paroles si originales, si originaires qu’ils appellent "leur
amour" et qui font ce qu’elles disent. »
[15]
Cf. J.-L. Schlegel, « Pourquoi
on ne va plus à la messe », Etudes
4264 (oct 2019), pp. 83-94.
[16]
M. Luther, Prélude sur la captivité babylonienne de l’Eglise, Œuvres I,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 199, p. 732 (GA 6, 511-512).
[17]
J. Ratzinger, « L’Eucharistie
est-elle un sacrifice ? », Concilium
24 (1967), p. 69. On lit p. 73, en guise de quasi conclusion :
« Toutes les théories sur le sacrifice rituel sont dépassées et […] la
nouvelle alliance est accomplie et achevée par un sacrifice véritablement
nouveau : il devient visible que Jésus, l’homme qui se livre lui-même, est
le culte véritable et la vraie glorification de Dieu. »
[18]
L.-M. Chauvet, Le Corps chemin de Dieu, Les sacrements,
Bayard, Paris 2010, p. 274. P.-M. Gy,
« Eucharistie et "ecclesia" », La liturgie dans l’histoire, op. cit., p. 47 mentionne que
Chrysostome parle de seconde eucharistie pour désigner une action de grâce
après la communion, continuant donc à penser la prière sur le pain et le vin
comme (première) eucharistie.
[19]
J.-N. Bezançon, op. cit.,
p. 126.
[20]
Sur la présidence, Cf. R. Minnerath,
« La présidence de l’eucharistie chez Tertullien et dans l’Eglise des
trois premiers siècles », Le repas
de Dieu, Mohr Siebeck, Tübingen 2004, pp. 271-298 et H. Legrand, « La présidence de
l’eucharistie selon la tradition ancienne », Spiritus 69 (1977), pp. 409-431.
[21]
Y. Congar, « L’"Ecclesia"
ou communauté chrétienne, sujet intégral de l’action liturgique », La liturgie après Vatican II, Unam
Sanctam 56, Cerf, Paris 1967, p. 241. Cf. aussi Y.-Congar, « Références et recherches actuelles sur
l’Assemblée liturgique », LMD
155 (1973), pp. 7-29 et I.-H. Dalmais,
« Assemblée liturgique et communauté ecclésiale », Mens concordet voci, pour Mgr A.-G.
Martimort, Desclée, Paris 1983 pp. 532-540. « L’assemblée
liturgique est l’Eglise en petit, l’Eglise à l’échelon local. Tout ce qui est
vrai de l’Eglise se doit dire de l’assemblée liturgique. », écrit A.-G. Martimort, Mens concordet voci, op.cit., p. 207.
On doit entendre dans le canon romain, « ta
famille » comme désignant l’assemblée locale, et la Catholica, comme l’Eglise tout entière. « Nous tes serviteurs
et ta famille entière » serait un ajout de Grégoire le Grand (+ 604).
Selon P.-M. Gy, « Doctrine
eucharistique », La liturgie dans
l’histoire, op. cit., p. 188, il faut comprendre clercs d’une part et
laïcs d’autre part. C’est une nouveauté, redoublée par les Carolingiens, avec
le « nous t’offrons pour eux ou » ajouté au « ils t’offrent […]
ce sacrifice de louange » (Cf. J.-A. Jungmann,
Missarum solemnia III, Aubier, Paris
1954, p. 73). Mais « nous tes serviteurs » pourraient aussi
désigner l’assemblée en train de célébrer, spécialement avec l’évêque de Rome,
et ta « famille entière », l’ensemble de l’Ecclesia, qui célèbre aussi et n’est évidemment pas réunie en un
même lieu. P.-M. Gy, « Le
"nous" de la prière eucharistique », LMD 191 (1992/3), pp. 7-14, repris dans L’Eucharistie, Tradition,
célébration, adoration, Cerf, Paris
2005, pp. 164 et 166, pourrait aller dans ce sens.
Il faut attendre Pie XII et Mediator Dei (1947) pour qu’un texte pontifical reconnaisse que
« d’une certaine façon » les fidèles offrent aussi le sacrifice et
pas seulement le prêtre (bien sûr au singulier) § 113 voir aussi 114 et
115. Sacrosantum Concilium 48 élargit
un peu la visée : « qu’offrant la victime sans tache, non seulement
par les mains du prêtre, mais aussi en union avec lui, ils apprennent à
s’offrir eux-mêmes ». C’est encore bien court. Il ne s’agit pas ici
seulement de la participation active, déjà évoquée par Pie X (Tra le sollecitudini, 1903 sur la
musique sacrée) et Pie XI (Divini cultus,
1928), mais du rôle de l’assemblée dans l’offrande comme disent les textes,
c’est-à-dire comme célébrante.
[22]
J.-Y. Hameline, « Théâtralité
de la liturgie », LMD 219
(1999/3), pp. 28-29.
[23]
Cf. L.-M. Chauvet, op. cit., p.
91-95.
[24]
Contre la lecture de B. Botte, voir M. Smyth,
« L’anaphore de la prétendue "tradition apostolique" et la
prière eucharistique romaine », RvSR
81/1 (2007), pp. 95-118. Qui est Hippolyte ? Ce dont parle le texte
décrit-il ce qui se passe à Rome, ou ailleurs, et depuis quand ? Nous ne le
savons pas.
[25]
Léon le grand, Sermon 50, 7 (SC 74bis, p. 163), daté de mars 452.
[26]
Cf. P.-M. Gy, « Doctrine
eucharistique », La liturgie dans
l’histoire, op.cit., pp. 192-194 : « Le déplacement de
l’action de grâce vers le sacrifice ». On y parle de « la rupture qui
s’est effectuée, en latin chrétien, du lien qui existait en grec entre
l’eucharistie-prière et l’eucharistie-chose sainte. […] En même temps qu’eucharistia et gratiarum actio perdaient leur unité originelle, le sens de
l’action, dès l’époque patristique, s’est déplacé de l’action de grâce vers le
sacrifice. » Cf. aussi pp. 47-50.
C’est Augustin principalement qui, après il est vrai des
usages, typologiques, du sacrifice, depuis la Didachè comme on l’a dit, développe l’eucharistie comme sacrifice.
Il ne s’agit pas d’un propos théologique mais apologétique ‑ et à n’en pas
tenir compte on fait un faux-sens ‑ dans le contexte des religions
sacrificielles du bassin méditerranéen antique. Les chrétiens savent, eux, ce
qu’est la vraie religion, le véritable sacrifice. « Le véritable sacrifice,
c’est toute œuvre qui nous unit à Dieu dans une communion sainte : toute
œuvre donc accomplie en vue de ce bien ultime par quoi nous pouvons vraiment
être heureux. […] Les vrais sacrifices sont les œuvres de miséricorde soit
envers nous-mêmes, soit envers le prochain, que nous rapportons à Dieu. […] Tel
est le sacrifice des chrétiens : à plusieurs, n’être qu’un seul corps dans
le Christ. Et ce sacrifice, l’Eglise ne cesse de le reproduire dans le
sacrement de l’autel bien connu des fidèles, où il lui est montré que dans ce
qu’elle offre, elle est elle-même offerte. » (La Cité de Dieu, X,VI) Cela n’a plus rien de sacrificiel !
C’est la res du sacrement qui est
visée.
Pour une évaluation après Vatican II, J.-M. Tillard, « Vocabulaire sacrificiel
et eucharistie », Irenikon 53
(1980), pp. 145-174. L’auteur regrette la marche arrière de la version de
la PGMR de 1969 à celle de 1970, notamment avec l’effacement du mémorial, dont
il donne une définition pp. 165-166, et la réaffirmation du sacrifice.
[27]
C. Perrot, « Le repas
eucharistique », http://religions.free.fr/0400_liturgie%20du%20jour/0431-cene.html ;
cf. aussi, C. Perrot, « Le
repas du Seigneur », LMD 123
(1975), pp. 29-46. Voir, à propos d’un texte à peine plus tardif, M. Jourjon, « Remarques sur le
vocabulaire sacerdotal dans la Ia Clementis », Epektasis, Mélanges patristiques offerts au cardinal Jean Danielou,
J. Fontaine et C. Kannengiesser éd., Beauchesne, Paris 1972, pp. 107-110.
[28]
Cf. B. Sesbouë, Jésus Christ l’unique médiateur I,
Desclée Paris 1988, pp. 257-291, demande p. 257 « si en
définitive, le sacrifice du Christ n’échappe pas au registre général du
sacrifice. » Il présente un dossier historique assez complet de la
question. Il dénonce les raisons antiprotestantes du maintien du terme sans
cependant conclure pour le rejet de ce terme. Il renvoie en outre à J. Moingt, « La révélation du salut
dans la mort Christ. Esquisse d’une théologie systématique de la
rédemption », Mort pour nos péchés,
Faculté universitaires Saint-Louis, Bruxelles 1976, p. 117-172. Cf. J. Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd’hui (1968), Cerf, Paris 19852,
pp. 197-207.
[29]
Cf. S. C. Mimouni, « La tradition
du dernier repas de Jésus au 1er siècle : de la réalité historique à la
réalité liturgique », Sacrifices
humains, dossiers, discours, comparaisons, Brepols, Turnhout 2013, pp. 149-164.et
B. Grimonprez-Damm, « Le "sacrifice"
dans la Didachè », RvSR 64 (1990/1), pp. 9-25 qui opte
pour une interprétation allégorique pour désigner la charité.
[30]
J.-Y. Hameline, op. cit., p. 28.
[31]
M. Theobald, « Le repas du Seigneur
dans le Nouveau Testament », RSR
107/1 (2019), p. 72 invite à distinguer la pratique des repas de Jésus,
son dernier repas, et les repas après la Pâques. C’est à parcourir ces trois
étapes que l’on peut comprendre comment la fraction du pain est devenue l’eucharistie
des disciples.
[32]
C. Perrot, « L’Eucharistie
comme fondement de l'identité de l'Eglise dans le Nouveau Testament », LMD 137 (1979), pp. 109-125. La citation
qui renvoie à Ac 6, 1-6 et à 1 Co 11, 17-34 est p. 25 de la reprise dans L’Eucharistie, Tradition, op. cit.. On remarquera dans Justin, Première Apologie 67,
l’importance des dons au cœur de la célébration. Il faut relire 1 Co où
eucharistie et vie fraternelle vont de paire.
[33]
Cf. supra note 9.
[34]
Pour d’autres citations d’Augustin, voir L.-M. Chauvet,
op. cit., pp.122-123.
[35]
L.-M. Chauvet, op.cit., p. 53.
[36]
Ib. p. 127.
[37]
J. Zizioulas, L’Etre ecclésial, Labor et fides, Genève 1981, p. 155,
écrit : « C’est seulement lorsque la parole prêchée devient identique
à la chair eucharistique… ». Cf. Irénée
de Lyon, AH IV, 18, 5 :
« Notre doctrine est conforme à l’eucharistie et notre eucharistie est
notre doctrine. »
[38]
W. Kasper, « L’unité de
l’eucharistie », Communio X, 3
(mai-juin 1985), p. 49.
[39]
Cf. M. Theobald, op. cit., pp. 63-71.
[40]
Cf. P.-M. Gy, « Doctrine
eucharistique… », La liturgie dans
l’histoire, op. cit. p. 195 et « Le "nous" de la prière
eucharistique », L’eucharistie, Tradition, op. cit., p. 163, cf.
infra note 44 et le commentaire de A.-M. Roguet
dans Thomas d’Aquin, L’eucharistie, ST, Cerf, Paris 1960, pp. 393-400.
[41]
Sur la prière eucharistique, E. Mazza,
L’action eucharistique, Origine,
développement, interprétation, Cerf, Paris 2005. Voir les différents
travaux de M. Smyth, notamment les
articles publiés dans RvSR.
[42]
P.-M. Gy, « Le
"nous" de la prière eucharistique », L’eucharistie, tradition, op. cit. p. 162.
[43]
P.-M. Gy, « Prière
eucharistique et paroles de consécration selon les théologies de Pierre Lombard
à S. Thomas d’Aquin », La Liturgie
dans l’histoire, op. cit., p. 211. Voir aussi p. 196. Ambroise de Milan, Les Mystères, 54.
[44]
Thomas d’Aquin, ST IIIa, q. 78, a. 1, 4 avec référence à
Ambroise de Milan, Les sacrements, IV, 4.
[45]
Le concile de Trente, en citant les Pères, se permet de parler de l’eucharistie
comme symbole. Ainsi le décret sur le saint sacrement de 1551 écrit au chap 2 que
l’eucharistie est « symbole de cet unique corps dont le Christ est la tête »
ou au chap 8 qu’elle est « signe d’unité », « lien de la charité »
et « symbole de la concorde ». W. Kasper,
La théologie de l’Eglise, Cerf, Paris
1990, p. 432 écrit : « L’archétype et l’image, le type, le
symbole, la figura d’un côté, et la veritas de l’autre, se séparèrent depuis
la deuxième controverse sur l’eucharistie au XIe siècle. Si on comprenait
primitivement dans un symbole une chose qui en un certain sens est ce qu’elle
signifie, on comprend désormais dans un symbole une chose qui n’est pas
réellement ce qu’elle signifie. »
[46]
Cf. un résumé, un rien condescendant, non théologique, de la part d’un
sociologue des religions et du droit, de H. de
Lubac, Corpus mysticum,
Aubier, Paris 1944, https://www.jstor.org/stable/23665496?read-now=1&refreqid=excelsior%3A416d2401ae695c8a0a9ca661904733e6&seq=4#page_scan_tab_contents.
Une relecture théologique vient de paraître : J.-F. Chiron, « Corpus mysticum
revisité », RSR 107/1 (2019),
pp. 33-58.
[47]
A propos du rapport entre être et eucharistie, voir J.-Y. Lacoste « Etre », Dictionnaire critique de Théologie, PUF,
Paris 1998, pp. 422-425.
[48]
T. Radcliffe, « Affectivité
et eucharistie », DC 2327,
janvier 2005, https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Archives/Documentation-catholique-n-2327/Affectivite-et-Eucharistie-2013-04-16-944160.
[49]
Concile de Trente, Décret sur le saint
sacrement, 11 oct 1551, chap 5.
[50]
Ce verset a un sens eucharistique, que Thomas ne retient pas, depuis le XIIe.
Cf. P.-M. Gy, « L’office du
Corpus Christi, œuvre de S. Thomas d’Aquin », La liturgie dans l’histoire, op. cit., p. 237.
[51]
L.-M. Chauvet, op. cit., p. 99.
[52]
Une recherche dans l’index thomisticus
donne une occurrence à presentia realis
et seulement cinq a presentia corporalis
dans toute l’œuvre de Thomas (quel que soit le cas) et aucune ne concerne ce
que l’on appelle la présence réelle.
[53]
Tertullien, Ad Uxorem II, v, 3 (SC 273 p. 139), donnerait la plus ancienne
attestation de ce que nous appelons la présence réelle ou du moins la réserve
eucharistique. Les chrétiens emportaient chez eux le pain eucharistique et
communiaient durant la semaine (Cf. DACL
14, 2385-2389). Une femme mariée à un païen risque d’attirer son attention.
« Ton mari ne saura-t-il pas ce que tu prends en secret avant toute
nourriture ? Et s’il vient à savoir que c’est du pain, ne croira-t-il pas
qu’il s’agit de ce pain dont on parle ? » Ce texte est considéré de
l’époque catholique, donc entre 193 et 206. Voir le commentaire de M. Jourjon, op. cit., pp. 65-67.
Cf. Confession
d’Augsbourg (1530), art. X : « Le vrai corps et le vrai sang du
Christ sont véritablement présents dans la Cène, sous les espèces du pain et du
vin, et […] là, ils sont distribués et reçus. »
Après tout ce que tu as dit, comment peut-on continuer à exclure du corps du Christ, une partie des fidèles que sont les personnes divorcées, engagées dans une nouvelle union. Cette exclusion n'est-elle pas tout simplement anticonstitutionnelle, puisque le corps du Christ sera toujours "amputé" d'une partie des baptisés...
RépondreSupprimerJe ne sais pas qui est la personne qui écrit le message ci-dessus. Je suis surpris. Peut-on encore dire que des fidèles sont exclus de l'eucharistie parce qu'ils seraient remariés ?
SupprimerAmoris laetitia a ouvert une porte qui permet d'envisager les choses autrement, non ? Sans compter que dès avant ce texte, nombreux étaient les catholiques pratiquants réguliers de la messe du dimanche et divorcés-remariés à recevoir déjà la communion, et que, souvent, des laïcs de la paroisse, le prêtre ou l'évêque du coin le savaient.
Patrick, tu devrais en publier un article! Ça doit profiter et nourrir les esprits clos des curies....
RépondreSupprimerBonjour Patrick, Un très grand merci pour ce véritable dossier sur l'Eucharistie...C'est un sujet qui nous intéresse beaucoup puisque nous sommes engagés dans la pastorale des personnes "divorcées-remariées" et que la question de l'Eucharistie est...sensible. Je t'envoie une contribution intéressante, celle qu'a fait Mgr Spiteris au synode de 2015 où cette question était très controversée...
RépondreSupprimerhttps://synodequotidien.wordpress.com/textes-du-synode/ioannis-spiteris/
Bonne lecture...nathalie