13/08/2023

« Je veux que tu vives » (Assomption)

 

« En ce qui concerne la parole que tu nous as adressée au nom du Seigneur, nous ne voulons pas t’écouter ; mais nous continuerons à faire tout ce que nous avons promis, offrir de l’encens à la Reine du Ciel et lui verser des libations, comme nous le faisions, nous et nos pères. » (Je 44, 16-17)

Reine du ciel, Regina caeli. C’est une des invocations avec laquelle la tradition s’adresse à Marie. Vous avouerez qu’il y a de quoi trembler. La dévotion à Marie, y compris sous le vocable de Notre Dame de l’Assomption, n’est-elle pas une obstination contraire à la parole de Dieu, quoi qu’il en soit du décalage historique entre Jérémie et cette dévotion ?

Pourquoi et comment prier et honorer Marie en disciples de Jésus ?

Dès le troisième siècle, il est possible de repérer une dévotion à la mère de Jésus. Marie y est même appelée « mère de Dieu » avant la définition du Concile d’Ephèse si l’on en croit un manuscrit égyptien écrit en grec qui porte la prière du Sub tuum, « A l’abri de ta miséricorde, nous nous réfugions sainte Mère de Dieu. »

L’évangile est clair. Jésus détourne tout hommage qui serait rendu à Marie parce qu’elle est sa maman. « Il advint qu’une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : "Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés !" Mais il dit : "Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent !" » (Lc 11, 27-28 messe de la vigile)

Un attachement à Marie ne pourra qu’être relatif à l’écoute et la mise en pratique de la parole. Notre attachement à Marie nous accuse si nous ne faisons pas cas de la parole ; plus notre dévotion est grande, plus l’écoute et la pratique de la parole s’imposent à nous. Marie est dite par le même évangile celle qui garde la parole en son cœur (Lc 2, 19. 51).

Pour honorer Marie, nous n’avons qu’un chemin, semble-t-il. Que la dévotion à son égard nous enfante à l’attachement à Jésus et au renversement qui est résurrection, insurrection : « il élève les humbles, il relève Israël son serviteur » (Lc 1, 39-56). C’est en sa mort et sa résurrection à lui que nous avons été baptisés. C’est son évangile à lui que nous voulons vivre en manifestant et en croyant que le royaume s’est approché.

Les cataclysmes apocalyptiques décrivent le mal dont nous souffrons et dont nous sommes capables de faire souffrir les autres. Notre mal et le mal menacent la vie comme le dragon prêt à avaler l’enfant. C’est hors de question parce qu’« il renverse les puissants de leur trône et renvoie les riches les mains vides. » La femme de l’Apocalypse annonce ‑ c’est le kérygme ‑ la résurrection des crucifiés par la résurrection du crucifié. Toutes les mères qui voient mourir leurs enfants, tous les parents qui perdent un enfant, peuvent voir en Marie une compagne de souffrance qui annonce, par sa posture à la croix, que le dernier mot n’est pas dit. Stabat mater. Elle se tenait debout, la mère. Elle est relevée la mère.

La lune, les étoiles et le soleil. Que pourrait-on imaginer de plus pour dire la dignité de toute vie, y compris celle que le péché réduit à une grimace, y compris celle que la mort veut effacer ? C’est encore l’évangile, la miséricorde et l’amour de prédilection pour ceux qui sont marginalisés, piétinés, niés. Le Magnificat ne dit pas autre chose. La mère humanité, notre mère, capable d’une telle laideur, demeure la bien-aimée du Père, son épouse. « Je veux que tu vives. » (Ez 16, 6). C’est ce que nous célébrons aujourd’hui.

Si nous honorons et prions Marie, c’est parce qu’en elle, à travers sa figure, on peut trouver quelques gestes et attitudes pour écouter et mettre en pratique la parole de Jésus. Il n’y a pas de mariologie, faut-il dire, mais seulement une christologie. Et encore, tout ce que nous disons de Jésus n’a de sens que comme kérygme de la mort et de la résurrection. « Vis ! »

L’Apocalypse, ce n’est pas demain ; de même la résurrection, c’est aujourd’hui. L’Apocalypse décrit ce que nous vivons maintenant et la résurrection c’est aujourd’hui ou ce n’est pas. Comment voir la résurrection, le mal frappe de toute part ? Se réfugier sous l’abri de la miséricorde de la mère de Dieu, c’est chercher un peu d’affection maternelle parce que la vie est trop chienne ; c’est voir le meilleur dont l’humanité est capable, mère elle aussi.

Que nous préférions cette affection maternelle à la fraternité qu’offre le fils, aîné d’une multitude se comprend-il ? Je sais par Jérémie qu’il n’y a pas de Reine du ciel, mais « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et père de tous ».

 

Caravage, Madone des Palefreniers, 1606, Galleria Borghese, Rome

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire