06/12/2011

La parole de Dieu (50 ans Vatican II n°4)

1. Parole de Dieu, Ecritures, tradition

Qu’est-ce que la parole de Dieu ? Le livre des Ecritures en porte la trace ainsi que l’Eglise en prière le confesse à chaque acclamation de l’évangile. Au ministre qui lève le livre, l’assemblée répond en exprimant sa foi : Louange à toi Seigneur Jésus. Elle ne répond pas quelque chose du genre : oui, louons cette parole mais elle se tourne vers Jésus et s’adresse à lui, le Verbe de Dieu, sa parole. Le petit dialogue liturgique montre bien que le texte n’est pas la parole de Dieu mais ce qui « communique » cette parole (§ 21). Et, si la règle de la prière est règle de la foi, alors la conception chrétienne des Ecritures n’est en rien fondamentaliste. Les Ecritures ne sont pas dictées par Dieu, elles ne sont pas des oracles et les écrivains sacrés sont de vrais auteurs, avec toute la liberté et la créativité que cela suppose[1].

Beaucoup demandent, et déjà Saint Augustin il y a quinze siècles, comment la violence de ces textes et leur particularisme (enracinement dans une culture grandement étrangère) s’accordent avec une parole prétendue divine. Leur interprétation est nécessaire (§ 12). A la suite des tout premiers chrétiens, le premier testament est notamment compris comme une prophétie de ce qui arrive en Jésus (Cf. Lc 24,7, 2 Co 3, § 16). Les méthodes contemporaines et profanes (histoire, théories du récit, etc.) offrent d’indispensables outils de lecture (§ 12 )[2].

Les Ecritures sont lues en Eglise. C’est ce que l’on appelle la transmission ou tradition de cette parole (§ 8), le savoir faire et la vie de la communauté à chaque époque et partout qui permet de passer de la lettre morte à la parole qui fait vivre aujourd’hui. C’est dans la tradition que les Ecritures sont reçues et transmises pour être le pain de vie (§ 21) ; c’est en elle aussi qu’elles ont été produites. De façon seconde, ce que l’Eglise par son écoute et sa mise en pratique des Ecritures au long des siècles a fixé de leur sens dans des rites et des dogmes s’appelle aussi tradition, qui n’est plus alors le fait de transmettre mais ce qui est transmis. La tradition pourtant n’est jamais une source de la vérité à côté des Ecritures, mais leur milieu et leur vie. Il n’y a qu’une seule source, les Ecritures, sola scriptura. Malgré les nombreuses mentions de l’Esprit Saint ou de l’inspiration, Dei Verbum n’explicite pas le lien entre Esprit et parole de Dieu, ce qui fixe certes de trop Parole et tradition dans une lettre.

Qui dit interprétation dit pluralité des sens voire conflit des interprétations. Les évêques sont les garants d’une interprétation fidèle. « Pourtant, ce magistère n’est pas au-dessus de la parole de Dieu, mais il la sert, n’enseignant que ce qui lui fut transmis, puisque par mandat de Dieu, avec l’assistance de l’Esprit saint, il écoute cette parole avec amour, la garde saintement et l’expose avec fidélité. » (§ 10)[3] Contrairement au § 10-3, d’une nouveauté non traditionnelle, le magistère ne constitue pas une troisième instance à côté des Ecritures et de la tradition.[4]

Le schéma préparatoire de Dei Verbum s’entêtait dans la polémique anti-protestante, valorisant la tradition pour en faire la seconde source de la révélation. On a pu considérer qu’avec le rejet de ce schéma en fin de première session (20 11 1962) s’achevait l’âge de la Contre-Réforme. Le texte totalement retravaillé est voté à la fin du concile, le 18 11 1965.

2. La révélation, vérités éternelles, monde moderne

Contrairement à une opinion reçue, encore perceptible dans le texte, la révélation n’est pas un contenu de vérités, abstraites et immuables, qui s’imposerait d’autorité, révélé qu’il est par Dieu, ni des connaissances surnaturelles[5] que la raison ne saurait atteindre par elle-même. La révélation c’est Dieu lui-même qui se donne à connaître dans l’histoire, comme dans une conversation amicale, pour que les hommes aient la vie[6]. Dieu ne s’adresse pas à l’homme pour l’informer sur ce qu’il est, mais pour l’associer par amour à sa vie divine.

Ainsi est retracée l’histoire du salut (§ 3-4). La tentative d’abandon du vocabulaire technique de la théologie et l’adoption du style biblique, liturgique et patristique modifie la manière de croire et de faire de la théologie et a donc une portée dogmatique. C’est que les Ecritures sont comme l’âme de la théologie (§ 24). Les traités théologiques ne peuvent pas être séparés les uns des autres comme si l’Eglise ou la révélation n’avaient pas de rapport avec le Christ, comme si pastorale et dogmatique ou théologie et spiritualité s’opposaient, etc. Une « concentration christologique » rapporte toute affirmation de foi à Jésus. « Dites au monde que la divine révélation c’est le Christ ! » (Cf. § 2). Jésus est l’évangile de Dieu[7] par ses paroles et aussi par toute sa vie (§ 17). A partir du XVIIe siècle l’histoire (et la science) conteste la vérité des Ecritures et de la foi, l’Eglise se crispe dans un anhistoricisme selon lequel si vérité il y a, elle ne peut qu’être toujours la même, éternelle, tout comme Dieu qui est la vérité. Le concile sort enfin de ce conflit entre histoire et dogme, entre foi et modernité.

Reste que le style biblique risque d’apparaître mythologique si l’on ne permet pas à une culture technico-scientifique (même très vulgairement) d’accéder à une intelligence symbolique. Qu’est-ce que cela veut dire, un Dieu qui parle, un Dieu qui intervient dans l’histoire des hommes ? Dei Verbum ne marque pas la différence de genres littéraires entre son propre exposé et le texte biblique, enfermant du coup ce dernier dans un premier degré ou une naïveté qui ne sont plus acceptables. Or dire que Dieu parle, c’est surtout dire qu’il ne parle pas… comme nous parlons ; car dans toute analogie, en théologie, il y a toujours plus de dissemblance que de ressemblance. Dieu demeure inconnu même quand il se révèle. Dieu, que les religions et l’athéisme connaissent si bien, demeure l’inconnu que quête le croyant. La révélation doit comporter une critique de la révélation pour demeurer chrétienne.

Dei Verbum amorce pour l’Eglise, officiellement du moins, une lecture de l’évangile dans une culture sécularisée, c’est-à-dire non religieuse, où Dieu n’est pas évident. La nouveauté dogmatique de Vatican II réside dans cette amorce. On ne peut plus parler anhistoriquement de la vérité chrétienne ni l’annoncer sans tenir compte de ceux à qui l’on s’adresse. La pastoralité est la clé de la dogmatique. Ceci est un acquis proprement dogmatique. Certains parlent d’une « sécularisation interne » du catholicisme ; l’évangile exprime bien sûr la foi mais dans une culture non-religieuse. D’autres parlent de « la sortie du catholicisme » par l’Eglise catholique, le catholicisme étant cette forme très centralisée que prend l’Eglise après la Réforme et qui n’existe pleinement qu’à partir du XIXe voire avec le code de 1917. Cela effraie de nombreux chrétiens et suscitent des réflexes identitaires. C’est peut-être au contraire la chance de l’Eglise et de l’accueil de la parole de Dieu.

3. Pour aller plus loin

En quoi ces lignes aident à mieux comprendre les Ecritures ?

Que penser de la diversité de sens des Ecritures ? Comment articuler les différents sens, notamment sens historiques et sens théologiques ?

Que signifie que Dieu parle ? Que penser de la distinction Ecritures / Parole de Dieu ?

Comment penser ensemble vérité et histoire ?

Pour quoi penser ensemble vérité, révélation et salut ?



[1] « En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. » (§ 11). Ce texte ne parvient pas à concilier la théorie traditionnelle selon laquelle Dieu est l’auteur des Ecritures (c’est lui qui par amour se dévoile et fait alliance) et la théorie, historienne, qui reconnaît l’autonomie des auteurs.

[2] Pie XII l’avait reconnu pour la première fois en 1943 dans son encyclique Divino afflante Sprititu.

[3] Lorsqu’on ordonne un évêque, on tient le livre des Ecritures ouvert sur ses épaules.

[4] « On s’est mis d'accord, avec quelques corrections, sur un texte que je ne trouve pas bon. [...] En particulier le n° 5 du projet me paraît mauvais : la tradition y est présentée comme confiée au MAGISTERE, non à l'Eglise. [...] Cela ne collera sans doute pas non plus avec le schéma De Ecclesia » (Y. Congar)

[5] Le mot surnaturel est volontairement écarté ; son absence marque un changement de théologie.

[6] « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (Cf. Ep 1,19) grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint au Père et sont rendus participants de la nature divine (Cf. Ep 2,18 ; 2 P 1,4). Ainsi, par cette révélation, le Dieu invisible (Cf. Col 1,15 ; 1 Tm 1,17) s’adresse aux hommes dans son amour ainsi qu’à des amis (cf. Ex 33,11 ; Jn 15,14-15), s’entretient avec eux (Bar 3,38) pour les inviter à la communion avec lui et les y recevoir » (§°2)

[7] Expression de Paul VI dans son exhortation apostolique de 1975 Evangilii nuntiani § 7.

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