Vivre en disciples c’est vivre en compagnie de Jésus. Nous
sommes de ceux (qui sont) avec lui. Jour après jour, force est de constater
qu’il n’est guère présent à nos côtés. On explique cela de trente-six manières.
On se convainc que si, il est là. On raconte la parabole non biblique des pas
sur la plage : une seule trace de pas, non parce que nous serions seuls,
mais parce que Dieu nous porterait dans ses bras. Pourquoi pas.
Reste que vivre avec Jésus, c’est bien souvent vivre sans lui. Ce
n’est pas seulement le fait du péché. C’est le fait de la vie chrétienne selon
ce que Jésus lui-même enseigne : « il vous est bon que je m’en
aille » (Jn 16, 7)
Le théologien luthérien Dietrich Bonhoeffer écrit alors qu’il est
en camp, arrêté après une tentative avortée d’attentat contre Hitler.
« Devant et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. » N’est-ce pas
exactement notre situation ? Nous nous tenons devant Dieu, nous tâchons de
mener notre vie devant Dieu et avec lui. Et cependant, nous sommes sans Dieu,
comme tous, dans un monde à bien des égards sorti du religieux.
La vie dans la foi n’est pas une illumination qui rendrait visible
ce que les autres, faute de foi, ne pourraient voir. Elle est une façon de
percevoir l’existence et, par suite, de mener cette existence. On pourrait
parler de la foi comme style. Nous vivons comme des répondants. Nous ne sommes
pas à l’origine de nous-mêmes, ni de notre subsistance, quand bien même nous
gagnons notre vie. Alors, nous vivons de telle sorte que nous répondions à
l’amour de Dieu qui, le premier, nous a aimés. Dans le même temps, cela nous
fait responsables de nos frères, répondant d’eux.
Jésus est le chemin (Jn 14, 6) de l’existence chrétienne. C’est lui
qui nous apprend, par sa vie et ses paroles, à vivre comme des répondants. Cela
paraît aujourd’hui folie, non que l’enseignement de Jésus, ce qui fait de nous
ses disciples, n’ait rien à dire en notre monde. Au contraire ! La
responsabilité des frères nous convoque à une subversion des logiques
mondaines, financières et commerciales. La paix comme la sauvegarde de la
« maison commune » passent par un renversement de la haine née du chacun
pour soi et du moi d’abord.
Cependant, Jésus n’est plus disponible, là. Il ne l’a jamais été.
« Ne me retiens pas », dit-il à Madeleine au matin de la
résurrection. Nous marchons comme si nous voyions l’invisible (He 11, 27),
mais… ne le voyons pas. Alors nous attendons de le rencontrer, alors, nous
attendons sa manifestation. Alors, nous sommes tendus vers lui, en veille, en
éveil, en avent.
C’est le sens de cet avent qui s’ouvre. Qu’enfin, il vienne et nous
rejoigne. Qu’enfin, sa présence accomplisse les prophéties, telle celle que
nous avons entendue dans la première lecture : « De leurs épées, ils
forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre
nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. » (Is 2,
4)
S’il est un moyen d’anticiper sa venue, s’il est un moyen de rendre
un peu plus claire notre vision (2 Co 5, 7), c’est de vivre comme Jésus a vécu,
répondant à Dieu, rendant grâce pour son amour premier, et répondant des
frères, à l’inverse du refus fratricide de Caïn, « suis-je responsable de
mon frère ? »
Consentir dans les actes à n’avoir pas l’initiative, mais à faire
de toute notre existence une réponse, consentir à passer derrière parce que
lui, et par lui tous les frères, sont premiers, cela lève le voile, révèle un
peu de sa présence. Ce sont toutes les belles rencontres, même au creuset de la
détresse, qui illuminent notre vie et nous soutiennent pour crier, avec les
chrétiens des premières générations « Marana tha, Viens Seigneur
Jésus ! » (Ap 22, 16. 20 et 1 Co 16, 22)
Voilà notre avent. Quatre semaines pour réapprendre ce cri :
« Viens, Seigneur Jésus, viens ! » Nous craquons, nous n’en
pouvons plus d’attendre le Seigneur pour un monde réconcilié entre frères, nous
n’en pouvons plus des haines, des violences, de la mort, et nous crions,
« Viens Seigneur Jésus, viens ». « L’Esprit et l’épouse
disent : "Viens !". »
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