20/05/2022

Des disciples comme des détectives (6ème dimanche de Pâques)

Comment est-il possible de penser que Jésus est vivant, qu’il est au milieu de nous ? L’évangile de Matthieu répète : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » « Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 18, 20 ; 28, 20) Pourtant, Nous ne voyons jamais Jésus. Pourtant, nous éprouvons notre solitude alors que nous voudrions vivre avec lui.

Ce n’est pas que nous avons mal regardé. Ce n’est pas que nous avons mal cru, que nous ne sommes pas attentifs. C’est notre lot, vivre avec lui sans lui. « Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père. » (Jn 14, 28) Jésus n’est plus avec nous, il est parti. Loin de nous culpabiliser de ne pas le voir, nous devrions, d’après ses dires, nous réjouir de son absence !

Nous devrions dire que les chrétiens sont ceux qui vivent sans Jésus, ou du moins, ceux qui vivent en l’absence de Jésus. Ceux qui ne sont pas chrétiens ne se préoccupent pas de Jésus, de sorte qu’ils vivent comme si Jésus n’existait pas. Les disciples ne sont pas mieux lotis ; ils éprouvent ce que tous vivent, l’absence de Jésus. Mais nous ne nous en satisfaisons pas, nous ne pouvons nous y faire, nous maintenons vivante sa mémoire, tenant en éveil la mémoire du Seigneur, gardant au cœur le souvenir de ses merveilles.

Pourquoi est-ce une bonne chose que Jésus ne soit plus là ? Pourquoi s’en réjouir ? On ne voit pas trop ce que signifierait une personne âgée de 2000 ans. Ce serait un vrai phénomène de foire. Sa seule présence créerait une secte avec des adeptes sans aucun esprit critique. Il n’y a qu’à voir comment l’on se fie ou se défie de personnages célèbres et publics !

Le départ de Jésus crée une rupture qui permet à ceux qui le suivent d’être vivants et responsables. Le départ de Jésus nous met en route. Puisqu’il n’est plus là, c’est à nous, non de le remplacer ‑ on ne remplace pas Jésus ‑ mais de le re-présenter. Sans départ de Jésus, il n’y a pas de disciples ; nous ne serions pas là.

La rupture de son départ désigne aussi le type de vie de Jésus. Rien à voir avec la vie sur terre. Nous parlons de vie parce qu’il faut bien des mots. Mais dire Jésus vivant, ce n’est pas l’imaginer dans le prolongement de son existence il y a deux mille ans. C’est la communion divine, un mode d’existence dont nous ne savons rien, dont nous avons au mieux des indices.

Ainsi, la vie des disciples est une vie de détectives. Nous cherchons les indices de Jésus, les traces de sa vie nouvelle. Non que nous serions les conservateurs d’un passé ou d’une tradition qui imposerait de collecter des indices. Cela reviendrait à la même dérive sectaire que d’être les disciples de l’homme providentiel, Führer, Duce, idole. Chercher les indices de sa vie, c’est faire nos vies plus grandes, plus vivantes. C’est faire de ce monde un lieu où il fait bon vivre, paradis, matin du monde, lorsque Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et c’était très bon.

En cherchant les indices de la vie de Jésus nous transformons nos vies à l’image de la sienne, et c’est cela qui le fait vivant, aujourd’hui, au milieu de nous, et jusqu’à la fin, avec la force de l’Esprit, et cela peut faire du monde un paradis et non une vallée de larmes.

Quatre indices sont sous nos yeux que nous pouvons rassembler comme les pièces d’un puzzle. D’abord, notre assemblée, une communauté où tous sont égaux, frères et sœurs, parce que Jésus est « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29). Puis, les Ecritures, ou plutôt leur lecture. La proclamation d’une parole humaine traversée par ce que nous vivons ‑ la recherche d’indices ‑ devient elle-même indice. Ensuite, rassemblés pour partager le pain de la parole qui est la nourriture que nous recevons à la communion, nous nous tenons en prière. Rien à demander, rien à dire, seulement être là, devant et pour Dieu. Enfin, à l’exemple de Martin et tant d’autres, dans le service des frères, dans le souci des plus pauvres, nous voyons le visage de Jésus.

C’est fragile des indices. Cela ne fait pas une preuve. Mais s’il y a preuve, il n’y a plus besoin de foi. Où l’on croit, où l’on n’a que la faiblesse de croire, la faiblesse des indices, il est possible de se mettre en route pour une vie à l’image de la sienne, renouvelée, ressuscitée.

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