Je viens de lire les
pages, citées plus bas, de Christoph Theobald. Je les trouve remarquables et
souhaite les faire connaître. Je me permets cependant telle ou telle
modification qui me permet d’assumer pleinement le propos. Vous aurez donc les
deux versions, si je puis dire, la mienne puis sa source, celle de Christoph.
Il s’agit d’affronter, en quelque sorte à mains nues, le
Dieu caché et silencieux, celui qui se communique dans l’appel universel à la
sainteté, entendu et accompli par son Fils Jésus ; ce Dieu donné depuis
toujours et inscrit dans notre histoire infiniment diversifiée et complexe
comme l’arrière-plan d’une vie dans l’Esprit.
On peut approcher la radicalité de l’évangile en retraversant
les « fins » ou « seuils » passés par l’humanité à l’époque
moderne : la « fin de la religion » comme englobant de toute existence
humaine, l’affrontement aux violences extrêmes ‑ génocides, totalitarismes
(avec l’expérience, faite dans les camps, d’une fraternité qui n’a pas pu être totalement
subvertie) pédocriminalité ‑ et, enfin, la mondialisation avec la conscience
que notre monde est le seul dont nous disposons (nous prenons collectivement
conscience de l’unicité de notre planète, et cela d’autant plus clairement que
des menaces de toutes sortes pèsent sur sa survie).
Désormais, rien ne nous oblige plus à faire intervenir Dieu
dans la gestion de nos existences individuelles et collectives ; son
in-évidence renvoie chacun à la liberté de sa conscience ; mais pour ceux
qui se risquent à le nommer, ou qui constatent qu’ils ne peuvent faire autrement
que de le prononcer, le mot « Dieu » reçoit alors une singulière
signification ‑ à proprement parler inouïe – une signification qui se
forme, dans et grâce à l’histoire, au croisement de l’épreuve du silence divin,
de la présence de la sainteté dans notre monde et d’un indéracinable désir de vie
et de paix pour chacun de nous et commun à tous.
Si cette vertigineuse radicalité conduit aujourd’hui chaque
chrétien à devenir un « mystique » qui fait véritablement une
expérience de l’intimité de Dieu, celle-ci n’est pas à chercher dans des hauteurs
réservées à quelques élites, ni dans quelque chose qui serait repérable,
objectivable, ou perceptible comme une expression sensible, mais dans les
fragments de l’existence quotidienne ou la bonté radicale ou toujours nouvelle
de Dieu ne cesse de se manifester à celui auquel l’évangile et la bonté fraternelle
apprennent à se fier même à ce que l’œil ne peut percevoir. Il découvre, jamais
seul mais toujours avec des frères et sœurs, d’hier et d’aujourd’hui, que « l’homme
passe l’homme infiniment », et que ce dépassement qui est lui-même n’est cependant
pas lui, mais celui qu’il s’aventure à nommer Dieu. Le ministère d’une Eglise
décentrée consiste précisément à « détecter » cette radicalité au
sein de la société, grâce à son « annonce évangélique » et dans sa
présence « diaconale », les deux étant toujours intimement liées,
comme les gestes et les paroles du Christ Jésus.
Sur ce chemin, la
liturgie s’inscrit dans la nomination de Dieu évoquée à l’instant et la rend
publique. Elle conduit l’homme croyant jusqu’à un dessaisissement ultime par rapport
à tout ce qu’il est et reçoit, y compris ce qu’il pense et ce qu’il parvient à
dire de sa foi, et elle l’aide ainsi à accéder communautairement au mystère de
la gratuité absolue qui constitue l’intimité même de Dieu. […] Une « inversion » se produit ici au cœur même
de la foi, c’est cela la conversion : Dieu « devient » source
abyssale et mystérieuse de notre accès à notre intimité ; nous découvrons
qu’il nous précède, inversion qui est constitutive de toute expérience de
gratuité. Regardée de l’extérieur, la
vision du dessein de Dieu ne peut être considérée que comme un mythe ;
approchée de l’intérieur à partir de
l’expérience d’une « remontée » et d’une « inversion »,
gratuitement accordée par Dieu et librement réalisée par le croyant, elle ne
peut échapper au vocabulaire du mythe pour se dire, mais elle trouve sa
crédibilité interne, tout en montrant
ses fruits historiques dans une
manière modeste et réelle de dépasser, ici et maintenant, les violences
humaines par une hospitalité vécue.
Ajoutons que cette expérience ultime est l’unique antidote
contre l’instrumentalisation de la foi, toujours possible, et contre la violence
subtile que cette instrumentalisation représente. Si la foi accède effectivement
à l’intimité même de Dieu, elle ne le sait qu’après coup, en étant entrée en même
temps dans une souffrance spécifique, non pas narcissique ou masochiste, mais donnée avec l’exposition
divine à toute forme d’usage irrespectueux de la foi, mais aussi au manque de
Dieu repéré précédemment comme caractéristique de l’époque, la gratuité n’ayant
d’autre défense et expression que la gratuité.
C. Theobald, Urgences pastorales, Comprendre, partager,
réformer, Bayard, Paris 2017, pp. 91-94
Il s’agit d’affronter, en quelque sorte à mains nues, le
Dieu caché et silencieux, celui qui Se communique dans l’appel universel à la
sainteté, entendu et accompli par son Fils Jésus ; ce Dieu donné depuis
toujours et inscrit dans notre histoire infiniment diversifiée et complexe
comme son arrière-plan spirituel (ou « pneumatologique » dans le
langage des théologiens).
On peut approcher cette « radicalité » de la
révélation chrétienne en retraversant les « fins » ou « seuils »
passés par l’humanité à l’époque moderne : la « fin de la religion »
comme englobant de toute existence humaine, l’affrontement aux totalitarismes
(qui se sont installés dans ce « vide » de Dieu) avec l’expérience,
faite dans les camps, d’une fraternité qui n’a pas pu être subvertie et, enfin,
la mondialisation avec la conscience que notre monde est le seul dont nous
disposons. Comme chacun de nous fait l’expérience de sa propre unicité dès que
l’approche de sa mort lui fait comprendre qu’il n’a qu’une seule vie, ainsi
prenons-nous collectivement conscience de l’unicité de notre planète, et cela d’autant
plus clairement que des menaces de toutes sortes pèsent sur sa survie.
Désormais, rien ne nous oblige plus à faire intervenir Dieu dans la gestion de
nos existences individuelles et collectives ; son in-évidence renvoie
chacun à la liberté de sa conscience ; mais pour ceux qui se risquent à le
nommer, le mot « Dieu » reçoit alors une singulière signification ‑ à
proprement parler inouïe – une signification qui se forme, dans et grâce à
l’histoire, au croisement de l’épreuve du silence divin, de la présence de la
sainteté dans notre monde et d’un indéracinable désir de bonheur pour chacun de
nous et commun à tous.
Si cette vertigineuse radicalité conduit aujourd’hui chaque
chrétien à devenir un « mystique » qui fait véritablement une
expérience de l’intimité de Dieu, celle-ci n’est pas à chercher dans des hauteurs
réservées à quelques élites, mais dans les fragments de l’existence quotidienne
ou la Bonté radicale ou toujours nouvelle de Dieu ne cesse de se manifester à celui auquel la foi apprend à la percevoir.
Le ministère d’une Eglise décentrée consiste précisément à la « détecter »
au sein de la société, grâce à son « annonce évangélique » et dans sa
présence « diaconale », les deux étant toujours intimement liées,
comme les gestes et les paroles du Christ Jésus.
Sur ce chemin, la
liturgie s’inscrit dans la nomination de Dieu évoquée à l’instant et la rend
publique. Elle conduit l’homme croyant jusqu’à un dessaisissement ultime par rapport
à tout ce qu’il est et reçoit, y compris la planète que nous habitons, et elle
l’aide ainsi à accéder communautairement au mystère de la gratuité absolue qui
constitue l’intimité même de Dieu. […] Une « inversion » se produit ici au cœur même de la foi : Dieu « devient »
source abyssale et mystérieuse de notre accès à notre intimité ; nous
découvrons qu’il nous précède, inversion qui est constitutive de toute
expérience de gratuité. Regardée de l’extérieur,
la vision du dessein de Dieu ne peut être considérée que comme un mythe ;
approchée de l’intérieur à partir de
l’expérience d’une « remontée » et d’une « inversion »,
gratuitement accordée par Dieu et librement réalisée par le croyant, elle
trouve sa crédibilité interne, tout
en montrant ses fruits historiques
dans une manière modeste et réelle de dépasser, ici et maintenant, les violences
humaines par une hospitalité vécue.
Ajoutons que cette expérience ultime est l’unique antidote
contre l’instrumentalisation de la foi, toujours possible, et contre la violence
subtile que cette instrumentalisation représente […]. La foi accède à l’intimité
de Dieu ou n’y accède pas. Si elle y accède effectivement, elle entre en même
temps dans une souffrance spécifique, non pas narcissique, mais donnée avec l’exposition
divine à toute forme d’usage irrespectueux, la gratuité n’ayant d’autre défense
que la gratuité.
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