11/08/2023

Un chemin sur la mer, mort et mal (19ème dimanche du temps)

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 Codex Egberti, fol. 27v. (Vers 980, Trèves RDA)

 

La marche sur la mer (Mt 14, 22-33) est une reprise de la traversée de la mer par le peuple hébreu et Moïse. La mer ne constitue pas un obstacle pour Jésus, à l’instar de Moïse étendant la main. Dans les deux cas, il est question, non d’un miracle, mais de foi.

Le peuple, coincé entre la mer et les Egyptiens, a peur et récrimine, profession de non-foi, parole auto-référentielle. « L’Égypte manquait-elle de tombeaux, pour que tu nous aies emmenés mourir dans le désert ? Quel mauvais service tu nous as rendu en nous faisant sortir d’Égypte ! C’est bien là ce que nous te disions en Égypte : “Ne t’occupe pas de nous, laisse-nous servir les Égyptiens. Il vaut mieux les servir que de mourir dans le désert !” »

Sur le rivage, « Israël vit avec quelle main puissante le Seigneur avait agi contre l’Egypte. Le peuple craignit le Seigneur, il mit sa foi dans le Seigneur et dans son serviteur Moïse. » Pareillement, les disciples dans la barque ont peur, et encore Pierre alors qu’il commence à marcher sur l’eau. A tous et à Pierre, Jésus parle de confiance et de foi.

Il s’agit de passer de la non-foi à la foi. Et cela se fait non par un miracle, ni par la connaissance du dogme mais en renversant l’ordre des choses. L’univers hostile du monde marin ou de la haine entre les humains n’arrête pas Jésus. Non qu’il soit un doux rêveur pour ne pas voir le mal et la violence, mais il les traverse comme il traverse la mort. Sans craindre d’y être absorbés, traverser la mort comme la mer. Sans participer à la haine ni au mal, les traverser comme la mer.

Jésus ne reproche pas à Pierre de voir le gouffre sous ses pieds, mais de ne pas être capable de s’en penser, de s’en garder, libre. Il sait bien le mal dans la vie de Pierre comme en chacun de nous. La possibilité de ne pas pactiser avec le mal est nôtre qu’à être reçue. C’est lui qui nous appelle. C’est lui qui relève. Il tend la main, des frères tendent la main.

Urgence de faire cesser la contamination par le mal, de couper court à la contagion. Non, une fois encore, qu’il s’agisse de ne pas voir le problème, mais de sortir d’une logique établie, un monde hostile, un monde de revanche et de ressentiment. L’autre, mon ennemi, peut aussi ne pas vouloir le mal, au moins ce coup-ci ; je peux aussi ne pas vouloir le mal, au moins cette fois. On est fatigué aussi de faire le mal ! Incroyable foi en autrui. Qu’est-ce qui est le plus étrange : marcher sur la mer ou laisser une nouvelle chance pour la paix, une nouvelle chance pour l’amour ?

Je pense à ceux qui, comme des enfants que l’on traite de bons-à-rien, finissent par le croire. Ne croirait-on pas l’autorité qui nous assigne un rôle, fût-ce celui de cancre ? Cela au moins nous donne une identité, un lieu. Non, nous traversons la mer, marchons sur la mer, lorsque nous apprenons à avoir confiance en cette autre parole : « tu as du prix à mes yeux », « confiance, c’est moi » pour toi. Alors, on marche sur la mer, peut se relever et avancer. Pas de miracle, mais la confiance, la foi en la bonté d’une parole.

C’est incroyable, je l’accorde, mais il est des paroles bonnes ! Le croyez-vous ?

D’où viennent-elles ? De l’amour seulement. D’où viennent-elles ? Nous ne savons pas d’où vient la possibilité d’ouvrir la mer ou de marcher à sa surface. Ceux qui font résonner ces paroles d’amour et de sollicitude parlent d’un autre lieu, souvent sans le savoir, d’une autre bouche que la leur. Ces paroles sont épiphanie de ce que nous appelons Dieu. En nous relevant, elles le désignent. Théophanie et non miracle ! A nous aussi, comme en écho, de manifester la bonté de ces paroles qui relèvent, ressuscitent, font traverser le mal.

Samedi dernier, François disaient aux jeunes, à Lisbonne. « Pensez à ce qui se passe quand on est fatigué : on n’a rien envie de faire. Comme on dit, […] on jette l’éponge. Parce qu’on n’a pas envie de continuer. Et donc on abandonne, on arrête d’avancer et on tombe. Pensez-vous qu’une personne qui tombe dans la vie, qui vit un échec, ou même qui commet des erreurs lourdes, importantes, pensez-vous que cette personne soit fichue ? Non. »

Voilà notre profession de foi, à la suite des Hébreux et des disciples : il y a un chemin, même dans la mer. Traverser la mer, c’est avoir la foi ; même expirant, vivre que rien n’est fini pour Dieu, qu’aucune vie n’est indigne.

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