Quand il s’agit de parler de la Trinité, il n’y a plus grand
monde. C’est compliqué, on n’y comprend rien. Pourtant, dès les premiers écrits
chrétiens, à n’en point douter, Dieu est Père, Fils et Saint Esprit. Ainsi dans
la lettre aux Romains dont nous avons entendu un extrait (8, 14-17), écrite peu après l’an
60, l’Esprit fait de nous des fils qui crions vers le Père de sorte que nous sommes
héritiers avec le Christ. L’évangile de Matthieu est un peu plus tardif, vers
85, et commande de baptiser au nom du Père, du Fils et de l’Esprit.
Pas sûr que la théologie métaphysique, qui plus est sa
vulgate catéchétique, fasse sens. Paul évidemment n’y recourt pas ; il décrit
un mouvement dans lequel nous sommes pris. Dieu n’est pas quelque chose, ni
même quelqu’un en face de nous, séparé de nous. Dire Dieu c’est être entraîné
dans un mouvement, ou si vous préférez, c’est être engendré. Il n’y a pas Dieu
et l’homme, ou l’homme et un dieu comme objet de savoir, il y a une relation
qui est dite d’engendrement.
L’Esprit fait de nous des fils qui crions vers le Père. Non
seulement dire Dieu dans l’Esprit c’est devenir enfants de Dieu, fils et
filles, mais c’est être tournés vers lui, s’adresser à lui pour l’appeler comme
Jésus : Papa. C’est du coup hériter des biens du Père, sa vie. Cet
héritage, si l’on peut reprendre les drôles de mots de Paul – car Dieu ne
meurt pas et ne peut donc laisser un héritage – c’est ce qui appartient en
propre au seul et unique fils. Mais ce fils, Jésus, le partage par la volonté
du Père, et de son propre chef, avec tous ceux qu’il reconnaît comme ses frères
et sœurs, avec toute l’humanité.
En célébrant la Pentecôte, nous notions le jeu de renvois du
Père au Fils et à l’Esprit et l’on doit ajouter que nous sommes nous-mêmes
introduits dans ce jeu de renvois. L’Esprit qui est vie, « qui est
Seigneur et qui donne la vie », nous rend contemporains de Jésus. De sorte
que nous pouvons appeler le Père comme Jésus le faisait, Abba, Papa.
Etre contemporains de Jésus, c’est ce qui advient dans la
pratique chrétienne. Nous ne sommes pas attachés à Jésus comme nous le serions
à un autre grand homme de l’Antiquité ou de l’histoire. Ce que ses disciples
ont laissé depuis les origines et tout au long des âges est d’importance,
certes, mais pas au point d’y jouer toute notre vie. A moins que nous ne
jouions pas notre vie sur Jésus…
Jésus est pour nous un vivant, un contemporain, un
compagnon, un ami, un frère, un époux. Ce qui rend actuelle cette relation avec
cet homme mort il y a deux mille ans, c’est l’Esprit qui a rendu vie à ce
Jésus, c’est l‘Esprit qui nous faits co-héritiers du Christ.
Je ne sais expliquer cette contemporanéité. Je la constate. Nous
sommes attachés à Jésus. Nous n’avons qu’une justification, à cause de Jésus. On
pourra, on devra même se méfier, soupçonner l’illusion. On ne peut jouer sa vie
sur une illusion, on ne peut vendre, sous prétexte de sacré, un produit
contrefait, un mensonge. Et ce d’autant plus qu’en matière de religions, le
merveilleux fait recette.
Je ne sais expliquer cette contemporanéité et constate que
bien des chrétiens en ignorent tout. Ils sont chrétiens parce qu’il faut bien
une religion et qu’ils sont nés dans un pays de tradition chrétienne. Foi
sociologique, peut-être pas inutile comme garde-fou moral, encore que l’on
puisse en douter quand on voit les turpitudes cléricales (que l’on pense, comme
ultime exemple, à la démission de l’ensemble des évêques du Chili).
Je ne sais expliquer cette contemporanéité qui reste marquée
de la faiblesse qu’oblige à constater le risque d’illusion. Mais enfin, à travers
les âges, y compris avec un esprit critique développé, des hommes et des femmes
ont été des passionnés de Jésus, ont traversé l’existence comme ses frères et sœurs,
ses amis. Et cela les portait au service
de ceux qu’ils recevaient de cette fraternité avec le Christ comme frères et sœurs.
Ainsi donc, le jeu de renvoi du Père au Fils et à l’Esprit,
et inversement, et réciproquement, nous fait entrer dans la vie de Dieu même. Etre
disciples du Dieu Trinité, c’est vivre déjà, un peu, dans la pénombre certes,
dans la nuit dit même Jean de la Croix, de la vie-même de Dieu, de Dieu lui-même.
Vivre de Dieu, voilà notre vie, même si c’est de nuit. Et c’est ainsi que nous
ne pouvons que vivre la fraternité avec tous. Vivre de Dieu c’est équivalemment
notre vie et la fraternité avec tous les co-héritiers du Christ, avec tous.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire