De la rencontre pour préparer cette célébration, je retiens
deux points. Il y a des croyants et des non-pratiquants, voire des
non-croyants. Croire est chose bien difficile. Même l’homme ou la femme de foi
est saisi par le doute, c’est pourquoi l’espérance est plus accessible que la
foi. Péguy avait écrit sur l’espérance qui étonne Dieu. Aussi avons-nous choisi
un texte sur l’espérance, et un autre sur la foi… ou la non-foi (Rm 5, 5-8 ;
Jn 20, 24-29)
Est-il si sûr que la foi soit impossible, si difficile que même le
disciple décidé de Jésus en vienne à douter ? Qu’appelle-t-on croire ?
S’agit-il d’affirmer des choses qui défieraient la raison et l’expérience :
conception virginale, résurrection, transsubstantiation, Trinité, etc.
L’évangile en perdrait tout sens, et il faut sans doute se réjouir de ce que si peu se disent croyants. C’est peut-être la chance de l’évangile pour qu’on l’entende aujourd’hui.
Thomas, comme les dix autres, est enfermé, barricadé. Qui ouvrira une issue ? Qui les libèrera de leurs certitudes et de leur entêtement : « Non, je ne croirai pas. »
La foi, c’est l’écoute d’une parole originelle : cela ne vient pas de nous mais nous advient, sans que l’on sache d’où ni comment. Foi, confiance en une parole originelle : il est bon que tu vives. Qui pourra l’entendre ? Malgré le mal et la maladie, malgré la violence et la dépendance, malgré le mal que tu as commis, il est bon que tu sois là.
Qui d’entre nous peut, sans flagornerie, accueillir cette parole transmise, rendue audible, par tous ceux qui nous ont aimés et nous aiment ? Le nom de Dieu ne se laisse deviner que par ceux qui se rappellent le commencement du livre de la Genèse. Pas besoin de connaître Dieu pour être croyant. Inversement, on peut excellemment connaître le catéchisme, le défendre, et ne jamais s’abandonner à croire, se livrer à la parole source qui coule en nous depuis toujours : Il est bon que tu vives.
Douter de cette parole c’est sombrer dans l’abîme, pactiser avec l’abîme. C’est s’empêcher de susurrer aux autres, qui ont besoin de nous pour entendre et se livrer, croire, à la parole originelle : il est bon que tu vives. Dans l’abîme pourtant circule encore cette parole puisque Jésus a cru qu’il recevait d’aimer jusqu’au bout. Voilà la parole de résurrection.
Ce n’est pas une espérance pour demain, mais la possibilité de traverser aujourd’hui le mal, la maladie, la souffrance, l’injustice, la mort. Quant à la vie après la mort, si cela est, ça se passe en Dieu. Comme Dieu, personne ne l’a jamais vu ; il est guère possible d’en parler.
Le poète nous a trompés : il n’y a pas ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas. La question est de se fier ou non à la parole originelle, peu importe comment ou s’ils la nomment, peu importe comment et où ils l’ont entendue, dans quel abîme, sur quel sommet d’incandescence. C’est maintenant que s’ouvrent les portes de la vie ‑ où le réflexif désigne, aussi précisément que discrètement, la source de la parole. Au fond de votre deuil se fait entendre aussi, encore, qu’il est bon que nous vivions. Seul l’amour dit cela.
On entend dans l’évangile que pour être sauvé il faut croire. Non que la vie éternelle serait la récompense d’une vie croyante. Dieu ne décerne pas de prix. Et mieux vaut sans doute être athée que de penser un tel Dieu, c’est sacrilège. La foi est don, au sens où l’on est doué, don à entendre l’appel originel, l’amour originel.
« Quelque chose commence aujourd’hui, dans l’éternel aujourd’hui du Fils de l’homme, où tous les dieux partent en fumée, où tous les pouvoirs sont subvertis, où la sagesse avoue sa folie et où les hommes pieux sont bouleversés, quelque chose où le Dieu créé par les humains se défait dans cette apparition inimaginable : le fascinant et terrifiant s’est résolu en ce Visage d’homme où tout visage humain peut être reconnu, en cette Parole où toute parole peut être entendue, où le moindre des humains, enfin, a la dignité du Dieu par-delà tous les dieux.
Ainsi naît une humanité délivrée de l’enfer. » (M. Bellet Translation, 72)
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