Dans l’évangile de Jean, la mère de Jésus apparaît deux
fois, au chapitre deux, à Cana (2, 1-11) et au chapitre dix-neuf à la croix.
Après-premier chapitre et avant-dernier, belle symétrie, si du moins on accepte
avec les spécialistes de considérer le chapitre vingt-et-un comme un ajout. A Cana,
il est question de vin et d’eau, à la Croix de vinaigre, de sang et d’eau. A
Cana, il y eut des noces ; à la croix, la mère reçoit un fils et le disciple
une mère.
La mère de Jésus n’est jamais nommée. Nous n’aurions que l’évangile
de Jean, nous ne connaîtrions pas son nom. Il en va de même pour l’ensemble du
Nouveau Testament ; seuls Matthieu, Marc et Luc, sur les vingt-sept livres
qui le constituent, donnent son prénom, Marie.
Pour la tradition catholique, pour la dévotion populaire en
catholicisme, la place de Marie est telle que l’on oublie sa quasi absence scripturaire.
Nous en venons même à juger que de ne pas en parler autant que les orthodoxes
et les catholiques, c’est ne pas croire à la Vierge Marie. C’est ce que nous rabâchons
sans cesse à propos des protestants. En cette semaine de prière pour l’unité
des chrétiens, nous pourrions au moins éradiquer cette contre-vérité. Tout
comme nous, les protestants et l’ensemble des chrétiens professent la foi rassemblée
par le symbole de Nicée-Constantinople : « il est né de la Vierge
Marie ».
Parler de la mère de Jésus, c’est automatiquement parler de
Marie. Je nous invite à respecter la logique de Jean. S’il ne l’appelle pas par
son nom, s’il ne la convoque qu’à Cana et à la croix, ce n’est pas pour rien.
(Remarquons qu’il en est un autre qui n’a pas de nom, c’est « le disciple
que Jésus aimait ». Là encore la tradition le nomme, mais pas l’évangéliste.)
Ici, la mère, c’est la femme. A Cana comme à la croix, Jésus
s’adresse à sa mère en l’appelant femme. C’est plus curieux encore que l’omission
du prénom de Marie. Ici la mère, c’est la femme, la vivante qui donne la vie, Eve.
Ici, la mère c’est l’humanité qui donne sa chair à Jésus, le fils de l’homme.
La mère de Jésus, ce n’est littéralement pas Marie en Jean, c’est la mère du fils
de l’homme, celle dont il reçoit son humanité, comme chacun de nous, la mère
humanité.
Cana annonce une alliance nouvelle en signe : le bon
vin est enfin servi alors que la fin des temps est inaugurée, que le récit désigne
comme la fin du repas. Le contexte des noces nous aide à le comprendre ; « il
y eut des noces à Cana de Galilée » puisqu’il s’agit d’alliance.
A lire le texte avec un minimum d’attention, on constate qu’il
n’y a pas d’épouse pour ce mariage. Cela se peut-il ? La seule femme
présente est celle que l’évangile appelle femme
ou mère de Jésus. On remarque encore que
l’on ne sait rien du marié. Il est mentionné à la fin, et ne répond pas à la
question qui lui est posée. Qui donc est-il ? Voilà décidément un drôle de
mariage : il n’y a pas d’épouse et le marié est inconnu, anonyme.
Il n’y a pas besoin d’être maître en Israël, comme dira
Jésus à Nicodème au chapitre suivant, il n’y a pas besoin d’être spécialiste
des Ecritures pour se douter que les noces ne sont pas celles d’un homme et d’une
femme, puisqu’ils sont inconnu ou absente, mais celle de l’humanité avec le fils
de l’homme, de la femme avec le fils de l’homme. Lorsque l’alliance sera effectivement
scellée, à la croix, la mère recevra un fils, le disciple que Jésus aimait.
Des noces de l’humanité avec Dieu, si vous me permettez d’user
de ce raccourci, surgit une humanité nouvelle, celle du disciple bien-aimé. L’humanité
en lui trouve une descendance, un sens, une vocation ; l’humanité en est
renouvelée. Tout homme est appelé à être, est appelé tout court, disciple,
disciple bien-aimé.
Ce que Cana annonce comme signe, la croix le manifeste. Dieu
épouse l’humanité de sorte qu’il la rend à la vie et à la fécondité, la libère
de la mort et de la stérilité. Dans la figure du disciple bien-aimé, tous les
fils de l’humanité, l’humanité elle-même est appelée à se découvrir fille, fils
bien-aimé. C’est ainsi avec Jésus, la vie vient toujours après la mort.
Alors, je le redis, que nous nous unissons à la prière de
tous les chrétiens pour l’unité entre eux et entre leurs Eglises, de Cana à la
Croix se dessine l’unité réconciliée et féconde du genre humain, où chacun est
disciple bien-aimé. Comment pourrions-nous porter semblable bonne nouvelle,
nous qui nous disons explicitement disciples, à ne pas déjà célébrer l’unité de
nos Eglises, l’unité dans nos communautés ?
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