31/01/2025

« De temple, je n’en vis point » (Présentation du Seigneur au temple)


 

La fête de ce jour est appelée Présentation de Jésus au temple. Or pas un verset de notre texte (Lc 2, 22-40) ne parle de Jésus et du temple, comme si les deux mots n’allaient pas ensemble. C’est Syméon qui vient au temple, et un peu plus loin, Anne qui ne le quitte pas.

Lorsque Dieu entre dans le temple, il n’est possible à personne d’y entrer : « Moïse ne put entrer dans la Tente du rendez-vous car la nuée demeurait sur elle, et la gloire du Seigneur emplissait la demeure. » (Ex 40, 35) Même chose avec le temple de Salomon : « Quand les prêtres sortirent du sanctuaire, la nuée remplit le Temple du Seigneur, et les prêtres ne purent pas continuer leur fonction, à cause de la nuée : la gloire du Seigneur remplissait le Temple du Seigneur ! » (1 R 8, 10-11 et Ap 15, 8) Et « il y a ici plus que Salomon ! » (Lc 11, 31)

La lecture de Malachie laisse deviner à quoi s’attendre lorsque Jésus entre dans le temple. « Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? » Rien de cela. Et si Luc ne cite pas le verset d’Osée, il est sur nos lèvres avec le Magnificat qui chante la miséricorde : « C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. »

C’est l’ancien monde qui est au temple, Anne et Siméon, des vieillards. La nouveauté se joue ailleurs. C’est que, comme dit Jean, le temple dont il parlait, c’était son corps.

« Car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous », écrit Paul (1 Co 3, 17). Le temple de Dieu, le lieu de sa présence, c’est sa chair ainsi que le dit en passant la lettre aux Hébreux (10, 20) : « Nous avons là une voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire par sa chair », son humanité.

Avec Jésus, c’est la fin du sanctuaire que découvre la déchirure du voile à sa mort (Lc 23, 45) Certes, lorsqu’il arrive à Jérusalem, il enseigne dans le temple. Or le temple n’est pas fait pour cela mais pour offrir les sacrifices. Et Jésus en chasse les vendeurs qui les rendent possibles. En renversant les étals des marchands, il ne dénonce pas tant la collusion entre argent et religion que l’incompatibilité entre sacrifice (religion) et nouveauté évangélique. « De temple, je n’en vis point, le Seigneur est son temple, ainsi que l'Agneau. » (Ap 21, 22)

L’affaire est d’importance. Elle constitue un élément décisif pour la compréhension de l’évangile. Il n’est une religion qu’en devenant le christianisme. Le christianisme, assurément, est une religion. Mais l’évangile est un refus de ce type de système au point d’être condamné pour blasphème. Il n’y a pas de prêtre, rappelons-le, chez les premiers chrétiens (en grec, temple, ieros, prêtre, iereus). Leur geste n’est pas un rite religieux, mais le partage du pain, qui ne leur pas propre mais commun à tous. Le partage du pain est parabole du partage de la parole (l’homme est le vivant parlant). C’est elle qui se multiplie quand on la partage. On la comprend à la partager. La fraction du pain ouvre les yeux empêchés de reconnaître Jésus comme l’écrit Luc en son dernier chapitre, sur la route d’Emmaüs.

L’affaire est d’importance. Elle exprime la nouveauté évangélique. Il n’y a d’autre accès à Dieu que dans une humanité organisée comme un corps et ses divers membres. (1 Co 11-14). J’entendais il y a peu un prêtre (ancien, sacerdote ?) ouvrir l’eucharistie (sacrifice, action de grâce ?) par ses mots aussi évidents qu’erronés : nous sommes ici parce que nous voulons entrer en contact avec Dieu. Je ne sais ce que signifie être en contact avec Dieu.

Mais Dieu a déserté, il déserte les sanctuaires. Il habite le seul sanctuaire, le corps de son fils, chair pour la vie du monde, ce que les siens deviennent en rompant le pain. C’est lui qui « bâtit la maison » ; la communauté, humanité rassemblée est « construction de Dieu ».

Les disciples qui, dispersés mais ensemble, différents mais unis, habitent l’univers sont le temple dans l’humanité, le « peuple sacerdotal », corps du Ressuscité, relevé en trois jours. Ils n’entrent pas dans le sanctuaire pour prier, offrir les ou le sacrifice. La pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue tête d’angle, écrit Luc littéralement (20, 17). « Il est la tête du corps. » Au milieu du monde et pour le monde les disciples sont le signe visible et actif, le sacrement, de la présence du Seigneur. Le sanctuaire est missionnaire, planté comme une tente de nomades, hôpital de campagne quand menacent les bombes.

Vision de la Jérusalem céleste, BnF  1132, fol. 33, vers 900

24/01/2025

Voir le corps du Christ (3ème dimanche du temps)

 


L’aujourd’hui de la parole fait entendre que nous sommes uns, un corps, y compris dans les divisions et les guerres, qu’en filant la métaphore de Paul on dirait maladie, cancer, souffrance. L’aujourd’hui de la parole aide à voir ce que nous sommes ensemble et comment l’être sainement, autrement dit dans la concorde et la paix.

La complémentarité des membres dénonce qui veut tout faire ou ne veut pas de l’autre, dans l’Eglise, la famille, la société. Un Etat qui compte sur les corps intermédiaires a plus de chances de parvenir à la justice. La synodalité de l’Eglise offre la possibilité pour chacun de tenir sa place dans l’assemblée de façon complémentaire. L’attention portée à chacun en famille est un pain dont personne ne peut se passer sans risquer la mort.

Nos existences sont le fruit du service que chacun rend à l’autre. Il n’y a pas de corps social, ecclésial, familial, etc., ni partant d’individu, sans le service rendu dans la complémentarité, le soin du corps. La justice, la santé du corps, passe par le service.

Une toile de Simon Vouet ‑ la cène, dit-on ‑ montre dans la partie supérieure un coin de table autour duquel se pressent les uns et les autres. Jésus est devant le pain et le vin que l’on devine à peine. Le peintre nous place en bas, très en-dessous de la table, que l’on voit depuis le sol. C’est curieux de peindre la cène pour qu’on la voie si mal !

Il faut ouvrir les yeux sur la toile, comme on ne ferme pas les yeux sur chacun des membres du corps. Voir le plus humble et même le moins décent. Voir celui qui est agenouillé, au sol. Une aiguière, un panier avancé par un serviteur. C’est depuis le service que l’on voit le pain et le vin. Paul articule dans les chapitres 11 à 13 de sa lettre le dernier repas de Jésus, la « diversité des services ou ministères », la complémentarité dans le corps et la charité.

On détourne le regard des membres que l’on ne veut pas voir, et on ne les voit pas. Ceux qui les servent sont invibilisés aussi. Pensons à tant de bénévoles d’association, banque alimentaire, soutien scolaire, défense des travailleurs, visiteurs de prison, et tant d’autres, que la Nation ignore alors qu’elle leur doit tant. Le serviteur ne peut pas se montrer, crier qu’il est là. Pourtant, c’est par lui que l’on devine le pain et le vin.

Le peintre force à la conversion du regard comme l’enseignement de Paul. Une histoire de corps qui va de Jésus, au pain en passant par la communauté humaine. Ces trois corps sont inextricablement liés et qui néglige l’un ne peut s’occuper des autres, quoi qu’il en pense. Il est une place, une seule, qui ouvre le regard sur la complémentarité des corps du Christ, ou mieux, sur l’unique corps du Christ qui se montre en cet homme, dans le pain, dans la communauté, et Vouet la désigne, en bon lecteur de Paul, le service. N’est blanc dans la toile, outre la nappe, que l’habit de Jésus et les linges des serviteurs.

Service, esclavage même, lavement des pieds, corps du Christ. « Les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables. Et celles qui passent pour moins honorables sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ; celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment. »

Nous le savons tous, le monde, l’Eglise, nos vies, ne vont pas fort, vont très mal, mais nous ne pigeons pas, nous ne voulons pas voir, conversion du regard, conversion du missionnaire. « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance. » C’est notre santé, notre bonheur qui passe par la place du service de sorte que « si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. » Jouer perso est un non-sens.

L’aujourd’hui de la parole est mission de service : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Pour la libération, il faut ouvrir les yeux, changer de regard, voir le corps. « C’est aujourd’hui que se réalise cette parole de l’Ecriture que nous venons d’entendre. »