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Regardez bien, le regard des surveillants, la main, c'est le détenu qui tient la main, le pape, trop faible sans doute, ne peut plus rien saisir. |

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Regardez bien, le regard des surveillants, la main, c'est le détenu qui tient la main, le pape, trop faible sans doute, ne peut plus rien saisir. |
Prier pour les vocations, nous dit-on, réciter des prières pour les vocations, textes écrits laborieusement par des évêques eux-mêmes, Mais depuis le temps que l’Eglise y est engagée, le plus officiellement, on constate que cela ne marche pas. Rien d’étonnant en soi. La prière n’est pas faite pour fléchir le Seigneur, « comme les païens » qui rabâchent !
Dans l’imaginaire. Dieu aurait un plan pour chacun, décidant de la vie des uns et des autres, religieux ou religieuse, prêtre et pourquoi pas évêque ou pape. Et ce serait rater sa vie que de refuser l’appel. Dieu ne veut qu’une chose pour nous, la joie : « Je veux que tu vives ».
Certains détenus pensent que Dieu qui sait tout les conduit en prison, qu’il leur faut prendre la punition pour repartir plus forts sur le bon chemin ou l’épreuve comme un test de fidélité. Ce discours donne du sens à l’incarcération. Mais à quel prix ! Celui de l’illusion. Sans rien dire du démenti qu’apporte statistiquement la récidive. Dieu n’est pas un magicien ou le grand ordonnateur du monde et de nos vies.
Il faudrait se demander pourquoi, si l’on veut maintenir l’image d’un Dieu qui dirigerait le monde et l’Eglise depuis les cieux, il se fait sourd aux prières de son Eglise. Ce pourrait-il que Dieu ne veuille pas qu’il y ait des prêtres, encore moins sur le modèle qu’on lui réclame ? Et si la réduction drastique du nombre de vocations spécifiques dans l’Eglise était la volonté de Dieu. Il est plus urgent de déchiffrer les signes des temps que de se réfugier dans la prière. Sous prétexte de dévotions, la nuque raide, nous refusons de nous convertir.
Le peuple de Dieu en nombre de ses membres trouve non pertinentes les vocations telles qu’on les réclame. On ne pourra dire que le saint peuple de Dieu a déserté la vraie foi sous peine de nier le sens de la foi des fidèles ; il réclame une conversion, une correction de la doctrine. Des disciples de divers ordres, hiérarchisés, différents non de degré mais d’essence, ce n’est pas ainsi que l’on peut faire Eglise. « Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. »
Le pouvoir est dans l’Eglise masculin et une affaire de dernier mot. La synodalité en est le renversement. Il faut certes pour le service de la communauté que quelques-uns assurent la coordination et les sales besognes. Est-ce cela un évêque ? Mais ce n’est pas parce que vous être prêtre ou évêque, que vous êtes compétents pour prêcher, prier, être attentif aux plus faibles, décider, dire le droit et le bien de la communauté, et j’en passe. Plus encore, le ministère ne peut pas être concentration des pouvoirs, en une personne, organisation, enseignement, sanctification. Cela va à l’encontre de la pluralité des charismes et contredit l’égalité foncière de tous, quoi qu’il en soit des déclarations sur le pouvoir comme service.
Le pouvoir ecclésiastique est un autocratisme que les sociétés modernes ne peuvent supporter et qui apparaît aujourd’hui contraire à l’évangile. Le contester est autant question de principe que constat d’un dysfonctionnement. Et dire cela ne remet pas en cause ipso facto l’importance et le sens des ministères.
Assez du célibat obligatoire, assez du refus d’ordonner des femmes alors que, dans les faits, plusieurs assument le ministère (empêchées seulement de présider les sacrements, révélateur de la sacralisation du pouvoir), assez du discours sur la sainteté des consacrés et ministres. Ajouter que ces mâles sont choisis par Dieu interdit de comprendre les criminels parmi eux autrement que des exceptions, et non le fait d’un système. Qui peut sainement croire voire dire qu’il a tout quitté pour Dieu par la « grâce » (sic !) de l’imposition des mains ? Il n’y a qu’une manière d’être disciple, non pas donner sa vie, mais recevoir la vie que, seul, il donne. Entre la rhétorique du don de leur vie et la dénonciation de l’environnement systémique favorable aux pervers, il faut choisir, parce que la mise en évidence de la systémicité constitue une démythologisation du pouvoir.
La crise des crimes sexuels oblige non seulement une réponse juste aux victimes mais une conversion de la théologie des ministères. Cette crise est l’indice, en plus du vide des séminaires et noviciats, que cela ne va pas, que cela ne peut pas continuer. La théologie de l’appel par Dieu au ministère est récente ; traditionnellement, c’est l’Eglise qui appelle.
Etre disciple, c’est toujours répondre, parce que Dieu, le premier, nous a aimés. On est disciple non parce qu’on ratifierait un système du monde, mais parce que l’on se reconnaît aimé avant même de pouvoir, de savoir aimer. Etre disciple, c’est effectivement être appelé, Que l’on n’imagine ni coup de fil, ni coup de tonnerre, ni conversion devant la Vierge du pilier à Notre Dame. Nous ne pouvons pas nous faire les ventriloques de Dieu. Or l’Eglise fait parler Dieu comme cela arrange la caste masculine qui la gouverne. Résultat, elle se prive des ministres dont elle a besoin. Prier pour les vocations c’est souvent rejeter ce que Dieu donne.
Greco a assurément peint une Madeleine pénitente, en pleurs. On pourrait aujourd'hui, sorti de l'unification des trois Marie, penser que la femme apôtre des apôtres, première convertie qui se retourne vers le Jardinier, pleure le refus de conversion des hommes, esseulée sur son chemin de foi, lâchée par ceux qui se prétendent détenteurs de son héritage, privée du droit à la parole, du moins suffisamment pour que les hommes, disciples sans foi, puissent décider sans elle.
La discipline du Christ chez Jean est originale. En deux endroits seulement, le mot Douze est employé, sans que soit dit qui il désigne. Il n’y a pas de liste des Douze, on ne raconte pas la constitution d’un groupe resserré autour de Jésus. Il n’y a pas les Douze, les Soixante-douze (ou) dix, et d’autres disciples encore ; aucune hiérarchie parmi les disciples.
Pierre a un rôle propre mais paraît guère apprécié. Quasi exclusivement appelé Simon-Pierre, comme s’il fallait maintenir qui il était avant la rencontre avec Jésus, il est un parmi les autres. Plusieurs sont nommément mentionnés qui interviennent comme lui, ici ou là.
En revanche, il y a chez Jean un disciple que les autres textes ne connaissent pas, le disciple que Jésus aimait. Il ne doit surtout être identifié à l’un des Douze, dont il n'est pas, sous peine de perdre son identité. Chacun en lui peut devenir disciple à son tour. Il ne suit ni n’accompagne Jésus, mais est celui que Jésus aime. Cela lui donne une longueur d’avance. Ainsi, il court plus vite mais laisse Pierre, si lent, entrer en premier au tombeau. Révérence oblige, concession peu convaincue à la responsabilité pastorale. Il voit et il croit. Il n’est dit que Pierre croie. Le quatrième évangile reconnaît à contre-cœur le rôle de Pierre et l’organisation de l’Eglise ; la communauté du disciple bien-aimé connaît le meilleur chemin pour les disciples, saisir que c’est Jésus qui aime, que l’on est bien-aimé.
Le dernier chapitre de l’évangile, on le sait, a été très anciennement ajouté. Il y a déjà une conclusion dans les lignes le précédant. Simon-Pierre – le dernier rédacteur se cache derrière les manières d’écrire du premier ‑ va à la pêche. Quelle drôle d’idée ! Il n’a rien de mieux à faire après la mort et la résurrection ? Le disciple bien-aimé n’est pas là, lui ! Il sort d’on ne sait pour dire ce dont lui seul semble capable : « c’est le Seigneur ».
C’est que Simon ne comprend rien. Par trois fois Jésus lui demande s’il l’aime. La question ne se pose pas pour l’autre disciple, puisque Jésus l’aime. Le verbe utilisé est agapaô, qui caractérise l’amour dont Jésus a fait sa vie. « Pas de plus grand amour, agapè, que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Simon répond avec le verbe de l’amitié, philein, « oui, je t’aime ». Jésus prend finalement le verbe de Simon, attristé par les questions réitérées. Or c’est la première fois, et non la troisième, que Jésus emploie ce verbe. Simon, ne voit pas l’occasion du changement, du retournement, de la conversion. Comment pourra-t-il paître les brebis celui qui ne croit pas, qui n’est pas disciple faute de se savoir bien-aimé.
Tout est dit. Pour Simon-Pierre, Jésus est un ami. Mais Jésus n’est pas ‑ comment traduire ? ‑ l’amant, comme dans le Cantique des cantiques, « celui que mon cœur aime », l’amoureux, transporté jusqu’à l’indécence. Pierre fait de Jésus un maître, un rabbi ; il ne se laisse pas devenir disciple bien-aimé.
Comment comprendre sans trop d’anachronisme ? S’agit-il de lutte d’influence pour le pouvoir dans l’Eglise ou d’une posture anti-institutionnelle ? La pourriture est à l’œuvre dès lors qu’il y a pouvoir. S’agit-il d’une décision théologale ? Certes, ce que disent Pierre et la Grande Eglise, c’est vrai, mais ce n’est pas ça. Eux, ils retournent à la pêche. C’est ce qu’ils savent faire, et il faut bien manger, il faut bien que ça tourne.
Le vocabulaire sponsal, sans parler de la thématique, dès Cana en passant par la femme adultère et Marie de Béthanie, est central dans cet évangile, mis notamment sur les lèvres du Baptiste : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète. »
Avec Jésus, c’est une histoire de désir, qui brûle et jamais n’est assouvi, toujours relancé. Peu importe de savoir si seuls Jean et sa communauté parlent ainsi. Ils rapportent que Dieu le premier aime et désire. Ils ont touché le Verbe, la raison de vie. Ils ont connu l’amour et y ont cru, s’y sont livrés.
L’heureuse annonce selon Jean n’est pas une religion, une explication du monde ou un système de salut. Il n’y a pas de pastorale mais des disciples bien-aimés. Le monde nouveau réside dans le fait que Dieu a tant aimé le monde, quoi qu’il en soit de sa marche. Sans pourquoi d’un amour, agapè ; divinisation des disciples, des bien-aimés, puisqu’apagè est le nom de Dieu. « Dieu est amour ».
Les récits d’apparition ne sont pas des histoires merveilleuses qui prouveraient la résurrection. Il faut comme tous les textes, les prendre à la lettre pour n’être pas fondamentaliste. On comprend qu’ils sont une stratégie pour dire l’impossible et non un reportage en direct de l’intervention d’un Deus ex machina. Le miraculeux surnaturel ne rend aucune puissance à celui qui en a manqué lorsque son fils agonisait sur la croix. Dès le début du chapitre on est prévenu. Le disciple que Jésus aimait voit et croit. Mais que voit-il ? Rien, puisque le tombeau est vide. Que croit-il ? Pas grand-chose ; il rentre chez lui et on en reste là.
Madeleine ne sait pas qu’elle parle à Jésus même si elle a bien raison de le prendre pour le jardinier, celui des premiers matins du monde, qui nomme toute chose et l’appelle elle encore, mais elle seulement, par son nom : Maria. Son annonce aux disciples ne provoque rien. Il n’y a toujours pas de foi, si ce n’est celle de Madeleine.
Comment est-il possible de voir sans reconnaître celui avec qui, trois jours avant, on partageait encore le repas ? Si est heureux celui qui croit sans voir, ce chapitre ne peut pas raconter pas des visions ! Il se contredirait. Et d’ailleurs, qui croit dans ce texte ? Le mot n’est employé que pour Thomas, c’est tout dire. L’échec est total, croire, ce n’est pas voir.
L’apparition désigne une manière de voir la réalité, telle qu’on la découvre dans la confiance et l’amour. Avec ceux que l’on aime, quand on pratique la bonté, on voit autre chose. L’apparition n’est pas une vision miraculeuse, probante, car s’il y a preuve il n’y a pas de confiance. La preuve tue la foi. S’il y avait des preuves de la foi, ce ne serait pas la foi ‑ ce qui ne signifie pas l’irrationnel de la foi, mais sa gratuité et son caractère ab-solu.
Le miracle n’est la preuve du divin que chez les païens superstitieux. Les magiciens de Pharaon ont le même pouvoir que Moïse à transformer leur bâton en serpent. Si le merveilleux étonne, il endort aussi. L’idolâtrie, hier comme aujourd’hui, c’est la confiance indue et arrachée en une solution miracle, en un homme providentiel. Rien de cela n’existe sous le soleil sauf à vouloir prendre des vessies pour des lanternes. C’est curieux comme l’on est porté à croire le merveilleux et à ne pas croire le frère dans l’ordinaire des jours.
C’est pour ne pas blasphémer qu’il est impossible de lire ces apparitions comme des miracles, des interventions de Dieu dans le monde. Si Dieu en est capable, qu’attend-il en Palestine, en Ukraine, dans la région des Grands lacs et la Corne de l’Afrique, au Tibet ou au Cachemire, etc. Il est trop tard quand l’enfant est mort de faim, quand la femme est violée, quand l’injustice triomphe. Soit Dieu peut intervenir et s’il ne le fait pas, comment pourrions-nous le croire, mettre en lui notre confiance ? Soit il ne le peut pas, et réclamer son action est blasphème, telles les moqueries à la croix : « sauve-toi toi-même si tu es le fils de Dieu ».
Il faut dire, sous peine de blasphème, que Dieu n’est jamais côté puissance, jusque dans la résurrection. Il se range parmi les victimes et ne cessent d’agoniser avec elles. Ainsi, au plus profond de la fosse, une résurrection est possible. Notre rêve de le voir intervenir dénonce notre infantilisme à croire au Père Noël : Mon papa, il est gendarme !, rêve de toute puissance projeté dans le ciel. A moins que ce rêve ne dise que définitivement nous nous situons du côté des puissants, n’ayant rien à faire de qui meurt écrasé.
On comprend l’importance du récit sans et avec Thomas qui
vient assurer qu’ils n’ont rien vu. « Heureux qui croit sans avoir vu. » Et le texte déjoue encore la matérialité
tout en affirmant la résurrection de la chair, matière humaine. Le corps se
joue des huis ! Les repas partagés sont parabole du
Dieu Père, banquet eschatologique.
Croire, c’est partager le pain et la vie comme Jésus et l’on voit ce que l’œil n’a jamais vu, les pauvres relevés, la résurrection de la chair. Ce ne sont pas des miracles, coups de théâtre, mais ce que la confiance permet de voir. Thomas dans le trou des plaies ne peut voir que la pourriture de la mort. Nous lisons les Ecritures non pour enregistrer des miracles, une histoire sainte et merveilleuse, mais pour que nos vies soient transformées, converties par lui, avec lui et en lui. La visite au tombeau de Pierre et du disciple que Jésus aimait ne les convertit pas. On peut faire des Ecritures un tombeau ! Les récits d’apparition invitent à vivre.
« On ne peut pas enfermer [le Christ] dans une belle histoire à raconter, on ne peut pas en faire un héros du passé ou penser à Lui comme à une statue placée dans la salle d’un musée ! Au contraire, nous devons le chercher, et pour cela nous ne pouvons pas rester immobiles. Nous devons nous mettre en mouvement, sortir pour le chercher : le chercher dans notre vie, le chercher sur le visage de nos frères, le chercher dans le quotidien, le chercher partout sauf dans ce tombeau. » (François, Homélie du jour de Pâques, sa dernière.)
Antoine Coypel, vers 1684 |