La religion est une chose fort dangereuse, parce qu’elle a à voir avec l’identité, ce que nous sommes. Elle est la forme sacrée de l’identité. Dans la guerre civile en Irlande du Nord, la religion, l’appartenance confessionnelle, sacralise les camps, les identités, protestants et catholiques. En Israël, les arabes sont aussi bien chrétiens que musulmans, mais la dimension religieuse du conflit est centrale. Et avec l’Ukraine encore, l’Ouest du pays, pro-européen a fait sécession avec le patriarcat de Moscou et non l’est russophone. Se joue en outre la revendication de la primauté entre Moscou et Constantinople.
Dans les conflits entre l’Eglise conciliaire et les intégristes, qu’ils soient lefebvristes ou officiellement en communion avec l’évêque de Rome, la question identitaire est centrale, et la forme du rite n’est qu’une manière de dire qui l’on est. Derrière les questions théologiques se cachent des visions politiques qui concernent grandement l’identité.
C’est l’exact contraire de la Genèse. Ce n’est pas l’homme et la femme qui sont à l’image et ressemblance de Dieu, mais Dieu qui est à l’image de ses adeptes, ceux qui se disent tels. Chacun projette dans le ciel une sorte de caution identitaire, idéologie sacralisée.
Lorsque Paul s’adresse aux Athéniens à l’aéropage, il bâtit son discours, d’après Luc, sur l’identification du Dieu dont Jésus est le serviteur avec le dieu inconnu auquel un autel est dressé dans la ville. Par cette identification Paul sort-il de l’anonymat le dieu inconnu, résout-il une énigme ? La foi apporterait les réponses aux questions des hommes demeurées irrésolues. Ou bien fait-il du Dieu de Jésus le Dieu inconnu ? Ce qui caractérise le Dieu de Jésus, c’est son inconnaissabilité.
Non seulement Dieu demeure l’inconnaissable, lui que nul n’a jamais vu, et plusieurs Pères de l’Eglise dont Chrysostome en font un thème central de leur prédication, mais encore, l’inconnaissabilité est peut-être la seule façon d’échapper à la collusion de Dieu avec la religion, avec ce qu’il y a d’identité et d’identitaire dans la religion.
L’évangile de ce jour (Jn 17, 20-26) vient encore ajouter un peu de brouillage à l'image de Dieu. Comment cela, un Dieu unique qui a un fils, en tout comme lui ? Faut-il comme la métaphysique grecque y a conduit les Pères penser trois « personnes » (mot que personne ne comprend en sa juste acception, à part quelques spécialistes !) ou entendre la relation, la communion, l’unité, mieux la force d’unification du Père au Fils et réciproquement ? L’unité déborde le Père et le Fils et concerne l’humanité tout entière.
Entendre ces versets, plutôt que de nous focaliser sur l’identité
de chaque personne divine, pourrait consister à considérer le mouvement, le
lien. Est-ce les personnes qui font la relation, ou la relation qui fait les
personnes ? De notre existence de vivants en relation, nous savons combien
celle-ci nous constituent et nous affectent et nous feignons d’ignorer,
notamment avec l’insistance sur l’individu, ce qui unit au profit de ce qui est
uni, ce qui constitue et fait être au profit de ce qui advient dans la
relation, l'individu.
Dieu n’est pas un quelque chose. Il n’est pas même quelqu’un, si ce n’est analogiquement. Dieu se dit sans doute plus justement par le verbe, expression d’un pur acte ; d’aucune manière il est un étant, un quelque chose qui est, dirait Thomas d’Aquin.
Jésus a passé sa vie à renverser, à la suite des prophètes, les images de Dieu ‑ les idoles, ressemblances de ceux qui les font. Dieu n’est jamais ce que l’on croit, ou alors dans le champ où on ne l’attend pas, le champ de l’effacement et non de l’identité, du don et non de la possession, de la faiblesse et non de la toute-puissance, rebut, non digne de considération.
Dieu n’agit pas efficacement parce qu’il agit par amour, je veux dire, parce qu’il aime, et que l’amour est faible, et que l’amour ne peut rien à qui lui tourne le dos. Il ne peut que demeurer l’inconnaissable. En se disant le serviteur, le fils du Père uni à lui au point de n’être qu’un et d’entraîner dans cette unité le genre humain dont les disciples sont le sacrement, (l’image de) Dieu est changé(e), ce qui veut dire que l’identité n’est pas ce qui nous définit, mais bien davantage, notre docilité ou rébellion à cette énergie d’unification.
Lévinas disait "éthique comme philosophie première". L'ontologie -l'identité- est bien une philosophie de la puissance.
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