15/10/2025

« La douceur causée par cette indicible douleur est si excessive » 15 10 2025

L’Extase de sainte Thérèse du Bernin

Nous lisons dans le Missel romain l’oraison après la communion suivante : « Par la communion à ce sacrement, comble notre soif et notre faim de toi ». Ne serait-il pas plus juste de dire : « Par la communion à ce sacrement, avive notre soif et notre faim de toi » ?

Dieu nous comble-t-il ou nous manque-t-il. Le supplions-nous de nous combler ou de nous donner toujours faim et soif de lui ? S’il comble, n’est-ce pas l’idole qui bouche le trou, qui obstrue, rend obèse ? Faire de la présence une idole, ce pourrait bien être une maladie de la "vie spirituelle", comme l’on dit. Mais si la soif est avivée, alors ce n’est pas de présence qu’il s’agit mais de manque.

L’aventure avec Dieu comme comblement ou comme manque, comme rassasiement ou comme désir ? Se dessine deux manières de se penser et se vivre devant Dieu. Je sais quel camp j’ai choisi, ou plutôt, quel camp m’a choisi. Thérèse est une femme du manque et de la soif ardente.

Juste avant la relation de la transverbération, on lit : « Je me sentais mourir du désir de voir Dieu et je ne savais où chercher la vie dont j’avais soif, si ce n’est dans la mort. [Des transports d’amour] me réduisaient à ne savoir que devenir. Rien ne pouvait me satisfaire ; j’étais comme hors de moi et véritablement il me semblait que l’on m’arrachait l’âme. [Seigneur…] tu te cachais de moi et en même temps ton amour me réduisait à une mort si savoureuse que mon âme aurait voulu jamais en sortir. » (Livre de la vie 29, 8)

Thérèse manque de Dieu et ne s’en console pas. Dieu n’est pas là, mais elle ne peut l’accepter.

 

Lors d’un échange il y a quelques semaines, avant la messe, un détenu me dit combien la séparation d’avec sa femme et ses enfants est une torture. Mais il ne peut s’empêcher de penser à eux. Plus que cela, penser à eux est à la fois une torture et la suavité la plus douce.

Il me faisait comprendre la transverbération. « Je voyais entre les mains de l’ange un long dard qui était d’or et dont la pointe de fer portait à son extrémité un peu de feu. Parfois, il me semblait qu’il passait ce dard au travers du cœur et l’enfonçait jusqu’aux entrailles. Quand il le retirait, on aurait dit que le fer les emportait après lui, et je restais tout embrasée du plus grand amour de Dieu. La douleur était si intense qu’elle me faisait pousser ces faibles plaintes dont j’ai parlé. Mais en même temps, la douceur causée par cette indicible douleur est si excessive, qu’on aurait garde d’en appeler la fin, et l’âme ne peut se contenter de rien qui soit moins que Dieu même. Cette souffrance n’est pas corporelle, mais spirituelle ; er pourtant, le corps n’est pas sans y participer un peu, et même beaucoup. » (Ib, 29,13)

 

Dieu est absent de notre monde. Il n’est plus celui qui intervient à main forte et bras étendu, si jamais il l’a été. Son silence à Auschwitz, au Rwanda, à Gaza, au Soudan, dans les embarcations de migrants englouties par les mers, la fin du monde enchanté, magique – et c’est une délivrance – nous laissent avec le manque et la soif. Comme Thérèse, nous ne pouvons nous satisfaire dans son absence, douleur intenable. Penser à lui, comme en notre mémoire dirait Augustin est une sensation aussi douce que terrible.

Impossible de le tenir, le savoir présent. Nous éprouvons sa perte. Il faudrait ne pas habiter ce monde et ses rues, mais une citadelle retranchée, une contre-culture défensive, en surplomb, pour le vivre présent.

Dans son absence et la douloureuse douceur de notre soif de lui, Jésus « bon compagnon » indique, est, un chemin. Thérèse ne cesse de le dire par ailleurs.

 

14/10/2025

Annoncer l'évangile. Jean Chrysostome (+ 407)

 

Avant de le faire par nos paroles, frappons de stupeurs [les païens] par notre manière de vivre. Le voilà le grand combat, le raisonnement vraiment sans réplique, celui qui vient par les œuvres. Car si nous philosophons en abondance par nos paroles et que nous ne montrons pas une manière de vivre meilleures que la leur, le profit est nul. […] Voilà ce qui empêche les incroyants de devenir chrétiens. Donc entraînons-les par notre manière de vivre. Beaucoup d’hommes, même parmi les illettrés, ont ainsi frappé l’intelligence de philosophes, dans la mesure où ils exposaient leur philosophie par leurs actions et d’une voix plus éclatante que celle de la trompette par la conduite et la philosophie qu’ils délivraient. Celle-ci est plus puissante que la langue.

Jean Chrysostome, In 1 Co hom 3, 5 (cité par J. Marsaux, Jean Chrysostome, L’Eucharistie école de la vie, Les Pères dans la foi, 2009, p. 20)

 

J.-L. David, le philosophe 

10/10/2025

Dire Merci pour le plaisir Lc 17, 11-19 (28ème dimanche du temps)


Dix lépreux, comme une totalité. Une totalité parce que d’une manière ou d’une autre, chacun a sa lèpre et que personne n’est pur, puisque la lèpre, avant d’être une pathologie, une maladie, est une impureté, un défaut moral et religieux, une exclusion de la société (des purs).

Pour lire cette histoire qui pourrait fort bien être une parabole bien, il faut commencer par prendre la mesure de l’enfermement de l’humanité par la totalité de la dizaine dans le monde de l’imperfection ou de la souffrance, du manquement ou de l’exclusion. Tous – todos ‑ l’humanité, le peuple de la Première alliance bien sûr et un hérétique, l’autre.

Une société tout entière hors d’elle, la société humaine entière exclue de l’humanité, inhumaine. Ce n’est pas difficile à penser ; il suffit que l’on se regarde sans se comparer aux autres, que l’on accepte, sans culpabilité ni vergogne, de se regarder avec vérité. La rencontre a lieu dans un no-man-land, ni Samarie no Galilée, ni l’étranger ni la patrie, mais les confins.

Tous sont purifiés, guéris ou rétablis dans l’orbe de la pureté. Pas de contrition, dont il faut vérifier l’authenticité. Juste un crie de douleur, un appel aux entrailles : « Pitié ». Et, pris de pitié devant tant de morts, la vie. Pas même besoin d’observer la loi pourtant rappelée. C’est en allant au temple qu’ils sont purifiés. Gratuité et discrétion. Ils ne sont plus devant Jésus quand ils sont rétablis, quand la société est rétablie selon la dignité de chacun.

On se demande ce que le Samaritain est allé faire au temple, ce n’est pas là qu’il adore. On se demande comment Jésus sait qu’il y a un Samaritain. On se demande si les neuf autres se sont rendu compte de leur rétablissement. Ces questions ne sont pas celles de Luc.

Mais un seul revient pour remercier. Enfin, c’est bien légèrement traduit. Pour rendre grâces, pour eucharistier. C’est bien important cette affaire, alors que nous sommes si peut nombrer à célébrer l’eucharistie dans nos sociétés. Déjà un ratio faible, très. Mais peut-être ne savons-nous pas que nous remercions. Dès le passage du grec au latin, la fraction du pain n’est plus perçue comme un merci, un remerciement, eucharistô. Ce n’est pas nouveau.

Jésus fait exprès de toujours mettre les étrangers méprisés comme héros, il n’arrête pas de provoquer les autochtones qui n’ont rien à se reprocher en leur proposant comme modèle tout ce qu’ils détestent. Par son merci, le Samaritain s’entend dire qu’il a la foi et que c’est elle qui l’a sauvé. Les autres aussi ont été sauvés, mais sans la foi, pas par la foi. Sauvés par la seule et gracieuse action de la gratuité. C’est une constante de Luc, le Père qui est bon fait tomber la pluie pour les méchants et les ingrats. Il n’y a pas les bons et les méchants, comme dans ce peuple que la dizaine présente, tous lépreux.

Sauvé par la foi en plus d’être sauvé par la gracieuse gratuité, le Samaritain. Pour lui aussi, Dieu ne regarde pas à la dépense, se dépense sans attendre d’autre récompense que celle de savoir qu’il n’a fait que son devoir, comme le serviteur inutile dont Luc parle juste avant.

Le dieu inutile, le remerciement inutile, l’eucharistie inutile, mais la seule fête de pouvoir dire merci, la seule fête de pouvoir dire merci et de pouvoir entendre un merci. Notre présence à la fraction du pain pour la simple joie de l’échange du merci. Serviteurs inutiles non parce que ce que nous aurions accompli comme service serait insignifiant, mais parce que le merci relève du gratuit, du gracieux, de la grâce.

La foi qui sauve est celle précisément qui ne se quantifie pas contrairement à ce que laisse entendre la demande « Augmente en nous la foi ». La foi qui sauve est l’entrée dans le jeu de la grâce, comme les amants, les amis, les parents, quand du moins, ils ne se servent pas de l’autre ni ne lui sont asservis, mais entrent dans le jeu de la jouissance pure, du pur amour. Impossible, certes, horizon cependant.

La seule jouissance du sans-pourquoi qui déroute le sens pour que jubilent les sens, être pour et avec l’autre, présent ‑ un autre nom du don. La gloire de Dieu c’est l’inutile qui fait vivre.


Ferdinand Desnos, 1954, La Cène sur la Seine.
Je ne trouve pas de Cène eucharistique, au sens étymologique, remerciement. Ici, il y a beaucoup de monde, la jouissance du repas partagé.

08/10/2025

Choc culturel. La famille, héros du catholicisme.


Le hasard fait que je relis l’éloge de l’amitié que G. de Lagasnerie fait dans son Aspiration au dehors (Flammarion, Paris 2023), alors que je participe à une rencontre de prêtres. Choc culturel assuré dont sortent les quelques remarques sans prétention suivantes. Plutôt que d’opposer la déconstruction (assez partiale) de la famille au profit de l’amitié, je demeure comme arrêté par la proximité, au moins sur tel ou tel point entre le discours du sociologue et l’évangile.

Je ne suis pas certain que les chrétiens auraient intérêt à suivre en tout l’éloge de l’amitié. En revanche, ils feraient bien d’entendre la critique de la famille.

Quel discours Jésus tient-il sur la famille ? La question est d’importance quand on mesure combien pour l’Eglise la famille en bonne et due forme est un modèle et combien toutes les unions irrégulières posent problème. L’attitude accueillante de François à l’égard de ceux qui sont engagés dans un lien irrégulier redouble l’intérêt de la question. Il ne change pas la doctrine, et même la suit, puisqu’il pratique un accueil inconditionnel ainsi que Jésus le prêche en paroles et en actes. Il hiérarchise la loi par rapport à la vie, puisque le Fils de l’homme et maître même du sabbat.

Mais voilà que les plus frileux voire réfractaires au discours de François s’en inspirent désormais. Non pour admettre à la communion, car là, on touche de trop près au sacré. Mais il y a un élément nouveau, l’afflux de catéchumènes. Et nombre d’entre eux vivent une situation relationnelle problématique aux yeux de l’Eglise, relations sexuelles hors ou avant mariage notamment. On ne va tout de même pas leur fermer la porte au nez, surtout que ces personnes, souvent jeunes, apparaissent comme la preuve du renouvellement de l’Eglise par Dieu lui-même.

Je n’entre pas ici dans la question de savoir si Dieu est pour quelque chose dans l’augmentation, certes réelle mais tout de même encore fort confidentielle rapportée à la population, du nombre de catéchumènes. Est-il évident qu’il y a une soif spirituelle ? Dans l’entreprise, par exemple, pas certain qu’on la voie. Les collègues de travail provoquent-ils les chrétiens avec qui ils bossent à rendre compte de l’espérance qui les animent ? Peu importe ici, si ce n’est pour situer le cadre dans lequel je pose la question : Quel discours tient-il sur la famille ?

 

Force est de constater que Jésus malmène les liens du sang.

Lc 11, 27-28 « Or il advint, comme il parlait ainsi, qu’une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : "Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés !" Mais il dit : "Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent !" »

Mc 3, 31-35 « Sa mère et ses frères arrivent et, se tenant dehors, ils le firent appeler. Il y avait une foule assise autour de lui et on lui dit : "Voilà que ta mère et tes frères et tes sœurs sont là dehors qui te cherchent." Il leur répond : "Qui est ma mère ? et mes frères ?" Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit : "Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère." »

Outre le renvoi de la fraternité et de la filiation biologique, remarquons que la mère de Jésus, figure tellement exaltée, fait partie de ceux qui veulent faire taire Jésus. On ne le dit jamais, alors même que c’est « parole d’évangile ».

On pourrait aussi faire valoir que selon le mythe de la conception virginale, Marie est mère célibataire, que Joseph est l’homme d’une famille recompose ou décomposée.

Bref, on ne voit guère de quoi fonder le modèle catholique de la famille.

Lc 14, 26 « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. »

Je ne cite pas les parallèles et me contente de ces trois textes explicites. Je ne pense pas que l’on trouverait un passage qui aille dans le sens de la promotion de la famille, si ce n’est la citation de la loi « honore ton père et ta mère », toujours pris dans une controverse avec ceux qui cherchent noise à Jésus, veulent le mettre à l’épreuve ou montrer qu’ils sont justes.

Dans la littérature paulinienne, on parle au moins à cinq reprises d’adoption. Si famille, il y a, ce n’est pas celle du sang, mais celle du Père dont Jésus est « l’aîné d’une multitude des frères ». Rm 8, 29. On sait que ces textes sont plus anciens que les évangiles. Mais ils développent la même théologie. Si famille il y a, c’est pour parler de fraternité, fils et filles d’un seul Père.

Jésus relègue la famille du sang et dessine l’humanité comme famille. Il maintient l’usage du vocabulaire, n’opte pas par exemple pour celui de l’amitié, parce que l’amitié est élective, alors que la reconnaissance de la fraternité universelle s’impose comme une confession de foi : « vous n’avez qu’un seul père » et « vous êtes tous sont frères » Mt 23, 8-9

 

L’évangile ne dit rien de la Sainte Famille. Tout ce que l’on en sait est le modèle de la famille que nous avons projeté dans le ciel. Feuerbach a démonté ce genre d’idéalisation par divinisation dont le christianisme a le secret. Si la Sainte Famille a un sens, ce n’est pas par la canonisation de Jésus, Marie et Joseph, mais comme vocation de l’humanité. C’est une affirmation morale et politique. Il est impossible de vivre autrement qu’en frères si l’on se dit fils du Dieu et Père de Jésus.

Je trouve surprenant que l’on ne considère jamais dans l’Eglise les familles dysfonctionnelles comme naturelles, mais toujours comme des exceptions à ce que devraient être une famille. On a effectivement, loin de ce qu’offre l’observation, idéaliser la famille et tout ce qui n’entre pas dans le cadre merveilleux qu’évidemment elle offre, n’a rien de systémique, comme l’on dit désormais, mais n’est le fait que de moutons noirs.

Alors que l’on fait mine de croire que désormais on se marie par amour, on a oublié que pendant des millénaires et jusqu’à récemment, les femmes étaient l’objet d’échanges entre familles, que les hommes ne choisissaient par leurs conjointes. Il faudrait dater l’émergence du discours catholique sur la famille. La fête liturgique de la Sainte famille est instituée en 1893 et il y a fort à parier que le repli de l’Eglise sur la chambre à coucher pour gouverner les consciences alors qu’elle a perdu son pouvoir sur le monde politique coïncide avec l’inflation familiale qui détermine une si grande partie du discours et de la pratique ecclésiale. (On repère habituellement le début d’une dévotion à la Sainte Famille au Canada, à la fin du 17ème siècle.

On devra sans doute aussi lire un peu de la critique sociologique de la famille. C’est un lieu de transmission par reproduction à tous les sens du terme, et biologique et culturelle. On reproduit le cadre social, les manières de penser, le métier du père, etc. Le culte de la famille, en dehors même de tout aspect religieux est ressort conservateur. Elle consacre jusqu’à récemment la figure de pouvoir du pater familias. Elle inculte une forme de hiérarchie sociale guère démocratique. La crise de l’adolescence est autant celle du devenir adulte de l’enfant que celle de la critique de l’inégalité injuste des positions dans la famille. Et encore, le droit d’aînesse a perdu bien de ses compétences, même si par exemple, plusieurs monarchies demeurent agnatiques. En plus de l’inégalité de rang, il y a celle du sexe.

On sait bien que tous les enfants ne naissent pas d’une union officielle entre un homme et une femme, mais on ne veut juridiquement et pratiquement rien en savoir, avec la présomption de paternité et le refus d’héritage pour les enfants naturels en France jusqu’en 2001. Le mariage dit qui est héritier de sorte que les concubins ne peuvent hériter comme les époux. La famille est sans doute fondée sur les lois du sang, mais pas uniquement. Elle est une fiction juridique. Quelle famille l’Eglise catholique défend-elle ? Celle du sang, contre le propos de Jésus ou une fiction juridique ?

On pourrait imaginer qu’elle trouve dans les familles adoptives, voire recomposées, un modèle plus évangélique que la loi du sang et la primauté autoritaire de l’un sur les autres.

 

La critique de la famille par G. de Lagasnerie, je la repère chez François d’Assise, pas au nom de l’amitié, mais de la fraternité, tout spécialement comme force de subversion, de contestation. Pour François, c’est la subversion évangélique. Il découvre dans la rencontre avec le lépreux ou le loup de Gubbio, la fraternité avec les infréquentables et cela l’amène à contester la société, à la quitter, elle et ses évidences. Cela ouvre de nouvelles manières d’exister en société.

La fraternité selon François est un renversement des valeurs sociales, une contestation, une protestation. Ces valeurs de la cité marchande et bourgeoise d’Assise prétendent pourtant bien être une forme de la fraternité, mais cette dernière n’est possible que par l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas du même monde. Les marchands d’Assise sont frères à condition de ne pas l’être avec tous. Ces valeurs portent en elles un poison qu’elles instillent et la société d’Assise, comme notre monde, vit de ce qu’elle loue pour mieux le rejeter.

« On ne peut comprendre la signification sociologique, et surtout l’importance existentielle de l’invention de nouveaux modes relationnels qu’à condition de l’intégrer à une problématique renouvelée de la question de l’utopie et de l’aspiration à devenir autre. Lorsque nous venons au monde, les cadres sociaux nous précèdent. Nous sommes produits comme sujets vivants et aimants à l’intérieur de formes instituées : la société est là, elle nous entoure et détermine nos manières d’être, de penser et de sentir - et le sentiment que nos vies vécues sont des vies volées, pré-délimitées, soumises au pouvoir de l’autre, que nous avons finalement très peu de prise sur elles hante la théorie politique, l’éthique, et peut-être au fond chacun d’entre nous, intimement. Et si l’amitié comme culture formait l’une des réponses pratiques à la question de la possibilité d’expérimenter d’autres modes de vies ? Si elle fournissait un point d’appui à l’invention de soi, à la possibilité de vivre autrement et donc, en un sens, à sortir de la société. » (pp. 46-17)

 

 

Caravage, La sainte famille avec le Baptiste vers 1605