17/07/2023

Les bienheureuses Carmélites de Compiègne

G. Bernanos, Dialogues des Carmélites, deuxième tableau (1948)

La prieure
Me répondrez-vous dès maintenant si je vous demande quelle idée vous vous faites de la première obligation d’une Carmélite ?

Blanche
C’est de vaincre la nature.

La prieure
Fort bien. Vaincre et non pas forcer, la distinction est de conséquence. A vouloir forcer la nature, on ne réussit qu’à manquer de naturel, et ce que Dieu demande à ses filles, ce n’est pas de donner chaque jour la comédie à Sa Majesté, mais de le servir. Une bonne servante est toujours où elle doit être et ne se fait jamais remarquer.

Blanche
Je ne demande qu’à passer inaperçue…

La prieure (Souriante avec un point d’ironie.)
Hélas ! cela ne s’obtient qu’à la longue, et de le désirer trop vivement ne facilite pas la chose… […] Oui, vous brûlez de prendre la dernière place. Méfiez-vous encore de cela, mon enfant… A vouloir trop descendre on risque de passer la mesure. Or, en humilité comme en tout la démesure engendre l’orgueil, et cet orgueil-là est mille fois plus subtil et plus dangereux que celui du monde, qui n’est le plus souvent qu’une vaine gloriole… (Un silence) Qui vous pousse au Carmel ?

Blanche
Votre Révérence m’ordonne-t-elle de parler tout à fait franchement ?

La prieure
Oui.

Blanche
Hé bien, l’attrait d’une vie héroïque.

La prieure
L’attrait d’une vie héroïque, ou celui d’une certaine manière de vivre qui vous paraît ‑ bien à tort ‑ devoir rendre l’héroïsme plus facile, le mettre pour ainsi dire à la portée de la main ?...

Blanche
Ma Révérende Mère, pardonnez-moi, je n’ai jamais fait de tels calculs.

La prieure
Les plus dangereux de nos calculs sont ceux que nous appelons des illusions…

Blanche
Je puis avoir des illusions. Je ne demanderais pas mieux qu’on m’en dépouille.

La prieure
Qu’on vous en dépouille… (Elle appuie suis les trois mots.) Il faudra vous charger seule de ce soin, ma fille. Chacune ici a déjà trop à faire de ses propres illusions. N’allez pas vous imaginer que le premier devoir de notre état soit de nous venir en aide les unes aux autres, afin de nous rendre plus agréables au divin Maître, comme ces jeunes personnes qui échangent leur poudre et leur rouge avant de paraître pour le bal. Notre affaire est de prier, comme l’affaire d’une lampe est d’éclairer. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’allumer une lampe pour en éclairer une autre. « Chacun pour soi », telle est la loi du monde, et la nôtre lui ressemble un peu : « Chacun pour Dieu ! » Pauvre petite ! Vous avez rêvé de cette maison comme un enfant craintif, que viennent de mettre au lit les servantes, rêve dans sa chambre obscure à la salle commune, à sa lumière, à sa chaleur. Vous ne savez rien de la solitude où une véritable religieuse est exposée à vivre et à mourir. Car on compte un certain nombre de vraies religieuses, mais bien davantage de médiocres et d’insipides. Allez, allez ! ici comme ailleurs le mal reste le mal, et pour être faite d’innocents laitages, une crème corrompue ne doit pas moins soulever le cœur qu’une viande avariée…

 

 de Beauvais

L'ordre du Carmel fait mémoire le 17 juillet de la bienheureuse Thérèse de Saint Augustin et de ses compagnes, martyres, quinze professes et une novice exécutées à la toute fin de la Terreur, sur l'actuelle place de la Nation à Paris, le 17 juillet 1794. Leurs dépouilles sont jetées dans une fausse-commune du cimetière de Picpus.

Elles ont été béatifiées en 1906 par Pie X, alors que l'Eglise se considérait persécutée par la loi de séparation des Eglises et de l'Etat en 1905, la confiscation de ses biens, et l'expulsion des religieux depuis 1902. Elles ont été condamnées pour fanatisme et sédition selon le cynisme du tribunal révolutionnaire. Il ne faudrait pas que ce soit soutenues par un autre fanatisme cynyique qu'elles soient canonisées, ainsi que l'a autorisé François début 2022... Le Carmel de Compiègne a été transféré à Jonquières (Oise) en 1992.

L'une des religieuses absente au moment des arrestations relate la vie avant la dispersion de ses sœurs et rassemble des témoignages sur leurs derniers jours, notamment à la prison de la Conciergerie, grâce au récit de religieuses bénédictines anglaises, détenues avec les Carmélites.

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