12/10/2018

Posséder ou recevoir ? (28ème dimanche du temps)


Qui est cet homme qui s’approche de Jésus et demande comment obtenir la vie éternelle ? On apprend à la fin du récit qu’il est riche, mais c’est évidemment dès le début qu’il arrive habillé correctement, propre. Imaginons la scène pour mieux nous rendre compte. Nous voyons se jeter aux pieds de Jésus un homme qui, même sans ostentation, est mieux vêtu, plus soigné que Jésus qui n’a pas même où reposer la tête. La rencontre est aussi étonnante, dans un sens opposé, que celle de Jésus avec les lépreux. Faut-il comprendre la scène comme une gesticulation, la démonstration d’une impudique humilité, la confiance qui se moque du qu’en dira-t-on ?
Dans le dialogue qui s’engage, l’homme affirme sans vergogne avoir tout fait, avoir tout bien gardé depuis sa jeunesse. Si humilité il y avait dans sa prostration, on se demande ce qu’elle est devenue. Qui peut prétendre avoir, depuis sa jeunesse, toujours gardé les commandements, n’avoir certes jamais tué, voire n’avoir jamais eu de relations sexuelles avec une autre personne que son conjoint, mais encore n’avoir jamais volé, ni dit du mal d’autrui, et avoir toujours considéré avec respect ses parents ?
Je ne sais pas vous, mais moi, cet homme, je ne le sens pas. Je ne sais même s’il a pu exister, si Marc ne nous tend pas un piège à nous en parler. Je crains ceux qui disent « j’ai tout fait » où l’on entend « j’étouffais ». Qu’a-t-il étouffé en lui et chez les autres pour se penser si bien ? Est-ce lui ou Jésus qui est bon ? On en connaît de ces personnes qui ne voient pas pourquoi elles se remettraient en cause, puisqu’elles ont toujours tout bien fait.
Jésus pose son regard sur lui et l’aima. Voilà une note qui nous inviterait à un peu de sympathie pour cet homme, comme Jésus. Mais deux choses intriguent. Jésus pose son regard sur lui. Ne l’avait-il pas vu avant ? Bien sûr que si, puisqu’il lui a parlé, répondu. Serait-ce que Jésus doit s’y prendre à deux fois pour l’aimer, pour ne pas en rester à une première impression, assez détestable, que laisse cet homme ? Pourquoi ce regard second ?
Jésus avait semblé agacé par l’homme, au point de le corriger. « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. » Cela fait un peu beaucoup, cet homme qui accourt et se met à genoux, qui se jette aux pieds de Jésus, forcément démonstrativement, et lui donne du « bon maître ». La Fontaine n’avait pas encore écrit mais l’on savait que les flatteurs vivent aux dépens de qui les écoute. Qu’est-ce qu’il veut, cet homme ?
Avoir la vie ? Croit-il que, comme le reste, cela s’achète pour peu qu’on ait les moyens ? Arrogance des riches, d’autant plus arrogante qu’ils ne se rendent pas compte de l’énormité de ce à quoi ils pensent pouvoir évidemment prétendre, qui imaginent que leur richesse dit leur perfection, comme d’autres se croient justes du seul fait d’être croyants. Et pourtant Jésus l’aime, parce que Dieu est amour, parce que cet homme aussi a besoin de salut. La preuve, il est prêt à faire quelque chose pour avoir la vie éternelle.
Mais la suite du texte, pour sévère et rédhibitoire qu’elle soit à l’encontre des riches : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! […] Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » modifie le propos. Le riche ne vaut plus pour lui-même mais comme type de celui qui a, même peu ; modèle de qui n’a pas à recevoir, de celui qui possède. De façon hyperbolique, c’est tout homme qui se trouve confronter à l’impossibilité. « Pour l’homme c’est impossible. » Vends tout, donne aux pauvres, parce qu’alors, tu seras bien obligé de recevoir. La vie en effet, on ne l’a pas, on n’en hérite pas, on ne l’achète pas, ni avec l’argent, ni avec des mérites, ni avec le respect de la loi ou de la religion. La vie n’est pas une affaire de possession ou de rétribution. La vie est don, gratuit. Personne d’entre nous n’a pu demander à vivre, exiger la vie ou la refuser. Elle nous est advenue, indépendant de nous.
Et les disciples ne comprennent pas mieux que l’homme riche et triste. Qui peut être sauvé ? demandent-ils. Et Pierre revient à la charge, sous prétexte d’avoir tout quitté. Qu’a-t-il quitté, qu’avons-nous quitté pour Jésus ? Soyons honnêtes. La réponse de Jésus est pleine d’ironie, tu auras tout au centuple, avec les persécutions, parce que « pour les hommes, c’est impossible ». Pour les hommes, se donner la vie est impossible. C’est tellement évident, nous le savons tous, et pourtant nous continuons à penser que nous avons quelque chose à faire pour obtenir la vie.
Avec Jésus, il faut recevoir, tendre les mains, comme à l’eucharistie. Dieu donne, Dieu se donne. L’homme selon l’évangile n’est pas le riche, mais le mendiant. Renversement, une fois encore, des valeurs : la richesse n’est pas une bénédiction mais la malédiction qui nous empêche d’accueillir la vie. Ne cherchons pas à avoir, à hériter, fût-ce la sainteté et la vie. Comme de la manne, on ne peut faire des réserves, mais le don se renouvelle chaque matin. Tâchons de le recevoir, de l’accueillir ce Dieu qui se donne. C’est ça vivre.




- Seigneur, nous te prions pour l’Eglise réunie en synode à Rome. Elle veut se faire attentive aux jeunes, se mettre à leur écoute afin que l’évangile puisse être accueilli. Donne-nous ton Esprit pour renouveler l’Eglise.
- Seigneur, les aumôniers de prison sont en ce moment à Lourdes. Prêtres, religieux, laïcs, hommes et femmes, ils sont environ sept cents témoins de la miséricorde à aller visiter les quelques deux cents prisons françaises et les soixante-dix mille détenus. Que notre péché nous aide à savoir accueillir la vie que tu nous donnes.
- Seigneur, nous commençons la semaine missionnaire mondiale. Que notre communauté se sente responsable de l’annonce de l’évangile.

05/10/2018

Jésus n'a jamais parlé du divorce (27ème dimanche du temps)


Des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? ».
Le verset introductif de notre péricope (Mc 10, 2-12) est on ne peut plus clair. Il s’agit de mettre Jésus à l’épreuve. La question posée n’intéresse pas pour elle-même, mais comme occasion de faire que Jésus se casse la figure. On peut, on doit, dans ces conditions, penser que la réponse de Jésus a peu de chance de constituer un enseignement sur le divorce, la possibilité pour un homme de renvoyer sa femme. Il y a fort à parier, que Jésus va d’abord chercher à se sortir du piège, et pourquoi pas, à rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui lui avait posé une chausse-trape.
Et c’est exactement ce qui se passe. Pour se sortir du piège, Jésus renvoie la question. La réponse lui donnera la marche à suivre. Il faut le dire, la réponse de Jésus est conditionnée par le piège et la manière de s’en sortir. Il est pour le moins imprudent d’y chercher, comme on le fait si souvent, un enseignement sur le divorce, et encore moins sur le mariage, puisque de celui-ci, il n’est pas question. Vous imaginez, pour parler du mariage, on commencerait par étudier les conditions du divorce ! Non pas comment éviter le divorce, mais dans quelles conditions y recourir.
La réponse de Jésus, comme il fallait s’y attendre est un piège, réponse du berger à la bergère. Il pousse l’exigence si loin que la question des interlocuteurs devient impossible. Si vous voulez parler des conditions du divorce, sachez qu’elles n’ont d’existence que due à votre dureté de cœur et, qu’à envisager les choses ainsi, on entre dans une logique d’adultère. La question ne concerne d’ailleurs pas que les hommes, les mecs, mais aussi les femmes. Sale manie que cette phallocratie qui ne pense qu’aux mâles. Pensez aussi aux femmes. Et Jésus construit une réciprocité entre homme et femme, qui, certes est exigeante pour les femmes comme pour les hommes, mais laisse entendre que les femmes pourraient aussi plaquer leur mari, sorte de coup de semonce ou de pied-de-nez, puisqu’à l’époque, le nombre de femmes qui répudiaient leur mari devait être à peu près nul.
On doit encore ajouter que l’adultère dans les Ecritures est parabole de l’infidélité à Dieu, d’un comportement apostat. Ainsi, et autrement dit, non seulement votre cœur est dur, non seulement vous êtes adultères, mais vous n’êtes pas des Juifs fidèles à nier Dieu. Mettez-vous à la place des femmes, vous verrez ce que cela fait d’être répudié. Jeu, set et match.
La logique du chapitre 10 dans son ensemble doit être relevée. Entre logique du droit, celui de la répudiation, celui de la récompense parce qu’on a bien fait, et la logique de la gratuité, celle de l’amour, celle des enfants, celle de la guérison et de la grâce, il faut choisir. Si vous voulez parler du mariage en termes de droit et non en termes d’amour, il ne faut pas vous étonner que cela ne marche pas, que cela vous revienne sur le nez. C’est foutu d’avance.
Alors, quand l’Eglise parle du divorce à partir de ces versets, non seulement, elle fait un contresens, une erreur de lecture colossale, mais surtout elle démontre qu’elle pense comme les pharisiens, dans la logique du droit et non de l’amour. C’est l’Eglise, comme les disciples dans ce chapitre, qui est pharisienne. Qu’on se le tienne pour dit.
Ce n’est pas qu’on puisse faire n’importe quoi en matière matrimoniale, cette question n’est pas envisagée par le texte ; mais si l’on veut en parler correctement, si on veut en vivre correctement, que l’on commence à en parler du point de vue de la gratuité, de la grâce, de l’amour et de la justice, comme on parlerait de la vie avec Dieu, loin de la rétribution, au plus prêt de l’accueil sans limite et réciproque, sous le signe de la miséricorde, puisque Dieu est juste et amour.
Si l’on veut être disciple de Jésus, si l’on veut par sa vie de couple être témoins de l’amour de Dieu pour son peuple, alors, qu’on ne fasse du mariage pas une affaire de rétribution ou de droit. Que l’on parle de la vie avec Dieu et les autres sous le signe de l’amour, du pardon et de la justice, parce que c’est ainsi, la vie, une question d’amour et de pardon. Voilà l’enseignement de Jésus.