La fête de ce jour est appelée Présentation de Jésus au temple. Or pas un verset de notre texte (Lc 2, 22-40) ne parle de Jésus et du temple, comme si les deux mots n’allaient pas ensemble. C’est Syméon qui vient au temple, et un peu plus loin, Anne qui ne le quitte pas.
Lorsque Dieu entre dans le temple, il n’est possible à personne d’y entrer : « Moïse ne put entrer dans la Tente du rendez-vous car la nuée demeurait sur elle, et la gloire du Seigneur emplissait la demeure. » (Ex 40, 35) Même chose avec le temple de Salomon : « Quand les prêtres sortirent du sanctuaire, la nuée remplit le Temple du Seigneur, et les prêtres ne purent pas continuer leur fonction, à cause de la nuée : la gloire du Seigneur remplissait le Temple du Seigneur ! » (1 R 8, 10-11 et Ap 15, 8) Et « il y a ici plus que Salomon ! » (Lc 11, 31)
La lecture de Malachie laisse deviner à quoi s’attendre lorsque Jésus entre dans le temple. « Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? » Rien de cela. Et si Luc ne cite pas le verset d’Osée, il est sur nos lèvres avec le Magnificat qui chante la miséricorde : « C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. »
C’est l’ancien monde qui est au temple, Anne et Siméon, des vieillards. La nouveauté se joue ailleurs. C’est que, comme dit Jean, le temple dont il parlait, c’était son corps.
« Car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous », écrit Paul (1 Co 3, 17). Le temple de Dieu, le lieu de sa présence, c’est sa chair ainsi que le dit en passant la lettre aux Hébreux (10, 20) : « Nous avons là une voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire par sa chair », son humanité.
Avec Jésus, c’est la fin du sanctuaire que découvre la déchirure du voile à sa mort (Lc 23, 45) Certes, lorsqu’il arrive à Jérusalem, il enseigne dans le temple. Or le temple n’est pas fait pour cela mais pour offrir les sacrifices. Et Jésus en chasse les vendeurs qui les rendent possibles. En renversant les étals des marchands, il ne dénonce pas tant la collusion entre argent et religion que l’incompatibilité entre sacrifice (religion) et nouveauté évangélique. « De temple, je n’en vis point, le Seigneur est son temple, ainsi que l'Agneau. » (Ap 21, 22)
L’affaire est d’importance. Elle constitue un élément décisif pour la compréhension de l’évangile. Il n’est une religion qu’en devenant le christianisme. Le christianisme, assurément, est une religion. Mais l’évangile est un refus de ce type de système au point d’être condamné pour blasphème. Il n’y a pas de prêtre, rappelons-le, chez les premiers chrétiens (en grec, temple, ieros, prêtre, iereus). Leur geste n’est pas un rite religieux, mais le partage du pain, qui ne leur pas propre mais commun à tous. Le partage du pain est parabole du partage de la parole (l’homme est le vivant parlant). C’est elle qui se multiplie quand on la partage. On la comprend à la partager. La fraction du pain ouvre les yeux empêchés de reconnaître Jésus comme l’écrit Luc en son dernier chapitre, sur la route d’Emmaüs.
L’affaire est d’importance. Elle exprime la nouveauté évangélique. Il n’y a d’autre accès à Dieu que dans une humanité organisée comme un corps et ses divers membres. (1 Co 11-14). J’entendais il y a peu un prêtre (ancien, sacerdote ?) ouvrir l’eucharistie (sacrifice, action de grâce ?) par ses mots aussi évidents qu’erronés : nous sommes ici parce que nous voulons entrer en contact avec Dieu. Je ne sais ce que signifie être en contact avec Dieu.
Mais Dieu a déserté, il déserte les sanctuaires. Il habite le seul sanctuaire, le corps de son fils, chair pour la vie du monde, ce que les siens deviennent en rompant le pain. C’est lui qui « bâtit la maison » ; la communauté, humanité rassemblée est « construction de Dieu ».
Les disciples qui, dispersés mais ensemble, différents mais unis, habitent l’univers sont le temple dans l’humanité, le « peuple sacerdotal », corps du Ressuscité, relevé en trois jours. Ils n’entrent pas dans le sanctuaire pour prier, offrir les ou le sacrifice. La pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue tête d’angle, écrit Luc littéralement (20, 17). « Il est la tête du corps. » Au milieu du monde et pour le monde les disciples sont le signe visible et actif, le sacrement, de la présence du Seigneur. Le sanctuaire est missionnaire, planté comme une tente de nomades, hôpital de campagne quand menacent les bombes.
Vision de la Jérusalem céleste, BnF 1132, fol. 33, vers 900