02/10/2020

Une vigne, des exclus et une pierre d'angle (27ème dimanche du temps)

Il y a dans nos têtes une théologie de la rétribution. « Dieu rend à chacun selon ce qu’il fait » (Rm 2, 6 reprenant Ps 62, 13. Le sens du psaume pourrait surtout viser la responsabilité personnelle pour que ne payent le prix d’une faute les descendants ou le clan.)

La théologie de la rétribution nous empêche d’entendre la miséricorde, et tire à Dieu un portrait que l’on ne souhaiterait pas à son pire ennemi, celui d’un juge implacable, sans compassion aucune, inflexiblement buté, obnubilé par l’intangibilité de la loi et de la morale.

Nous sommes à ce point marqués par cette théologie que rien ne nous fait sursauter à entendre que « ces misérables, il les fera périr misérablement ». Nous ne remarquons pas que ce sont les interlocuteurs de Jésus, ceux avec qui il sera bientôt en procès, qui parlent ainsi, et que ce n’est sans doute pas l’avis de Jésus. Pas étonnant. C’est ce que nous pensons. Ainsi, ceux qui sont en prison doivent payer et ce n’est jamais assez. Mais qu’est-ce que cela change, 10 ou 20 ans de prison, à part détruire un peu plus le détenu ? La société ou les victimes sont-elles mieux dédommagées par l’accumulation d’années d’incarcération ?

(Je ne dis rien de la théorie de la substitution qui lit dans ce texte la punition infligée par Dieu aux Juifs pour avoir tué son fils. L’antijudaïsme n’a pas de limite. Si Dieu est inflexiblement buté, c’est uniquement sur son amour sans repentance pour tous.)

Après la parabole, une citation du psaume à propos de la pierre d’ange ne s’articule pas très bien avec ce qui précède. Que vient faire une pierre d’angle dans une vigne ? Qui est cette pierre d’angle rejetée par les bâtisseurs ? Qui sont les bâtisseurs ? On ne le saura pas.

Dans la parabole, s’il y a des gens rejetés, les envoyés du maître de la vigne, mais aussi les vignerons homicides que le maître devrait faire périr misérablement. Est-il important de choisir les uns à l’exclusion des autres ? Les uns comme les autres sont des exclus. Exclus pour préserver l’intérêt des vignerons, exclus pour défendre une morale commune, la société doit se couper des coupables !

Et s’il s’agit de sortir de la rétribution, que tous les exclus, innocents et coupables, soient mis dans le même sac, n’est peut-être pas sans importance. Que nous ayons du mal à comprendre le lien entre la parabole et la citation du psaume illustre seulement combien nous sommes désemparés dès lors que la bonne vieille rétribution est disqualifiée.

Dieu fait de la pierre rejetée la pierre d’angle. Sur qui compte-t-il pour bâtir (c’est la même racine) son Eglise ? Sur Pierre, Satan dont les pensées ne sont pas celles de Dieu, beau-parleur qui jure ses grands dieux et que jamais il ne trahira et qu’il ne connaît pas cet homme.

Dieu compte sur les exclus pour bâtir le monde, y compris les coupables, et qui ne l’est pas ? Ils connaissent l’horreur d’avoir détruit des vies. Dans leur chair aussi est inscrit le mal commis. Les détenus savent bien qu’ils devront vivre, même libérés, jusqu’à la fin de leur vie, avec ce qu’ils ont fait. Echarde en la chair. Comment se regarder dans le miroir, comment s’aimer un minimum pour aimer les autres ?

Dieu compte sur les exclus pour bâtir le monde, ceux que chaque société désigne comme son autre pour mieux s’enfermer elle-même dans son identité. Le racisme. Le refus des migrants. Toutes les haines de l’autre parce que l’autre est autre. (Sauf s’il est riche. Les migrants qui ont de l’argent, on les accepte sans difficulté. On ne les appelle d’ailleurs pas migrants, mais expatriés par exemple. Ce n’est pas les migrants qui font problème à notre société, mais les pauvres !)

Cynique, hypocrite, notre société, en fait, compte sur ces ou ses exclus. Ils font les boulots dont personne ne veut. Mais que cela ne se sache pas. Que ce soit au noir, pour qu’on en profite encore davantage.

Planter une vigne, en prendre soin, et la confier à ceux en qui personne n’a confiance. N’est-ce pas exactement pour cette raison que nous sommes ici ? Que serions-nous si les frères ne nous prenaient pas sans cesse dans leur pardon, si Dieu ne nous prenait pas sans cesse en pitié ? Qu’attendons-nous pour faire comme l’on ne cesse de faire pour nous ?

1 commentaire:

  1. La parabole des 10 vierges ne fonctionne pas exactement de la même manière que la suivante, celle des talents. Et pourtant, elle fait buter pareillement sur l'intransigeance du maître. Un peu plus haut, celle des vignerons homicides aussi, mais en Matthieu du moins, la sentence n'est pas dans la bouche de Jésus. (https://royannais.blogspot.com/2020/10/une-vigne-des-exclus-et-une-pierre.html )
    "Certains penseraient-ils qu’attendre Dieu, c’est autre chose que de l’aimer ?" J'opte pour une logique de l'amour et non de l'utile. Puisque l'huile ne sert à rien, tant qu'il ne fait pas nuit, on apprend à vivre sans.
    Mais je n'ai pas répondu à l'impossibilité de rouvrir la porte. Pourrait-on dire que, à penser qu'à ce qui sert, on ne peut qu'imaginer que la porte de Dieu se ferme définitivement ?

    Marie Noël joue un peu la même musique avec son psaume de la vierge folle, en en faisant aussi une antiparabole, puisque la position qui est la "bonne" c'est celle de la vierge folle... qui attend quoi qu'il arrive, même porte fermée, et attendra encore.
    https://royannais.blogspot.com/2020/09/psaume-de-la-vierge-folle.html

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