Noel est dans dix jours et les textes que nous venons d’entendre
ne disent toujours pas un mot de la nativité. Décidément, le temps de l’avent n’est
pas une préparation à Noel, mais bien l’école de l’attente, l’expérience de la
veille.
Lorsque Dieu demande à Jérémie ce qu’il voit, au début de son
ministère, le prophète répond : une branche d’amandier. Cela fait jeu de
mot en hébreu avec veilleur. Ce que voit Jérémie, c’est une branche de
veilleur. (Jr 1, 11) La vocation du peuple d’Israël, et partant celle de l’Eglise,
c’est d’être des peuples de la veille.
Veiller aux frères, car contrairement à ce que dit Caïn, nous en
sommes responsables, ou du moins, nous devons répondre d’eux. Veiller, c’est la
même chose, à la venue du Seigneur. Veiller, dans la nuit ou de jour. Nous ne
savons pas quand il vient, ou plutôt, où il vient. Seuls les veilleurs ont une
chance de deviner son passage.
Dans le premier Testament, les signes avant-coureurs sont
précisément déterminés. La prédication évangélique n’y ajoute rien. Elle se
contente de se faire catéchèse, d’en amplifier l’écho. « Les aveugles
retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les
sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne
Nouvelle. »
Ce qui est à voir, à ne pas rater, c’est une libération inchoative.
Cela commence, la libération du mal. Cela a commencé depuis que le Fils de Dieu
habite l’humanité. Et il n’a pas attendu sa naissance. Comme semences de la
parole divine, il est présent au cœur de l’humanité depuis la fondation du
monde, de même qu’il est présent en tous ceux qui, aujourd’hui comme hier, ignorent
par la connaissance théorique tout de lui, mais savent tant de lui à servir les
frères, à vivre de l’amour.
Bien sûr, depuis sa mort et sa résurrection que sa vie publique a
permis de recevoir, il est décidément le libérateur de son peuple et la lumière
des nations. Bien sûr, depuis qu’il est passé dans le monde en faisant le bien,
il est possible de le connaître comme le sauveur. Mais cette connaissance ne
serait qu’un flatus vocis, un pet de
voix, si les pauvres n’étaient pas libérés de la dégradation mortelle de la
misère, si tout ce qui détruit la santé des hommes n’était pas renversé, si les
morts mêmes ne venaient à resurgir.
Bon, nous voyons des personnes revivre, au sens figuré. Plus encore,
car se voir reconnu dans sa dignité, trouver le chemin d’une socialisation, se
sentir accueilli et respecté comme n’importe qui, ce n’est pas figuré ! J’en
conviens, ce qu’il est impossible de voir, ce sont des gens qui après leur mort
revivraient. Mais cela, nous pouvons le pressentir.
Certains d’entre nous, nous les habitants de cette terre, vivent
avec le Christ. Et pas toujours en sachant le nommer. Certains sont ses
disciples, à le prier, à le servir dans les frères, à l’aimer et se laisser
renouveler par lui. Bref, certains vivent de lui. Peut-être beaucoup, tous, si
pour vivre de lui, il suffit des semences même anonymes de sa présence.
Si tout ce que nous vivons avec le Christ nous tient debout, nous
savons que ce n’est pas rien. Et ce pas-rien n’est pas submersible. Ce pas-rien
est prémices de résurrection, de surgir-de-la-mort. En ce sens, nous voyons les
morts ressusciter.
Bon, cela ne saute pas aux yeux. Même le Baptiste ne voit rien.
Voilà pourquoi nous avons besoin de ce temps de l’avent. Pour apprendre à
veiller et à voir. Voilà pourquoi le temps de l’avent ne prépare pas à Noel :
parce qu’il est préparation à la résurrection. Il apprend à veiller, pour
deviner le surgissement de la vie, pour saisir en son surgissement la libération
des pauvres et le salut de ceux que la mort attaque déjà.
L’avent nous apprend à entrevoir le royaume. Alors, il n’est plus
possible de désespérer de l’humanité. Dieu l’habite depuis toujours. Elle est
grosse de son insaisissable amour. Elle est sur le point de l’enfanter, comme
chaque seconde depuis la création du monde. Là enfin, il est sensé de parler de
Noël. Le royaume est là, tout près de nous. Notre humanité en reçoit de Dieu la
fécondité.
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