30/10/2020

La sainteté en deux mots (Toussaint)

Qu’est-ce que la sainteté ? Si l’on faisait une histoire des réponses à cette question au cours des siècles, il est vraisemblable que nos évidences tomberaient. Dimanche dernier, nous avons entendu les deux seuls commandements (Mt 22, 34-40) qui n’en sont qu’un. Parce que c’est encore tout frais à notre oreille, parce que la parole est donnée à Jésus pour une forme de concentré, de synthèse de la foi, je propose de reprendre ces versets. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

L’amour de Dieu, l’affirmer est premier, on doit l’affirmer en premier. Parce que Dieu, le premier, nous aime (1 Jn 4, 10). Parce que Dieu est amour (1 Jn 4, 8. 16). Parce qu’en dehors de l’amour, il n’est rien qui ne puisse dire Dieu. « Le mot Amour dit à la fois la plénitude et la désappropriation, l’une incluant l’autre et réciproquement. La plénitude regarde l’être même de Dieu et toutes les richesses du créé. La désappropriation regarde l’impossibilité pour qui que ce soit, même Dieu et sans doute Dieu d’abord, de garder pour soi quelque propriété que ce soit. » (G. Lafont, Le Catholicisme autrement, p. 151)

C’est parce que Dieu est amour et plénitude, c’est-à-dire désappropriation, jusqu’à la mort et la mort sur une croix, qu’un commandement de l’aimer est possible. Comment pourrait-on être sommé d’aimer autrement qu’à être violé, sans la désappropriation de celui auquel notre existence devrait répondre, de celui à l’amour duquel notre amour est réponse ?

Le problème, si j’ose dire, c’est que l’on ne sait pas si l’on aime Dieu, comment on l’aime. Ou plutôt si, on l’aime d’une seule manière, en aimant comme il aime, plénitude, tout ce que nous sommes, et désappropriation. En aimant le frère que nous voyons (1 Jn 4, 20), dans une désappropriation que la parabole du samaritain permet de formuler, sur un air kantien, « agis de telle sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain. »

Pour aimer Dieu seulement, il faut aimer son Fils dans l’Esprit, mais ce n’est pas assez dire. Pour aimer Dieu seulement, il faut aimer tout homme. Et cela signifie précisément, nous désapproprier de tout ce que nous sommes, permettre à l’autre de nous trouver disponibles, de trouver en nous le prochain dont il a besoin.

Voilà, tout est dit de la sainteté, même si l’on peut dire bien d’autres choses. La sainteté c’est la plénitude et la désappropriation, être pleinement, richement, avec extravagance et excès même, non pas pour donner, mais pour se laisser prendre, se laisser dépouiller, être désapproprié. Jésus nous en a ouvert le chemin.

« L’image en est Jésus crucifié, nu, souffrant, dépouillé, et à ce moment même invoquant le Père dans l’Esprit. « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. » C’est à ce moment, sur la Croix, que nous est révélé le Mystère de la Sainte Trinité : immense circulation, admirable échange. Mais nous est manifesté aussi le Mystère de l’homme, créé et comblé par Dieu, invité à répondre en se donnant lui-même moyennant un symbole d’obéissance. » (G. Lafont, pp. 151-152. Je ne reprendrais ni la graphie ni tous les termes à mon compte, mais le mouvement, assurément.)

Passer derrière, prendre sa croix, renoncer à soi, être insulté, persécuté. Ces expressions de la théologie ascétique et de l'évangile sonnent de façon inadmissible après les attentats terroristes. Gardons-nous d'oublier le don premier, la plénitude qui se désapproprie. Pour nous la plénitude n’existe aussi que comme désappropriation, et réciproquement. C’est cela la sainteté pour Dieu et pour nous (Lv 19, 2).

On n’offre pas en con-sacrant, en faisant du sacré. On ne rend pas sur ce que l’on a prélevé pour vivre. Il ne s’agit nullement d’un sacrifice mais de plénitude qui n’existe que comme désappropriation, pour Dieu et pour tous. La sainteté, c’est divin ; et nous sommes invités à la partager, immense circulation, admirable échange. Laisser l’autre trouver en moi un prochain, ainsi les parents pour leurs enfants, ainsi les enfants pour leurs parents devenus dépendants, ainsi, ceux qui s’aiment. Ils font ce qu’est Dieu. Ils sont ce qu’est Dieu, saint.

 

 

 

« Soyez saint car moi, le Seigneur, je suis saint. »
Seigneur, tu rassembles en ton Eglise tous ceux que tu sanctifies par le baptême dans ta mort et ta résurrection. Souviens-toi de tous les saints.

Seigneur, tu meurs et assures le malfaiteur qui pend au gibet qu’il vivra avec toi. Tous ceux qui détruisent les frères par la violence des armes, de l’économie, de la corruption, des inégalités, des abus de pouvoir, que ton amour les désarme et les renverse. Souviens-toi de toutes les victimes.

Seigneur, alors que le confinement nous prive des relations familiales, amicales, sociales, alors que les difficultés économiques touchent certains très directement, alors que nos libertés sont limitées, donne-nous de demeurer saints car tu es saint. Souviens-toi de nous, vigilants dans la prière et le service des frères.

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