25/12/2009

Il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune (Noël)

Comparons deux versets de l’évangile de Luc, un que nous venons d’entendre, au chapitre deux, un autre deux chapitres avant la fin de l’évangile, durant la passion : Elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire, parce qu’ils manquaient de place dans la salle. Il le descendit, le roula dans un linceul et le mit dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n’avait été placé.

Les quatre propositions de chacun des versets semblent se répondre comme dans un effet d’écho. En soi, qu’une naissance et une mort se ressemblent n’est pas extraordinaire ; Jésus ne fait pas exception. L’enfant passe de la vie utérine à une autre vie, abandonnant comme dans une mort ses sécurités ; le défunt, confessons-nous, passe à une vie nouvelle par la résurrection de la chair. Celui qui ne peut s’habiller seul est langé, emmailloté, dans les mêmes gestes d’attention, de tendresse et de respect que le cadavre. Le berceau ou la mangeoire protègent l’enfant comme le cercueil ou la tombe.

Plus original, l’absence de place pour l’enfant Jésus et l’absence de qui que ce soit dans la tombe nouvelle. Pourquoi Luc prend-il soin de préciser cette mise sur la marge de Jésus, cette sorte de désert humain autour de lui ? On dirait que Jésus est loin de tous. De la naissance à la mort, il est écarté, isolé.

La salle commune n’est pas un hôtel dont toutes les chambres pourraient être occupées. On arrive toujours à trouver de la place en se tassant un peu, surtout s’il y a une parturiente. Quant à la présence d’une mangeoire dans cette salle, elle ne devrait guère étonner : moutons et poules n’avaient sans doute pas d’étables bien distinctes, surtout pour les gens qui étaient sur la route. Faut-il donc que les contemporains de Jésus soient inhumains pour refuser l’hospitalité à une femme sur le point d’accoucher ? Cependant, comment refuseraient-ils d’accueillir Jésus, alors qu’ils ne savent pas qui sera cet enfant ?

Que signifie la marginalité de Jésus ? Pourquoi est-il en dehors du coup ? Pourquoi n’y a-t-il pas de place pour lui si ce n’est une mangeoire ?

On pourrait traduire notre texte : ce n’était pas un lieu pour eux, dans la salle commune. Qui donc est Jésus pour ne pas avoir sa place dans cette salle ? A la fois Jésus habite cette terre, à la fois, il n’y a pas vraiment sa place. Qui est-il donc ? Voilà la question que pose Luc alors qu’il ouvre son évangile. A la fin, le disciple pourra comprendre. Quelle place en effet pourrait contenir le fils de Dieu, quel lieu pourrait lui convenir ? Il est assurément l’un des nôtres et pourtant, il n’est pas de chez nous. Il n’est certes plus dans la mangeoire mais il donne son corps en nourriture ; sa parole est nourriture pour l’homme qui ne vit pas seulement de pain.

En Jésus, Dieu s’est approché définitivement de l’humanité. Cela est à peine croyable, d’autant plus si l’on pense que ce chemin d’approche passe par la croix, la mort du Fils. La route est longue qui mène jusqu’à la foi et Luc le sait. C’est pourquoi il parle en énigme ou parabole. C’est pourquoi il cache même les questions tant les réponses sont autre chose qu’un savoir. Il faudra pour répondre accepter d’être mis en route soi-même et passer aussi par un chemin de croix. Ce n’est pas par hasard si notre verset de Noël ressemble à celui de l’ensevelissement.

Pour l’heure, Luc annonce que Dieu s’est approché de l’humanité. Sa gloire n’est plus seulement céleste, elle transfigure la terre en jardin de paix : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime.

Il est tout aussi difficile de croire que Dieu s’intéresse à notre terre au point de se faire l’un de l’humanité ou qu’une vierge puisse enfanter. Il ne s’agit pas de trucs curieux pour que la raison soit mise en déroute. Ce sont seulement deux manières que Luc a trouvé pour essayer de dire ce qui est radicalement nouveau en cet homme dont il est le disciple et dont il nous invite à notre tour à être les disciples : Dieu a visité son peuple, Dieu s’est fait l’un de nous. Voilà pourquoi il ne peut y avoir de place pour Jésus dans la salle commune, parce que ce qui arrive n’est pas commun : la gloire de Dieu habite la terre, et elle ne le fait pas dans le temple, mais là, juste à côté de la salle commune, sur la marge, tout simplement parce que la salle commune est trop petite, parce qu’il faut agrandir la tente de la rencontre, renforcer les piquets, déployer pour d’autres la toile qui nous abrite.

Ce n’est pas l’identité nationale qui nous préoccupe à Noël, c’est l’humanité de l’humanité. L’humanité est inhumaine, encore. C’est l’objet de notre tourment, du tourment de Dieu, d’autant qu’elle est appelée à rejoindre Dieu. Dieu s’est mis dehors, à ciel ouvert, pour que sa gloire habite la terre, pour que tout le monde tienne, et non pas seulement le trop petit nombre de ceux qui font partie du clan, de la nation. Lorsque la recherche d’identité est un stratagème pour ne pas reconnaître en l’autre un semblable, n’est-il pas opportun d’entendre non seulement qu’il n’y a pas de place pour lui dans la salle commune, mais plus encore, que Dieu ne veut pas de la salle commune, qu’elle n’est pas un lieu pour lui, parce qu’il veut pouvoir demeurer avec tout homme.


Textes de la messe de la nuit : Is 9, 1-6 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14


Prière Universelle

- Seigneur Jésus, tu nais à Bethléem, la maison du pain. Nous te prions pour tous ceux qui n’ont pas de pain, pour tous ceux qui ce soir se coucheront le ventre vide. Tu es pourtant le pain déposé dans la mangeoire et partagé pour que les hommes aient la vie. Nous te prions pour ceux qui viennent à leur secours.

- Seigneur Jésus, tu ne veux d’aucune maison. Ainsi, tu habites la terre à ciel ouvert et l’humanité peut trouver sa place à tes côtés. Nous te prions pour ton Eglise. Qu’elle aille aussi planter sa tente avec ceux qui n’ont pas de maison.

- Seigneur Jésus, notre monde est devenu un village, une maison commune. Mais il est bien difficile de vivre entre voisins, de décider ensemble du bien commun, de reconnaître en l’autre un semblable. Nous te prions pour notre humanité en quête d’humanité.

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