17/07/2020

Offrir nos corps comme une flûte où chante l’Esprit (16ème dimanche du temps)

Durant le confinement, alors que la pandémie brouille tous les repères, manifeste à tous ce qu’est la science, une recherche sans cesse contredite, rend violemment évidente la fin des certitudes, beaucoup, de par le monde, ont besoin de se raccrocher à un puissant secours, à un roc inébranlable. Rien de mieux que la religion, qu’il s’agisse des traditions immémoriales ou des bricolages improvisés.

On a assisté, y compris dans l’Eglise, à des expressions plus que curieuses, mariant la technique dernier cri et les superstitions qu’on croyait d’un autre âge. Même des évêques s’y sont hasardés, brandissant l’ostensoir depuis un hélicoptère au-dessus de cités violemment touchées par le virus. Des neuvaines aux saints les moins attestés se sont développées sur les réseaux sociaux. On a sorti les reliques médiévales : or, on n’est plus au Moyen-âge. A faire en 2020 comme il y a six ou sept cents ans, on fait différemment ; pensant être traditionnels, on innove... ou plutôt, on renoue avec l’archaïque, ce qui en religion s’appelle paganisme. On s’imagine chrétien et l’on est païen.

Est-ce cela la prière ? La question mérite d’être posée à l’aune de la deuxième lecture (Rm 8, 26-27). « Nous ne savons pas prier comme il faut. » S’il est acquis que la prière n’est pas notre œuvre, n’est pas une œuvre, mais grâce, don de l’Esprit, est-il légitime de regarder de haut la débauche superstitieuse à laquelle nous avons assisté. A travers les mots et les rites les moins orthodoxes, l’Esprit prie en nous parce qu’il « vient au secours de notre faiblesse ».

Il convient alors de considérer moins ce que l’on a fait pour prier que la disposition qui était la nôtre. L’Esprit « intercède pour nous » « et les fidèles ». Il transforme notre faiblesse en « gémissements ineffables ». Nos cris sont les siens. Notre attente d’un secours permet qu’il prie en nous, si nous reconnaissons ne plus rien maîtriser, si nous nous abandonnons.

Si ces prières, gestes et rites ont prétendu avoir une efficacité contre la pandémie, ils étaient païens, dévoiement de ce que l’Eglise a de plus cher, avec le service, l’eucharistie. Si ces prières signaient notre renoncement à tout maîtriser y compris Dieu, elles étaient confiance ‑ ta foi t’a sauvé ‑ même indéterminée, et l’Esprit s’en est emparé. Nombre de ceux, quelle que soit leur tradition religieuse, qui ont ainsi fait confiance à celui qui pouvait les sauver sont entrés par l’Esprit dans le mouvement même du Fils : sa violente clameur et ses larmes, ses implorations et des supplications sont devenues les leurs. (cf. He 5, 7).

Voilà de quoi nous décomplexer. Mais si l’on relativise ainsi les formes que prend notre prière, il n’est plus possible de penser que l’on prie plus ou moins bien, plus ou moins. Il n’y a plus de super prières, de rites plus efficaces que les autres. Inutile et même sot de promener le saint sacrement en hélicoptère, de monter sur les toits ou clochers des églises pour bénir la cité avec un ostensoir, de sortir des placards les reliques médiévales.

Si l’on ne sait pas prier comme il faut, il est inutile de vouloir bien faire, il est même païen de penser que l’on peut bien faire, mieux faire, faire plus. La prière n’est pas une œuvre. Elle est fondamentalement disponibilité, passivité. Nous prêtons notre corps à l’Esprit qui souffle en nous comme en une flûte, un cor, une trompe ou une corne, la louange que le Fils rend au Père.

Si l’on doit bien faire, ce n’est pas à faire plus, mais plutôt moins, ce que la tradition appelle passivité, s’abandonner à l’Esprit qui prie en nous et « vient au secours de notre faiblesse ». Ce n’est pas nous qui prions. D’ailleurs, « nous ne savons pas prier comme il faut ». Prier, c’est s’en remettre au seul orant, ce que fait l’Esprit en nous.

On pourra réciter des prières, on pourra danser ou se tenir debout les mains tournées vers la face du Père. On pourra écouter de la musique, chanter ou se taire. On pourra contempler une œuvre d’art, icône ou toile de maître, s’émerveiller devant un paysage. Tout cela n’est pas prière cependant, mais ce qui nous tient dans le silence. Les gestes et mots nous aident à répondre à Dieu, à son amour premier. Lui répondre, c’est l’écouter.

Même assemblés dans la prière de l’eucharistie, archétype de toute prière, nous sommes seulement entraînés à cela, nous laisser traverser par l’Esprit, donner nos corps aux langues de feu pour que brûle enfin le cœur de la terre.

3 commentaires:

  1. merci beaucoup... tout simplement

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  2. Hubert Moreau18/7/20 08:41

    Pour faire écho, Patrick, à ton homélie et aux précédentes citations de M. Bellet

    Dix-sept manières de prier sans en avoir l'air... Maurice Bellet

    I - Marcher de long en large
    dans une église romane, belle, assez grande
    Saint Philibert de Tournus par exemple
    ou dans une église gothique
    Chartres, Reims, Bourges
    ou baroque, comme la Wieskirche
    et ne penser à rien
    rien du tout
    laisser le regard errer
    laisser la pierre chanter
    laisser le lieu dire
    et s'en aller; au bout d'un temps, sans aucune hâte.

    II - Lire un livre de forte pensée
    avec un désir fort de la vérité
    sans avidité de savoir
    sans prétention à disputer
    mais par goût, par amour de la vérité
    Ouvrir la porte profonde
    à toute pensée qui vient
    et la laisser demeurer en paix
    afin qu'elle vienne à porter son fruit.

    III - Ouvrir la Sainte Ecriture
    ouvrir seulement le Livre
    et partir en songerie
    imaginer son propre livre
    se raconter des histoires
    laisser remuer ses propres vieux mythes
    de cruauté, de triomphe, de sensualité, de désespoir
    d'amour, de charité
    avec le parfait narcissisme de ces choses-là
    et lire, dans le texte,
    deux mots.

    IV - Dire une demande du Notre Père
    une seule
    une seule fois.

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  3. Hubert Moreau18/7/20 08:52

    https://belletmaurice.blogspot.com/2013/12/17-manieres-de-prier-sans-en-avoir-lair.html

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