21/07/2023

« Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson » Mt 13, 24-30 (16ème dimanche du temps)

Vincent Van Gogh, Semeur au soleil couchant, 1888, huile sur toile, 73 x 92 cm, signé en bas à droite, Collection Emil Bührle, Zurich. - Le crédit photographique est : ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn)
Vincent Van Gogh, Semeur au soleil couchant, 1888

 

 

La création comme des semailles. Dieu jette le grain à profusion. Il n’est pas chiche. Il en tombe partout, sur le chemin, dans les ronces ou le sol sans profondeur. Peu lui importe, il sème dans la joie de la moisson à venir. Des grains en multitude pour le bon pain de l’amitié, pour rassasier de fraternité un monde que Dieu ne se résout pas à habiter seul.

Parabole du semeur, et non des terrains comme tout le monde s’entête à lire le texte. N’importent pas tant nos capacités à accueillir la parole, relent de pélagianisme, comme si la croissance du grain était autre que grâce ! C’était l’évangile de dimanche dernier.

Nous lisons la même chose ce dimanche (Mt 13, 24-43). Semailles encore. Cette fois, on ne s’attarde pas à la quantité mais à la qualité. « Le royaume des cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. »

Il faut s’arrêter à cette première phrase, apparemment banale. Il a semé du bon grain. Vous connaissez des gens qui sème du mauvais grain dans leur champ ? Cette bonté, celle du grain, plus encore celle du semeur, est celle dont le créateur aux premiers jours bénit l’univers : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : c’était très bon. »

Dans ce ciel sans nuage, foudre destructrice, coup de tonnerre. Dans le monde fait pour la bonté, fait bon, il y a le mal, et c’est incompréhensible. Il surgit, survient, et l’on ne sait ni d’où ni comment. Son ennemi ? Mais le créateur n’a pas d’ennemi ! Il n’y a que lui et sa bonté qui se diffuse dans l’espace nouvellement instauré. Bonum diffusivum sui.

C’est notre histoire, installée par la parabole en deux phrases, deux coups de pinceaux, seulement. La bonté de l’homme dont témoigne le grain et le mal, la zizanie d’un ennemi. C’est notre histoire, si difficile à comprendre, au point que pour les jeunes enfants on est soit gentil soit méchant, et qu’il faudra bien du temps pour apprendre que les choses ne sont pas si simples, qu’on n’est pas au pays de Candy ! Et combien d’adultes croient encore que ce pays existe, et ce d’autant plus qu’ils ont du mal à voir le mal les traverser. Les victimes en savent davantage sur le mal que les coupables, transpercées qu’elles en sont, et c’est pourquoi le côté de Jésus fut d’abord transpercé.

C’est la bonté du Créateur qui est raturée, biffée, effacée. C’est le créateur lui-même que le mal transperce, blesse et tue. Dieu est mort, dit le fou de Nietzsche. Son meurtre n’est pas le fait de l’athéisme, mais de notre entente avec le mal. Il se pourrait que le seul véritable athéisme soit notre collaboration avec le mal.

Pour mieux nous disculper, nous cherchons l’origine du mal, son pourquoi. Il suffit de notre collaboration pour que la zizanie existe et aucune explication au mal ne l’a jamais fait reculer, pas plus que la punition des coupables. Seulement sa dénonciation et le réconfort de ceux qui souffrent, cri et manches retroussées.

Et parfois, les coupables sont de ceux qui souffrent. Le bon grain et la zizanie poussent ensemble, et cela étonne, dans la parabole comme dans la vie. Et heureusement, l’homme bon qui a semé le bon grain commande que l’on n’arrache pas trop vite la zizanie, parce qu’on arracherait en même temps le bel épi, et pour cause, c’est le même qui est bon et mauvais ; je le redis, le pays de Candy n’existe pas. Heureusement, l’homme bon comme le grain nous laisse grandir, pour que nous nous bonifiions à son soleil, bonum diffusivum sui ; pour que, parce que, même si nous persévérons dans le mal, nous pussions tout de même donner du grain et ne pas renier totalement la bonté originaire, en nous et en face de nous.

Que serions-nous à ce que l’on ne puisse même plus deviner en nous l’image et ressemblance selon lesquelles nous avons été créés ? « Enlevez la zizanie pour la brûler. » Il brûlera le mal en nous. Tout ce que nous ne sommes pas arrivés à brûler, tout ce que nous n’avons pas voulu brûler. Il trouvera le grain bon, parce que lui est bon. S’il voit le mal, c’est pour en délivrer les victimes. Autrement, il ne voit en nous que le bon ‑ il n’y a de grain que bon ‑, effet de sa bonté.

 

 

 

Le soleil fait auréole, la sainteté plus forte que l'arbre qui se tord sous le poids du mal, croix de l'humanité.
"Dans la paix obstinée du soir, alors que les derniers cris d'oiseau se taisent peu à peu, le semeur de Van Gogh inlassable, répète son geste. Sa main droite laisse tomber une pluie de graines bleues qui tombe sur un sol labouré par les traits de pinceau.
Dans le contre-jour le visage disparaît, le corps et la tête ne sont plus qu'une masse noire rythmée par les plis des étoffes malmenés par le travail.
Un arbre brun tourmenté, souvent taillé, traverse en diagonale le paysage."
(Présentation de l'émission par Jean de Loisy.)

"On ne se trompe pas si l'on parle d'un tableau religieux dans le cadre du semeur." Lukas Gloor Historien de l'art


Lettre à Emile Bernard, juin 1888 :

"Le Christ seul – entre tous les philosophes, magiciens, etc., – a affirmé comme certitude principale la vie éternelle, l’infini du temps, le néant de la mort, la nécessité et la raison d’être de la sérénité et du dévouement. Il a vécu sereinement, en artiste plus grand que tous les artistes, dédaignant et le marbre et l’argile et la couleur, travaillant en chair vivante. C’est-à-dire que cet artiste inouï et à peine concevable, avec l’instrument obtus de nos cerveaux modernes nerveux et abrutis, ne faisait pas de statues, ni de tableaux ni de livres : il l’affirme hautement, il faisait... des hommes vivants, des immortels. C’est grave ça, surtout parce que c’est la vérité.

Ce grand artiste n’a pas non plus fait de livres ; la littérature chrétienne, certes, dans son ensemble, l’indignerait, et bien rare sont dans celle-là les produits littéraires qui, à côté de l’Évangile de Luc, des épîtres de Paul – si simples dans leur forme dure et guerrière – puissent trouver grâce. Ce grand artiste – le Christ – s’il dédaignait d’écrire des livres sur les idées (sensations), a certes bien moins dédaigné la parole parlée – la Parabole surtout. (Quel semeur, quelle moisson, quel figuier ! etc.)."

Verzamelde brieven van Vincent Van Gogh, Amsterdam-Anvers, Wereldbibliotheek, 1952-1954, pp. 209-210.

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