04/01/2019

« L’effacement soit ma façon de resplendir » (Epiphanie du Seigneur)


Platon et Aristote à sa suite recommandent de s’étonner. C’est ainsi que commencerait la philosophie. Le même verbe grec, je crois, est utilisé par les évangiles pour dire l’admiration et la stupéfaction que provoque Jésus, tout particulièrement bien sûr, lorsqu’il passe en faisant le bien, guérissant, soulageant, pacifiant, réconciliant.
Or nous connaissons si bien les textes, ou croyons les connaître, que plus rien ne nous étonne. Ainsi, le vieux prêtre de la private joke de curés tourne les pages de son bréviaire, passant les psaumes en revue : « connu, connu ». Nous sommes d’autant moins étonnés qu’il y a tant de choses étonnantes dans les évangiles et les Ecritures ; si l’on commençait à s’arrêter à chacune, on ne goberait plus rien, on ne croirait plus rien.
C’est le comble. Le texte ne cesse de provoquer à la surprise et nous nous sommes accoutumés à celle-ci au point de ne plus être surpris. Alors que Jésus vient de naître, loin de toute urbanité, de la salle commune, des berges, d’après Luc, débarquent avertis par des anges. Chez Matthieu ce sont « des mages venus d’Orient », avisés par une étoile, aussi immédiatement que par un faire-part électronique !
La question n’est pas de savoir si l’épisode des mages historique ou non, mais de ne pas rater l’étonnement, l’émerveillement. Matthieu, plus encore que Luc, situe les chapitres de l’enfance en milieu juif. Les prophètes ont été particulièrement et abondamment cités. La généalogie de Jésus remonte à Abraham et non à Adam, proto-type, si l’on peut dire.
Et voilà que des étrangers s’inclinent devant l’enfant juif. On n’est pas à Jérusalem mais dans la montagne de Bethléem : on se rappelle cependant la prophétie d’Isaïe : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi. » Ou encore Zacharie : « Ainsi parle le Seigneur Sabaot. Il viendra encore des peuples, et des habitants de grandes villes. Et les habitants d'une ville iront vers l'autre en disant : Allons donc implorer la face du Seigneur et chercher le Seigneur Sabaot ; pour ma part, j'y vais. Et de nombreux peuples et des nations puissantes viendront chercher le Seigneur Sabaot à Jérusalem et implorer la face du Seigneur. Ainsi parle le Seigneur Sabaot. En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations saisiront un Juif par le pan de son vêtement en disant : Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous. »
Voilà l’incroyable de ce que nous venons d’entendre et de Noël. Le germe d’Israël, le premier-né des morts, ne concerne pas que les Juifs. Il est pour toutes les nations. Matthieu l’écrit dès le deuxième chapitre de son texte, lui qui n’a pas pris le temps de raconter la naissance, même si c’est la résurrection et l’accueil par les païens qui rendent possible la convocation de l’humanité à la maison du pain, Bethléem. Jésus est déjà pain de vie.
Bien sûr, cet universalisme est à double tranchant. Car si l’on se réjouit à confesser que « Dieu ne fait pas acception de personne » ‑ petite expression qui revient mot pour mot six fois dans le Nouveau Testament ‑, si l’on rend grâce, fait eucharistie de ce que Jésus est lui-même le présent de Dieu pour que tous aient la vie, on craint les conquêtes missionnaires, les parts de marché gagnées ou perdues, comme autant de batailles bellicistes ou de croisades.
La présence de Dieu en la chair, en notre monde, ne peut devenir, quoi qu’il en ait été, la source d’une puissance, le talisman de la victoire qui écrase ceux qui ne sont pas des nôtres. Le Premier Testament raconte dans le livre de Samuel le sort réservé à ceux qui se servent de la présence du Seigneur, l’arche sainte, comme d’une puissance.
Ce n’est pas qu’à cause de ses péchés qu’Israël est un petit reste. Ce n’est pas à cause de ses péchés que l’Eglise ne peut que diminuer (quoi que l’actualité nous rappelle). C’est pour ne pas trahir la présence de Dieu, ne pas trahir son Dieu, dans la faiblesse, jamais dans la force, comme le nourrisson dont il faut prendre soin. Pour être présent, Dieu s’efface. « L’effacement soit ma façon de resplendir » (P. Jaccottet) La manifestation, l’épiphanie de Dieu, c’est dans la chair, partant dans la mort aussi. Etonnons-nous encore : il y a de la myrrhe parmi les présents (c’est le cas de le dire) des mages.
« Je ne laisserai subsister en ton sein qu'un peuple humble et modeste, et c'est dans le nom du Seigneur qu’il cherchera refuge » (So) La mission, être les témoins au milieu des nations, par la petitesse, que « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son fils. »

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