Platon et Aristote à sa suite recommandent de s’étonner. C’est
ainsi que commencerait la philosophie. Le même verbe grec, je crois, est
utilisé par les évangiles pour dire l’admiration et la stupéfaction que
provoque Jésus, tout particulièrement bien sûr, lorsqu’il passe en faisant le
bien, guérissant, soulageant, pacifiant, réconciliant.
Or nous connaissons si bien les textes, ou croyons les
connaître, que plus rien ne nous étonne. Ainsi, le vieux prêtre de la private joke de curés tourne les pages
de son bréviaire, passant les psaumes en revue : « connu, connu ».
Nous sommes d’autant moins étonnés qu’il y a tant de choses étonnantes dans les
évangiles et les Ecritures ; si l’on commençait à s’arrêter à chacune, on
ne goberait plus rien, on ne croirait plus rien.
C’est le comble. Le texte ne cesse de provoquer à la
surprise et nous nous sommes accoutumés à celle-ci au point de ne plus être surpris.
Alors que Jésus vient de naître, loin de toute urbanité, de la salle commune, des
berges, d’après Luc, débarquent avertis par des anges. Chez Matthieu ce sont « des
mages venus d’Orient », avisés par une étoile, aussi
immédiatement que par un faire-part électronique !
La question n’est pas de savoir si l’épisode des mages historique
ou non, mais de ne pas rater l’étonnement, l’émerveillement. Matthieu, plus
encore que Luc, situe les chapitres de l’enfance en milieu juif. Les prophètes ont
été particulièrement et abondamment cités. La généalogie de Jésus remonte à
Abraham et non à Adam, proto-type, si l’on peut dire.
Et voilà que des étrangers s’inclinent devant l’enfant juif.
On n’est pas à Jérusalem mais dans la montagne de Bethléem : on se
rappelle cependant la prophétie d’Isaïe : « Les nations marcheront
vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux
alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi. »
Ou encore Zacharie : « Ainsi parle le Seigneur Sabaot.
Il viendra encore des peuples, et des habitants de grandes villes. Et les
habitants d'une ville iront vers l'autre en disant : Allons donc implorer
la face du Seigneur et chercher le Seigneur Sabaot ; pour ma part, j'y
vais. Et de nombreux peuples et des nations puissantes viendront chercher le
Seigneur Sabaot à Jérusalem et implorer la face du Seigneur. Ainsi parle le
Seigneur Sabaot. En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations
saisiront un Juif par le pan de son vêtement en disant : Nous voulons
aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous. »
Voilà l’incroyable de ce que nous venons d’entendre et de
Noël. Le germe d’Israël, le premier-né des morts, ne concerne pas que les
Juifs. Il est pour toutes les nations. Matthieu l’écrit dès le deuxième
chapitre de son texte, lui qui n’a pas pris le temps de raconter la naissance, même
si c’est la résurrection et l’accueil par les païens qui rendent possible la convocation
de l’humanité à la maison du pain, Bethléem. Jésus est déjà pain de vie.
Bien sûr, cet universalisme est à double tranchant. Car
si l’on se réjouit à confesser que « Dieu ne fait pas acception de
personne » ‑ petite expression qui revient mot pour mot six fois dans
le Nouveau Testament ‑, si l’on rend grâce, fait eucharistie de ce que
Jésus est lui-même le présent de Dieu pour que tous aient la vie, on craint les
conquêtes missionnaires, les parts de marché gagnées ou perdues, comme autant
de batailles bellicistes ou de croisades.
La présence de Dieu en la chair, en notre monde, ne peut
devenir, quoi qu’il en ait été, la source d’une puissance, le talisman de la
victoire qui écrase ceux qui ne sont pas des nôtres. Le Premier Testament raconte
dans le livre de Samuel le sort réservé à ceux qui se servent de la présence du
Seigneur, l’arche sainte, comme d’une puissance.
Ce n’est pas qu’à cause de ses péchés qu’Israël est un
petit reste. Ce n’est pas à cause de ses péchés que l’Eglise ne peut que
diminuer (quoi que l’actualité nous rappelle). C’est pour ne pas trahir la
présence de Dieu, ne pas trahir son Dieu, dans la faiblesse, jamais dans la
force, comme le nourrisson dont il faut prendre soin. Pour être présent, Dieu s’efface.
« L’effacement soit ma façon de resplendir » (P. Jaccottet) La
manifestation, l’épiphanie de Dieu, c’est dans la chair, partant dans la mort
aussi. Etonnons-nous encore : il y a de la myrrhe parmi les présents (c’est
le cas de le dire) des mages.
« Je ne laisserai subsister en ton sein qu'un peuple
humble et modeste, et c'est dans le nom du Seigneur qu’il cherchera refuge »
(So) La mission, être les témoins au milieu des nations, par la petitesse, que « Dieu
a tant aimé le monde qu’il lui a donné son fils. »
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