20/02/2010

Mon père était un araméen vagabond (1er dimanche de Carême)

Mon père était un araméen vagabond. Ainsi se conclut le code de l’alliance dans le Deutéronome, par une histoire. Le peuple de Dieu raconte son histoire et c’est là qu’il y trouve les mots pour dire sa foi. Après avoir entendu toutes les prescriptions données à Moïse, et comme pour les ratifier, le peuple est invité à présenter les biens du sol, les prémices des récoltes. Cette offrande doit s’accompagner, comme nous l’avons lu, de cette histoire : Mon père était un araméen vagabond. Point de formule rituelle ou magique, point de prière, mais un récit, une histoire d’hommes.

Que raconte cette histoire ? Le passage du nomadisme de l’araméen vagabond, ‑ Abraham ? ‑ à l’installation dans une terre qui donne des fruits. Ce passage encadre un autre passage, celui de la détresse d’un peuple pauvre, opprimé et réduit en esclavage, en Egypte, à l’abondance d’une terre ou ruissellent le lait et le miel.

Ces deux passages encadrent la seule action de ce peuple : Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos Pères, il a entendu notre voix, il a vu que nous étions malheureux, opprimés. Au cœur de l’histoire, le récit d’une prière.

Avant le cri, il y avait déjà eu un passage : Le père vagabond, immigré avec son petit clan, devient une grande nation, puissante et nombreuse. La promesse d’une postérité pour Abraham aurait-elle été tenue ? Dans notre récit, il semble que cela ne soit pas le cas ; comment une grande puissance peut-elle se voir imposer un dur esclavage ? Ainsi, seul le cri fait passer à la vie, comme lors de la naissance. Il ne suffit pas de sortir du sein de sa mère, il faut encore crier pour respirer. Il ne suffit pas d’être un peuple, il faut encore, crier, espérer. Au cœur de l’histoire, le récit d’une prière devient profession de foi. C’est la Pâque qui se dit, passage de la mort à la vie comme passage de la non-foi à la foi.

Le cri, qu’il soit la respiration du nouveau-né, l’angoisse de l’esclave persécuté, la joie des amants, toujours, le cri est lancé, adressé. Et dans ce cri, est espéré celui à qui il est adressé, peut être reconnu celui qui précède, celui qui le premier se tient là.

Jusqu’au cri, dans le récit, point de mention de Dieu, il est absent, comme si le peuple vagabond pouvait advenir à la vie par lui même. Non qu’il le nie ; pire encore, il l’ignore, Dieu est littéralement insignifiant. L’indifférence tue aussi, comme la négation. Le récit du cri cependant permet de transformer l’histoire en profession de foi, c’est-à-dire en reconnaissance que la vie a été reçue, comme la loi, comme les récoltes.

Si la loi fait vivre, ce n’est pas d’abord que son respect serait condition de la récompense promise pour qui la respecte. La loi est comme la terre, féconde ; elle produit son fruit pour les bons comme pour les méchants. Croire que la promesse est accomplie parce qu’enfin une terre est donnée est aussi illusoire que de croire que l’observation de la loi est la condition de vie. Doit être confessée l’absolue et première gratuité du don de Dieu. Si le peuple est invité par la loi à offrir les prémices, c’est parce que ces prémices, comme contre-don, reconnaissent la grâce du don premier de Dieu, sont action de grâce.

Si la loi fait vivre, c’est d’abord parce qu’elle est un code d’alliance. Ce n’est pas la loi qui fait vivre, mais l’alliance. Comment observons-nous la loi de Dieu (pour peu que nous sachions ce que signifie exactement observer la loi de Dieu) ? Observons-nous cette loi comme on obéit à la loi de la conscience ou à une règle morale ? Alors nous mourrons. Nous le savons bien, cette loi est hors de notre portée. La sainteté dont elle témoigne est celle du seul Saint et nous sommes loin derrière, non pas seulement quantitativement, mais qualitativement.

La loi que nous entendons d’abord comme exigence éthique vient en fait après, en second. Ce qui est premier, c’est l’alliance qui est scellée et dont ce formulaire de loi est la conséquence. Le formulaire de la loi est la trace de l’alliance d’abord scellée. Et c’est bien ce qui se passe dans cette histoire : Mon père était un araméen vagabond. Nous avons crié vers le Seigneur, et lui nous a tirés de la détresse. Le cri est la trace de l’alliance avec celui qui le premier s’est avancé pour nous tirer de la détresse, pour nous faire vivre.

Vivre notre foi, c’est reconnaître dans l’histoire que nous racontons, à l’occasion d’un cri souvent, parole encore inarticulée, que Dieu nous est présent. Il n’est pas là, comme l’objet, disponible, sous la main, mais désignable seulement dans le récit où notre vie prend forme ; on le devine dans notre vie lorsque nous la racontons en forme de réponse à un appel à jamais inouï : Pas de voix dans ce récit, pas de parole qui s’entende, dit un psaume.

Vivre notre foi, c’est reconnaître dans l’histoire la présence de Dieu, non par la magie d’une grande nation, puissante et nombreuse, mais par le contre-don, celui des prémices, elles encore reçues avant d’être offertes, de sorte que la vie prenne forme de réponse, même au fond de la détresse, de l’esclavage. Les signes de Dieu ne sont guères identifiables, mais à raconter notre histoire, à raconter le cri de notre espérance adressé à celui qui peut l’entendre, nous entrons dans l’alliance, nous confessons que nous répondons à celui qui nous appelle à la vie par sa loi de sainteté.

Textes du 1er dimanche de Carême C : Dt 26, 4-10 ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4, 1-13

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